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John Burnside : Les Empreintes du diable

john burnsideJohn Burnside est né en 1955 à Dunfermline, en Ecosse, où il vit actuellement. Il a étudié au collège des Arts et Technologies de Cambridge. Membre honoraire de l’Université de Dundee, il enseigne aujourd’hui la littérature à l’université de Saint Andrews. Poète reconnu, il est aussi l’auteur de romans et de nouvelles. Son roman, Les Empreintes du diable, date de 2008.

Selon une vieille légende écossaise, une nuit d'hiver, le diable a traversé le village de pêcheurs de Coldhaven en laissant la trace de ses pas dans la neige des rues. C’est dans cette bourgade que Michael, le narrateur, a toujours vécu tout en s'y sentant étranger. Quand Moira, une de ses anciennes petites amies, décide que son mari violent est le diable et qu'elle se tue avec ses deux jeunes enfants en épargnant son aînée Hazel, Michael, troublé par l’évènement mais aussi curieux et fasciné par la jeune fille rescapée, se laisse entraîner dans un voyage avec elle…

Tout ce qui précède n’est que convention pour dresser le décor d’une histoire qui se révèle être une quête : Michael va se chercher, se redécouvrir par ce voyage bien actuel, tout autant si ce n’est plus encore, par son travail de mémoire sur ce lourd passé qui l’a fait tel qu’il est aujourd’hui. Un roman fait d’allers et retours entre présent et passé, tout en sensations et ambiances légèrement mystérieuses, voire morbides, car la mort est une présence constante ici.

D’emblée Michael nous l’apprend, « j’étais l’individu qui avait tué son frère, quand j’avais treize ans et lui quinze, qui l’avait tué et abandonné sur place à la putréfaction », le frère de Moira dont il deviendra ensuite le petit ami… bonjour l’ambiance ! Et dans d’autres registres, des morts il y en a encore : la mère du narrateur écrasée par un poivrot du village, le frère de sa mère tué à l’étranger alors qu’il était avec son futur mari…

Une enfance difficile, souffre-douleur du gamin qu’il finira par éliminer, des parents avec lesquels il a des rapports pas très simples, un village qui considère la famille comme des étrangers, bref un environnement qui incite au repli sur soi, à l’introspection et peut-être aux fantasmes existentiels. Nous avons tous en nous une « histoire » intime pas obligatoirement importante mais qu’on garde cachée ; et cette histoire, consciemment ou non, s’attelle à la vie que l’on mène, en parallèle. Cette double vie en somme, pèse pour Michael et l’on ressent sa grande solitude. Sa quête va l’amener à se séparer de l’une d’elles pour n’être plus que lui, réellement. Après avoir mis au jour des secrets de famille et s’être « réconcilier » avec son père décédé. 

Pour que la narration tienne il fallait que le héros ne soit pas véritablement sympathique, disons qu’il est du genre agaçant. Ce n’est pas un adepte des conversations entre quat’zyeux pour percer l’abcès ! Au contraire, il laisse mariner les situations, se laisse porter par le flot. L’écriture fait beaucoup dans la réussite de ce roman, en particulier son rythme régulier, continu, à l’effet hypnotique qui ne peut que fasciner le lecteur.

J’ai découvert John Burnside récemment, d’où ces deux livres lus presque coup sur coup, et je vous préviens que vous n’avez pas fini d’en entendre parler ici…

 

« Moira Birni avait drogué ses deux fils avant de les conduire dans un chemin tranquille, près d’un site touristique, puis elle avait mis le feu à sa voiture, enfermée à l’intérieur avec ses deux garçons. Apparemment, personne ne savait pourquoi elle avait fait une chose pareille, mais les autorités en place n’avaient aucun doute sur sa culpabilité. L’unique question qui occupait tous les esprits était la suivante : comment une femme, une mère, avait-elle pu commettre un tel acte ? Et pourquoi n’avait-elle tué que ses fils et non sa fille de quatorze ans, abandonnée au beau milieu des champs, seule et terrorisée ? »

 

 

john burnsideJohn Burnside  Les Empreintes du diable  Editions Métailié – 218 pages –

Traduit de l’anglais (Ecosse) par Catherine Richard

 

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24/05/2018 | Lien permanent

Cormac McCarthy : Des villes dans la plaine

cormac mccarthyCormac McCarthy est un écrivain américain né en 1933 à Providence (Rhode Island). Après ses études, il rejoint en 1953 l'armée de l'air américaine pour quatre ans, dont deux passés en Alaska, où il anime une émission de radio. En 1957, il reprend ses études à l'université, se marie avec la  première de ses deux femmes en 1961 et a un fils. Il quitte l'université sans aller jusqu'au diplôme, et s'installe avec sa famille à Chicago, où il écrit son premier roman. Aujourd’hui Cormac McCarthy vit au nord de Santa Fe (Nouveau-Mexique) dans une relative discrétion et accorde très rarement des interviews.

Auteur d’une dizaine de romans dont La Route (2006), Des villes dans la plaine (1998) est le dernier volet d'une trilogie informelle nommée La Trilogie de la frontière, qui comprend également De si jolis chevaux  et Le Grand Passage.

Nouveau Mexique au début des années 50. John Grady et Billy Parham sont cow-boys dans un petit ranch qui risque de disparaitre, menacé d’expropriation par l’armée. Pour les loisirs, le Mexique proche propose tout ce qu’on peut s’offrir contre quelques billets. Quand John Grady va tomber amoureux d’une jeune prostituée épileptique de seize ans, il enclenchera le décompte de son destin et celui de son « presque frère » Billy…

Si le fil rouge de ce roman peut se résumer en cette idée folle, arracher de son bordel de Juarez, une jeune prostituée ne parlant pas l’anglais pour la ramener aux Etats-Unis et l’épouser, le bouquin est autrement plus ambitieux que ce vague/banal scénario de western.

D’abord il y a l’écriture de McCarthy, ses ellipses et ses non-dits renforcés par le caractère « taiseux » de ses personnages, des cow-boys donc des hommes qui agissent et qui parlent peu. On notera l’absence des tirets pour indiquer les dialogues. A cette écriture particulière, s’ajoute curieusement, une avalanche de « et » qui surprennent le lecteur attentif à ce genre de détail (« Il entra au Florida et commanda un whisky et le but et paya et ressortit. ») Par contre, contrairement à tant d’autres romans où foisonnent les anglicismes, ici ce sont les « espagnolicismes » qui envahissent le texte ; il est vrai que Cormac McCarthy parle couramment cette langue, mais enfin… Un fil rouge donc, mais très fin car largement haché de digressions sur la vie de ces hommes dans une estancia où il est fort logiquement beaucoup question de chevaux par exemple et de nature.

Pourtant, ce qui frappe le plus à la lecture de ce livre, c’est la mélancolie qui s’en dégage ; une musique triste qui nous accompagne d’un bout à l’autre car, inutile de tourner autour du pot, chacun sait et même ses héros, que l’histoire finira mal. Epilogue en deux parties puisque nous avons deux personnages, John et Billy. Pour le premier, une sorte de corrida finale en forme de chorégraphie sanglante et dramatique, pour l’autre une fin de vie plus longue mais pas moins difficile peut-être avec quelques pages philosophiques sur le sens de la vie et le destin.

Un roman magnifique et extrêmement touchant avec des personnages inoubliables et ce sentiment qu’un temps ancien disparaît. Je n’attendais pas moins de ce grand écrivain.

  

« Je ne regrette pas d’avoir à arracher une dent avec des pinces à ferrer et rien que de l’eau de puits glacée pour calmer la douleur. Mais je regrette la vie que j’ai connue dans les ranchs dans le temps. J’ai fait la piste quatre fois. Les meilleurs souvenirs de ma vie. Les meilleurs. Vivre dehors. Voir du pays. Y a rien de plus beau. Rien ne le sera jamais. Etre assis autour d’un feu le soir avec le troupeau qui dort bien tranquille sur la prairie et pas un souffle de vent. Boire un peu de café. Ecouter les vieux gardians raconter leurs histoires. De belles histoires, je t’assure. Te rouler une cigarette. Faire un somme. Jamais je n’ai dormi comme ça. Jamais. »

 

cormac mccarthyCormac McCarthy  Des villes dans la plaine  Editions de l’Olivier – 314 pages –

Traduit de l’américain par François Hirsch et Patricia Schaeffer 

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Augusto Cruz : Londres après minuit

Augusto Cruz, Dashiell Hammet, Raymond Chandler, James EllroyNé à Tampico, au Mexique, en 1971, Augusto Cruz est romancier, scénariste et critique de films. Il a participé à plus d'une cinquantaine d'ateliers d'écriture de scénarios à Mexico et à l'Université de Los Angeles (UCLA) ainsi qu'à des master class de réalisation organisés par l'union-guilde des scénaristes mexicains, dont il est membre. Collectionneur d’accessoires de films et de séries télévisées, il allie sa passion pour le cinéma et la littérature en écrivant en 2012 son premier et unique roman à ce jour, Londres après minuit.

Forrest Ackerman, un très vieil homme atteint de la maladie d’Alzheimer, collectionneur fou d’objets de cinéma engage un nommé McKenzie, ex-agent du FBI et homme de confiance de Hoover, pour qu’il retrouve la copie d’un film culte et réputé perdu, Londres après minuit, un long métrage du temps du cinéma muet, réalisé par Tod Browning en 1927. L’enquête va s’avérer riche en périls et aventures extravagantes…

Voilà exactement le genre de roman que j’aime, où de multiples ingrédients mixés à leur juste quantité, nous donnent un ragoût fort honnête. Le bouquin est un compromis entre le polar et le fantastique et l’écrivain y mêle des références, voulues ou non, littéraires (j’ai pensé dans certains passages lire du Dashiell Hammet ou du Raymond Chandler voire du James Ellroy) et cinématographiques (il y a ici du polar des années 40 et 50, le Orson Wells de La Soif du mal, le Fitzcarraldo de Werner Herzog et même du Indiana Jones)… à moins que ce ne soit mon imagination fertile qui ne fasse des siennes ?

Augusto Cruz utilise un procédé qui fait toujours ses preuves, construire une fiction à partir de faits réels. Car ce film a bel et bien existé (London After Midnight ou The Hypnotist) considéré comme disparu, a été retourné en 2002 à l'aide de photos et du scénario du film d'origine. Le début du bouquin est un vrai régal pour les amateurs de cinéma car l’écrivain nous renvoie à l’époque du cinéma muet et évoque, avec force détails pointus, les Lon Chaney, Irving Thalberg, Bela Lugosi et autres cadors du genre dont la télévision d’autrefois en Noir & Blanc m’avait délecté.

La suite du roman n’est pas résumable car l’auteur embringue ses lecteurs dans une histoire foisonnante et luxuriante faite de digressions et passages oniriques dignes d’une vraie jungle touffue où chaque page réserve une surprise, un rebondissement pas toujours crédible mais néanmoins palpitant, avec des personnages secondaires extravagants, le tout dans une ambiance de mystère et de danger permanents parfois à la limite du surnaturel.

Et comme si tout cela ne suffisait pas pour en faire déjà un bon bouquin, Augusto Cruz incorpore à son ouvrage une seconde histoire très documentée, celle de J. Edgar Hoover, directeur du FBI de 1924 à sa mort en 1972, un sacré coco (encore que le terme soit mal choisi ici, ah ! ah ! ah !).   

J’avais noté ce livre dans mon calepin depuis sa publication, j’ai pris mon temps pour le lire mais j’en ressors comblé. Augusto Cruz fait son cinéma, ne ratez pas la séance.

 

« Je suis sans doute la seule personne vivante à avoir vu le film, dit-il. Ma mémoire, ajouta-t-il en portant un index à son front, se désintègre lentement comme le nitrate du film. Londres après minuit est le Saint-Graal du septième art, le rêve des collectionneurs, des chercheurs et de cet enfant de onze ans. Je vous offre la possibilité de résoudre l’un des plus grands mystères de l’histoire du cinéma. Votre mission, si vous l’acceptez, sera de retrouver Londres après minuit pour que je le voie. »

 

 

Augusto Cruz, Dashiell Hammet, Raymond Chandler, James EllroyAugusto Cruz  Londres après minuit  Christian Bourgois Editeur – 409 pages –

Traduit de l’espagnol (Mexique) par André Gabastou

 

 

 

 

 

 

Lon Chaney :

Augusto Cruz, Dashiell Hammet, Raymond Chandler, James Ellroy

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Franck Bouysse : Buveurs de vent

franck bouysseFranck Bouysse, né en 1965 à Brive-la-Gaillarde, est un écrivain français. Il passe un baccalauréat agronomique, puis un BTS d’horticulture à Objat avant d'enseigner la biologie à Limoges et depuis 2007 il publie des romans obtenant un grand succès en 2019 avec Né d’aucune femme. Paru en 2020, Buveurs de vent vient d’être réédité en poche.

Dans une vallée du Massif Central, coupée du monde. Les Volny sont une famille fracassée, Martha la mère s’accroche à ses bondieuseries, Martin le père est revenu traumatisé de la guerre et ses enfants lui pèsent, « Ils l’encombraient depuis leur venue au monde et cela empira en grandissant », c’est au cuir de sa ceinture qu’il les élève et les gosses ne retrouvent leur sérénité qu’auprès du viaduc. Suspendus par des cordes au pont, ils se balancent au-dessus de la rivière dans le fracas et les vibrations des trains qui passent. Il y a Luc, le cadet simple d’esprit, Marc qui aime lire bravant l’interdiction de son père, Matthieu et Mabel, la fille sensuelle (« Mabel était corps de désir ») et dégourdie, adorée de ses frères. Une fratrie soudée à la vie, à la mort. Le décor ne sera complet que lorsque vous saurez que la vallée est dirigée par un homme, Joyce, le propriétaire de la centrale électrique et du barrage. Son pouvoir tyrannique s’étend sur toute la ville, il est la loi, le pouvoir absolu, maître des choses et des âmes.  

Il y a tant de choses dans ce remarquable ouvrage que ce résumé n’est qu’une infime partie du squelette du roman. Si les ressorts narratifs abondent et font déjà de ce livre un petit régal, je crois pouvoir dire que ce n’est rien par rapport à l’écriture de l’auteur. Une langue somptueuse, envoûtante par sa beauté, elle happe le lecteur dès les premières pages, le plongeant dans un récit dans lequel il peine un peu au début à prendre ses marques, subjugué par le style plus que par le récit ; pour l’instant nous découvrons lentement les protagonistes, pas à pas.

Un roman qui joue sur deux tableaux, tant narratif que stylistique. Au début il y a la présentation des uns et des autres, puis plus loin, Matthieu va tuer deux braconniers et le roman psychologique prend des allures de western : Joyce tyran local possédant tout ce qui fait vivre les gens dans ce coin perdu, règne par la force imposée par ses sbires, sa propre loi représentée par Lynch (genre de shérif pourri local), le café où tout le monde va est une sorte de saloon, alcool au rez-de-chaussée et filles à l’étage. L’écriture s’adapte à ces genres, toujours très belle, elle est soit somptueuse comme je l’ai dit, soit plus simple tout en restant raffinée dans le mode « western ».

Me lancer plus avant dans les intrigues serait vain. Il y a la beauté des rêves des enfants/jeunes gens, la tentative risquée d’évasion de cette famille en ruines de Mabel protégée par son fort caractère, Elie le grand-père unijambiste et vieux sage. Et puis viendra Gobbo, un marin solitaire et mystérieux, une force tranquille et discrète qui la jouera subtile pour ressouder le camp Volny tout en mettant à mal le pouvoir de Joyce. Chaque page de ce roman est un épisode à lui seul…

Un roman sur la résistance, le courage des faibles face aux puissants. C’est très beau, c’est excellent.

 

« Au moment où commence cette histoire, ils ne savaient encore rien du monde en devenir, mais le monde ancien les avait enfantés dans l’unique projet de les verser dans un autre. Ils ne savaient rien de l’histoire en train de s’écrire, mais ils étaient tous prêts à en raconter une, à leur manière, avec pour certains des trémolos dans la voix, et pour les autres, suffisamment de fierté pour paraître insensibles. Et c’est exactement ce qu’ils firent : raconter une histoire, celle qui les réunissait enfin, les projetait vers un tout autre but que la découverte de l’identité du coupable. »

 

 

franck bouysseFranck Bouysse   Buveurs de vent   Le Livre de Poche  - 406 pages -    

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David Grann : Les Naufragés du Wager

david grann David Grann, né en 1967 à New York, est un journaliste et écrivain américain. En 1989, il obtient une maîtrise en relations internationales et depuis 2003 il est grand reporter au New Yorker. Plusieurs de ses récits ont été adaptés au cinéma et celui-ci, dernier paru (2023), doit l’être par Martin Scorsese.

En 1740, une expédition maritime britannique de six navires accompagnés de deux navires marchands, menée par l’amiral George Anson, dans le cadre de la Guerre de l’oreille de Jenkins (1739-1748) entre le Royaume-Uni et l’Espagne, est envoyée en mission secrète pour piller les cargaisons d’un galion espagnol. Parmi ces navires, le vaisseau de ligne de Sa Majesté le HMS Wager, deux cent cinquante officiers et hommes d’équipage à son bord, mené après diverses péripéties par le capitaine Cheap. Après avoir franchi le cap Horn qui démantèle l’expédition, le Wager fait naufrage et une poignée de survivants se retrouvent prisonniers sur une ile au large de la Patagonie. Ile hostile au possible, aucune ressources alimentaires, climat épouvantable, mer tempêtueuse etc.

Le récit est effroyable mais assez classique, je résume vite, manque de nourriture (cannibalisme évoqué), maladies (scorbut…), cadavres naturels et meurtres, vols entre les uns et les autres de leurs maigres possessions, châtiments appliqués par les officiers, création de clans s’opposant aux décisions du capitaine sur leur sombre avenir et les restrictions alimentaires, conflits larvés entre ces groupes…

Le récit met en évidence la beauté et l’horreur de la nature humaine, le chacun pour soi dans les situations extrêmes alors que tout l’inverse serait plus intelligent. Les caractères des protagonistes se dévoilent au fil de l’accumulation des malheurs qui les frappent : le capitaine Cheap, excellent marin mais peut-être pas fait pour une situation aussi calamiteuse rendant les hommes fous, il est déchiré entre son devoir et cette situation, tout en imaginant le futur, la cour martiale s’il revoit l’Angleterre. Bulkeley, le canonnier, chef d’un groupe opposé au capitaine, il ne manque pas de charisme, pragmatique, il tient un journal des évènements, « il paraissait bien plus mesuré et mieux taillé pour commander les hommes en ces circonstances cauchemardesques », il reproche surtout à Cheap de se cramponner à sa mission, arguant « qu’en dépit des ordres, un capitaine doit toujours exercé son jugement ». Enfin, citons John Byron (le grand-père du poète), un gamin, auquel l’écrivain semble très attaché, l’excusant (?) d’avoir participer à la première mutinerie avant revenir auprès du capitaine Cheap.

Je vous laisse découvrir comment tout cela se termine, les rescapés reviendront en Angleterre plusieurs années après leur départ par petits groupes et à des époques différentes, chacun avec sa version des faits et la cour martiale chargée de faire le point, rendra un jugement de realpolitik, honneur de la marine anglaise, de la nation etc….

Le récit de David Grann est tiré des très nombreuses archives (journaux des marins, de la Justice etc.) à sa disposition, d’où les extraits entre guillemets provenant de sources de première main. Il est évident que ce bouquin est extrêmement instructif sur la marine de cette époque, les hommes, les navires, les conditions de vie à bord etc. Il l’est tout autant, je l’ai dit, sur la nature humaine. Récit historique, donc, les faits rien que les faits (tels qu’ils sont connus) avec juste ce qu’il faut d’imagination à Grann pour les relier et en faire une histoire qui se tienne.

Tout est bien, rien à critiquer, mais bon…. Ce genre historique ne peut s’accorder avec la célèbre réplique : « Quand la légende est plus belle que la réalité : imprimez la légende. »

 

 

« De la même manière que les gens façonnent leurs histoires pour servir au mieux leurs intérêts, en révisant, en effaçant, en brodant, les nations en font autant. Après tous les récits sombres et troublants relatifs au désastre du Wager, et après tant de morts et de destruction, l’empire avait enfin trouvé son récit de mer mythique. »

 

 

david grann David Grann   Les Naufragés du Wager  Une histoire de naufrage, de mutinerie et de meurtres  Editions du sous-sol   - 436 pages -     

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Johan-Frédérik Guedj

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Bernard Chambaz : Dernières nouvelles du martin-pêcheur

Chambaz Livre.jpgBernard Chambaz, né en 1949, est un romancier, historien et poète français ayant enseigné l’histoire au lycée Louis-le-Grand à Paris. Son père, Jacques Chambaz, fit partie du bureau politique du PCF de 1974 à 1979 et son frère Jean, médecin et chercheur est le président de l’université Pierre-et-Marie-Curie. Après une agrégation de lettres modernes et d’histoire, il se tourne vers l’écriture. Prix Goncourt du premier roman en 1993 pour L’Arbre des vies, il est aussi couronné d’un prix de poésie en 2005 pour Eté. Dernières nouvelles du martin-pêcheur est sorti cette année. 

Durant l’été 2011, Bernard Chambaz se lance dans une traversée des Etats-Unis en vélo, d’Est en Ouest, de cap Cod à Los Angeles, escorté par sa femme Anne en Cadillac. Ni exploit sportif, ni voyage d’agrément, l’auteur se livre à un périple à travers la mémoire. Son fils Martin est décédé il y a dix-neuf ans, ce parcours toute la famille l’avait déjà fait en voiture, Bernard, Anne, Martin le fils cadet et ses deux frères ; aujourd’hui l’écrivain prend ce pèlerinage comme prétexte pour retrouver les traces de l’enfant disparu. 

Roman double, d’un côté il y a ce récit de voyage à travers une Amérique vue par le petit bout de la lorgnette, les petites villes, les motels, les paysages au cœur du pays, les gens croisés croqués à petites touches, les références éclectiques, musicales, littéraires ou historiques liées aux lieux traversés. Et puis de l’autre, ce souvenir permanent du fils perdu qui s’immisce en fil rouge dans cette étoffe dont chaque brin fait le lien entre des enfants décédés (ceux de Lindbergh, Roosevelt…) et les oiseaux dont une légende prétend qu’ils reviendraient de l’au-delà sous cette forme. Bernard pédale, Anne conduit, à priori seuls chacun dans leurs univers jusqu’à l’étape, mais en fait accompagnés par Martin, fantôme bienveillant se montrant parfois à leurs yeux crédules et consentants.    

Le livre est très bien écrit, j’avouerai y voir là son principal attrait. Si l’Amérique décrite dans ces pages m’est agréable, elle m’est aussi familière par d’autres ouvrages. Quant au deuil de l’écrivain, si je lui témoigne un respect poli, j’ai ressenti une légère gêne devant la banalité de la douleur et le convenu des souvenirs du défunt, évidemment garçon parfait, même s’ils sont exprimés avec beaucoup de poésie et de tact. Un roman plus intellectuel que sentimental mais très agréable à lire.

 

«  Que nous ressentions le deuil comme un état tangible n’empêche pas de vivre. Du simple sentiment de la vie, il résulte la possibilité d’être joyeux. Le deuil est compatible avec la joie. Le tout était de l’écrire une bonne fois pour toutes et d’en faire la démonstration. Cette traversée et ce roman en sont le corollaire. »

 

 

Chambaz.jpgBernard Chambaz  Dernières nouvelles du martin-pêcheur  Flammarion – 320 pages –

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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30/04/2014 | Lien permanent

Linwood Barclay : Cette nuit-là

Barclay Linwood Livre 34924717_8238059.jpgLinwood Barclay est né en 1955 dans le Connecticut (U.S.A), sa famille émigre au Canada alors qu'il est tout juste âgé de quatre ans, pour des raisons professionnelles. Tout en suivant ses études, il fait divers petits boulots avant d'entamer une carrière de journaliste en 1977 et finit par entrer en 1981 au Toronto Star, le journal le plus distribué au Canada. Son premier ouvrage de fiction date de 1998 et Cette nuit-là de 2007.

Cynthia une adolescente de quatorze ans traverse une crise de rébellion et enfreint les consignes parentales, elle est surprise tard le soir par son père, en compagnie d’un garçon plus âgé qu’elle, dans sa voiture et ivre. Engueulades, retour à la maison et tout le monde au lit. Le lendemain à son réveil, elle constate que ses parents et son jeune frère ont déserté le logis, sans emporter aucunes affaires. Vingt-cinq ans plus tard, le mystère n’a jamais été élucidé et les trois disparus jamais réapparus. Cynthia est désormais mariée et a une petite fille de huit ans.

Jusqu’ à ce que des signes inquiétants viennent raviver ce passé douloureux, un coup de fil anonyme, un email et pire encore, le chapeau de son père déposé sur la table de la cuisine alors qu’ils étaient tous sortis ! Désormais Cynthia va tout mettre en œuvre pour retrouver la trace de sa famille disparue.

Un thriller bien mené, sans accélération particulière dans le rythme, mais habile à distiller les indices, les pistes et les rebondissements. L’auteur nous balade, cette Cynthia ne serait-elle pas dérangée psychologiquement d’ailleurs même son mari envisage cette hypothèse car elle semble la plus plausible. Acculée à toutes les extrémités la jeune femme participera à une émission de télévision voyeuriste pour lancer un appel à témoins, une voyante tentera sa chance aussi puis, les indices qui relevaient du « possible » deviennent franche réalité quand seront assassinés, sa tante qui l’a élevée après la disparition de ses parents, et le détective qui avait découvert une piste.

Bien entendu je ne peux rien vous dire de plus sans dévoiler ce qui doit être tu. Comme tout bon thriller, on lit le bouquin très vite car on veut savoir quel est le fin mot de cette histoire. Néanmoins je dois reconnaître que la fin m’a semblé un peu longue – la récapitulation de toute l’histoire par l’un des protagonistes de l’époque – et que des invraisemblances sur les motivations des mêmes tempèrent mon engouement.

Un bon bouquin pourtant. Pour passer le temps.

 

« Je fis un nouvel essai, mais l’angle de la lunette s’était déplacé, et je voyais maintenant une portion extrêmement agrandie du trottoir d’en face. Ainsi qu’un homme, en train d’observer notre maison. Son visage brouillé, aux traits flous, emplissaitla lentille. Lâchantle télescope, je me levai pour m’avancer vers la fenêtre. – Qui c’est, bon sang ? demandai-je, plus à moi-même qu’à Grace. – Qui ça ? A son tour elle s’approcha de la fenêtre, juste à temps pour voir l’homme s’enfuir. – C’est qui, papa ? » 

 

phpThumb_generated_thumbnailjpg.jpgLinwood Barclay  Cette nuit-là  J’ai Lu

 

 

 

 

 

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09/10/2012 | Lien permanent

Geraldine Brooks : Le Livre d’Hanna

Brooks Livre 51wa8AB317L._SL500_AA300_.jpgAncienne correspondante de guerre durant quatorze ans pour le Wall Street Journal, en Bosnie, Somalie et Moyen-Orient, Geraldine Brooks d’origine Australienne vit désormais aux Etats-Unis et se consacre à l’écriture. Le Livre d’Hanna est son troisième roman.

Hanna est restauratrice de manuscrits aussi quand on lui confiela célèbre Haggadahde Sarajevo elle n’hésite pas car c’est la chance de sa vie. La Haggadah est le livre de la Pâque juive, Hanna doit le restaurer et écrire un texte de présentation sur son histoire en vue d’une exposition publique. A partir de là c’est une véritable enquête policière à travers les siècles qui débute et nous suivons le parcourt chaotique de ce livre précieux qui passera de mains en mains, de croyants en infidèles, échappant aux autodafés et aux bombardements avant d’échouer en Bosnie. Toujours protégés par des hommes et des femmes qui placent la culture au-dessus des idéologies, au risque d’y laisser la vie pour certains. Dans la dernière partie du livre, Hanna découvrira une supercherie qui rabaisse l’Histoire aux « combines » des Etats et le livre se termine hélas ! comme un vulgaire polar.

 Un roman très cultivé sur les rituels juifs, les techniques de reliures, peinture et autres détails preuves d’un gros travail de documentation préalable. Le bouquin se lit très facilement, les chapitres sont autant de flash-back entre aujourd’hui et les siècles passés et l’écriture très cinématographique laisse envisager une adaptation sur grand écran.

La critique internationale est enthousiaste, pour ma part je serais plus réservé car même si j’ai lu le bouquin avec plaisir je ne le place pas dans la catégorie des chefs-d’œuvre, loin de là. Je ferai aussi remarquer à l’éditeur que certaines notes de bas de page ne correspondent pas du tout aux mots signalés (exemple page 61, 62, 74).

 

« Aryeh tira les cliquets, admirant le talent de l’orfèvre. Chaque fermoir avait la forme d’une paire d’ailes. Quand le délicat cliquet sorti, en douceur après plus d’un siècle, les ailes se déployèrent, révélant une rosace emprisonnée à l’intérieur. Aryeh vit tout de suite qu’il s’agissait d’une haggada, mais différente de toutes celles qu’il avait vues auparavant. La feuille d’or, les riches pigments… il examina les enluminures, tournant chaque page d’une main avide. Il était enchanté, et pourtant un peu troublé, de voir décrire une légende juive avec un art si semblable à celui des livres de prières chrétiens. »

 

Brooks ad3082fb2f313333373836343734313530313133.jpgGeraldine Brooks  Le Livre d’Hanna  Belfond    

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10/10/2012 | Lien permanent

Henning Mankell : Les morts de la Saint-Jean

Mankell Livre Morts 6540594_7469214.jpgDans le polar il y a plusieurs écoles comme dans tous les genres littéraires et on s’y bouscule au portillon. Aussi les éditeurs depuis de nombreuses années maintenant, pour s’ouvrir des marchés, ont découvert un nouveau filon, les polars « exotiques ». Je vous rappelle la définition d’exotique selon l’ami Robert « ce qui selon la perception occidentale est perçu comme étrange et lointain ». Trop connus les polars anglo-saxons, maintenant on veut du nouveau, des histoires policières qui se déroulent au Moyen-âge ou au XVIII siècle avec Nicolas le Floch (JF Parot), des intrigues dansla Chinedu juge Ti (Robert Van Gulik) ou dans une réserve indienne Navajo (Tony Hillerman). Il y a même une école Nordique où s’illustrent quelques Suédois très doués comme Maj Sjöwall et Per Wahlöö avec leur inspecteur Beck et pour le bouquin qui nous intéresse aujourd’hui Henning Mankell et sons héros Kurt Wallander.

Quand j’écris héros pour Kurt Wallander, je ne parle pas du héros hollywoodien, mais d’un inspecteur âgé d’une cinquantaine d’années, usé par son métier, sa solitude et la tournure que prend la société. Car derrière l’intrigue policière sourd le constat désabusé de l’Etat Suédois qui n’est plus ce modèle social tant vanté il y a encore vingt ans. Le lecteur pourra d’ailleurs appliquer la grille de lecture à son propre pays. C’est le premier roman d’Henning Mankell que je lis (paru en 1997) et le début m’a paru très lent et pesant puis, au fil des pages c’est justement cette histoire au ralenti qui fait tout le charme de l’écrivain et colle parfaitement à la personnalité de Wallander. Les cafés renversés sur la chemise déjà sale, les nuits sans sommeil, le sandwich avalé à la va-vite, le diabète révélé, l’enquête qui piétine, les idées qui se brouillent quand la solution est si proche…

La nuit dela Saint-Jeantrois jeunes gens sont abattus dans une forêt, un inspecteur est tué chez lui, puis ce sera le tour de deux jeunes mariés. Un tueur en série aussi mystérieux qu’insaisissable sévit et Kurt Wallander n’y comprend rien.

« L’espace d’un instant Wallander éprouva une gigantesque amertume. Il avait été policier toute sa vie. Il pensait avoir contribué à protéger ses concitoyens. Mais tout avait empiré autour de lui. La violence avait augmenté.La Suèdeétait devenue un pays où les portes fermées devenaient de plus en plus nombreuses. Parfois, il pensait à son trousseau de clés. D’année en année, le nombre de clé augmentait. De plus en plus de serrures, de plus en plus de codes d’accès. Et au milieu de toutes ces clés, une nouvelle société émergeait, à laquelle il se sentait de plus en plus étranger. »

 

Mankell images.jpgHenning Mankell  Les morts de la Saint-Jean  chez Points      

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15/10/2012 | Lien permanent

Jiang Rong : Le Totem du Loup

Rong Livre 1617686_2673111.jpgLe Totem du loup nous narre l’histoire d’un étudiant chinois envoyé en rééducation chez les peuples nomades de Mongolie en 1967 alors que nous sommes sous l’ère Mao etla Révolution Culturelle.

Le jeune lettré va vite tomber sous le charme de la vie mongole, faite de sagesse et de prévoyance oùla Natureest déifiée et où le loup est un symbole tout puissant dont le peuple nomade descendant de Gengis Khan a fait son totem. Formé par le vieux Bilig, un chasseur émérite, Chen Zen va apprendre les règles de vie que nous enseignela  Nature, le respect des animaux tués pour manger, la sélection naturelle et le grand cycle de la vie dans la steppe où chacun est la proie et le chasseur ce qui participe à l’équilibre général. La vie est rude en Mongolie mais tous en connaissent la loi et l’acceptent. Fasciné par les loups Chen Zen va tout faire pour en élever un afin de mieux comprendre le caractère de cet animal qui place la liberté au-dessus de tout.

Le bouquin fait un carton en Chine où on en a déjà vendu plus de 20 millions d’exemplaires car ses métaphores évoquent la vie politique et le joug qui empêche toute rébellion, alors que le loup devient un modèle à suivre pour le peuple Chinois s’il veut faire son trou dans un monde moderne où domine la logique de la compétition économique. Son auteur Jiang Rong (pseudonyme) est professeur d’histoire et d’économie né dans une famille de militaires et a passé une dizaine années en Mongolie comme volontaire. Sa connaissance de la nature et des mœurs des loups, marmottes et autres habitants de la steppe, font de son roman un magnifique livre d’éducation qui se lit à différents niveaux. Les droits cinématographiques ont déjà été achetés par Peter Jackson le réalisateur. Après le Seigneur des Anneaux, le Saigneur des Animaux ? Un bouquin vivement conseillé pour la bouffée d’espace et de liberté qui s’en dégage.

 

« Le louveteau mangeait ce qu’on lui donnait et dormait comme une souche. Mais il guettait la moindre occasion de s’enfuir. Pour lui, la vie était aussi précieuse que la liberté : il voulait l’une et l’autre ! On retrouve parfois cette force d’âme chez les humains, comme les révolutionnaires tombés dans les mains du Guomindang ou des Américains, mais ces militants ne formaient qu’une petite élite de la nation chinoise. Chez les loups c’était une qualité permanente, générale et transmise de génération en génération. Elle s’était également transmise au peuple mongol qui avait fait du loup son totem, respectant cet animal en tant que dieu dela Guerreet maître ancestral. »

 

Rong mages.jpgJiang Rong  Le Totem du Loup  chez Bourin Editeur

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