Edith Wharton : La Maison de liesse
19/07/2024
Edith Wharton, née Edith Newbold Jones en 1862 à New York et morte en 1937 à Saint-Brice-sous-Forêt (Val-d'Oise, France), est une romancière, nouvelliste, poétesse et essayiste américaine. Première femme à obtenir le prix Pulitzer du roman, Edith Wharton a laissé au moins trois romans majeurs : Chez les heureux du monde (1905), Les Beaux Mariages (1913) et Le Temps de l'innocence (1920), ainsi que des nouvelles remarquables, et l'inclassable Ethan Frome que certains considèrent comme son chef-d'œuvre. Le roman La Maison de liesse (1905) précédemment connu sous le titre Chez les heureux du monde, vient d’être réédité dans une nouvelle traduction.
Au XIXème siècle dans la haute société new-yorkaise. Lily Bart, une très belle jeune femme célibataire d’à peine trente ans qui ne laisse pas les hommes indifférents, orpheline et ruinée, vit aux crochets des autres dans l’attente d’un beau parti qui lui assurera cette belle vie. Reçue chez les uns et les autres, tous riches américains, sa vie se déroule dans de luxueux décors et occupations frivoles, soirées mondaines, bals et dîners en belles tenues et bijoux, séjours dans des résidences secondaires à la campagne, croisières en mer, visite de l’Europe… Sa présence élégante et sa personnalité charmante en font une compagne idéale pour ses riches amies qui se l’arrachent, sous l’œil intéressé de mâles en quête d’épouse ou de conquête. Cet équilibre précaire va s’effondrer quand Lily va s’endetter au-delà du raisonnable, ses amies d’hier l’ignorer et sa dette la placer à la merci d’un homme qui veut être remboursé en nature…
Edith Wharton dresse un portrait impitoyable de la société new-yorkaise huppée de l’époque. De ses règles sociales (« Tout dépendait ici de l’éternelle distinction entre ce qu’une femme mariée peut et ce qu’une jeune fille ne peut pas faire », « Dans notre société imparfaitement organisée, rien n’est encore prévu pour la jeune femme qui réclame les privilèges du mariage sans en assumer les obligations ») et dire que notre Lily tranche au cœur de ces règles, est peu dire. Quand on s’écarte de ce chemin tout tracé, les ragots et les rumeurs vont bon train, les langues de vipères se déchainent et c’est assez amusant (« J’ai l’impression, conclut Mrs Trevor avec émotion, que la majeure partie de sa pension alimentaire lui est versée par les maris d’autres femmes ! »).
Jeux de rôles et de nuisances pour s’attirer les bonnes grâces de telle ou telle, ces dames se démènent en insinuations pour savoir qui est ou n’est pas invité à une soirée, pour elles-mêmes ensuite inviter ou non une « amie » (« Mais je regrette assurément de vous avoir dit tout cela, même si je ne l’ai fait que par gentillesse »).
Déchue de l’estime de ses connaissances depuis qu’elle est ruinée, réfugiée dans une pension minable, à la recherche d’un boulot de modiste pour gagner trois sous, Lily se débat dans un dilemme, conserver sa liberté dans la pauvreté et la solitude (« Elle faisait l’expérience des profondeurs ultimes de l’insignifiance »), ou bien céder aux avances d’hommes qu’elle méprise mais fortunés et un retour à la vie fastueuse ?
Oui, l’attitude frivole de Lily nous agace mais elle nous est néanmoins sympathique et l’on s’énerve encore plus quand on constate qu’elle est aveugle ou refuse (inconsciemment ?) la main d’un ami de longue date, Lawrence Selden, un avocat qui lui aussi ne sait pas bien s’y prendre avec elle. La fin du roman est très belle car très triste.
Un bien bon bouquin, fort bien écrit de surcroît.
« Une fois - deux fois - vous m’avez offert une chance d’échapper à ma vie, et je l’ai refusée – refusée par lâcheté. Je me suis ensuite aperçue de mon erreur… j’ai compris que je ne pourrai jamais trouver le bonheur dans ce dont je m’étais jusqu’alors satisfaite. Mais il était trop tard : vous m’aviez déjà jugée – je l’ai compris. Il était trop tard pour mon bonheur… mais pas trop tard pour que je trouve une aide dans la pensée de ce que j’avais manqué. C’est de cette seule pensée que j’ai vécu… ne me l’enlevez pas maintenant ! Même dans mes pires moments, elle a été comme une petite lumière dans l’obscurité. »
Edith Wharton La Maison de liesse Gallimard L’Imaginaire - 479 pages -
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Chénetier
8 commentaires
Bientôt 30 ans que je l'ai lu, avec l'ancien titre et la traduction de charles du bos, à (re)découvrir bien sûr.
Le bouquin est bon et l’écrivaine mérite le détour, avis à celles et ceux qui ne la connaissent pas…
En découvrant le titre de ta note, je me suis dit "Chouette, un Wharton que je n'ai pas lu" ! Et puis, non, hélas ! Ce roman est dans mes incontournables, triste à pleurer mais si beau !
Oui, c’est très triste et très beau, nous sommes bien d’accord. Donc à lire !
Encore une autrice que je n'ai pas lu. Il faudrait décidément que je me concentre davantage sur les classiques
Chacun fait ce qui lui plait, plait, plait…
Pour ma part, je préfère ignorer des nouveautés que de rater un classique ou découvrir un ancien écrivain ou écrivaine. J’estime, à tort ou à raison (?), qu’il y a plus de déchets dans les nouveautés que dans les vieux romans.
Je n'ai lu (et aimé) que Le temps de l'innocence. J'avais noté ce livre sous son titre précédent... L'éditeur explique-t-il ce changement de titre ?
Je cite la préface d’Alice Kaplan : « Le premier traducteur de The House of Mirth, Charles Du Bos, a changé le titre du livre en lui substituant Chez les heureux du monde. Aujourd’hui, Marc Chénetier restaure La Maison de liesse, titre lié à l’épigraphe : « Le cœur des sages est dans la maison de deuil, et le cœur des insensés dans la maison de liesse. Ecclésiaste (VII, 4). Ainsi est lancée la devinette qui traverse l’intrigue : dans quel domaine Lily va-t-elle vivre, celui de l’insouciance ou celui de la mort ? »
Écrire un commentaire