Ron Rash : Une terre d’ombre
31/01/2014
Ron Rash, né en Caroline du Sud en 1953, titulaire d’une chaire à l’Université, écrit des poèmes, des nouvelles et des romans. Son premier roman paru en France en 2009, Un pied au paradis, a fait forte impression et Serena en 2011, l’impose comme l’un des grands écrivains américains contemporains. Son nouveau livre, Une terre d’ombre, vient tout juste de paraître.
Laurel vit seule avec son frère Hank, revenu de la Première Guerre mondiale qui fait encore rage en Europe amputé d’une main, dans la ferme héritée de leurs parents. La maison est à l’écart du monde, dans un vallon qu’on dit maudit, au pied d’une falaise en faisant une terre d’ombre. Laurel est tenue à l’écart par les habitants de la ville proche en raison d’une tache de naissance qui la désignerait comme sorcière. Leur seul ami, le vieux Slidell qui leur donne un coup de main par-ci, par-là, soit pour les travaux de la ferme, soit pour les accompagner en ville avec sa carriole.
Hank envisage de se marier avec Carolyn lorsque son père l’aura jugé assez apte à tenir une ferme quand on n’a plus qu’une seule main et Lauren s’imagine vivre avec le couple. Jusqu’au jour où apparait un mystérieux vagabond, il est muet et joue divinement de la flûte. Désormais la vie de Laurel va changer.
Dès les premières pages le lecteur est pris par l’écriture lyrique de Ron Rash, cette petite musique envoûtante émanant des mots et des phrases ainsi que par le mystère qu’on sent s’insinuer dans la narration. Si nous en savons plus que Lauren et Hank, Walter le musicien s’est échappé d’un camp de prisonniers et désire rejoindre New York, pour autant nous ne savons pas pour quel motif il était emprisonné, ni pourquoi il tient tant à cette destination. Comme l’écrivain ne manque pas d’habileté pour décrire des actions dont l’explication n’est fournie qu’à postériori, le lecteur reste parfois un temps dans l’ignorance ou l’incompréhension, une délicieuse incertitude qui rajoute au charme de la lecture.
Et quelle idée géniale d’avoir fait de Walter, un muet ! Sans en révéler trop, on devine aisément que l’inconnu va troubler la charmante Laurel, toute prête à tâter de la flûte à Walter. Et où tant d’autres se seraient fourvoyés dans une romance mièvre, en privant de parole l’un des protagonistes, Ron Rash nous évite des dialogues nunuches mais qui obligent l’écrivain à nous émouvoir par des moyens plus subtils, ce qu’il réussit parfaitement. Econome de mots et écourtant les situations, Rash nous offre un roman assez court mais assez fort pour séduire tous les publics, en un final tragique mais quasi obligatoire pour que le bouquin tienne ses promesses jusqu’au bout.
Si Lauren et Walter sont au premier plan, l’auteur utilise ses héros pour dénoncer la folie des hommes durant les guerres, ici la chasse aux Allemands en terre américaine supposés être des espions et d’une manière plus général, le rejet des autres comme cette soi-disant sorcière, tout en s’interrogeant sur le rôle des choix que la vie nous impose et qui feront de nous, ce que nous sommes.
« La falaise la dominait de toute sa hauteur, et elle avait beau avoir les yeux baissés, elle sentait sa présence. Même dans la maison elle la sentait, comme si son ombre était tellement dense qu’elle s’infiltrait dans le bois. Une terre d’ombre et rien d’autre, lui avait dit sa mère, qui soutenait qu’il n’y avait pas d’endroit plus lugubre dans toute la chaine des Blue Ridge. Un lieu maudit, aussi, pensait la plupart des habitants du comté, maudit bien avant que le père de Laurel n’achète ces terres. Les Cherokee avaient évité ce vallon, et dans la première famille blanche à s’y être installée tout le monde était mort de la varicelle. »
Ron Rash Une terre d’ombre Seuil
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez
6 commentaires
Ouaip, je veux le lire! (comme les trois premiers, eux c'est fait!)
Moi non plus je n'ai pas hésité quand j'ai vu le roman sur la table de mon libraire. Par contre, à mon grand étonnement, je me suis aperçu que j'en avais manqué un... il faudra que je remédie à cette erreur.
Rash, c'est beau, émouvant mais tellement prévisible...
C'est exactement le même schéma narratif que le précédent lui aussi très beau...Contemplatif mais pas addictif pour moi.
Bonne continuation.
Wollanup
Je comprends ce que vous voulez dire, mais ce genre de reproche peut être appliqué à de nombreux autres écrivains. Quand ils tiennent un filon… Néanmoins je trouve que Ron Rash – que j’ai découvert récemment – est un écrivain très attachant et pour l’instant je ne m’en lasse pas et guette ses prochaines parutions.
Voilà un billet qui me tente beaucoup, je n'ai pas encore essayé Rash, j'hésitais pour Serena, mais là, je vais me lancer, c'est sûr !
Dans un précédent commentaire je disais avoir découvert l'écrivain depuis peu mais depuis je ne peux plus m'en passer ! Allez-y sans hésitation, c'est une valeur sûre.
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