James Anderson : La Route 117
06/03/2020
James Anderson, écrivain américain né à Seattle dans l'Oregon, est diplômé du Reed College à Portland et titulaire d'un master d'écriture du Pine Manor College à Boston. Ses écrits ont été publiés par de nombreux magazines et il a été éditeur chez Breitenbush Books. Son second roman, La Route 117, vient de paraître.
Ben, le narrateur, chauffeur routier indépendant, passe ses journées sur la route 117 qui traverse le désert de l’Utah pour livrer les étranges habitants/marginaux qui y vivent. Un matin d’hiver neigeux, à la station service où il à l’habitude de faire le plein d’essence, une vague relation lui a laissé un colis encombrant : un gamin muet de cinq ans et son chien, avec un petit mot énigmatique « S’il te plaît, Ben. Grosse galère. Mon fils. Emmène-le aujourd’hui. Confiance à toi seulement. Pedro. »
Et nous voilà partis dans un bien étrange récit dont je ne sais pas trop bien que vous dire. J’écris toujours mes billets à froid, c'est-à-dire après une nuit de sommeil, pour éviter d’être sous le coup de la subjectivité découlant de ma lecture. Néanmoins, pour vous rassurer immédiatement, j’ai passé un très bon moment avec ce bouquin. Mais est-ce réellement un bon roman dans l’absolu, je ne sais pas.
Ce qui me gêne un peu avec ce livre, c’est qu’il ressemble à un gros ragoût dans lequel l’écrivain aurait versé tous les machins qui lui seraient tombés sous la main après avoir exploré son réfrigérateur. Ce n’est pas mauvais à déguster et même agréable je le reconnais, mais si on cherche à analyser ce qu’on mange… Sans vous en donner la recette exacte, voici ce que j’y ai trouvé :
Il y a John, un prêcheur illuminé qui arpente la 117 en trainant une énorme croix sur son dos, tué (assassiné) par un chauffard (pourquoi ?) ; un gros camion mystérieux qui fonce comme un malade sur cette route et qui disparaît (où, dans ce désert ?) sans laisser de traces ; Pedro est tué et d’autres suivront ; Ben héberge chez lui, Ginny une gamine de dix-sept ans avec un bébé tentant de refaire sa vie en combinant études et petits boulots et un banquet final (Astérix ?)… entre autres réjouissances.
Ben va mener son enquête et démêler les fils de ces histoires tarabiscotées pleines de situations peu crédibles, lui et son camion vont se prendre des coups sévères, d’autres des dérouillées mortelles dans des décors post-apocalyptiques, neige et froid la nuit, soleil le jour, désert à tous les étages et incessants va-et-vient sur cette 117 mortelle.
Le roman avance mollement - mais on ne s’ennuie jamais – et c’est pour ainsi dire sa qualité première ; le lecteur est pris dans un faux rythme, berçant et très agréable. J’ai beaucoup parlé de désert, pourtant les figures qui le peuplent sont nombreuses et valent le détour, hommes et femmes ont roulé leur bosse, on peut même dire qu’ils sont bien cabossés et du genre taiseux. Notre héros a aussi un passé bien chargé mais c’est un grand cœur. Comme le facteur dans les petits bleds, il fait sa tournée et connait tout le monde (« Il m’avait dit : « Tu sais quelle est la différence entre toi et la poste américaine ? » Je l’avais laissé répondre. « Toi tu distribue seulement ce que les gens ont demandé. »). Cet angle du roman est lui encore très plaisant.
Il n’y a que du positif dans tout cela me direz-vous, alors où est le problème ? Tu vas le cracher le morceau ? Le hic, c’est l’intrigue ou les intrigues, tout le roman baigne dans une sorte de flou artistique : on ne saura jamais vraiment qui sont ou quels sont les motifs réels de leurs actes, ni même à quoi échappera la gamine prise en charge par Ben ; il est question d’un vague trafic de pneus puis d’enfants… et puis du passé revenu se venger… et Ben d’en conclure : « Il arrive que les gens fassent le mal, par bêtise, par inconscience, ou simplement parce que l’idée paraît bonne sur le moment ». Bref, une histoire de flou mais qui là encore n’est pas désagréable à suivre et vous commencez à voir mon désarroi pour avoir un avis tranché.
La route 117 n’est pas la route des vacances, c’est certain, mais elle mérite pourtant le détour.
« Je savais qu’ils étaient là et se moquaient de moi – moi, le camionneur bâtard mi-indien, mi-juif – avec leurs bouches sans têtes. Encore quelques pas, puis quelques autres, et il n’y aurait plus que la nuit, la neige, sans la moindre trace de la route ou de mon camion. Mon cœur a commencé à battre dans mes oreilles. J’ai fait quelques pas de plus en agitant ma lampe torche dans toutes les directions. Puis je l’ai éteinte. Etant donné mes origines mêlées, je pouvais m’attendre à une vision envoyée par un vieil Amérindien psalmodiant et me guidant vers la bonne direction. Ou à un vieux rabbin psalmodiant en me donnant un sandwich aux boulettes de matsa, ainsi qu’un conseil sous forme de question. Je me serai même contenté du fantôme de Joseph Smith en drag-queen. Or personne ne s’est manifesté. Comme d’habitude, je me retrouvais seul. »
James Anderson La Route 117 Belfond – 347 pages –
Traduit de l’américain par Clément Baude
4 commentaires
C'est bien intrigant... je suis très tentée, justement en raison de ton désarroi !
Ingannmic
(J'ai trouvé une solution de contournement pour poster des commentaires : c'est de le faire incognito...)
Content de voir que tu as pu trouver une combine pour résoudre ton problème ! J’utilise la même sur certains blogs où c’est trop compliqué pour poster des commentaires….
Pour en revenir à ce roman, ne te focalise pas trop sur « désarroi » ou « perplexité », souvent j’exagère un peu le trait. Par contre il est vrai qu’entre le plaisir immédiat et certain de cette lecture, et ce qu’on en retient ensuite, il y a un pas…. Mais l’important, c’est : plaisir de lecture immédiat, ce qui est déjà énorme.
C'est bien intrigant...
Et ça l’est ! Un bon moment de lecture.
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