Sebastian Barry : Des Jours sans fin
14/10/2021
Sebastian Barry né en 1955 à Dublin, est un écrivain irlandais. Il est l'auteur de pièces de théâtre, de romans et de poèmes, publiés depuis le début des années 1980. Septième de ses romans, Des Jours sans fin date de 2018.
Missouri en 1851. Thomas McNulty a fui l’Irlande où la Grande Famine a anéanti sa famille, gamin il vient tenter sa chance dans ce pays neuf. Il fait rapidement la connaissance « du beau John Cole », un autre vagabond, début pour les deux amants, d’une incroyable épopée et d’une vie entière d’amour dans le chaos des guerres Indiennes dans les plaines de l’Ouest ou de la guerre de Sécession dans les états du Sud…
Une fois de plus je suis épaté par Sebastian Barry qui réussit à caser en moins de trois cents pages de quoi en faire le double chez d’autres. Je vais abréger au maximum mais sachez que le bouquin débute en fanfare, nos deux amis sont engagés comme travestis dans un saloon, une révélation pour Thomas, narrateur du récit, qui apprécie particulièrement de s’habiller en femme. A la fin de leur contrat, ils s’engagent dans l’armée - pour le gîte et le couvert – et participent à leur corps défendant aux massacres d’Indiens ce qui leur vaut d’adopter Winona, une gosse devenue orpheline.
Dès lors, le couple devient une famille et le restera envers et contre tout jusqu’à la fin du bouquin de longues années plus tard. Il y aura des séparations temporaires, engagement, démission et réengagement dans l’armée. Des amitiés vont se nouer avec des militaires, la guerre de Sécession va frapper, ils connaitront la captivité, la faim et le froid manqueront de les anéantir. Un chef Indien, oncle de Winona, va mettre Thomas devant un cas de conscience quand celui-ci réclamera la gamine, une affaire qui se soldera par un nouveau massacre. Puis quand enfin dégagés de l’armée, ils trouveront un point d’accueil chaleureux chez un vieil ami à court de bras pour exploiter sa ferme on pense que leurs épreuves seront terminées, c’est une bande d’enfoirés malfaisants qui viendra mettre son grain de sel mais contre toute attente…
Comme vous le voyez, il se passe un tas de trucs dans ce petit livre ; éventuellement, pour les grincheux, cette abondance d’aventures dont ils se tirent finalement plutôt bien vues les situations, est peut-être un peu too much ? Je veux bien l’admettre mais ne restez pas sur cette impression, ce roman est tout simplement magnifique !
Magnifique par ses contrastes. Le ton est relativement léger, ou plus précisément neutre, le ton de celui qui a tout vu dans la vie, comme Thomas qui a échappé à la mort de faim dans son Irlande alors qu’il n’était encore qu’un gosse. Son regard sur leurs éprouvantes aventures exprime une sorte d’indifférence, « Pourquoi un homme en aide-t-il un autre ? Ca sert à rien, la vie s’en moque. » Mais cette indifférence apparente cache aussi un besoin d’amour puissant, d’abord pour John Cole, son amour pour toujours, puis pour la petite Winona, leur enfant, pour laquelle tous deux se battront de toutes leurs forces pour la protéger et l’éduquer.
Sebastian Barry fait parler Thomas avec les mots et tournures de phrases d’un qui n’a pas fréquenté l’école bien longtemps. Ces mots simples, ce ton neutre, créent une étrange sensation par rapport à ce qu’ils disent : misère, famine, massacres d’Indiens, massacres de Noirs, bêtise des uns, méchanceté des autres, vengeance etc.
N’oublions pas non plus, cette sensualité troublante, quand Thomas habillé en femme, évolue devant des mineurs harassés par leur journée de boulot, ou qu’il danse avec eux – en tout bien tout honneur -. Ces hommes savent très bien qu’il est de leur sexe mais acceptent le jeu pour se griser d’un plaisir fugace, tandis que de son côté Thomas prend conscience du plaisir à changer de sexe.
Un excellent roman. Un de plus pour Sebastian Barry.
« Il demande à Winona d’où elle vient, elle répond qu’elle est maintenant la fille de John Cole, et qu’avant, elle était une Sioux sur le territoire du Nebraska. Il essaie de lui dire quelque chose en indien, mais c’est pas la langue que Winona parlait quand elle était petite. John Cole et moi, on regarde le temps qui passe par la fenêtre. En guise vitre, il y a de l’estomac séché de vache. Il nous raconte que sa femme a été tuée autrefois par des hommes qui selon lui, étaient des renégats. Le pays est pas très sûr, au début, il a eu peur qu’on soit des tueurs, puis il a vu la fille. Une fille avec une jolie robe et de longs cheveux noirs tressés. Ca lui a rappelé sa jeunesse, quand la vie était plus facile. Apparemment, on est pas là pour traîner. Il a pas l’air triste en disant ça. Il dit ça juste comme ça. Pour passer le temps. Ce vieil Indien veuf au bord d’une rivière dont on connaissait pas le nom. »
Sebastian Barry Des Jours sans fin Joelle Losfeld Editions - 259 pages –
Traduit de l’anglais (Irlande) par Laetitia Devaux
2 commentaires
J'ai lu et aimé de cet auteur "L'homme provisoire", visiblement différent de celui-là car porté par un rythme lent, et "Du côté de Canaan", auquel j'avais fait un léger reproche, celui d'accumuler les tragédies de manière pas forcément crédible.. J'avais été charmée, à la lecture des deux, par l'écriture de Barry, qui parvient à nous toucher sans grands effets de manche..
Celui-ci est d'ailleurs sur mes étagères depuis sa sortie... il n'y a plus qu'à !
Je crois que malgré quelques petits points de détail critiquables ( ?) Sebastian Barry est un très bon écrivain. Tout le monde doit y aller si ce n’est déjà fait !
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