Edward Abbey : En descendant la rivière
18/01/2021
Edward Abbey (1927-1989) est un écrivain et essayiste américain, doublé d'un militant écologiste radical. Ses œuvres les plus connues sont le roman Le Gang de la clef à molette, qui inspira la création de l'organisation environnementale Earth First ! et son essai Désert solitaire. Après son décès à son domicile près de Tucson en Arizona (complications survenues après une opération chirurgicale) et selon ses dernières volontés, il est enterré illégalement dans le désert, probablement dans le sud de l'Arizona, en un lieu tenu secret, avec pour épitaphe : « No comment ».
En descendant la rivière, un inédit qui vient de paraître, est un recueil de onze textes regroupés en quatre chapitres. Et comme le titre de l’ouvrage l’indique, le fil rouge derrière tous ces écrits, ce sont des descentes de rivières, un peu partout aux Etats-Unis, soit avec des amis, soit dans de petits groupes d’amateurs de sensations au cœur d’une nature sauvage. La nature, sa préservation, la grande affaire de l’œuvre et donc d’Abbey qui y consacra sa vie.
En conséquence, ces textes reposent sur deux piliers clairs et nets. Le premier, description de paysages sauvages et sensations indicibles de liberté et bonheur primitif qui, sans être anecdotique, n’est que le prétexte pour l’écrivain à développer le second, à savoir ses thèmes de prédilection, plaidoyer pour l’écologie et son corollaire immédiat, la lutte contre le capitalisme sauvage qui détruit tout.
Globalement j’ai bien aimé ce livre mais mon avis reste quand même assez mitigé et je m’explique :
Le premier chapitre reste mon préféré, il s’agit d’une version romancée de la vie de Henry David Thoreau (1817-1862) - j’espère que tout le monde a lu son fameux Walden ou la vie dans les bois -, héros de notre écrivain anarchiste. La vie du vieux maître est disséquée, appuyée sur de solides références fournies par ses écrits ou ceux de ses collègues Ralph Waldo Emerson, Nathaniel Hawthorne etc.
La suite du livre, comme je l’ai dit, ce sont ces décors majestueux où « Cactus Ed » comme on surnomme notre homme des déserts, va passer son temps sur l’eau ! On dévore ces passages, enivrés d’air pur, de fatigue physique, toujours étonnés de ressentir cette immense liberté nous submerger quand on lit ce genre de récits. Le texte n’est pas réellement dense, mais il est « plein ». Plein de sens, de remarques et surtout, on sent sous la plume, la culture et l’expérience, un background pas obligatoirement dit ou exprimé, mais qui fait apprécier à sa juste valeur le talent d’un écrivain.
Reste l’autre aspect du bouquin, le thème politique de notre activiste notoire. Globalement on ne peut être en désaccord avec Abbey, il faut sauver notre mère nature, rendre sa place à une agriculture responsable, repenser les notions d’échelle… mais il y a aussi derrière tout cela une vague impression de panthéisme un peu naïf, une quête de pureté idéaliste qui effraie notre prophète « Ce qui semble se profiler à l’horizon, c’est une planète dont la surface entière, océans compris, sera soumise à exploitation économique intensive ».
J’en viens enfin aux points qui me laissent songeur, Edward Abbey se laisse aller à des propos très discutables sur l’immigration mexicaine, pour laquelle il suffirait «d’arrêter tous les immigrants clandestins à la frontière, de leur donner un bon fusil et une caisse de munitions, et de les renvoyer chez eux. » Car si l’écrivain se déclare contre les violences physiques, il prône aussi le port d’armes à feu, membre déclaré de la NRA. Ce ne sont que quelques lignes dans ce livre mais ça ouvre des perspectives sur sa personnalité, or, ne le connaissant pas assez (même si j’ai lu ses principaux ouvrages) je ne m’étendrai pas plus.
Ceci étant dit, - et il fallait le dire -, ce bouquin reste très intéressant à lire, prête à la discussion tout en étant très plaisant, ne serait-ce que par son écriture et par ce crédo en guise d’avertissement de l’auteur « les textes de ce recueil (…), comme tout ce que j’écris, ils sont censés servir d’antidote au désespoir. »
« « Un homme dont les émotions sont vivantes, écrit Saul Bellow, est chez lui n’importe où. » C’est peut-être vrai pour un urbain comme Bellow, qui a passé toute sa vie entre des murs et sous un toit ; les grandes villes, il est vrai, sont plus ou moins les mêmes partout. Mais un homme de la campagne ressent les choses différemment. Il sait ce qu’il en est. Un homme de la campagne possède un lien sur terre qui est le sien, et s’il adore vagabonder, comme c’est mon cas, il adore le vagabondage surtout parce qu’il a un lieu vers lequel revenir, un lieu qui est le sien. Un lieu où vivre et, le moment venu, un lieu où mourir. La terre m’a nourri pendant un demi-siècle ; je dois un corps à la terre. Cette dette sera payée. »
Edward Abbey En descendant la rivière Gallmeister – 236 pages –
Traduit de l’américain par Jacques Mailhos
2 commentaires
Un livre repéré, forcément, car je pense avoir tout lu de l'auteur.
N'oublions pas que l'auteur écrit dans les années 70/80, et que déjà certaines pratiques des héros du Gang à la clé à molette sont étonnantes. (c'est un roman, quand même)
Ceci étant, je garde de bons souvenirs de cet auteur, et de sa façon de voir la nature
Tout à fait d’accord. Mes remarques franchement négatives ne concernent que quelques lignes dans le livre et ne gênent pas sa lecture. Par contre elles nous éclairent sur la mentalité de l’écrivain et confirment qu’il n’existe pas de « héros » parfait à supposer qu’on le prenne pour tel….
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