Lettre ouverte aux éditeurs
21/03/2014
Lettre ouverte, quelle jolie formule pour dire aimablement qu’on va pousser un coup de gueule ! Car c’est bien de cela qu’il s’agit aujourd’hui, alors que s’ouvre le Salon du Livre de Paris, du 21 au 24 mars. Qui aime bien, châtie bien, dit un proverbe. Aussi voudrais-je ici dénoncer des pratiques qui m’insupportent pour ne pas dire plus.
L’année dernière les éditions Passage du Nord-Ouest ont édité un remarquable roman de Paul Beatty dont le titre original, The White Boy Shuffle, a été traduit (sic !) par American Prophet. De qui se moque-t-on ? Soit on conserve le titre original d’un livre, soit on lui donne un titre en français. Dans le cas présent, on ne sait pas s’il faut hurler après ces anglicismes qui nous envahissent à longueurs de spots de pub - et dans le domaine littéraire avec ce bouquin, c’est un comble ; à moins qu’il ne faille hurler de rire devant la bêtise de celui qui a eu cette idée lumineuse.
Autre sujet d’agacement, plus puissant encore. Christian Bourgois a sorti dans sa collection Titres le roman de Leo Perutz, Le Tour du cadran. Là, c’est la quatrième de couverture qui me fait hurler mais pas de rire, croyez-moi. Je cite : « Stanilas Demba est étudiant à Vienne. Il dérobe trois livres à la bibliothèque dans le but de les revendre, mais le troisième acheteur, suspicieux, appelle la police. Menotté, Demba s’échappe de justesse en sautant par la fenêtre. » En trois phrases, l’éditeur vient de tuer le roman car l’écrivain ne révèle que son héros a les mains entravées qu’au chapitre huit, c'est-à-dire après cent pages, ce qui est le point fort du roman ! Pour l’effet de surprise vous repasserez, circulez il n’y a plus rien à voir.
Je ne vais pas m’étendre plus sur les quatrièmes de couverture, car recenser toutes les âneries qui s’y nichent serait trop long, il faudrait en faire un livre. Celles qui annoncent des suspenses là où il n’y en a pas, celles qui révèlent le dénouement quand on lit entre les lignes ou qu’on a un minimum d’imagination…
Enfin, j’en terminerai avec une tendance qui tend à se développer, l’écriture de nouveaux romans mettant en scène un héros connu du monde littéraire mais dont l’auteur est décédé. Juste quelques exemples : Philip Marlow de Chandler revivra sous la plume de l’écrivain irlandais John Banville (Benjamin Black de son pseudo), Hercule Poirot d’Agatha Christie ressuscitera grâce ( ?) à la britannique Sophie Hannah alors que Sebastian Faulks a fait reprendre du service au Jeeves de P.G. Wodehouse dans Jeeves and the Wedding Bells etc. Je ne critique pas la qualité de l’écriture, peut-être même qu’il est impossible de faire la différence entre ces resucées et un original de l’écrivain disparu ; ce que je déplore c’est « l’idée » qui pue le marketing et où toute considération littéraire n’a plus cours.
A travers ces quelques exemples je voulais dénoncer des pratiques où l’on ne peut voir que mépris envers les lecteurs et moquerie pour les écrivains – à moins que ce ne soit l’inverse. Alors, si vous aussi vous en avez assez de hurler tout(e) seul(e) dans votre coin, profitez des commentaires pour ajouter à mes griefs vos motifs d’insatisfaction.
Je sais très bien que mon coup de gueule ne servira à rien mais si vous saviez combien ça me soulage…
9 commentaires
Je ne peux que partager votre point de vue, je râle assez souvent sur ce sujet.
Pour les traductions de titre, au cinéma vous avez Le week end (titre original) traduit Week end. Moi j'aimais bien ce "le" (l'histoire se passe à Paris)
J'ai déjà râlé contre les quatrièmes de couvertures qui racontent tout
Voici un billet où finalement je m'éclatais pas mal
http://enlisantenvoyageant.blogspot.fr/2010/04/les-3-erreurs-de-ma-vie.html
Récemment j'ai découvert le bandeau sur la couverture qui raconte un détail important d'une histoire...
Oui, les éditeurs exagèrent.
Quant à Jeeves, j'ai une palanquée de ses aventures chez moi, je peux les relire, pas besoin d'en ajouter.
Keisha, je lis avec intérêt votre billet datant de 2010 et qui est en phase parfaite avec mes propos. Le plus extravagant avec ces quatrièmes de couverture, c’est qu’il y a celles qui veulent absolument fourguer leurs bouquins (ce n’est pas une excuse valable à mes yeux mais je comprends) et celles qui sont de la pure bêtise crasse et là… je ne sais pas quoi dire ! Quant à Jeeves, dont moi aussi je suis un admirateur absolu, il n’est pas question que j’aille voir ce qu’en a fait un autre que P.G. Wodehouse. Non mais !
J'aime bien ce coup de gueule, en plus il attire mon attention sur le roman de Paul Beatty que je n'ai pas encore lu
De temps à autre les éditeurs nous prennent pour des pigeons, c'est exactement ce qu'ils font en envoyant des livres gratuits aux blogueurs qui très gentiment font de la pub pour pas un rond ! Quand on sait ce que coûte une publicité dans les journaux !
Il y a quelques mois j'avais poussé un coup de gueule contre Actes sud qui se fait le spécialiste de ressortir des livres déjà édités sous un autre titre sachant bien que des lecteurs se feront avoir : exemple l'excellent livre de Nooteboom sur l'Espagne qui parut une fois sous le titre Désir d'Espagne puis ressorti sous Le labyrinthe du pèlerin, mes chemins de compostelle, beaucoup plus porteur au moment ou le chemin de Compostelle reprenait vigueur
enfin un livre de Manguel (que par ailleurs j'apprécie) une réédition à 70 % de textes déjà paru avec un ajout de 2 ou 3 textes nouveaux pour faire passer la pilule, je ne veux pas croire que ce soit sous la pression d' auteur qui n'a pas besoin de ça mais bien une façon pour l'éditeur de se faire une petite santé sur le dos du lecteur
ouh j'arrête là, je me sens mieux :-)
- Pour Paul Beatty j’en confirme l’excellence et je l’ai chroniqué il y a quelques mois.
- Concernant l’envoi de bouquins aux bloggeurs, je serai moins sévère mais ça rejoint mon billet-débat de vendredi dernier : si les bloggeurs sont honnêtes et n’hésitent pas à dire que c’est mauvais quand ça l’est, je ne vois pas d’objection à ces envois (au contraire !), il y a là un partenariat profitable à tous.
Quant au livre de Manguel, que moi aussi j’apprécie (comme tous ceux qui aiment lire, non ?) voilà un travers de l’édition que nous ajouterons à la liste.
Je constate que l’effet bénéfique du coup de gueule ne vous a pas échappé….
Il y aussi sur le livre ou en bandeau l'avis de divers auteurs "mirifique" "à lire", etc... qui me feraient plutôt fuir si l'auteur qui débite ses louanges n'est pas mon préféré. Donc de l'anti promotion, finalement...
Pour les SP, je les sélectionne pas mal en amont, donc ils sont bons la plupart du temps et j'en dis du bien (mais j'en dis du mal s'ils le méritent)(voir débat précédent ^_^).
Je ne rechigne pas à remercier des éditeurs quand leur livre est vraiment TB, et j'ai un amour particulier pour les "petits" éditeurs. Je ne rate pas une occasion de leur faire de la publicité (même si j'ai acheté le livre!)(voir mon dernier de chez Transboreal, lundi)
« l'avis de divers auteurs "mirifique" Là, si je vous lis bien, votre avis est ambigu car s’il s’agissait d’un écrivain que vous admirez… ? Par ailleurs les auteurs qui ne vous inspirent pas, ont peut-être un effet inverse pour d’autres lecteurs. Je ne réponds pas à la dernière partie de votre commentaire et je demande aux autres d’en faire autant pour l’instant, car ce sera le sujet d’un prochain débat auquel je consacrerai un billet prochainement. Il se peut que les week-ends soient le jour des débats sur ce blog… tant que j’aurai de la matière.
Si l'auteur de la louange est un auteur que j'aime, je peux être tentée, mais je ne considère pas son avis comme forcément le même que le mien... Bref, tout est possible, quand on sait que de toute façon c'est pour une promotion ...
Hier au salon du livre je suis passée chez Transboreal, stand tenu par un des responsables, qui a dit lire chacun des livres édités 4 ou 5 fois. Ces petits éditeurs ont évidemment quelque chose de plus!
(bilan, deux livres...)
En retard, mais je viens râler de concert ! Ces 4ème de couv sont souvent insupportables, du coup, je ne les lis plus jamais, ça résout le problème et je m'énerve moins...
Quant aux titres, c'est aussi parfois du grand n'importe quoi, mais comme souvent je ne connais pas les versions originales, ça me touche moins...
Un truc qui m'énerve dans l'édition en ce moment, c'est la mode des bouquins "je me raconte, ma vie, moi, mes proches, mon père, ma mère, mes frères et mes soeurs..." et si possible si tout le monde est névrosé... A part quelques auteurs qui ont un vrai talent pour la chose (Delphine de Vigan par exemple), le reste est du nombrilisme et franchement, on s'en tape, non des problèmes psychotorturés des auteurs et de leur famille !?
Autant j’adore lire, autant les éditeurs m’agacent ! Globalement bien entendu car tous ne sont pas à loger à la même enseigne, sauf que ce sont les plus bruyants ou voyants qui sont les plus agaçants aussi… Autre travers horripilant, c’est comme vous le dites, ces « modes » qui mettent des thèmes en valeur pendant une période et voient fleurir des piles de bouquins sur les étals des libraires. Mais dans ce cas, parle-t-on encore de littérature ?
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