Patrick White : Eden-Ville
28/09/2014
Patrick White, né en 1912 à Londres et décédé en 1990 à Sydney, est un écrivain australien d'expression anglaise. Adolescent et de retour en Australie, il travaille comme gardien d'élevage, puis écrit des poèmes et des nouvelles, tout en préparant son entrée à l'université dont il sort diplômé en 1935. Il entame alors une carrière littéraire à Londres avec un recueil de poésie puis avec un roman et une pièce de théâtre. Homosexuel, White rencontre en 1936 le peintre Roy de Maistre, de 18 ans son aîné, qui a une influence majeure dans sa vie et sur son œuvre, il lui dédiera d’ailleurs son roman Eden-Ville, paru en 1939. Au moment du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, il se rend à Londres et rejoint la Royal Air Force britannique, où il devient agent du renseignement. En mission au Moyen-Orient, il a une liaison avec un officier de l'armée grecque, Manoly Lascaris, qui devient son compagnon. À son retour en Australie, il s'installe avec lui comme horticulteur et éleveur de chèvres dans une ferme à Castle Hill, dans la banlieue de Sydney, où s’épanouira son amour de la nature. Patrick White reçoit le prix Nobel de littérature en 1973.
A Eden-Ville, localité rurale australienne, la vie est rythmée par les saisons, l’été est très chaud et l’hiver très froid inspire la terreur. Au cœur de ce microcosme évoluent des familles et des êtres de classes sociales variées. Olivier Halliday, le médecin, marié à Hilda son aînée atteinte de phtisie, ils ont deux jeunes fils Rodney et Georges ; la famille Furlow, des propriétaires terriens élevant des moutons, ils ont une fille Sidney, âgée de dix-neuf ans ; il y a aussi Mr Belper, le directeur de la banque ; les Moriarty, Ernest l’instituteur et sa femme Vic ; Ethel l’épouse de l’épicier Chinois Walter et leur gamine Marguerite. Sans oublier Alys, célibataire et professeur de piano. D’autres personnages secondaires animent la petite ville et puis arrive Hagan, le nouveau régisseur des Furlow.
Comme dans toutes ces petites villes, chacun vaque à ses occupations et offre une image de façade cachant des pensées secrètes, des espoirs vains. Les jeunes filles se languissent, les mères étouffent de leurs vies ternes. Certains voudraient partir vers une grande ville, d’autres vers des régions plus tempérées. Olivier aura une liaison avec Alys, réelle mais très pure aussi, envisageant de partir ensemble. Ernest, poussé à bout, étranglera sa femme Vic qui le trompe avec Hagan. Les enfants, Rodney et Marguerite, ont leurs premiers battements de cœur, tandis que Sidney bouillonne de sexualité troublante. Et la ville, présence muette mais prégnante, retenant en ses murs ces humains insatisfaits.
Le roman est en deux parties, la première présente les acteurs et les lieux, le poids des saisons et du temps, ça m’a semblé bien long et je me suis forcé à poursuivre, bien m’en a pris car cette construction n’est pas anodine, elle permet de mieux faire ressentir au lecteur « que l’accumulation progressive du contenu de ces années devait fatalement aboutir à une explosion finale. » La seconde partie, plus psychologique baigne dans l’érotisme soft et la sensualité, on pense inévitablement à D.H. Lawrence avec le personnage de Hagan, régisseur amant de la femme de l’instituteur mais aussi convoité par la jeune Sidney. Patrick White décrit le jeu du pouvoir amoureux parfaitement maîtrisé par l’adolescente, « Il va attendre, il se demandera si j’ai parlé. Je l’observerai pendant qu’il attendra et doutera. »
L’écrivain excelle à peindre le tourment des âmes, les non-dits et la communication difficile entre les personnages « Il y a tant de choses que je voudrais lui dire mais je ne sais ni par quoi commencer, ni comment les exprimer ». Quant à l’écriture, elle est très originale dans sa forme, dans le rythme de ses courtes phrases, même si c’est à Joyce qu’on pense alors, avec ces dialogues sans guillemets ou tirets, ou bien quand les pensées des acteurs sont mêlées au texte sans s’en démarquer par une ponctuation particulière.
Un très beau roman mais qui se mérite, car il faut accepter les longueurs apparentes qui servent le dessein de l’écrivain, pour en extraire de magnifiques instants qui finissent par emporter l’adhésion.
« Il hocha la tête, les yeux fermés, avec l’espoir d’être plaint. Elle l’examina en fronçant les sourcils. Ces crises le prennent toujours la nuit. C’est insupportable. Ma patience est à bout, je suis un être humain après tout… La vie avec Ernest ? Une suite de crises d’asthme. Elle regarda, écroulé dans le fauteuil, l’homme qu’elle avait épousé, celui que sa moustache rendait si distingué à l’époque où il léchait des timbres chez Daisy. Et c’est pour ça que je me suis mariée ! C’est vraiment surprenant que je ne sois plus vierge… la distinction c’est très joli, mais il est trop maigre… Quand il boit sa moustache trempe dans son thé et ces longs caleçons qu’il porte par crainte de se refroidir ! Imaginez un homme avec des caleçons qui dépassent jusque sur les chaussettes ! Elle donna un coup dans un coussin. »
Patrick White Eden-Ville Gallimard collection L’Imaginaire – 438 pages –
Traduit de l’anglais (Australie) par Marie Viton
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