Paul Morand : Tais-toi
06/07/2020
Né à Paris en 1888, Paul Morand commence en 1913 une carrière de diplomate qui le conduira aux quatre coins du monde. Révoqué après la seconde guerre mondiale pour proximité avec le régime de Vichy, il est rétabli dans ses fonctions d'ambassadeur en 1953 et mis à la retraite des Affaires étrangères en 1955. Elu à l'Académie française en 1968 il décède à Paris en 1976. Considéré comme l’un des pères du « style moderne » en littérature, il s'est imposé comme l'un des grands écrivains français du siècle dernier. Tais-toi (1965) est un texte court qui hésite entre la nouvelle et le roman.
Silvère, étudiant au Canada revient en France à la faveur d’un héritage imprévu suite au décès de Frédéric Lahire, un riche et célèbre cousin de son père. Pour remercier cet inconnu (pour lui), il décide d’écrire sa biographie. Un projet malaisé car l’homme s’avère avoir été très secret et terriblement peu bavard. Silvère va tenter de retrouver ceux qui l’ont connu et les faire parler pour pouvoir esquisser le portrait de ce muet…
Un parcours qui va mener Silvère du Portugal en Suisse et au sud de la France, interrogeant une poignée de personnes ayant côtoyé Frédéric à titre professionnel ou intime, l’ayant accompagné comme chef du jeune stagiaire de presse, de collaborateur d’un parlementaire ou de responsable dans un grand groupe pétrolier, à moins que ce ne soit son amante donnant un éclairage plus précieux de cet homme à l’étrange personnalité.
Il y a beaucoup à dire sur le silence et Morand s’y essaie mais il reconnaitra n’avoir pas tout tiré de ce sujet s’il y avait consacré plus de temps, d’où cette tergiversation entre une nouvelle ou un roman.
Le thème du livre est donc la solitude, celle d’un homme ayant fréquenté les hautes sphères du pouvoir en partie grâce à son mutisme. Un trait de caractère illustrant les difficultés de la communication même avec ses plus proches comme Corinne sa maîtresse, « nos rares échanges s’alourdissaient du fardeau de nos arrière-pensées ; sous ce que l’on dit il y a ce que l’on ne dit pas, ce que l’on aurait pu, ou dû, dire, ou le contraire de ce que l’on a dit, tout un contrepoint. »
L’épilogue – digne d’un petit polar - livrera le fin mot de l’histoire, le caractère taiseux de Frédéric avait pour origine un traumatisme datant de l’enfance et les conditions de son décès seront révélées.
L’un des points forts du livre ce sont les piques au vitriol assénées aux journalistes (« Pas moyen de lui faire comprendre qu’il ne faut pas tout dire dans un article ; il faut laisser entendre qu’on en sait bien plus long… »), aux hommes politiques (« Ne pas parler en politique, c’est si insolite que cela a l’air d’un besoin d’humilier…) ou au monde des affaires qui résonnent fortement aujourd’hui, peut-être plus encore qu’hier. On retrouve dans ce roman le côté très moderne de l’écriture de Paul Morand, à peine contredit par une abondance de points-virgules…
« Je ne sais pas mentir. J’ai cru longtemps que c’était là une grande qualité ; l’expérience m’a appris que c’est une erreur monstrueuse. Il faut surmonter sa répugnance, il faut renoncer à cette facilité, il faut mentir. Les êtres qui ont besoin de nous ont besoin que nous entrions dans leur jeu, que nous ne démolissions pas l’édification de leur univers intérieur ; leur orgueil, leur folie, les poisons qu’ils sécrètent, leurs conflits, leur santé, tout leur ordre intérieur l’exigent. Le mensonge, ce n’est pas de la malhonnêteté, c’est de la bonté ; c’est peut-être l’amour même. »
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