Chris Offutt : Nuits Appalaches
09/05/2019
Fils de l'écrivain Andrew J. Offutt, Chris Offutt, né en 1958 à Lexington dans le Kentucky, est surtout connu pour ses romans et ses recueils de nouvelles mais il a également collaboré, de manière épisodique, comme scénariste à plusieurs séries télévisées américaines. Après avoir suivi les cours de l'Université d'Etat de Morehead, diplômé, il entreprend un voyage à travers les Etats-Unis et exerce différents métiers pour vivre. Il publie, en 1992, un premier et excellent recueil de neuf nouvelles (Kentucky Straight) mais depuis je n’avais pas eu l’occasion de le lire. Plaisir renouvelé aujourd’hui avec son dernier roman, Nuits Appalaches, qui vient de paraître.
La Guerre de Corée achevée, Tucker, dix-huit ans et médaillé, revient au Kentucky. Tranquillement, sans se presser, à pied ou en stop, s’écartant des axes trop fréquentés car d’un tempérament à éviter les gens en général. Veine ou déveine, l’avenir nous le dira, il tombe sur une tentative de viol : Rhonda, jeune fille à peine plus jeune que lui est forcée par son oncle, shérif-adjoint du coin. Il la sauve, ils s’aiment immédiatement, ils décident de se marier. Je vous l’ai fait courte et ça fait nunuche, je le sais mais n’ayez crainte ( ?) le conte de fées ne va pas durer…
Le roman est découpé en quatre parties : 1954, Tucker et Rhonda font connaissance ; 1964, mariés ils ont cinq enfants, tous handicapés ! Et l’Etat veut leur retirer pour les placer en milieu hospitalier ; 1965, Tucker livre de l’alcool de contrebande pour le compte de Beanpole, caïd du secteur arrosant les puissants avec des pots-de-vin. Quand un jeune politique ambitieux menace son commerce, Beanpole propose un marché à Tucker, accepter d’aller en prison pour quelques mois à titre d’exemple, contre une belle somme d’argent qui sauverait sa petite famille. 1971, épilogue et solde des comptes.
Un très beau roman qui devrait plaire à tout le monde. Le résumé que j’en fais vous paraitra peut-être relever du déjà lu, du roman noir au cœur de l’Amérique, typique de l’éditeur, un de plus direz-vous. Ce serait vrai si Chris Offutt ne l’avait chargé d’émotions et d’amour, oui je dis bien d’amour. Tucker et Rhonda sont des parents exceptionnels, leurs conditions de vie sont difficiles, tous leurs enfants sont des handicapés divers sans que la science comprenne pourquoi, une sorte de malédiction, mais leur amour est si fort qu’il passe outre ces difficultés ; les gamins sont chéris, leur foyer parfaitement entretenu, jusqu’à ce que l’administration (contre l’avis d’Hattie l’assistante sociale locale) décide de leur retirer leur marmaille.
On peut être un père remarquable sans pour autant être un saint. Bien entendu, deux ou trois morts viendront plomber l’ambiance et le marché conclu avec Beanpole compliquer les choses quand la peine de prison de huit mois envisagée au départ va se prolonger cinq ans en pénitencier… un rabiot imprévu qui mériterait une prime…
Roman qui marie l’eau et le feu, la beauté et la noirceur du monde, l’amour et la mort. Dans cette nature si belle et si bien décrite par l’écrivain, cette région des Appalaches qui pourrait être un Paradis mais où pourtant des drames s’y nouent, des vies s’achèvent brutalement. Tucker ira jusqu’au bout pour sauver sa famille quitte à laisser la morale de côté, y parviendra-t-il ou sera-ce une victoire à la Pyrrhus ?
« - Il y a plus d’une façon d’obtenir des réponses, dit Hattie. Je vais vous expliquer quelque chose. Vous posez une question directe, oui ou non, vous n’aurez rien. Les gens d’ici ne pensent pas de cette façon. Avec une question directe, ils se diront qu’il y a une bonne réponse et une mauvaise. Et ils ne diront rien par peur de se tromper. – Comment peut-on se tromper en étant honnête ? – Quand celui qui pose la question a une idée derrière la tête. La police fonctionne comme ça. Les professeurs et les médecins aussi. Et là, vous faites pareil. Moi non, et c’est pour ça qu’ils ont confiance en moi. Je sais que vous êtes mon chef, docteur Miller, mais dans les collines les choses ne sont pas si simples (…). Ici, rien n’est blanc ou noir. Tout est gris. »
Chris Offutt Nuits Appalaches Gallmeister – 225 pages –
Traduit de l’américain par Anatole Pons
2 commentaires
Je vais le guetter en bibli...
Vous faites bien car le roman est bon….. d’ailleurs je crois que tout le monde est d’accord, au vu des quelques articles lus à ce sujet.
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