Julien Suaudeau : Dawa
09/03/2014
Julien Suaudeau, né en 1975, vit à Philadelphie et c’est tout ce que j’ai pu récolter sur sa biographie. Dawa est son premier roman.
« Dans une France post-républicaine, en proie au vertige identitaire et aux marchandages politiques, deux hommes sombres poursuivent une vengeance au long cours, l'un derrière l'illusion du djihad, l'autre sous le masque de la loi. Autour d'eux, au cœur de l'Etat ou sur les dalles de la banlieue parisienne, la violence de leur idée fixe va renverser le destin d'inconnus, sans épargner ceux qu'ils aiment. » Ou bien, pour le dire avec mes mots, il s’agit pour les autorités de contrer la menace d’un attentat terroriste de grande ampleur visant le cœur de Paris, avec d’un côté un responsable de la DGSI voulant venger la mort de ses parents tués par le FLN au début des années 60, détournant « au bénéfice d’une vendetta privée, le pouvoir et les moyens qui lui sont dévolus dans le cadre de ses fonctions » et de l’autre, le fils d’un important membre du FLN qui s’est juré « de meurtrir ce pays qui avait tué Kader » son frère.
Julien Suaudeau nous offre un polar sociopolitique qui ne manque pas d’atouts dont le premier, et non des moindre, est de le rendre particulièrement actuel puisqu’il se déroule à quelques semaines des élections municipales de 2014 ! Climat politique pour le décor, mêlant des portraits saisissants de personnalités politiques réelles mais non citées et des personnages de roman très crédibles occupant des fonctions ministérielles ou de l’administration ainsi que des journalistes. Ambitions, pouvoir, combines ou concessions, le Qatar qui finance la droite comme la gauche, rancunes, j’avoue que cet angle du bouquin m’a particulièrement emballé, j’avais l’impression de lire Le Canard enchaîné ou une enquête d’un magazine d’information. Julien Suaudeau dresse un état des lieux assez noir de la société française.
L’écrivain sait aussi nous entrainer au cœur des cités, où Blacks, Blancs, Beurs font leur bizness comme ils peuvent. Des parkings à la mosquée, des salles de boxe aux couloirs du RER, nous traversons la capitale et ses banlieues. Des costards-cravates aux sweatshirts à capuche, Julien Suaudeau parait connaitre sur le bout des doigts tous les milieux, tous les codes et leur langage. Qu’on soit autour d’une table avec ministres et fonctionnaire lors d’une cellule de crise ou bien au fond d’une cave entre Rebeus et Renois, l’auteur est chez lui partout, Comédie humaine d’aujourd’hui, le roman décrit avec brio la psychologie des acteurs et les lieux où ils évoluent. Mais, et c’est là son unique défaut, à vouloir faire son Balzac en un seul volume, la masse d’évènements et de personnages en font un roman trop long à mon goût – surchargé, pas assez dégraissé, le piège du premier roman ? Je sais que je me répète avec ces romans que je trouve souvent trop longs, mais pour moi c’est réellement la plaie principale de la littérature.
Julien Suaudeau écrit bien, de ce genre d’écriture qui prend son temps, loin du style énervé ou énergique cher à certains polars d’action. Ici la psychologie des uns et des autres est le tronc sur lequel sont greffées les ramifications narratives. Son domaine de connaissances est vaste, de la langue arabe aux arcanes du pouvoir, ponctuant son récit d’analyses géopolitiques ou de références diverses à l’Histoire récente. Polar ou thriller mais empreint d’un certain romantisme qui agace un peu parfois quand les motivations du terroriste complaisamment exposées – « Je voudrais accomplir quelque chose de grand par ma mort, qui prouvera à tous ces gens que je n’étais pas rien » - laissent un goût amer qui n’est pas dissipé par celles du représentant de la République - « Je vivrai pour te tuer, et j’aimerai le seul jour de ta mort » - qui renvoient dos à dos, les deux camps puisqu’ils se font chacun une idée toute personnelle de la justice.
Concluons, un bon roman plein de bonnes choses mais avec des longueurs… et une interrogation restant sans réponse, pourquoi page 471, évoquer le vendredi 13 mars alors qu’à cette date (qui en passant est aussi la date de parution du bouquin !) nous serons un jeudi ?
« Je pense que le problème de ce pays n’est pas de nature culturelle ou idéologique, mais sociale. Vous avez parfaitement le droit d’avoir une vision magique du monde et d’être convaincue, à l’image de tous vos collègues, que tout ira mieux lorsque vous serez aux affaires. La réalité, dont les gens comme moi ont le devoir de se préoccuper, c’est que les choses continueront à se dégrader, drones américains contre djihadistes, tant que dix à vingt pour cent des Français croupiront dans un état de misère morale et économique. Il n’y a pas de guerre des civilisations, d’islam contre les valeurs occidentales. Il n’y a que des pauvres, des culs-terreux au front épais et à gamelle creuse, dont la religiosité est un réflexe de fierté infantile, une tentative de reconquête de soi face à un consumérisme qu’ils identifient aux Etats-Unis et à Israël, parce qu’ils continuent à s’appauvrir pendant que la rente engraisse. Vous pouvez rire, mais croyez-vous que les talibans existeraient si le PIB des zones tribales était dix fois supérieur à ce qu’il est ? Eduquez-les, soignez-les, occupez-les, vous ne rencontrerez plus beaucoup de candidats au martyre ou à l’émeute. »
Julien Suaudeau Dawa Robert Laffont – 492 pages – (Parution prévue le 13 mars 2014)
Article de l'écrivain paru dans Libération en janvier dernier : ICI
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