Abé Kôbô : La Femme des sables
07/02/2019
Abé Kôbô (1924-1993) est un romancier, dramaturge et scénariste japonais qui développera très tôt un grand intérêt pour les mathématiques, la philosophie (Heidegger, Jaspers, Nietzsche) et la littérature (Dostoïevski et Edgar Allan Poe). Après son service militaire, expérience qui le rendra profondément antimilitariste, il se lance dans des études de médecine, de 1943 à 1948, tout en écrivant des poèmes et des nouvelles. Il échoue à plusieurs reprises à ses examens et abandonne ses études pour se consacrer totalement à la littérature.
Paru en 1962, son roman La Femme des sables a été adapté au cinéma par Hiroshi Teshigahara en 1964. On notera qu’Abé Kôbô, inscrit au Parti communiste japonais depuis 1945, en est exclu après la publication de cet ouvrage, dont le thème, la perte d'identité, n'est guère en accord avec l'idéologie communiste.
Un passionné d’entomologie s’offre un voyage en bord de mer afin d’explorer les dunes pour tenter d’y dénicher un insecte rare. Surpris par la tombée de la nuit il demande l’asile dans un tout petit village côtier. Le chef du village lui propose de passer la nuit chez une veuve dont la maison est au fond d’un trou de sable, l’accès se faisant par une échelle de corde. Le lendemain, l’homme constate que l’échelle a disparu et qu’il est de fait, prisonnier avec la femme…
Ca commence comme un possible roman de Kafka : un homme (jamais nommé, toujours appelé « l’homme », même si accessoirement on saura que son nom est Niki Jumpei) se retrouve subitement prisonnier d’une situation dont il ne comprend pas le sens, en compagnie d’une femme anonyme elle aussi (« la femme »), à la merci des villageois (« la clique »). Lentement nous découvrons que la femme est chargée de déblayer le sable entourant sa demeure, ce qui la protège d’un ensevelissement certain et récupéré par les villageois grâce à un système de paniers hissés par des cordes ; ce sable est ensuite vendu au profit de la communauté. Un rituel réglé comme une horloge, les paniers pour remonter le sable, une jarre d’eau potable descendue à la femme, une fois par jour, pour un deal très simple : pas de sable à remonter = pas d’eau potable.
La femme travaille sans se poser de questions ni rechigner, on imagine qu’elle est là depuis toujours, sachant qu’aucune fuite n’est possible (d’ailleurs, en a-t-elle seulement eu l’idée un jour ?), elle s’accommode de la situation. L’homme, au contraire, veut comprendre à quoi rime cette séquestration, puis il va échafauder mille scénarios pour s’échapper ; il est en perpétuel analyse de la situation, des faits et gestes de la femme et de « la clique », tente de raisonner scientifiquement.
Les jours, les semaines et les mois vont passer, les rapports entre l’homme et la femme évoluer. Favorisée par la promiscuité, une sorte de tendresse va les unir et quand après plusieurs années, la femme tombera enceinte, les villageois obligés de l’emmener à l’hôpital laisseront par inadvertance une échappatoire possible pour l’homme, mais celui-ci décidera de rester dans son trou pour attendre le retour de la femme.
Le roman a été couronné de multiples prix et jouit d’une renommée internationale. J’avoue être loin de partager cet avis. Certes ça se lit et j’étais très intrigué de savoir comment l’écrivain allait développer son affaire avec son Sisyphe japonais. Pour moi il s’agit d’un bon roman mais sans plus. Pour défendre ma position, je n’ai pas compris la différence de style d’écriture entre les cent-quarante premières pages du roman et la fin : tout le début du livre est fait de phrases à la tournure vieillotte ou empesée qui rejette en fin de phrase le mot fort (« Il lui fallait bien en convenir : de récolte qui fît figure de récolte, pas la moindre. » Ca m’a vite agacé et rendu ma lecture pénible. Alors que la fin du roman est écrite de manière tout à fait classique ! Autre point déroutant, je n’ai pas ressenti en lisant ce bouquin, ce «je ne sais quoi » qui me fait affirmer sans hésitation d’habitude, qu’il s’agit d’un roman japonais. Du coup je m’interroge, ai-je raté quelque chose, quelque part, ou bien la traduction laisse-t-elle à désirer ?
« Mon congé de trois jours, récapitulait-il, est depuis longtemps expiré. Il est trop tard : m’agiter désormais serait peine perdue… Dégrader la falaise de sable pour en adoucir la pente, ce tout premier plan a échoué, soit : mais à quoi servirait de me le répéter sans cesse ? Ferais-je pas mieux de reconnaître sincèrement qu’il y avait, de ma part, insuffisance de préparation ? Et puis, l’imprévu a joué contre moi : cette insolation, surtout, sans laquelle tout se serait bien passé !... Tout de même, creuser le sable est besogne plus dure que je ne me l’imaginais… Il me faut trouver plus habile moyen, quelque chose d’infailliblement efficace… ! »
Abé Kôbô La Femme des sables Le Livre de Poche – 318 pages –
Traduit du japonais par Georges Bonneau
« Tu ne les connaissais pas, non, ces petits entonnoirs, ces petits enfers creusés par la larve du fourmi-lion pour y attendre l’autre fourmi, celle qui y tombera ! »
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