Olivier Truc : Les Sentiers obscurs de Karachi
21/10/2024
Olivier Truc, né en 1964, est un journaliste, écrivain et scénariste français. Il démarre sa carrière de journaliste au quotidien régional Le Midi libre en 1986 puis travaille pour divers médias (La Gazette de Montpellier, Télé soleil, Libération, TF1) traitant des sujets de société. Il habite Stockholm depuis 1994 et a été correspondant notamment de la radio RTL, de l'hebdomadaire Le Point, du quotidien Libération (1998-2005) puis du journal Le Monde (2005-2016) pour les pays nordiques et baltes. Il est aussi documentariste pour la télévision et réalisateur. Il amorce sa carrière littéraire en 2006 avec la publication de L'Imposteur, une enquête sur un rescapé français du Goulag qui avait réécrit une partie de sa vie pour survivre.
Les Sentiers obscurs de Karachi date de 2022. S’il s’agit bien d’un roman aux allures de polar, il est basé sur des faits réels, l'attentat du 8 mai 2002 à Karachi au Pakistan, qui a provoqué la mort de 13 personnes, dont 11 ingénieurs et employés français de la Direction des constructions navales (DCN) quand le bus militaire qui les transportait a été pulvérisé devant l’hôtel Sheraton par l'explosion d'une mine magnétique placée sur le bus, sans doute déclenchée à distance. Longtemps, jusqu’en juin 2009, l’attentat a été attribué à Al-Qaïda mais depuis, des représailles à l'encontre de la France organisées par les services secrets pakistanais est l’hypothèse la plus privilégiée. En France, cet attentat a donné son nom à l'affaire politico-financière liée à la vente de de sous-marins au Pakistan qui aurait donné lieu à des rétrocommissions pour financer illégalement la campagne présidentielle de 1995 de l'ancien Premier ministre Edouard Balladur. Toutes les victimes étaient originaires de la base navale de Cherbourg. Vingt ans plus tard, un jeune journaliste local, Jef Kermal fils d’un ingénieur rescapé, décide de mener une enquête pour désigner les coupables.
Le début du roman est difficile, sachez-le. Il débute par une introduction fracassante, l’attentat proprement dit, c’est dur et terrible. Puis viennent les éléments de base de l’enquête que je viens de vous résumer d’une complexité retorse qui expliquent (en partie) la non-résolution de l’affaire. Il faut s’accrocher pour suivre les fils de ce sac de nœuds et se remémorer ce que les médias de l’époque en disaient. Quand Jef part à Karachi, le roman prend un rythme de croisière plus simple et je n’en dirai pas plus sur son enquête…
On pourrait se plaindre du début difficile à suivre ou encore de la fin un peu simpliste (?), il n’empêche que c’est un très bon bouquin.
Il est bon parce que tiré de faits réels où des morts n’ont pas eu justice et qu’on enrage. Il est bon car la vie n’est jamais simple, tous les acteurs de ce livre souffrent à des degrés divers : les Français de leurs morts ou de leurs blessures irréparables, d’amitiés qui se sont brisées au fil des années, de choses tues, de la fameuse « raison d’Etat ». Les Pakistanais eux aussi se trimballent des fardeaux épouvantables, il n’est question que de chantages et de jeu de d’influence où la vie est en jeu, avec l’armée et les services secrets en tireurs des ficelles ou d’extrémistes musulmans pourrissant la vie de tous et de toutes.
Ce roman complexe est à l’image de ce pays et de cette ville en particulier, Karachi « la tentaculaire, l’oppressante », « cette mégapole du désordre » où la chaleur est étouffante, encombrée de « milliers de taxis, camions, rickshaws et motos », la promiscuité dans les ruelles et les marchés. La transpiration vient au front rien qu’à la lecture.
Cas de conscience entre morale/dignité humaine et patriotisme ; rôle du journalisme ; raison d’état ; et une très belle amitié à distance entre deux hommes qui se sont connus dans des circonstances exceptionnelles, l’un Français et l’autre Pakistanais, tels sont les principaux thèmes de ce bouquin très émouvant.
« Marc lui avait demandé un jour comment se débrouillait un journaliste qui n’arrivait pas à prouver ce qu’il voulait avancer. Il écrit des romans, avait lancé Jef par bravade, sans en croire un mot. Rien n’était plus éloigné de lui. Marc ne l’avait plus lâché. Tu veux dire quoi, que la fiction est un alibi pour journalistes paresseux ? Ou incompétents ? L’œil malicieux de Marc n’avait rien enlevé au trouble de Jef. »
Olivier Truc Les Sentiers obscurs de Karachi Points - 288 pages -
8 commentaires
J'ai été personnellement un peu gênée par certaines ficelles romanesques (notamment l'histoire d'amour), qui selon moi n'étaient pas nécessaires, l'intrigue "policière" ou "historique" se suffisant amplement à elle-même. J'ai apprécié en revanche le portrait qu'il fait de la ville de Karachi, et sa vision géopolitique "élargie", qui nous rappelle qu'à des milliers de kilomètres, les attentats sont une réalité permanente. Je l'avais d'ailleurs entendu parler de cette théorie du mort/kilomètre évoquée dans le roman à l'occasion d'un salon.
Si on devait condamner tous les romans avec une love story inutile ou mal torchée et les bouquins gratuitement trop longs… Moi ça ne m’a pas trop gêné et je suppose que c’était pour apporter une note plus légère à ce roman ?
Tu défends davantage ce roman que tes co lectrices ! Je le lirai peut-être même si le roman d'espionnage, à priori, ce n'est pas mon truc.
Pour être totalement franc, je trouve le roman assez bien fait mais ce n’est pas le genre de livre que j’aime vraiment. J’avais envie de participer à la LC d’Ingannmic, de temps en temps ça commence à m’amuser !
un auteur dont je n'ai lu qu'un livre et que j'avais bien aimé, c'st sympa de lire trois avis différents sur le même livre
Surpris que tu puisses aimer un bouquin de cet écrivain, mais j’imagine qu’il devait être bien différent de celui-ci !
Quant à lire les chroniques de plusieurs lecteurs pour un même livre c’est instructif et ça relativise le crédit qu’on doit leur porter, chacun voyant midi à sa porte…
C'est vrai que la première scène est terrible. Elle était sans doute nécessaire pour expliquer les traumatismes persistants de ceux qui l'ont vécue 20 ans plus tôt, leur volonté de faire toute la lumière sur le drame. Pour le reste, je suis comme toi. Ce n'est pas mon genre de prédilection mais j'ai trouvé le roman plutôt réussi.
La première scène est nécessaire à deux titres, comme tu l’expliques et aussi parce qu’un roman doit avoir un bon début pour « chopper » le lecteur et une bonne fin pour qu’il en garde un souvenir. C’est un principe de base.
Oui, nous sommes d’accord sur le jugement porté sur ce livre.
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