Hallgrimur Helgason : La Femme à 1000°
23/07/2013
Hallgrimur Helgason né en 1959 à Reykjavík (Islande), est écrivain, peintre et traducteur. Auteur d’une bonne dizaine de romans dont seul 101 Reykjavik était paru chez nous en 2002, voici son nouvel ouvrage La Femme à 1000°.
« Condamnée à vivre dans un garage avec pour seule compagnie son ordinateur portable, une provision de cigarettes et une grenade datant de la fin de la Seconde Guerre mondiale, une octogénaire islandaise atteinte d'un cancer en phase terminale revient sur sa vie en attendant la mort. Car Herra, comme on l'appelle, a beaucoup de choses à raconter. Petite-fille du premier président d'Islande, fille d'une paysanne et du seul nazi islandais avéré, elle a, au fil de son existence mouvementée, vécu la guerre et l'exil, connu beaucoup d'hommes, parfois célèbres, et vu la mort, de bien trop près. Avant de s'envoyer en l'air pour de bon, elle passe en revue son passé et celui de son pays, l'occasion pour elle de régler au passage quelques comptes. »
Le résumé du roman fourni par l’éditeur a le mérite d’être juste et surtout concis. Ce qui m’ôte une lourde charge de rédaction, car le bouquin fait 632 pages et il est bourré jusqu’à la gueule de faits et d’évènements dans lesquels il m’aurait été difficile de tailler. Et même délivré de cette part de travail, j’avoue ne pas très bien savoir par quel bout le prendre pour vous donner envie de le lire. Car il faut le lire !
Si l’octogénaire aux portes de la mort est l’héroïne du roman de Hallgrimur Helgason, son parcours dans la vie entre 1929 et 1989 est prétexte pour l’écrivain, à se pencher avec un regard critique sur l’histoire de son pays l’Islande, la Seconde Guerre Mondiale et divers autres sujets tous foisonnant d’évènements allant du comique au tragique voire à l’atroce, en passant par la poésie. Dans un tel contexte vous ne serez pas étonnés d’apprendre qu’Herra a beaucoup voyagé, de son île natale à l’Allemagne en passant par le Danemark évidemment (un petit tour au préalable par Wikipédia, rubrique Islande, me parait fort judicieux), l’Argentine, Paris, New York… Elle connaitra le luxe, la misère, les viols, les hommes dès son plus jeune âge. Ses enfants l’abandonneront, elle croisera des gens connus tels John Lennon ou Jean-Paul Sartre.
J’ai parlé de foisonnement mais ce Hallgrimur Helgason est un véritable volcan islandais en pleine activité. Ca prose explose, sa narration déborde à gros bouillons comme la lave d’un cratère, les noms des lieux ou des personnages aux consonances locales difficiles à mémoriser vous enfument et vous asphyxient. L’écrivain fait dans la démesure, ce qui n’interdit pas les scènes intimistes, l’inventivité du scénario laisse pantois. On passe de l’atroce à l’humour noir, car cette Herra au caractère bien trempé, ne manque pas de lucidité et si le corps est presque au bout du rouleau, son esprit n’a pas rendu les armes. Quelque part dans le roman, il est dit que l’une des caractéristiques des Islandais c’est leur silence ; à l’oral c’est peut-être vrai, mais je le déments catégoriquement pour l’écrit !
Un très gros livre fait de très petits chapitres, chacun renvoyant à une époque sans continuité chronologique. L’écriture surprend car le lecteur croisera souvent des mots inventés, des phrases qui claquent comme des sentences. Si vous êtes comme moi, du genre à souligner des passages dans les livres, armez-vous d’un crayon neuf. Quant au titre de l’ouvrage il est à prendre dans un double sens, quand on se fait incinérer « la température du four grimpe à mille degrés » mais Herra la mourante avoue aussi que « l’amour se mesure en degrés, pas en minutes ». Eros et Thanatos une fois encore réunis.
Je sors de la lecture de ce roman complètement épuisé. Parce qu’il est gros, parce qu’il déborde de tout et partout, parce que j’ai ri de scènes mémorables, parce que j’ai blêmi devant des horreurs physiques ou morales. Bien entendu j’en conseille la lecture, mais attention ne le prenez pas à la légère, ce n’est pas un best-seller pour la plage, il sait faire mal.
« Ce ne fut pas grâce à mes fils que je trouvai un nouvel abri quelques années plus tard, après avoir fui, grimée et grisée, ma maison de retraite. Toute une semaine durant, j’avais roulé avec mon lit au fil des rues, entre asphalte et neige fondue, à la recherche d’un logement, jusqu’à ce qu’une femme de ménage bien aimable se rappelle sa sœur et son garage. Ainsi vins-je à la rencontre de Gudjon et Dora, qui se révélèrent bien plus obligeants que mes enfants. En soi, le garage est une maison de retraite tout à fait décente. »
Hallgrimur Helgason La Femme à 1000° Presses de la Cité (sortie prévue le 22 août 2013)
Traduit de l’islandais par Jean-Christophe Salaün
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