Virginia Woolf : Flush
02/03/2023
Virginia Woolf, pseudonyme d’Adeline Virginia Alexandra Stephen (1882-1941), est une femme de lettres anglaise, l'une des principales auteures modernistes du XXe siècle. Bisexuelle et féministe, elle fut une figure marquante de la société littéraire londonienne et un membre central du Bloomsbury Group, qui réunissait des écrivains, artistes et philosophes anglais, groupe au sein duquel elle rencontrera Vita Sackville-West avec qui elle aura une liaison durant toutes les années 1920. Woolf souffrait d'importants troubles mentaux et présentait tous les signes de ce qu'on nomme aujourd'hui, troubles bipolaires. En 1941, à l'âge de 59 ans, elle se suicida par noyade dans l'Ouse, dans le village de Rodmell (Sussex), où elle vivait avec son mari Leonard Woolf, écrivain lui aussi. Elle avait commencé l'écriture comme activité professionnelle en 1905 pour le supplément littéraire du Times et un premier roman en 1915.
Flush, publié en 1933, est une biographie romancée/fictive d’Elizabeth Barrett Browning (1806-1861), une poétesse, essayiste et pamphlétaire britannique de l'ère victorienne. Biographie singulière car vue à travers l’œil de son chien Flush, un cocker de race ! Une bio qui a tout du roman dans son déroulé car ne pouvant s’appuyer que sur des lettres et des poèmes écrits par Elizabeth Barrett. Le livre s’étend sur une dizaine d’années (1842-1852), courte séquence mais la plus significative de la vie de la poétesse.
Flush nait en 1842 à Reading chez Miss Mitford qui a connu des revers de fortune. Amie d’Elizabeth Barrett qui vit richement à Londres chez son père avec ses nombreux frères et sœurs, elle lui offre le chiot. Pour le chien c’est un dépaysement total, lui qui courait dans les champs se retrouve dans un appartement avec une maîtresse lasse et malade, lui qui n’avait droit qu’à une maigre pitance peut manger les restes de sa maitresse, aile de poulet et pudding. Acclimaté, le chien observe et comprend/devine/imagine ce qui se passe dans l’esprit de ces humains qu’il découvre, tout comme, lors de promenades en laisse dans ce quartier huppé de Londres, il réalise qu’ici les chiens ont un certain standing !
Le récit s’accélère avec divers évènements : Flush sera enlevé contre rançon par des voleurs vivant à deux pas mais dans un autre monde, dans les taudis de la ville à Whitechapel où survivait le peuple de l’abîme comme écrivait Jack London. Puis Miss Barrett reçoit d’étranges courriers quotidiens auxquels succèderont des visites régulières de Mr Browning. Il y aura un voyage en Italie, Pise, Florence… les années passent, le chien et sa maîtresse vieillissent…
Si le livre est simple à lire, il n’est pas toujours aisé à comprendre, Virginia Woolf utilise l’ellipse ou compte très certainement sur la connaissance de ses personnages pour ses lecteurs de l’époque. N’en étant pas, une visite sur la fiche Wikipédia d’Elizabeth Barrett m’a beaucoup éclairé : la poétesse vivait sous la coupe autoritaire de son père, elle se maria avec Mr Browning, lui-même poète, ébloui par la lecture d'un recueil de ses poèmes il entreprend avec elle une correspondance qui devient vite amoureuse. Au bout de deux ans, le couple se marie clandestinement et s'enfuit en Italie, où il réside jusqu'à la mort d'Elizabeth en 1861.
Cette réserve mise à part et facilement contournable, le récit est plaisant à lire grâce à l’idée lumineuse de l’écrivaine, raconter par le prisme de la vison d’un chien. Ca nous vaut beaucoup d’humour, sans pour autant cacher des points beaucoup plus sérieux, la vie à Londres où cohabitent sans se voir les riches et les plus que pauvres ; le sort des femmes de l’époque (mariage clandestin et fuite pour échapper à un père trop puissant) ou encore la similitude entre la poétesse et l’écrivaine, toutes deux de santé fragile, etc. Si le chien et l’humain ne se parlent pas, ils réussissent néanmoins à se comprendre, l’un adoptant le plus souvent les manières de l’autre.
« C’est ainsi qu’un beau jour, probablement au début de l’été de 1842, on put voir un couple des plus étonnants descendre Wimpole Street – une petite dame âgée, assez forte et d’allure modeste, le visage lumineux et coloré, les cheveux lumineux et blancs, qui tenait en laisse un petit cocker doré très entreprenant, très curieux, très bien né. Ils marchèrent presque jusqu’au bout de la rue, avant de s’arrêter au numéro 50. Miss Mitford sonna non sans une certaine émotion. Même de nos jours sans doute personne ne sonne à une maison de Wimpole Street sans une certaine émotion. C’est la plus vénérable des rues de Londres… »
Virginia Woolf Flush Gallimard La Pléiade Œuvres romanesques Tome 2 – 188 pages –
Traduction par Catherine Bernard
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