Maurice Genevoix : Un Jour
27/07/2020
Maurice Genevoix (1890-1980) est un écrivain et poète français. D’une grande vitalité malgré ses blessures reçues lors de la Première Guerre mondiale et animé de la volonté de témoigner, il écrit jusqu’à ses derniers jours. Son œuvre, portée par le souci de perpétuer ce qu'il a tenu pour mémorable compte 56 ouvrages. Il est surtout connu pour ses livres régionalistes inspirés par la Sologne et le Val de Loire comme son roman Raboliot (prix Goncourt 1925) mais il a également témoigné des épreuves de la génération qui a fait la Grande Guerre.
Son corps doit entrer au Panthéon en novembre 2020, il est donc encore temps, à cette occasion, de vous replonger dans ses livres ou des les découvrir et pourquoi pas avec cet excellent roman, Un Jour, publié en 1976.
Nous sommes en 1940 dans le Val de Loire, le narrateur, Maurice Genevoix, jamais nommé mais sans ambiguïté puisque l’un de ses romans est évoqué par l’un des personnages (« … moi qui ai lu La Boîte à pêche ! ») s’est égaré dans les bois non loin de sa résidence secondaire quand il est remis sur le bon chemin par un inconnu bien que voisin, Fernand d’Aubel. L’histoire pouvait en rester là mais dix-sept ans plus tard, revenu en ces lieux, il recroise cet homme et comme si c’était hier, ces deux-là se reconnaissent une connivence intellectuelle. Pour mieux se découvrir, d’Aubel propose à l’écrivain de partager avec lui une journée complète, un jour comme les autres. Ils ne se reverront quasiment plus après et dix-sept ans plus tard – même écart de temps – Maurice Genevoix écrit ce roman, portrait de souvenirs de cet homme maintenant décédé.
Le thème du livre est simple, la complicité entre deux hommes qui ne se connaissent pourtant pas mais qui partagent un amour intense pour la nature et la vie simple, bien que leur situation sociale soit avantageuse. Fernand d’Aubel à l’époque de cette fameuse journée, est un homme âgé (notons que Genevoix « le vrai » qui tient la plume a 86 ans !) bien que vaillant, il s’est reconnu un frère intellectuel en Genevoix (« le faux » acteur du roman) et peut-être qu’inconsciemment il souhaite laisser une sorte de testament humaniste.
Tout le roman est une magnifique description de la nature, une ode à cette flore et cette faune qui les entourent ; à la vie simple qu’on y mène, celle des provinciaux d’autrefois. Fernand d’Aubel peut aussi compter sur ses deux serviteurs, Hubert son garde-chasse et son épouse Céline, tous deux dévoués, et sur la présence de sa fille Laure. On arpente les bois et la pinède, on fait le tour de l’étang, on s’émerveille d’un rien c'est-à-dire de l’essentiel. Ici on vit avec les saisons, « dans ce monde en marge du monde », loin encore du modernisme qui pointe à l’horizon.
Lâchez vos romans de Claudie Hunzinger ou Marie-Hélène Lafon, et précipitez-vous sur Maurice Genevoix, leur maître, qui marie la Nature de la première avec les hommes simples de la seconde. Mais surtout, gorgez-vous de cette écriture somptueuse, de ces phrases ciselées à la perfection, de ce vocabulaire d’une richesse inouïe (« D’ici une semaine, il ira taper dans le harpail et déharder les biches qu’il servira. »). Un roman d’une sensualité folle où l’homme regrette de ne pas « avoir la vue d’un épervier, l’odorat d’un chien, l’ouïe d’une chauve-souris… » Etonnamment (pour moi en tout cas) l’écrivain fait appel à ses collègues américains pour enfoncer le clou, Whitman, Thoreau, Emerson…
Fernand d’Aubel aura eu une vie professionnelle et personnelle bien remplie avant de connaître la sérénité dans son havre de paix niché en pleine nature, mais de constater « Une longue vie pour devenir un homme, et ce n’est jamais achevé », d’Aubel et Genevoix les deux faces d’une même pièce.
Excellent roman.
« J’y ai pensé, je crois, dès le soir de septembre où vous vous êtes perdu ici. Un désir vague, une espèce d’appétit, à peine conscient d’abord, qui peu à peu… Je vous ai parlé de vos livres, il le fallait. Oui, bien sûr, je les aime ; mais j’en ai aimé d’autres, j’ai beaucoup lu, énormément, depuis que je vis aux Vieux-Gués. Avec les vôtres, il s’agit d’autre chose : une connivence, une harmonie préétablie, ne souriez pas, prédestinée, l’impression absurde et pourtant insistante, indiscutable que je les aurais… que je les avais écrits. »
2 commentaires
Vu comme ça, je pourrais le lire. Je me souviens d'avoir lu (très jeune ) Au cadran de mon clocher.S'il y a parfois de la nature dans ses livres (pas ototus, je sais) ça peut se voir!
Je sais qu’on ne peut pas tout lire et que Maurice Genevoix c’est la littérature d’hier, il n’empêche qu’elle est excellente et à ce titre mérite largement qu’on y revienne. Quant à la nature, à ma connaissance elle est quasiment partout dans son œuvre ce que confirme sa fiche Wikipedia : « Il a cependant dépassé le simple roman du terroir par son sobre talent poétique qui, associé à sa profonde connaissance de la nature, a donné des romans-poèmes admirés »
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