Henry James : Les Papiers d’Aspern
14/12/2023
Henry James (New York 1843 - Chelsea 1916) est un écrivain américain, naturalisé britannique en 1915. Elevé dans le culte de la civilisation européenne, il voyage très vite entre Europe et Etats-Unis et grâce à la fortune familiale se consacre uniquement à la littérature. Ses premiers textes sont publiés en 1864, son œuvre comptant plus d’une centaine de nouvelles et vingt romans.
Les Papiers d’Aspern est un court roman paru en 1888 dont Henry James eut l’idée quand il entendit parler d'un admirateur de Shelley qui tenta d'obtenir des lettres manuscrites de grande valeur écrites par le poète.
Venise. Jeffrey Aspern aujourd’hui décédé était un immense poète américain auquel le narrateur voue une admiration sans bornes. Il fut à une époque l’amant de Miss Juliana Bordereau, une compatriote désormais très âgée, presque centenaire, retirée à Venise où elle vit avec sa nièce Tita, bien modestement dans un grand palais décrépi. Le narrateur toujours à la recherche de documents rares sur le poète en vue de les publier soupçonne la vieille femme de posséder des lettres du grand homme. Mais comment obtenir ces papiers sachant que les deux américaines déracinées ne sortent jamais de leur maison « plus recluses que des carmélites dans leurs cellules » et que Juliana veille jalousement sur ces documents, n’étant pas le moins du monde disposée à s’en séparer ? D’ailleurs, existent-ils réellement ces papiers ?
Tout le roman devient un jeu du chat et de la souris, comment approcher les deux femmes, comment leur paraître sympathique et enfin comment accepter que Juliana lui cède les papiers ? La première partie du plan fonctionne, le narrateur connaissant leur situation financière précaire, se propose de leur louer un logement dans leur vaste demeure, voyageur de passage dans la cité, ce que la vieille accepte. Puis, il tente de s’attirer les bonnes grâces de Tita, une vieille fille au « laid et doux visage », très réservée et peu au courant de la vie, coupée du reste du monde.
Longues manœuvres d’approche, discrétion totale sur son but ultime, frayeurs quand il apprend que Juliana pourrait vouloir détruire les documents, accélération de l’approche mais la vieille n’est pas sotte et a l’œil. Un soir, elle le surprend dans sa chambre fixant le secrétaire où il pense que sont cachés les documents, elle le maudit et s’effondre, mourant quelques jours plus tard. Seule Tita peut encore lui procurer le butin escompté… et nous vaut un épilogue assez génial !
Grossièrement résumé ainsi, il y a comme un suspense diabolique. Et il y en a ! Mais nous sommes chez Henry James pas chez un vulgaire auteur de thriller, l’écriture amène l’intrigue sur la plan des relations psychologiques entre les trois protagonistes qui selon les situations peuvent être cupides (Juliana), naïfs (Tita), sans scrupules (le narrateur).
Le roman aborde un sujet fort intéressant, pour apprécier au mieux une œuvre littéraire faut-il en connaitre la genèse ? « Qu’adviendra-t-il des œuvres que j’ai mentionnées, celles des grands philosophes et des grands poètes ? Elles restent de vains mots, si nous n’avons pas quelque instrument pour prendre leur mesure. »
« Elle était peut-être étonnée par mon assurance, mais j’étais stupéfait par la sienne : par le fait qu’elle eût l’énergie, à son âge et dans son état, de vouloir s’amuser à me mettre à l’épreuve, qu’elle se sentît d’humeur à me défier, à me pourfendre, à me berner. Telle, du moins, fut l’interprétation que je donnai à son exhibition du portrait, car je ne pouvais croire qu’elle souhaitât le vendre ni qu’elle s’intéressât aux évaluations que je pouvais faire. Ce qu’elle voulait, c’était l’agiter sous mes yeux et y mettre un prix prohibitif. »
Henry James Les Papiers d’Aspern GF Flammarion - 290 pages -
Présentation par Julie Wolkenstein
Traduction par Jean Pavans
« Je me trouvai devant l’église de Saints-Jean-et-Paul, à contempler les mâchoires carrées de Bartolomeo Colleoni, le terrible condottiere qui enfourche si vigoureusement son énorme monture de bronze, sur le haut piédestal où l’a placé la gratitude vénitienne. »
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