David Vann : Désolations
30/03/2013
David Vann, né en 1966 en Alaska, est un écrivain américain. Son premier roman paru en France, Sukkwan Island, reçoit le prix Médicis étranger en novembre 2010. Désolations est sorti en 2011.
Autant le savoir tout de suite, si vous aimez la rigolade, passez votre chemin, David Vann n’est pas l’homme qu’il vous faut. Nous en avions eu un avant-goût dans son premier roman et il semble, avec celui-ci, que ce soit sa marque de fabrique. Sans vouloir faire de la psychanalyse à trois sous, sa biographie nous apprend que son père s’est suicidé…
Sur les rives d'un lac glaciaire en Alaska, Irene et Gary ont construit leur vie, élevé deux enfants aujourd'hui adultes, Mark et Rhoda. Mais après trente années d'une vie sans éclat, Gary est déterminé à bâtir sur un îlot désolé la cabane dont il a toujours rêvé. Irene se résout à l'accompagner en dépit des inexplicables maux de tête qui l'assaillent et ne lui laissent aucun répit. Entraînée malgré elle dans l'obsession de son mari, elle le voit peu à peu s'enliser dans ce projet démesuré.
Tous les personnages de ce roman sont accablants. Irène se trimballe le souvenir de sa mère suicidée découverte pendue dans une grange (tiens, tiens…), Gary son époux depuis trente ans, vit dans ses chimères et ses vieux rêves hippies de retour à la nature, Mark le fils, n’a pour ainsi dire plus de rapports avec ses parents, vivotant de la pêche en mer. Carl, un second rôle, n’est guère brillant lui non plus, fauché il devra quémander de l’argent à sa mère pour se tirer de ce coin d’Alaska. Rhoda est en couple avec Jim, un dentiste aisé mais faible qui ne pense qu’à la tromper.
La faiblesse des héros masculins est particulièrement frappante dans ce roman –ce qu’on avait déjà pu noter dans Sukkwan Island. Jim n’est pas très emballé à l’idée d’épouser Rhoda mais tente de maintenir un statu quo avantageux pour lui, quant à Gary c’est tout un roman à lui tout seul et ça tombe bien, puisque c’est le sujet du bouquin. Gary n’était pas apte au mariage, en s’y résignant par lâcheté il s’est condamné, entraînant sa famille dans une vie ratée. Terrible réquisitoire contre l’institution. Durant trente ans la cocotte-minute va bouillir, jusqu’à l’explosion, qui se traduit par sa volonté enfin affirmée de vouloir se construire une cabane, paumée au milieu d’une île abandonnée, complètement inaccessible en hiver.
Pendant ces quelques semaines précédent la morte saison et durant lesquelles lui, va tenter de construire son cabanon avant les grands froids, Irène va souffrir de terribles maux de crânes dont la médecine ne trouve nulles causes – psychosomatiques si vous voulez mon diagnostic – et ils vont se déchirer. Elle lui reprochant de vouloir la faire vivre dans cette désolation annoncée, lui constatant qu’elle ne fait que l’empêcher de vouloir vivre son rêve. Explosion de rancœurs accumulées dont la trace la plus visible est leur famille décomposée.
Roman agaçant quand on voit Gary se lancer dans un projet insensé en soi, vouloir quitter sa maison confortable pour aller vivre dans un gourbi perdu, et surtout quand on s’aperçoit qu’il n’est même pas capable de construire sa fameuse cabane. L’homme n’est pas à la hauteur de son projet mais il s’entête contre vents et marées.
Arrivé à ce stade on se doute que tout cela ne peut pas se terminer en happy end, si la cabane est ratée, le tombeau est réussi.
Le titre du roman en français est au pluriel à juste raison, désolation du paysage, l’Alaska n’est pas cet espace idyllique qu’on pourrait croire, amertume, chagrin, douleur, tous les synonymes feront l’affaire pour décrire les sentiments ressentis par les uns et les autres. On ressort lessivé par la lecture de ce livre éprouvant et le mythe de la cabane au fond des bois en prend un sérieux coup, mais c’est à ce prix parfois qu’on se frotte à la littérature.
« Irène comprit dans un instant de lucidité terrible qu’ils allaient vraiment vivre là. La cabane ne serait jamais montée comme il faut. Elle ne leur offrirait pas ce dont ils auraient besoin. Mais ils y vivraient tout de même. Elle pouvait voir tout cela avec une clarté absolue. Et bien qu’elle eût envie de dire à Gary de vivre là tout seul, elle savait qu’elle ne pouvait pas car c’était le prétexte qu’il attendait. Il la quitterait pour toujours et elle ne supporterait pas d’être quittée à nouveau. Cela ne se reproduirait pas encore une fois dans sa vie. »
David Vann Désolations Gallmeister
Traduit de l’américain par Laura Derajinski
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