Emile Zola : Son excellence Eugène Rougon
06/02/2013
Émile François Zola (1840-1902) écrivain et journaliste, est considéré comme le chef de file du naturalisme. C’est l'un des romanciers français les plus populaires, l'un des plus publiés, traduits et commentés au monde. Sur le plan littéraire, il est principalement connu pour Les Rougon-Macquart, fresque romanesque en vingt volumes dépeignant la société française sous le Second Empire et qui met en scène la trajectoire de la famille des Rougon-Macquart à travers ses différentes générations. Les dernières années de sa vie sont marquées par son engagement dans l'affaire Dreyfus avec la publication en janvier 1898, dans le quotidien L'Aurore, de l'article intitulé « J’Accuse…! » qui lui a valu un procès pour diffamation et un exil à Londres.
Avec Son excellence Eugène Rougon sixième volume de cette fresque des Rougon-Macquart, paru en 1876, Emile Zola aborde les coulisses du pouvoir sous Napoléon III entre 1856 et 1861.
Eugène Rougon qui a contribué au coup d’État du 2 décembre 1851 de Louis Napoléon Bonaparte, est désormais président du Conseil d’État. Quand il perdra de son influence, devant démissionner de son poste, le petit groupe de ses fidèles va se livrer à ce qu’aujourd’hui on appellerait du lobbying pour le ramener sur le devant de la scène. Un jeu de réseaux où chacun avance ses pions en ne perdant jamais de vue son propre intérêt.
De cette ombre conspiratrice va bien vite émerger Clorinde Balbi, une belle aventurière d’origine Italienne qui fait craquer Eugène mais lui refuse l’essentiel, sauf s’il accepte de l’épouser. Eugène Rougon est un solitaire, il se méfie des femmes et pour se sortir de cette impasse, il s’arrange pour qu’elle se marie avec Delestang, l’un de ses proches, haut-fonctionnaire béni-oui-oui. L’Italienne semble se satisfaire de ce deal et travaille en usant de tous les atouts de sa féminité et de ses relations, devenue chef de file de la bande des « amis » de Rougon, pour un retour en grâce de celui-ci auprès de l’Empereur.
Informé en secret de la préparation de l’attentat d’Orsini (1858) contre Napoléon III, Eugène Rougon ne révèle rien et laisse le drame se produire. Ce climat d’insécurité lui profite et l’Empereur le rappelle pour lui confier le ministère de l’Intérieur avec ordre de faire régner la peur sur le pays. Il est alors à l’apogée de sa carrière, gouvernant d’une main de fer et profitant de sa situation pour placer au mieux ses proches et amis.
Cet excès de pouvoirs finit par nuire à Rougon, des scandales commencent à éclater, sa bande commence à prendre ses distances pour préserver ses propres intérêts et Clorinde, devenue entretemps maîtresse de l’Empereur, mettra tout son poids pour provoquer la chute de Rougon, vengeance terrible de la femme blessée d’avoir été rejetée comme épouse.
Le roman aurait pu s’arrêter là mais en politique rien n’est jamais acquis, rien n’est jamais fini. Trois ans plus tard, Eugène Rougon revient au gouvernement comme ministre sans portefeuille. L’acharné partisan d’un Empire autoritaire s’est transformé en défenseur de la politique libérale que promeut Napoléon III. Sentant le vent tourner et adaptant son opinion aux circonstances, Eugène Rougon revient par la grande porte dans les sphères du pouvoir. Clorinde, belle joueuse malgré tout, lui concèdera in fine « Vous êtes tout de même d’une jolie force, vous. »
Roman d’une force incroyable car intemporel. A quelques détails près liés à l’époque, les caractères peints par Zola sont toujours d’actualité, ce sont les traits caractéristiques des hommes et des femmes avides de pouvoir. Car le pouvoir vous place au-dessus de la mêlée, celui qui le détient s’arroge tous les droits.
L’écrivain entraîne le lecteur avec maestria dans ce marigot où derrière les ors des décors et les belles manières des acteurs, se trament et s’ourdissent les magouilles les plus répugnantes. Trafic d’influences, clientélisme, revirements d’amitiés en fonction d’intérêts personnels, liens étroits entre la presse et le pouvoir. Pouvoir politique servile et à la botte de l’Empereur, n’émettant un avis qu’après avoir senti dans quel sens venait le vent. Parfois on a l’impression de lire des articles du Canard enchaîné, en plus lyrique.
L’écrivain, comme toujours très précis dans les descriptions des lieux, des faits et des forces psychologiques qui animent ses personnages, fascine le lecteur par le machiavélisme du combat que se livrent Eugène Rougon et Clorinde Balbi. Tous deux veulent le pouvoir pour le pouvoir, l’un au premier rang et l’autre plus sournoise, en tirant les fils de ces marionnettes ridicules.
« - Vos amis doivent vous adorer. – Non, Sire, ils ne m’adorent pas, ils me soutiennent, dit Rougon avec une rude franchise. Le mot paru frapper beaucoup le souverain. Rougon venait de livrer tout le secret de sa fidélité ; le jour où il aurait laissé dormir son crédit, son crédit serait mort ; et, malgré le scandale, malgré le mécontentement et la trahison de sa bande, il n’avait qu’elle, il ne pouvait s’appuyer que sur elle, il se trouvait condamné à l’entretenir en santé, s’il voulait se bien porter lui-même. Plus il obtenait pour ses amis, plus les faveurs semblaient énormes et peu méritées, et plus il était fort. »
Emile Zola Son excellence Eugène Rougon Le Livre de Poche
Les commentaires sont fermés.