Marguerite Duras : Madame Dodin
09/04/2021
Marguerite Duras (1914-1996), pseudonyme de Marguerite Donnadieu, née d'une mère institutrice et d'un père professeur de mathématiques, est une femme de lettres, dramaturge, scénariste et réalisatrice française. Résistante pendant la guerre, communiste jusqu'en 1950, ayant activement participé à Mai 68, Marguerite Duras a développé une écriture protéiforme considérable : cinéma, théâtre, articles de presse, romans et récits. Elle publie son premier roman (Les Impudents), sous le pseudonyme de Marguerite Duras, en 1943 et rencontrera un immense succès public avec L'Amant, prix Goncourt en 1984. Madame Dodin (1954) qui vient d’être réédité, est une nouvelle extraite du recueil Des journées entières dans les arbres.
Au 5 de la rue Sainte-Eulalie, Paris VIe, madame Dodin la concierge, régente tout son immeuble, engueulant les locataires sans cesse pour un motif bien précis, leurs poubelles ! Elle en a assez de devoir subir les odeurs près de sa loge, elle en a marre de devoir sortir sur le trottoir tous les jours, la grande poubelle de l’immeuble, trop lourde pour elle…
Les histoires de concierges, vous les connaissez, par les vieux films de l’après-guerre ou plus récemment avec le bouquin de Muriel Barbery (L’Elégance du hérisson) par exemple. Or, il se trouve que moi je les ai vécues, gamin parisien des années 50, ma grand-mère tenait une loge au bas de notre immeuble ! Au plaisir de ma lecture se sont donc ajoutés les souvenirs personnels.
Madame Dodin, la soixantaine et veuve, râle perpétuellement et s’en félicite, « Tant que je vivrai, j’emmerderai le monde, dit Mme Dodin, c’est vrai que c’est mon plaisir. » Et les locataires en bavent car non seulement ils subissent ses récriminations au sujets de leurs ordures, mais elle pousse le bouchon jusqu’à leur voler leurs paquets livrés par le facteur et plus vicieux encore, à leur en revendre le contenu ! Personne n’est dupe mais personne n’ose la ramener.
Les journées passent ainsi, ponctuées tous les matins par le passage de Gaston le balayeur avec lequel elle a noué une amitié particulière et spéciale. Lui aussi geint sur sa condition et rêve de partir dans le Midi alors de temps à autre il boit un petit verre de blanc de trop, ce qui agace la bignole. Et peut-être qu’on peut y voir une inquiétude secrète, si Gaston partait vraiment un jour, madame Dodin serait définitivement seule… ?
De petites gens, de petites vies ordinaires mais ancrées dans la réalité. C’est très amusant dans la forme tout en mettant en avant ces petites mains qui nous débarrassent de notre merde quotidienne…
« C’est en général celui qui vide le dernier sa poubelle qui essuie la colère de Mme Dodin. Jusqu’au dernier elle se contient encore mais au dernier, régulièrement, elle explose. C’est là une des servitudes particulières à notre immeuble du 5 de la rue Sainte-Eulalie. On s’y fait engueuler parce qu’on a une poubelle à vider. Autrement dit parce que l’on mange, donc parce que l’on vit encore, donc que l’on n’est pas encore mort. »
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