Alia Trabucco Zerán : Propre
31/10/2024
Alia Trabucco Zerán est née en 1983 à Santiago du Chili. Fille du cinéaste Sergio Trabucco et de la journaliste Faride Zerán, Alia Trabucco Zerán est avocate et éditrice. Elle a étudié le droit au Chili et l’écriture à New York. Elle termine actuellement un doctorat de littérature à Londres. Elle est également l’autrice d’un essai sur les femmes assassines. Propre, son nouveau roman, vient de paraître.
Un roman qui démarre très fort : « Et le dénouement de cette histoire, vous voulez vraiment le connaitre ? La fillette meurt. » Et Estela Garcia, femme d’une quarantaine d’années, de se lancer dans un long monologue, enfermée dans une pièce vitrée d’où on ne sait pas très bien si elle s’adresse à un policier ou un psychiatre qui lui est invisible, rôle imprévu que le lecteur se voit endosser ! « Je crois vous avoir entendus de l’autre côté de la vitre. Je parle de vous, qui prenez des notes, qui me jugerez à la fin ». Malaise.
Lentement Estela va dérouler le récit qui mènera au drame au bout de sept ans. Venue de Chiloé à Santiago du Chili, répondant à une petite annonce, elle est embauchée par un couple bourgeois, Juan Cristobal Jensen, chirurgien, « un homme plutôt vulgaire, avec un début de calvitie précoce » et sa femme Mara Lopez à quelques jours de son accouchement. Ses tâches sont banales, faire les courses et les repas, laver et repasser le linge, puis quand naitra Julia, la fillette, s’en occuper durant la journée quand les parents sont au travail. La confession d’Estela se poursuit comme une reconstitution judiciaire où elle tente d’expliquer par tous les actes et évènements en amont du drame ce qui pourrait en expliquer la cause, se déclarant coupable du décès de l’enfant, se répétant sans jamais dire la même chose exactement, recommençant ses phrases.
Le lecteur déjà dans ses petits souliers depuis les premières lignes est de plus en plus troublé par les propos de la bonne, ses pensées (souvent elle se voit comme si elle était extérieure à son propre corps, « Comme si je n’étais plus dans mon corps ; comme si j’étais déjà partie ») et ses actes (elle ramasse des cailloux qui finiront dans le mixeur qui va exploser). Pour le dire plus abruptement, elle ne semble pas psychologiquement très stable, tiraillée entre ce job fait pour l’argent qu’elle peut envoyer à sa mère et son profond désir de quitter la grande ville pour retrouver sa campagne.
La tonalité du roman va s’alourdir avec la gamine qui refuse de manger, fait des caprices et plus tard ira jusqu’à se casser exprès un doigt pour ne pas faire de piano, épuisée par les activités imposées par son père qui la voit enfant précoce.
La mort est très présente dans ce récit, imaginée, crainte par avance, mais aussi bien réelle, un chien errant (confident d’Estela ?) qu’elle devra achever, puis sa mère dont elle n’apprendra la mort que plusieurs jours plus tard et enfin la fillette. Au loin, par inadvertance, nous apprenons que le pays est livré aux émeutes, écho à la différence de classe entre Estela et ses patrons, la bonne n’étant qu’une ombre dans la maison, ce qui l’enfonce encore plus dans sa solitude.
Un roman psychologique légèrement mystérieux, un peu angoissant par son atmosphère pesante et son drame annoncé d’emblée, très réussi grâce à l’écriture parfaitement adaptée au propos.
« Ce qui définit une tragédie, a dit la femme, c’est qu’on connaît toujours la fin. Dès le début, on sait qu’Œdipe a tué son père, couché avec sa mère, et va devenir aveugle. Pourtant, va savoir pourquoi, on continue de lire. On continue de vivre comme si on ignorait quelle sera la fin. »
Alia Trabucco Zerán Propre Robert Laffont - 271 pages -
Traduit de l’espagnol (Chili) par Anne Plantagenet
6 commentaires
Je ne pense pas le lire, le sujet me rappelle trop Chanson douce de Leila Slimani, mais il semble très bien écrit et perturbant comme il faut !
Une expérience de lecture très intéressante… mais chacun lit ce qu’il veut !
J'avais repéré ce titre, j'aime faire des incursions régulières en littérature latino-américaine, et ce que j'ai lu à propos de l'ambiance de ce titre m'intrigue beaucoup.
Et je récupère ton lien pour l'activité sur le Monde du travail !
Oui, c’est une lecture intrigante, je te le confirme. Chouette, tu récupères mon lien pour en faire profiter (?) d’autres !
Moi aussi, ma lecture de ce titre a un peu souffert de celle de Chanson douce, mais il n'empêche que j'ai quand même apprécié ce titre à cause justement l'ambiguïté de la narratrice.
Merci d’intervenir dans la discussion car n’ayant pas lu le Slimani il m’était difficile de répondre à @Kathel. J’ai en tout cas la vague impression que si les deux bouquins peuvent être rangés côte à côte sur la même étagère, ils sont franchement très différents par leur approche, avec une note franchement plus « bizarre » chez la Chilienne… ?
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