Louis-Ferdinand Céline : Londres
24/10/2022
Louis Ferdinand Destouches (1894-1961), dit Louis-Ferdinand Céline, connu sous son nom de plume généralement abrégé en Céline, est un écrivain et médecin français. Il est notamment célèbre pour son roman Voyage au bout de la nuit (1932) récompensé par le prix Renaudot. Considéré, à l'instar de Faulkner et de Joyce, comme l'un des plus grands novateurs de la littérature du XXe siècle, Céline introduit un style elliptique personnel et très travaillé qui emprunte à l'argot et tend à s'approcher du langage parlé. Céline est hélas, aussi connu pour son antisémitisme avec des pamphlets virulents dès 1937 et sous l'Occupation durant la Seconde Guerre mondiale il est proche des milieux collaborationnistes et du service de sécurité nazi.
Londres fait suite à Guerre, deux romans inédits de Céline parus ces derniers mois, retrouvés dans des conditions mirobolantes sur lesquelles je ne reviens pas, tous les médias en ont parlé. Londres peut être lu indépendamment de Guerre qui se terminait lorsque Ferdinand et Angèle trouvaient une combine pour filer en Angleterre avec un miché de la donzelle, Purcell, major de l’armée britannique et « protecteur » de la prostituée.
Nous sommes en 1916, dans la capitale britannique, nos deux loustics retrouvent tous les expats de leur acabit venus s’y réfugier et fuir l’enrôlement militaire dans la guerre. Maquereaux et prostituées ont organisé leurs combines et vivent en famille dans la pension Leicester. Si la police n’était pas à leurs trousses, on pourrait dire qu’ils ont une vie peinarde… jusqu’à ce que ça dégénère et se finisse mal.
Cinq cents pages de Céline, ça ne se résume pas. Citons quelques acteurs, Cantaloup le mac et Ursule sa régulière chargée de dresser les nouveaux tapins ; Borokrom, militant anarcho-communiste désabusé ; Bijou le proxénète et indicateur de la police ; le docteur juif Yugenbitz qui s’occupe des avortements ; Purcell qui loue une maison à Angèle et va subvenir indirectement à toute la bande…. Et le petit chat Mioup !
Le récit est riche en évènements, je n’en cite que quelques-uns : un indicateur de police assassiné, un extravagant échange de glaviots dans un taxi, un combat entre Boro et un ours (!) etc.
Le roman est excellent mais faut-il le préciser, il n’est pas destiné à tout le monde pour différentes raisons. Tout d’abord, il est extrêmement cru pour ne pas dire plus, l’écrivain ne tourne pas autour du pot, on peut même dire qu’il y va à/au fond ! La violence est aussi constante, que ce soit durant les scènes de sexe ou pas ; les proxénètes tabassent les filles, certaines en redemandent même.
Et il y a l’écriture. Le début du roman est particulièrement ardu à suivre, argot, tournures grammaticales déroutantes donnant des phrases surprenantes, personnages dont les noms changent en cours de récit, Céline nous balance à la gueule son roman avalanche et faut s’accrocher. Un temps j’ai pensé sauter des pages mais pris au jeu de cette grisante aventure je me suis cramponné. Et, incompréhensiblement, la seconde partie du texte s’est éclaircie, le style devient « presque » classique, les chapitres plus courts et le déroulé plus lisible. Un conseil, ce genre de livre doit être lu par grandes tranches pour s’immerger complètement dans le « machin », le picorage ne fonctionne pas avec cet écrivain.
Sachez quand même qu’au milieu de toutes ces horreurs, de belles choses se faufilent : Ferdinand est surpris par l’intérêt sincère que lui porte le docteur Juif, il lui prête ses livres de médecine et il se découvre une passion pour cet art, « Je suis si passionné moi par les choses de la bidoche, que si on m’avait bien guidé je crois que j’aurais fait une jolie carrière dans la médecine. » Enfin, il y a cette histoire d’amour – oui, je sais que ça paraît bizarre de parler d’amour chez Céline, mais c’en est néanmoins, dans un genre très spécial – amour entre Ferdinand et Angèle, « Je suis revenu pour lui dire que je l’adorais, à cause de toutes mes faiblesses et qu’elle était mon seul espoir. »
Je le répète, un très bon roman pour ceux qui seront prêts à tenter cette expérience.
PS : le livre est complété d’un lexique des termes d’argot et d’un index des personnages.
Avant d’en finir, petit comparatif rapide entre les deux bouquins inédits de Céline parus cette année : Guerre est plus court, plutôt "amusant" et facile à lire, Londres est très long, difficile à lire et truffé de scènes qui choqueront beaucoup de lecteurs. Ceci-dit, Londres est bien meilleur.
« Je l’embellissais pépère moi le Yugenbitz. Chaque fois qu’il partait avec son petit sac à stéthoscope, qu’on l’appelait en visite, je le voyais s’en aller pour un miracle en ville comme le doux Jésus. J’avais la fièvre encore, je travaillais facilement dans la fresque et l’enluminure. Tout ça au fond c’est de la panique. C’est le roman qui bouillonne envers et contre tout au fond du sac avec n’importe quel chagrin qu’on entonne, détresse, déroute, trahison, tout fait boule et prisme et finit par chanter. Ah, les âmes bien nées, quel foutre ! »
Louis-Ferdinand Céline Londres Gallimard – 558 pages -
« C’est pour ça qu’il m’avait appris Borokrom un bel air français qui était bien apprécié : « J’aime Karana la putain/Celle qui n’aime le matin/Ni mon cœur fidèle, ni les roses…/Quand Karana sera bossue… » » p. 115
[Chanson composée par Céline vers 1934. Il l’enregistrera sur disque avec un accompagnement à l’accordéon intégré a posteriori]
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