Philip Roth : La Contrevie
08/02/2021
Philip Milton Roth (1933-2018) écrivain américain, auteur d'un recueil de nouvelles et de 26 romans est l’un des plus grands écrivains de son siècle. La Contrevie, livre qui s’inscrit dans le cycle Nathan Zuckerman, date de 1986.
S’il y a des romans difficiles à résumer, celui-ci en fait partie comme vous allez vite le comprendre, mais pour vous en donner les grandes lignes néanmoins, j’adopterai un style synthétique collant au déroulé de ma lecture :
Henry Zuckerman, le frère de Nathan le célèbre écrivain, est devenu impuissant suite au traitement qu'il suit pour des problèmes cardiaques et choisit de se faire opérer pour retrouver sa virilité, hélas l’opération se déroule mal et il décède. Nathan rend visite à Henry, qui a tout abandonné pour devenir colon en Israël après son opération. A son retour, Nathan est embringué dans une tentative de détournement de son avion. Puis c'est Nathan qui se fait opérer pour soigner son impuissance et qui en meurt. Nathan accompagne son épouse Maria en Angleterre où réside sa famille mais le genre collet-monté de sa belle-mère et l’antisémitisme du pays, font éclater le couple.
Ces cinq phrases résument grossièrement les cinq chapitres et immédiatement votre première impression est de trouver tout ceci incompréhensible. Moi aussi, j’ai ramé comme un beau diable à la lecture de ce roman mais une fois achevé, tout s’est éclairé ! Car Philip Roth déploie une incroyable virtuosité dans cet ouvrage à la construction narrative extrêmement chiadée. Du très grand art qui laisse pantois.
Effet de miroir, Henry et Nathan ont tous les deux une maîtresse nommée Maria, un jeune étudiant rencontré en Israël devient le terroriste qui veut détourner l’avion de Nathan, Henry meurt sur une table d’opération puis c’est au tour de Nathan de décéder pour la même cause, un mort qu’on retrouve époux en Angleterre… Je ne peux pas vous révéler le fin mot de l’histoire mais disons, pour rester dans l’effet de miroir, que Nathan est un écrivain célèbre dont la vie ressemble peu ou prou à celle de Philip Roth, lui-même écrivain célèbre ; si Nathan nous conte cette histoire, il n’est que la marionnette de Roth qui écrit ce roman. Fiction et/ou réalité, seul Roth possède les clés, c’est le pouvoir suprême de l’Ecrivain, apte à manier l’une et l’autre à son gré. L’auteur place des personnages réels dans des situations fictives et tel un prestidigitateur nous embarque dans une illusion qui ne nous fait reprendre nos esprits que lorsqu’il veut enfin, nous révéler son « truc ». Magistrale interrogation sur l’identité, où tout est et n’est pas.
Pour le fond, outre cette mise en perspective du rôle et du pouvoir de l’écrivain, il y est question de personnages qui décident de changer radicalement de vie, comme Henry qui abandonne sa vie confortable et aisée de dentiste marié, ayant une maîtresse compréhensive, pour faire son alya et retrouver ses racines juives, l’occasion pour Roth de pouvoir développer sa conception de la judéité, en opposant le mauvais Juif Nathan, non pratiquant et ne se considérant Juif que par le hasard de la naissance, opposé à son frère Henry qui choisit de se consacrer à sa religion, apprendre l’hébreu et se dévouer sur le terrain à la cause d’Israël, un vrai Juif ne pouvant vivre que sur cette terre méditerranéenne.
Vous l’aurez compris, il s’agit de l’un des meilleurs romans de Philip Roth mais sa complexité le réserve à des lecteurs ayant déjà goûté l’écrivain et familiers des lectures demandant un effort de concentration.
« - Disons que… moi ça me dérange les gens qui, enfin, ce n’est qu’un sentiment, pas une idée bien réfléchie. Il faudrait que je développe, si tu tiens à ce qu’on poursuive encore longtemps, après le chablis, et tout le champagne – moi ça me dérange les gens qui s’accrochent à une identité ; je ne vois vraiment pas ce qu’il y a d’admirable là-dedans. Tout ce discours sur l’identité – l’identité commence là où la réflexion s’arrête, à mon avis. Pour moi, qu’elles soient juives, ou aussi bien antillaises et attachées à préserver leurs racines caraïbes, toutes ces communautés ethniques compliquent l’existence dans une société qui essaie de vivre en bonne amitié, comme à Londres, où nous sommes aujourd’hui d’origines très diverses. »
Philip Roth La Contrevie Folio – 452 pages –
Traduit de l’américain par Josée Kamoun (Nouvelle traduction de 2004)
Avec ce roman se termine l’essentiel de ma découverte de l’œuvre de Philip Roth même si par gourmandise, j’ai encore en attente pour plus tard Quand elle était gentille. J’ai donc lu tous les romans de ses trois cycles (Nathan Zuckerman – David Kepesh – Némésis) et ses principaux autres livres. Je vous invite tous à lire cet écrivain, même si ce n’est qu’un ou deux bouquins.
En général c’est à ce moment qu’on me demande quel est mon préféré. Je ne répondrai pas à cette interrogation, par contre, si je peux modestement conseiller un débutant, je lui dirai de commencer par un roman simple, Portnoy et son complexe qui donne une bonne idée de l’écrivain ou bien Némésis par exemple et si vous aimez, plus tard, vous pourrez vous attaquer à ses chefs-d’œuvre Le Théâtre de Sabbath, Opération Shylock, La Contrevie, La Pastorale américaine…
6 commentaires
Comme j'ai eu ma période N Zuckerman, je ne me souviens pas si je l'ai lu ou pas...
Là je ne peux pas vous aider.....
Ça m'a l'air bien foutraque... je retiens que c'est l'un de ses meilleurs, mais je n'en fais pas une priorité pour l'instant (j'aimerais d'abord lire Némésis, entre autres).
J’ai l’impression que « Némésis » est le roman chouchou des lecteurs ? Peut-être parce qu’il résonne comme son testament ? En tout cas il est très bien et je m’étonne en relisant mon billet d’alors d’y avoir mis une très légère réserve…
http://lebouquineur.hautetfort.com/archive/2012/12/01/philip-roth-nemesis.html
Mon préféré de cet auteur est "La tâche" mais je suis toujours ravie devoir qu'il reste des romans à découvrir, celui-là en fait partie.
Je n'arrive pas à comprendre pourquoi cet homme n'a pas reçu le Nobel , il est vrai qu' à côté des chansons de Bob Dylan ...
Je n’entrerai pas dans la polémique du Nobel de Dylan – qui moi ne me choque pas – par contre je te rejoins, comment se fait-il que Philip Roth ne soit pas au palmarès ? Mystère total. Mais bon, je ne fais pas vraiment cas des récompenses… l’essentiel étant que moi je sois satisfait de ses livres !
Les commentaires sont fermés.