Kay Dick : Eux
29/05/2023
Kathleen Elsie "Kay" Dick (1915-2001) était une journaliste, autrice et éditrice anglaise. Figure incontournable du milieu littéraire londonien au milieu du XXe siècle, elle est devenue à 26 ans la première femme à diriger une maison d’édition en Angleterre et a publié notamment George Orwell. Son œuvre compte une dizaine de romans, dont celui-ci Eux datant de 1977 qui vient d’être traduit pour une sortie en collection de poche directement.
Quel étrange autant qu’inquiétant roman !
La province anglaise dans différents lieux proches les uns des autres et en bord de mer dans un futur proche ? La question mérite d’être posée car cette dystopie a tout pour nous mettre mal à l’aise. Le roman, sans réel début ni fin, est divisé en neuf chapitres, neuf courtes situations ayant peut-être la même narratrice (?) écrivaine. Ces différentes photographies où interviennent différents protagonistes, amis de celle qui raconte, nous éclairent vaguement sur les transformations en cours du pays qui sombre lentement mais sûrement dans une dictature d’un genre très particulier.
Tout ce qui a trait à l’art est visé par « eux », la National Gallery est vidée de ses œuvres, et à travers le pays, tous ceux qui écrivent, peignent, sculptent etc. sont poursuivis de manière insidieuse, on les épie, on entre chez eux en leur absence pour confisquer leurs livres ou leurs tableaux, on arrache des pages annotées en guise d’avertissement et si ça ne suffit pas, ces dissidents sont conduits dans des « refuges » pour être « guéris » puis libérés, dans le meilleur des cas. Pour tout le monde la télévision est obligatoire, machine à laver les cerveaux.
Si l’art est la cible principale, tout ce qui touche aux sentiments l’est tout autant, les célibataires ou les couples sans enfants, l’amour est suspect car « l’amour est asocial, inadmissible, contagieux. L’amour implique la communication. Le chagrin d’amour est le pire des délits imaginables. »
Pour le lecteur, l’inquiétude nait de ce qu’il ne saura jamais, qui sont « ils » ? Et leur technique glaçante agit comme un rouleau compresseur, ils surveillent sans bruit, ils fouillent chez vous en votre absence tout en laissant des traces de leur passage, « certains ne pouvaient supporter cette tension et craquaient, même si personne ne pouvait mesurer la nature de cette surveillance renforcée. » Et si l’action psychologique ne suffit pas, ils détruisent ou vous tuent.
Certains, comme notre narratrice, n’acceptent pas cette purge consistant à éliminer ceux qui font preuve d’imagination créative et d’expression individuelle. Quel avenir pour cette Résistance ?
Les thèmes du roman, « si on n’a plus le choix, on perd tout », « Nous représentons un danger. Le non-conformisme est une maladie. Nous sommes une source de contagion. »
Pas mal du tout.
« - Méfiance, a dit Thoby. Le jardin est beauté, sensualité, mystère, imagination. Ils sentent le piège. – Et nous y allons justement pour ça ? – Oui, c’est notre piège à nous. Les touristes préfèrent le béton. Regarde leur passion pour les marinas. Pas pour les bateaux, non, pour les parkings, les salles de jeux vidéo, la prolifération des restaurants, les immeubles modernes, les blocs d’appartements. Ils aiment voir l’océan expulsé de son territoire naturel par le béton. »
Kay Dick Eux Le Livre de Poche - 157 pages -
Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Patrick Imbert
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