Serge Joncour : L’Ecrivain national
01/10/2014
Serge Joncour, écrivain français né en 1961, pratique différents métiers avant de se lancer dans l'écriture (publicité, maître nageur). Il publie son premier roman, Vu, en 1998. Il est aussi, avec d'autres artistes et écrivains, l’un des protagonistes de l'émission de radio Des Papous dans la tête sur France Culture. Auteur d’une dizaine de romans dont certains ont été adaptés au cinéma, L’Ecrivain national est son dernier paru il y a quelques semaines.
Un écrivain est convié à résider pendant quelques semaines dans une petite ville du Morvan. Il devra y animer des ateliers d’écriture, participer à des réunions de présentation de ses livres devant des lecteurs et assister à des raouts organisés par la mairie. A peine arrivé, l’écrivain lit dans le journal qu’un vieux retraité, Commodore, a disparu. La rumeur le dit secrètement riche et un couple de marginaux d’origine étrangère, Dora et Aurélik, est soupçonné de l’éventuel crime. Troublé par la photo de Dora, l’écrivain va tenter d’en savoir plus.
« L’Ecrivain national », terme dont l’affuble le maire du village dans un discours de bienvenue, ne prénomme Serge et il a écrit un roman qui s’appelle Vu, autant dire qu’il s’agit de Serge Joncour lui-même, pris comme héros de son propre roman. Le bouquin avance sur deux fronts, l’intrigue vaguement policière ou du moins mystérieuse liée à la disparition d’un vieil homme à la vie étrange, une guerre d’Indochine, une épouse asiatique repartie dans son pays du jour au lendemain et les à-côtés de la vie des écrivains comme ces invitations dans de petites villes de province, les discussions avec leurs lecteurs dans les librairies, les séances de dédicaces etc.
C’est ce second point qui m’a décidé à me plonger dans cet ouvrage car il est toujours intéressant d’aller faire un tour dans les cuisines pour voir comment sont confectionnés les plats. Sans révélations fracassantes, on devine que ces escapades sont un mélange de joies et de corvées pour les écrivains. Plaisir de pouvoir mettre des visages sur leurs lecteurs, expériences et rencontres sources d’enrichissement voire d’inspiration pour d’autres livres – amusante mise en abyme quand l’Ecrivain national jure à un interlocuteur ne pas vouloir utiliser le fait divers de la disparition de Commodore comme sujet de roman, alors que c’est exactement ce que fait Serge Joncour dans le sien ! Mais ce sont aussi les corvées de réceptions en mairies ou bibliothèques avec champagne et jus d’orange devant des publics plus attirés par le buffet que par la « vedette ». Serge Joncour en profite pour placer quelques vérités sur son métier, « tout destin est exceptionnel, mais une vie ne suffit pas à faire un livre, un livre c’est bien plus que ça, et bien moins tout en même temps », à moins qu’il ne s’interroge « au départ qu’est-ce qui donne l’envie d’écrire un roman, concrètement ça part de quoi ? » Bien entendu j’aurais voulu que cet angle soit encore plus développé qu’il ne l’est ici…
Quant à l’intrigue, elle apporte une petite dose de mystère bienvenu et permet à l’auteur de dresser un portrait (convenu) des villes de province, où l’on tait ce que l’on sait surtout vis-à-vis des gendarmes, où chacun cache ses petites turpitudes, où les élus locaux jouent leurs cartes dans l’ombre, où l’étranger est toujours vu d’un œil méfiant etc. Où est passé Commodore, que magouillent Dora et Aurélik dans leur baraque au fond des bois et qui sont ces visiteurs venus de pays de l’Est qui passent souvent les voir ? Et ce projet d’usine à bois combattu par les écologistes, quelle est sa place dans tout cela. L’Ecrivain national, subjugué par Dora « cette brune souveraine », va se jeter corps et âme dans l’élucidation de l’intrigue.
Un roman épatant qui tire sa force de l’écriture de son auteur, limpide, très simple, jamais de mots rares ou de tournures de phrases intimidantes. Ce qui ne veut pas dire que ce ne soit pas travaillé, l’apparente facilité cachant souvent au contraire, un gros travail d’écriture. Ca se lit très vite, le rythme est enlevé, soutenu par un humour sous-jacent ou une certaine dérision.
« Qui n’a pas quelque chose à cacher à son voisin, en particulier ceux-là. Dans les deux cas il s’agissait de marginaux, d’êtres limites, pas conventionnels, dans la bâtisse principale il y avait un solitaire au passé tumultueux, et juste en-dessous, près de la rivière, un couple aux revenus douteux qui drainait toute une communauté à géométrie variable. De l’un je retenais qu’il avait un passé enfoui et de l’argent caché, un semblant de famille reparti en Asie, des deux autres je savais qu’ils étaient venus d’ailleurs sous prétexte de réinventer leur vie, de faire un jour du théâtre ou des légumes bio, profitant peut-être de cet isolement pour se livrer à des activités douteuses. »
Serge Joncour L’Ecrivain national Flammarion – 390 pages –
2 commentaires
En dépit du fait que son précédent roman me soit tombé des mains (roman français contemporain, j'ai du mal) j'ai une forte envie de lire ce dernier, pour les mêmes raisons que vous d'ailleurs.
Attention néanmoins car comme je l’ai écrit, l’objet de mon intérêt pour ce livre est moins développé que ce que j’aurais souhaité… Par contre, j’avais lu « L’Homme qui ne savait pas dire non » et j’avais bien aimé aussi, y trouvant les mêmes caractéristiques qu’ici : une écriture limpide et directe, un roman qui se lit très facilement, un léger humour ou dérision permanent…
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