Rick Bass : Là où se trouvait la mer
30/01/2014
Rick Bass, écrivain et écologiste américain engagé, est né en 1958 à Fort Worth (Texas). Fils d'un géologue, il passe lui-même une licence de géologie en 1979 puis jusqu’en 1987, il travaille comme géologue pétrolier à Jackson (Mississippi) où il écrit ses premières nouvelles. En 1987 il déménage avec sa famille dans la vallée du Yaak, à l’extrême nord-ouest du Montana. Là, il œuvre à la protection de sa région d'adoption, en particulier contre les routes et contre l'exploitation forestière. C'est ainsi que Rick Bass a été l'un des fondateurs de l'Association de sauvegarde des forêts de la vallée du Yaak. Il a également fait partie de plusieurs associations écologistes comme les Round River Conservation Studies, le Sierra Club ou la Montana Wilderness Association. Le roman, Là où se trouvait la mer, est paru en 1999.
Dans une vallée du Nord-Ouest du Montana, Swan un petit village perdu où vivent quelques hommes et femmes autour d’un bar et d’une épicerie bazar. Le Vieux Dudley, tyrannique géologue qui vit de ses rentes pétrolières au Texas, tient sous sa coupe deux jeunes hommes qu’il forme au métier. Il y a Matthew, le plus ancien et amant de Mel, sa fille qui habite à Swan et Wallis le plus jeune. Depuis plusieurs années, le Vieux espère trouver du pétrole à Swan mais malgré les nombreuses explorations tentées par Matthew, aucune trace du précieux liquide n’a été découverte. Entêtement, brimade, le Vieux Dudley envoie Wallis dresser la carte géologique du côté de Swan ( !) qui permettra enfin de mettre à jour un filon.
Wallis arrive au début de l’hiver dans cette petite bourgade ensevelie sous la neige. Il loge chez Mel où la présence virtuelle de Matthew est prégnante et il fait la connaissance d’Helen qui a élevé le garçon, d’Amy et de son jeune fils Colter, de Danny et Artie qui gèrent le bar devenu place du village. Mel étudie les loups, dressant des cartes signalant leur présence, Wallis étudie le terrain, dressant une carte pour déterminer le lieu où se trouve le pétrole.
Le roman s’étale sur une année, les quatre saisons, durant lesquelles Rick Bass va tisser une œuvre à plusieurs facettes qui entreront toutes en résonnance. Compte-rendu de l’évolution de ce microcosme humain, les sentiments entre Mel et Wallis bien entendu, les visites courtes mais tonitruantes du Vieux Dudley avec Matthew, la vie, la mort, une naissance ou un départ au loin, le cycle de la vie qui passe. A ces portraits psychologiques forts (Le Vieux Dudley !), s’ajoute en toile de fond, le rythme des saisons, la neige qui coupe le village du reste du monde, la flore et la faune, les ours qui hibernent, les loups qui chassent les daims, le bois qu’il faut couper, la viande dont il faut garnir le saloir si l’on veut survivre à la rude saison. Il y a aussi ces carnets, écrits par Dudley quand il était jeune, cette histoire du monde et de l’origine de la vie, que Wallis découvre et dont le texte vient en contrechant mettre en perspective le récit. Enfin en fil rouge, ce pétrole existe-t-il et si oui, la vallée sera-t-elle détruite par les puits de forage qui viendront en déflorer la virginité ?
Le roman a failli être excellent, il n’est que bon. Rick Bass sait être sublime quand il évoque la Nature, on sent alors que sa plume puise dans ses croyances profondes, ce que j’avais déjà apprécié dans son Journal des cinq saisons. Ou quand il évoque sous nos yeux des scènes inoubliables, les caribous à la fenêtre du bar, le massacre de l’ours par des ouvriers venus construire une route, le canot emportant au fil de l’eau un cadavre comme dans un rite primitif… Par contre, je l’ai trouvé moins bon quand il multiplie les invraisemblances, si certaines sont acceptables sous couvert de licence poétique, d’autres agacent comme par exemple cette scène où deux personnages cherchent un sapin pour Noël, à minuit, dans la forêt qui disparait sous les averses de neige ! Ou le Vieux Dudley qui mange des poignées de farine parce qu’il a faim… Ces invraisemblances de situation contrastent avec la précision des détails pratiques liés à la vie dans ces rudes contrées que l’auteur connait bien. Et puis, le roman est un peu trop long (six cents pages). Un bon roman donc, mais loin de ce qu’il aurait pu/dû être.
« Une pleine lune planait très bas à l’est et, alors qu’ils la regardaient, ils virent qu’une éclipse lunaire était en train de se produire. Ils crurent tout d’abord qu’il s’agissait d’une série de nuages noirs qui s’avançait en contrebas et ils n’y firent pas attention. Ils se dirent, en revanche, qu’il était bien étrange d’entendre les loups hurler de manière aussi plaintive, et que les coyotes et les chouettes faisaient un drôle de raffut. Puis ils remarquèrent cette masse sombre qui gagnait du terrain, la beauté de cette vue leur donna le frisson, de même qu’un étrange choc, à voir une des choses les plus essentielles de leur vie en train de disparaître aussi régulièrement. Ils avaient beau savoir ce qui était en train de se passer, ils n’en ressentirent pas moins une accélération inexplicable des battements de leur cœur, ainsi qu’une grande solitude. Ils ne pouvaient se détacher du spectacle, qu’ils regardaient avec un étonnement profond : comment une chose pouvait-elle être à la fois aussi effrayante et aussi belle ? »
Rick Bass Là où se trouvait la mer Christian Bourgois Editeur
Traduit de l’anglais par Anne Wicke
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