Nick Kent : Apathy for the devil
25/09/2013
Nick Kent est un journaliste musical anglais né en 1951 à Londres. Après des études de littérature anglaise au Bedford College il fait ses débuts dans la presse underground naissante. Durant l'été 1972, il rejoint le New Musical Express (NME) pour lequel il travaille comme jeune journaliste. Apathy for the devil sous-titré Les seventies, voyage au cœur des ténèbres, est une autobiographie du journaliste et/ou une plongée dans le rock entre 1970 et 1979, puisque sa vie est intimement liée à celle de cette musique. Paru l’an dernier, le livre ressort dans une collection de poche du même éditeur.
Dès les premières pages du bouquin on est bien obligé de constater que si l’expression « The right man, in the right place » n’avait pas été inventée, il serait urgent de le faire pour parler de Nick Kent. Imaginez, le 28 février 1964 il est à Cardiff pour voir les Rolling Stones sur scène, lui n’a que treize ans et eux n’ont sorti que deux singles ! Deux ans plus tôt déjà, il était tombé dans la marmite en entendant à la radio, le premier titre des Beatles, Love me do. « Comme c’était bon d’avoir dix ans quand ils ont débuté ; mon adolescence entière a été illuminée par leurs chansons et par leur existence. »
La suite du bouquin mêle des éléments de sa vie, passe en revue tous les groupes rock de la grande époque fondatrice qu’il a côtoyés et l’histoire du New Musical Express hebdomadaire consacré à cette musique et concurrent du Melody Maker. Rock’n Roll, drogues et sexe, les trois axes et dans cet ordre d’importance de ce voyage au cœur des ténèbres. Si vous étiez trop jeune ou pas né à l’époque, en route pour ce Magical Mystery Tour.
Pour le rock, les gros morceaux pour ne citer que ceux-là, ont pour nom, Rolling Stones, Led Zeppelin, Roxy Music, Iggy Pop, Sex Pistols. Nick Kent va les suivre dans leurs tournées, les côtoyer dans des fêtes privées ou dans les coulisses, assister aux enregistrements en studio, partager l’alcool et la dope avec eux. Pour les drogues, il n’hésite pas à balancer les noms et les accoutumances des uns et des autres, sans oublier de nous décrire par le menu sa propre déchéance en 1975 quand il tombera sous l’emprise de l’héroïne. Devenu SDF, il squatte des taudis ignobles ou des piaules sordides avant de finalement parvenir à se désintoxiquer. Pour le sexe enfin, il balance là encore les pratiques échangistes de certains, il nous révèle sa douloureuse liaison avec Chrissie Hynde avant qu’elle ne monte les Pretenders ou plus truculent, son étonnement ébahi en voyant Iggy Pop uriner, « ce n’est pas une lance à incendie, c’est son pénis. »
Nick Kent évoque aussi son mentor, Lester Bangs, autre grande figure du journalisme rock, « c’était pour moi un rêve : rencontrer Lester Bangs », rêve qui se réalise aux Etats-Unis dans les locaux du fameux mensuel Creem. Nick Kent n’écrit par sur le rock, il est le rock. En dix ans il vivra plus d’aventures et d’expériences qu’un citoyen lambda en une vie entière. En cela il perpétue la tradition du journalisme gonzo inaugurée par Hunter S. Thompson ou Lester Bangs. « Je n’écris pas sur l’idée du rock : je le décris en tant que réalité de chair et de sang, peuplée de gens surréels menant tambour battant des existences tout aussi surréelles. »
Bien plus tard il y aura aussi ses velléités de musicien, les Flamin’ Groovies lui proposant mais sans donner suite, de devenir leur clavier et son passage de deux mois en tant que guitariste des Sex Pistols, avant que Johnny Rotten intègre le groupe. En 1981 il finira par devenir chanteur d'un groupe appelé The Subterraneans et aujourd’hui il mène une vie plus rangée avec un grand fils et sa compagne, tout en continuant d’écrire.
Le bouquin s’adresse aux amoureux de musique rock évidemment. Etant de la même génération que Nick Kent et fan de cette musique, j’ai vécu ses mêmes émois musicaux et si j’ai pu suivre la carrière de ces groupes, c’est grâce à des types comme lui, en lisant leurs articles dans la presse spécialisée. Tout en avançant dans la lecture de ce livre, c’est ma vie que j’ai vu défiler devant mes yeux. Sa description du milieu musical et les travers des acteurs corrobore en gros, ce que j’en savais pour l’avoir suivi depuis cinquante ans à travers la presse spécialisée. Pour autant, Nick Kent n’est pas Dieu et son livre n’est pas les Tables de la Loi, il faut donc le lire avec le recul nécessaire car revers du journalisme gonzo, à trop s’immerger dans son sujet on peut être sincère mais perdre parfois de vue l’objectivité de ses propos.
Un bon bouquin qui viendra rejoindre le rayon déjà fourni de ma bibliothèque, section musicale. J’allais oublier, un précieux index en fin de livre permet de retrouver facilement les pages où sont cités les artistes.
« La toxicomanie renforce inévitablement le sentiment d’isolement de ses proies, mais je ne suis pas seul dans cette situation. Courant mai [1976], je passe quelque temps avec les Rolling Stones qui eux aussi se délitent dans une spirale d’abus de stupéfiants. Leur musique a perdu toute son énergie primale. Ian Hunter, plus tard, demandera à Bob Dylan, qui les voit sur scène à cette époque, ce qu’il a pensé du groupe qui incarnait les seventies. Il lui a simplement répondu, affichant un sourire cynique sur son petit visage insolent : « Apathy for the devil » »
Nick Kent Apathy for the devil - Les seventies, voyage au cœur des ténèbres Rivages Rouge
Traduit de l’anglais par Laurence Romance
N.B. Si vous avez lu cette chronique jusqu’au bout, j’en déduis que vous êtes amateur de rock et vous aurez noté que la traductrice Laurence Romance, est un nom qui ne vous est pas inconnu. Journaliste de rock elle aussi, vous avez certainement lu ses articles dans Best, Libération, Les Inrockuptibles ou le Rolling Stone français. Laurence Romance s’est aussi beaucoup illustrée sur les ondes et à la télé. Enfin, sachez qu’elle est la compagne de Nick Kent depuis plusieurs dizaines d’années.
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