Francis Carco : Les Innocents
22/01/2021
François Carcopino-Tusoli, dit Francis Carco, est un écrivain, poète, journaliste et auteur de chansons français d'origine corse, né en 1886 à Nouméa (Nouvelle-Calédonie) et mort en 1958 à Paris. Il était connu aussi sous le pseudonyme de Jean d'Aiguières. Après la Nouvelle-Calédonie, puis la province, Francis Carco monte à Paris en janvier 1910. Il a 23 ans et commence à fréquenter Montmartre où il croise notamment Pierre Mac Orlan, Maurice Garçon et Roland Dorgelès. Il est aussi l'ami d'Apollinaire, Max Jacob, Maurice Utrillo, Gen Paul, Modigliani et Colette. En 1914, il publie son premier roman, Jésus-la-Caille, histoire d’un proxénète homosexuel, qui est applaudi par Paul Bourget. Son œuvre est riche d'une centaine de titres, romans, reportages, souvenirs, recueils de poésie, mais aussi pièces de théâtre comme Mon Homme qui lancera la rue de Lappe à la Bastille. Francis Carco a été élu membre de l'Académie Goncourt en 1937. Surnommé « Le romancier des Apaches », il réalisa les plus forts tirages d'édition de l'entre-deux-guerres. Les Innocents, son deuxième roman, date de 1916.
A Besançon et Paris durant la Première guerre mondiale. Le Milord, un jeune voyou rêvant de grands coups comme son aîné et mentor, l’Edredon, abandonne sa fiancée Melle Savonnette à Besançon, pour monter à Paris et y retrouver sa bande…
Roman d’amour, de quête d’exploits et de rédemption dans le monde des petits marlous des débuts du XXème siècle. A l’époque le livre fit scandale car il présentait les Français sous un angle peu favorable – nous étions alors en pleine guerre – avec des hommes tentant d’échapper à la conscription ou vivant aux crochets de femmes de petite vertu, quant aux soldats ils ne sont guère mieux dépeints, pas très vaillants ou blessés.
Revenu à Paris, le Milord va vite déchanter, sa bande (Nénesse, Mes Fesses, Polka-le-boiteux…) est aux abonnés absents, bricolant de-ci de-là, l’époque n’est plus aux affaires d’envergure, tout le monde fait profil bas et vivote comme il peut. Le Milord tentera pourtant de percer, nourri des belles paroles de l’Edredon qui l’avait formé mais à part voler les économies d’une petite vieille recluse chez elle, rien de mirobolant. Sa rencontre avec Winnie, une Anglaise un peu artiste écrivant un roman, lui redonne un peu de baume au cœur, mais leurs rapports sont ambigus ; elle lui refile quelques billets quand nécessaire, tout en l’observant vivre, sujet de son prochain ouvrage peut-être, puis des débuts de sentiments vont naitre. De son côté le Milord, qui se la joue gros bras, pense encore à Melle Savonnette ce qui le déconcerte, un vrai mec ne peut être amoureux. Déçu par sa vie, il finit par s’engager dans l’armée mais très vite légèrement blessé il est rapatrié à Besançon où le rejoint Winnie. Le Milord, Winnie, Melle Savonnette, dans cette petite ville, notre héros l’esprit fracassé par ce dilemme existentiel, rêve de liberté et d’actions d’éclat (c'est-à-dire la force) ou bien de vie rangée avec celle qu’il aime, il l’a compris (c'est-à-dire la faiblesse) le poussera au drame. Mais avant l’épilogue fatal il aura le temps de déconseiller à un gamin plus jeune que lui et l’admire, de renoncer à ses ambitions de vie de voyou…
Ces vieux romans font toujours travailler mon imaginaire en parallèle à ma lecture, ranimant des souvenirs de films en noir et blanc aux acteurs prestigieux, ou me ramenant à mon enfance dans le Paris des années 50 qui avait conservé les traces de ces époques révolues. Donc un bon bouquin pour moi.
Seule déception, Francis Carco prend le parti – et c’est son droit absolu – de transcrire les dialogues avec les sonorités typées des protagonistes : un mauvais français pour Winnie l’Anglaise et la langue très populaire et argotique des autres acteurs : résultat, la lecture souffre de ce texte heurté. Mais me direz-vous, ça fait plus réaliste. Certes.
« C’est que le Milord se souvenait de l’Edredon. Cet homme puissant ne vivait pas uniquement des femmes et il les tenait même pour inutiles en dehors du plaisir qu’elles procurent. Le Milord poussait plus loin les idées de l’Edredon. Pour lui, comme pour son maître, il convenait d’abord de ne point ignorer les variations du cours de l’opium dont il se fournissait à Londres, de ne pas négliger la sympathie des corrects négriers de la rue Montmartre et, encore, de ne jamais manquer d’obliger la police dans la mesure où l’honneur le permet. »
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