Karl Ove Knausgaard : La Mort d’un père
30/06/2015
Karl Ove Knausgaard, né en 1968 à Oslo, est un romancier norvégien connu pour son cycle de romans autobiographiques intitulé Mon combat. Après des études d'art et de littérature à l'université de Bergen il publie un premier roman en 1998 et reçoit pour son livre le prix de la Critique. Karl Ove Knausgaard vit en Suède avec sa femme, elle aussi écrivain, et leurs quatre enfants. La Mort d’un père qui date de 2009 et premier volume des six composant le cycle, vient d’être réédité en poche.
Le bouquin est divisé en deux parties, la première - assez banale d’un point de vue narratif - présente les acteurs, évoque la jeunesse de l’auteur et sa famille. Son père professeur au collège et membre du conseil municipal sur une liste de gauche, sa mère et son frère aîné Yngve. L’empreinte du père est forte sur Karl Ove, dès qu’il entre dans la maison l’atmosphère change et tout le monde se tient à carreau, heureusement il y a sa mère, « Avec elle, je pouvais parler, et de tout. Avec papa, je ne pouvais rien dire. » Les années passent, l’adolescent a les préoccupations des garçons de son âge, les copains, le rock et les filles et une propension à l’alcool. Cette partie s’achève sur le divorce de ses parents et un échange abrupte entre le père et le fils, « - Ta mère et moi avons décidé de divorcer, dit-il. – Ah bon ? »
La seconde partie entre dans le vif du sujet. Karl Ove est adulte, marié, sa femme attend leur enfant et lui écrit son second roman. Le père décède et le texte prend une tournure plus dense et plus dure. Le père était devenu un alcoolique total, revenu vivre chez sa vieille mère, faisant de leur maison un taudis ignoble, ce que découvrirons les deux frères venus s’occuper des formalités de l’enterrement. L’écrivain déploie alors tout son talent à marier les scènes du présent, l’insoutenable état des lieux à récurer et la grand-mère devenue sénile, les souvenirs du passé revenant en mémoire de Karl Ove Knausgaard où petit à petit, la personnalité de son père se dessine plus clairement.
Roman très compact, très dense, les détails les plus anodins abondent et les interrogations existentielles de l’auteur, ainsi que l’analyse de ses souvenirs, ne sont pas sans évoquer à la lecture de quelques pages, une sorte de Proust nordique, du moins y ai-je pensé une fois ou deux. Certaines scènes sont pénibles à lire, sentiment renforcé par le fait qu’on suppose qu’elles ont dû être encore plus pénibles à écrire ! Etaler ainsi cette intimité familiale pas toujours reluisante, est certainement une épreuve à haut risque. En me renseignant sur l’auteur, j’ai appris sans étonnement que le livre avait créé une polémique au sein de sa famille et ouvert un débat national « sur ce que devrait être la littérature et la place à accorder au privé dans une écriture rendue publique ».
Le livre aborde aussi, l’essence de l’écriture, « Qu’un autre constituant de la littérature, comme le style, l’intrigue ou la thématique, prennent le dessus sur la forme, et le résultat est médiocre. (…) Il faut que la puissance du style et de la thématique se décompose pour que la littérature apparaisse », mais aussi des réflexions sur l’Art qui lui-même renvoie à la Mort et donc au cœur de ce bouquin fascinant.
J’ai lu cet ouvrage par hasard (envoi d’office par l’éditeur). Je m’y suis lancé dubitativement, craignant l’ennui qui n’était jamais loin au fur et à mesure que les pages défilaient (au début) mais pourtant, impossible de le lâcher. J’ai dit précédemment, bouquin fascinant, et je pense que c’est là sa grande force, KOK (l’homme) m’a énervé, agacé, ému… A cette heure, je ne sais pas si j’ai vraiment envie de lire les cinq autres volumes (Mais si Monsieur Folio insiste…) par contre ce qui est sûr, c’est que finalement je ne regrette pas d’avoir vécu l’expérience de celui-ci.
« … un corps en train de pourrir quelque part. Ce côté-là de la mort, celui qui a trait au corps concret et physique, cette mort-là, on la cache avec un soin si grand qu’il confine à la frénésie et c’est efficace, écoutez seulement comment les témoins involontaires d’un accident mortel ou d’un meurtre ont l’habitude de s’exprimer. Ils disent toujours la même chose, c’était complètement irréel, alors qu’en réalité ils veulent dire le contraire. C’était tellement réel. Mais nous ne vivons plus dans cette réalité. Tout a été mis sans dessus sans dessous, pour nous, le réel est irréel et l’irréel est réel. Et la seule grande chose qui reste au-delà du saisissable, c’est la mort, uniquement la mort. C’est pour cette raison qu’on la cache. Car elle est certes au-delà du nom et au-delà de la vie, mais pas au-delà du monde. »
Karl Ove Knausgaard La Mort d’un père, Mon combat, Livre premier Folio – 539 pages –
Traduit du norvégien par Marie-Pierre Fiquet
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