François Mauriac : Le Mystère Frontenac
26/08/2021
François Mauriac (1885-1970), lauréat du Grand Prix du roman de l'Académie française (1926), membre de l'Académie française (1933) et lauréat du prix Nobel de littérature (1952) a été décoré de la Grand-croix de la Légion d'honneur en 1958. Le Mystère Frontenac date de 1933.
Le roman se déroule à cheval entre la fin d’un siècle et le début du XXème siècle, avant la Première Guerre Mondiale. Les Frontenac vivent entre leurs maisons de Bordeaux et de Bourideys où ils possèdent une exploitation agricole. Michel, le père, est décédé depuis huit ans, laissant Blanche sa veuve avec leurs enfants, Jean-Louis, Yves et José, et leurs deux sœurs. L’oncle paternel Xavier Frontenac administre pour eux leurs biens et gère le domaine.
Visiblement, les deux sœurs n’intéressent pas l’écrivain, peut-être parce qu’une fois mariées elles perdront le nom de Frontenac ? Toujours est-il qu’il n’est jamais question de leur sort et qu’on va suivre l’évolution des autres, les fils qui passent d’enfants à adultes avec la substitutions de leurs rêves à la réalité de la vie comme pour Jean-Louis l’aîné, qui se voulait philosophe mais qui reprendra la direction de l’affaire familial. Yves, écrit des poèmes dès l’enfance et se verra publié par le Mercure de France, d’où une vie plus mondaine à Paris, loin de la pesante ambiance du Bordelais ; José qui a dépensé son héritage, s’engage dans l’armée et part au Maroc où il mourra.
Le destin de ses fils angoisse Blanche qui aurait souhaité que toute la fratrie se serre les coudes et participe à la vie de l’exploitation familiale. Elle-même, n’a jamais cherché à se remarier, toute sa vie a été sacrifiée à la recherche d’une union entre ses enfants en un lieu unique, sur leur propriété. L’oncle Xavier, célibataire, est fermement attaché à la tradition et se fait un devoir moral, en mémoire de son frère, pour gérer au mieux le capital pour ses neveux. Une mission quasi mystique qui va à son insu, lui gâcher sa vie quand il décidera de garder secret sa liaison avec Josefa, une femme d’une catégorie sociale inférieure, s’interdisant de l’introduire dans la famille Frontenac, ce qui serait un déshonneur, la cachant à Angoulême (« si respectueux de l’ordre établi et si éloigné de la vie simple et normale »). Le mystère Frontenac, cette tribu qui aujourd’hui nous paraît hors du temps, comme sortie d’une Amazonie du Sud-ouest de la France, réside dans ces rapports liés aux mœurs de l’époque pour une certaine catégorie sociale et au poids de la religion.
Quand on consulte la fiche Wikipédia consacrée à François Mauriac, il est aisé de constater que ce roman est très autobiographique : le milieu social, la famille, Yves le futur écrivain, le domaine familial etc. Et même si ce roman n’est pas mon préféré de l’écrivain, il y a de très beaux passages et il y règne une sensibilité que je qualifierais de proustienne quand il est question d’Yves et de sa mère Blanche. Un fils qui portera longtemps le poids du regret de n’avoir pu embrasser sa mère avant sa mort, alors qu’il en avait la possibilité. Reste la langue de Mauriac, parfaite comme toujours.
« Il répondit d’un ton sec, et qui coupait court au débat, qu’il ne se marierait jamais. D’ailleurs cette réflexion de sa belle-sœur n’éveilla en rien sa méfiance ; car l’idée d’un mariage avec Josefa n’aurait pu même traverser son esprit. Donner le nom de Frontenac à une femme de rien, qui avait roulé, l’introduire dans la maison de ses parents, et surtout la présenter à la femme de Michel, aux enfants de Michel, de tels sacrilèges n’étaient pas concevables. Aussi ne crut-il pas une seconde que Blanche avait éventé son secret. Il quitta la fenêtre, agacé, mais nullement inquiet, et demanda la permission de se retirer dans sa chambre. »
François Mauriac Le Mystère Frontenac Le Livre de Poche – 192 pages –
2 commentaires
Cela me fait bien plaisir de voir évoquer Mauriac sur la blogosphère, où il est rare... il y a 6 ans, nous avions proposé avec Athalie une série de lectures -ou de relectures- autour de cet auteur, mais n'avons eu guère de succès. Peu importe ! cela nous a permis de redécouvrir quelques pépites (parmi mes préférés "Thérèse Desqueyroux" et "Le sagouin", si terrible...).
Quant à celui-ci, j'avoue qu'il ne m'a pas laissé trop de souvenir, et j'ai dû reprendre ma vieille note pour constater que je la concluais un peu sur le même ton que toi :
"Je préfère, à vrai dire, quand François Mauriac se montre plus acide, et nous livre des récits plus torturés, plus sordides... Mais j'ai malgré tout dévoré ce titre, grâce encore une fois à la fluidité de son écriture, mais aussi grâce à l'odeur des pinèdes et aux émois de ses jeunes héros..."
Superbe commentaire auquel je souscris à 100% !
Je rajouterai, ce que j’avais certainement dit dans un billet précédent, que je n’ai découvert cet écrivain que récemment. Découvert dans le sens de « lu » bien sûr, car dans ma jeunesse, disons les années 70’ il me semble, il passait pour un réac donc hors de mon champ « intellectuel ». Avec l’âge, si on est raisonnable, ces concepts idiots passent et si de plus, comme moi, on ne s’attache pas aux nouveautés littéraires, ça laisse le temps de se plonger dans l’œuvre de ce type d’écrivains et c’est un pur bonheur !
Donc lisons Mauriac pour comprendre ce qu’écrire veut dire.
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