Philipp Meyer : American Rust
01/11/2021
Philipp Meyer, né en 1974, à New York a grandi dans la banlieue de Baltimore. Il déserte l’école à quinze ans, devient réparateur de bicyclettes mais décroche cependant son diplôme d’enseignement général avant de décider de devenir écrivain et d’être admis à l’Université Cornell. Il en sort diplômé en langue anglaise. Après un détour par Wall Street, il obtient en 2004 une bourse d’écriture ce qui lui permet d’écrire son premier roman Un arrière-goût de rouille (2009) suivi de ce qui sera un immense succès, Le Fils (2014). American Rust, qui vient de paraître, est une réédition de son premier roman, dans une nouvelle traduction.
Une petite ville en Pennsylvanie. Isaac, 20 ans, se voyait entrer à l'université pour devenir astrophysicien quand Billy Poe, son ami, grand et baraqué se voyait vedette de football américain. Les aléas de la vie ont contrarié leurs rêves mais quand Isaac décide de tout quitter pour filer en stop vers Berkeley en Californie pour obtenir un diplôme, Poe accepte de l’accompagner un bout de chemin. Il était dit que cette chienne de vie n’en avait pas terminé avec eux, pris dans une rixe avec trois marginaux, Isaac tue l’un d’eux en voulant secourir son ami. Le gentil Isaac en fuite, le bagarreur et connu de la police Poe en prison, risquant la peine de mort… à moins qu’il ne dénonce le vrai coupable.
Voilà le fil rouge de ce magnifique roman choral où de multiples acteurs vont apporter une dimension psychologique intense à ce drame riche en émotions.
Pour le décor sociologique, la région subit les conséquences d’une sidérurgie en ruine par le manque d’investissements et la délocalisation, « le chômage ambiant, la ville changée du jour au lendemain, les voitures aux vitres cassées, les maisons vides et les jardins à l’abandon. »
Les personnages : la famille d’Isaac est elle aussi en ruines, la mère s’est suicidée, Lee la sœur qui a réussi un mariage fortuné vit ailleurs, ne reste que le fils au chevet de son vieux père en mauvaise santé. De son côté, Billy Poe, vit avec sa mère Grace dans un mobil-home, le père épisodique est parti ; le gamin n’est pas un mauvais bougre mais il a le sang chaud, aidé par son physique de balèze. Les liens complexes entre les uns et les autres vont lentement se découvrir, au fil de chapitres où chacun prend la parole en racontant son histoire, ses craintes, ses espoirs, ce qu’il compte faire pour aider Billy ou Isaac, selon son camp.
Quand la vérité, officieuse, arrive aux oreilles des familles, les liens complexes le deviennent plus encore car : Bud Harris le shérif, amant de Grace a déjà sauvé la mise à Billy dans le passé pour les beaux yeux de sa mère ; Lee, elle, a couché avec Billy. Dilemme pour les uns et les autres, laisser condamner Billy ou le sauver en dénonçant Isaac ? Et Billy, qui en bave en prison, pris entre deux gangs qui veulent sa peau, jusqu’à quand se taira-t-il ?
L’écriture varie selon les protagonistes qui s’expriment, la tension dramatique monte, le lecteur tremble parce que l’intrigue le veut mais aussi parce qu’il se demande comment l’écrivain va négocier son épilogue. Sachez qu’il est magnifique.
Un excellent roman, un chef-d’œuvre peut-être ?
« C’est à cause d’Isaac qu’ils étaient allés là-bas, à cause d’Isaac qu’ils s’étaient retrouvés dans un hangar inondé par la pluie au lieu de boire des bières sur la galerie du mobil-home avec vue sur la campagne. Poe pouvait pas se permettre d’être dans ce genre de situation, mais ça, Isaac s’en foutait bien ; Poe raisonnait pas pareil, il pouvait pas juste se lever et partir quand des clodos trempés comme des soupes débarquaient pour l’insulter, il avait de la fierté, de la dignité, alors qu’Isaac, on pouvait bien lui dire n’importe quoi, il se mettait debout et filait aussi sec. C’est exactement à une situation de ce genre que les avait conduits Isaac, et bien sûr il s’était levé et il avait disparu. Mais Poe n’était pas comme ça. Ca s’appelait le respect de soi : lui en avait, et pas Isaac. »
Philipp Meyer American Rust Albin Michel - 481 pages -
Traduit de l’américain par Sarah Gurcel
2 commentaires
Impossible de faire l'impasse, avec une telle conclusion ! Et j'avais tellement aimé "Le fils"...
C’est mon premier Philipp Meyer car pour une raison idiote, une fois encore, je me tenais à distance de son renommé « Le Fils ». Je viens de changer de point de vue évidemment…
Les commentaires sont fermés.