Philip Roth : Zuckerman délivré
10/08/2020
Philip Milton Roth (1933-2018) écrivain américain, auteur d'un recueil de nouvelles et de 26 romans est l’un des plus grands écrivains de son siècle. Zuckerman délivré est le second volet du cycle Nathan Zuckerman. Il est inclus dans la trilogie Zuckerman enchaîné (L’Ecrivain fantôme (1981) – Zuckerman délivré (1982) – La Leçon d’anatomie (1985) – augmentée d’une conclusion L’Orgie de Prague (1987))
New York 1969. Nous retrouvons Nathan Zuckerman quinze ans après le premier épisode où il n’était encore qu’un écrivain en devenir. Il vient de publier un nouveau roman qui fait beaucoup parler de lui car jugé scandaleux (ici le lecteur averti, imagine facilement la référence au Portnoy de Roth) et la polémique engendrant la célébrité, sa position n’offre pas que des avantages…
Nathan va devoir gérer maints problèmes. Tout d’abord il est en plein divorce avec Laura sa quatrième épouse ; puis il va avoir un hurluberlu pendu à ses basques, Alvin Pepler, ex-vedette d’un jeu télévisé truqué selon ses dires (« Il s’est trouvé qu’ils ne pouvaient se permettre de laisser un juif gagner trop longtemps (…) ils avaient peur pour leur taux d’écoute ») qui souhaiterait bénéficier d’un coup de main de Nathan, tous deux juifs de Newark. La célébrité offre aussi des avantages, il va passer une soirée (et une nuit…) avec Caesara O’Shea, une très belle actrice qui le laissera en plan au matin pour filer retrouver Fidel Castro à Cuba, son homme du moment ! Et pour que la coupe soit pleine, son père est mourant en Floride.
Philip Roth traite différents sujets. Les aléas de la célébrité avec son lot de cinglés qui vous écrivent ou vous téléphonent, voire qui vous harcèlent physiquement comme Pepler ou pire encore, menacent d’enlever votre mère, sans compter le rôle des médias toujours prêts à en mettre une couche, bref la paranoïa est proche. Ce problème sera aussi développé dans une très belle séquence, lors du dîner dans un restaurant huppé de New York avec Caesara O’Shea, elle aussi vedette mais de cinéma. Un superbe passage de ce roman.
Il est aussi question de l’incompréhension des lecteurs face à vos écrits (et là ça sent vraiment le vécu) : les gens pensent que le héros du roman de Nathan est Zuckerman lui-même, confondant fiction et réalité (« Mais ce n’est pas ce que raconte ton livre. Je veux dire, ce n’est pas ce que croient ceux qui le lisent. Ils le pensent même s’ils ne le lisent pas. ») Incompréhension qui s’étend à sa famille, son père en particulier, qui souffre de voir l’impact de ce livre sur la communauté juive au point que devenu inconscient sur son lit de mort, on ne sait pas très bien s’il part avec cette contrariété toujours en tête ?
Le roman s’achève, Nathan visite une dernière fois le quartier de son enfance, ce vieux Newark qu’il ne reconnait plus, tout a changé. Laura l’a quitté, son père est décédé, sa vie d’avant est du passé depuis qu’il est riche et célèbre, rompant avec hier Zuckerman est délivré. Peut-être ?
C’est amusant (Alvin Pepler), touchant (Caesara O’Shea), triste (son père), comme la vie, comme la mort.
Comme le dit un des personnages, « Il y a de pires cloches que moi qui font des comptes rendus de livres, Nathan », mais j’espère que mon billet vous donnera envie d’ouvrir ce bouquin ou tout autre de Philip Roth.
« Il n’en revenait toujours pas. Un soir, une jolie chanteuse de rock qu’il n’avait jamais vue jusque là, parla à Johnny Carson de son unique (« Dieu merci ») rendez-vous avec Nathan Zuckerman. Elle se tailla un franc succès en décrivant les « fringues » que Zuckerman l’avait priée de porter pour le dîner si elle voulait l’ « émoustiller ». Et le dimanche précédent, il avait regardé, sur la cinquième chaîne, trois psychiatres assis dans des fauteuils-club analyser son complexe de castration avec le présentateur. Ils s’étaient tous mis d’accord pour déclarer qu’il en avait un carabiné. Le lendemain matin, l’avocat d’André lui avait doucement expliqué qu’il ne pouvait pas les attaquer en diffamation : « Vos valseuses, Nathan, sont maintenant dans le domaine public. » »
Philip Roth Zuckerman délivré (Zuckerman enchaîné) Folio – 190 pages –
Traduit de l’anglais par Henri Robillot
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