Virginie Deloffre : Léna
12/10/2012
Je ne sais absolument rien de Virginie Deloffre, si ce n’est qu’elle est médecin à Paris et que Léna est son premier roman.
Léna est née en Sibérie, orpheline elle a été adoptée par une parente éloignée Varia, qui héberge aussi chez elle un professeur moscovite, Dimitri, envoyé là par l’Administration pour « réaliser une prospection systématique, qui permettrait de guider le choix ultérieur des zones de forage » et qui depuis plus de vingt ans est resté là. Léna s’est mariée avec un pilote de l’armée de l’air, mais habituée aux grands espaces, à la solitude et aux rêveries, elle n’a pas voulu qu’ils s’installent dans la Base aérienne ; du coup, sa vie est rythmée par les départs et les retours de son mari pour quelques jours, entre leur appartement communautaire et son camp de base, une vie faite d’habitudes et de répétitions, qui la rassurent et créent une certaine stabilité. Nous sommes à la fin des années 80, Vassia son mari, lui ne rêve que d’une seule chose, participer à la conquête de l’espace et marcher dans les traces de Youri Gagarine, d’ailleurs il a été sélectionné avec d’autres pour un nouveau projet spatial secret.
La structure du roman alterne les lettres envoyées par Léna à ses parents adoptifs, Varia et Dimitri, où elle leur raconte sa vie et les retours de Vassia et leur vie à tous deux pendant ces courtes permissions. Virginie Deloffre semble très bien connaître l’histoire Russe et la conquête de l’espace, nous faisant profiter de ses connaissances par de nombreux détails qui viennent enrichir le récit, mais au-delà d’un savoir qui pourrait n’être que livresque, on devine à certaines précisions et remarques que l’auteur sait parfaitement de quoi elle parle et qu’elle est certainement allée sur les lieux.
Le roman n’est bien entendu pas consacré à l’histoire ou à l’ethnologie du peuple russe, il expose deux conceptions du monde qui divergent, ceux qui ont des rêves d’avenir comme Vassia et ceux qui savent se contenter de ce qu’ils ont comme Léna. Mais rien n’est jamais figé, l’Histoire est en marche, la perestroïka, la glasnost, la démission de Gorbatchev, l’effondrement de l’URSS, vont mettre un terme au projet spatial. Vassia et Léna vont se retrouver, l’un avec des rêves moins grandioses et l’autre avec des projets d’avenir qui lui feront dire « J’ai des rêves moi aussi »..
Pour un premier roman, je dois dire que je suis impressionné. L’écriture coulée, le rythme parfaitement calqué sur le propos et les caractères des personnages, en particulier cette Léna qui se complaît dans la routine, une saudade slave … La seule critique que je ferais, au début du roman, les dialogues sont épouvantables, quand Varia s’exprime on dirait un sketch des Vamps ! J’ai failli refermer le bouquin, ce qui aurait été une grosse erreur, car il s’agit d’un excellent premier roman.
« Quitte-t-on jamais la toundra ? Souvent il s’était demandé quelle trace avait laissé en Léna sa filiation avec les Seigneurs de l’hiver. Que lui racontait sa mère qui s’était arrêtée un jour au village de Salekhard pour épouser un Russe, mais avait toujours regretté sa vie d’avant la tente ? Peut-être avait-elle gardé pour toujours dans le regard la nostalgie de ces images que lui-même, simple passant, n’avait pu oublier. Que lui chantait-elle ? Le sifflement du lasso dans l’air brillant, le ciel s’illuminant dans la nuit profonde de l’hiver quand s’allument les aurores boréales et leur ballet de lumière… Ou le cortège des traîneaux en marche sur la neige étincelante, et l’immensité blanche de l’espace droit devant soi abolissant la durée… Est-ce pour cette raison qu’en Léna le temps ne semble pas s’écouler ? Est-ce cela qui l’a rendue bizarre cette petite ? »
Virginie Deloffre Léna Albin Michel
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