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Serge Brussolo : La Forêt des silences
Serge Brussolo né en 1951 à Paris, est un écrivain français extrêmement prolifique de science-fiction, de romans policiers, de fantastique et de romans historiques. Il est également connu sous quatre pseudonymes : Akira Suzuko, Kitty Doom, D. Morlok et Zeb Chillicothe. La Forêt des silences est un thriller paru en 2022.
Etats-Unis, Texas. Un éditeur s’inquiète quand Barney Lambster l’un de ses auteurs, pour une biographie d’un juge particulièrement sévère et ayant connu le Custer de la Guerre de Sécession, parti enquêter dans un bled perdu de l’est du Texas ne donne plus de nouvelles depuis plusieurs semaines. Il envoie Naomi, sa jeune documentaliste, voir ce qu’il en est. Le bled, c’est Hag’s, une petite ville cernée par une forêt hostile se trainant une réputation maléfique, officiellement abandonnée en 1900, absente des cartes, une zone blanche. A peine arrivée en ville, Naomi n’aura qu’une envie en filer au plus vite… »
Je pressentais bien en ouvrant cet ouvrage que ce ne serait pas de la grande littérature mais le synopsis promettait un moment distrayant de lecture mystérieuse.
Le début du roman est prenant, tout en mystères, cette fameuse forêt où nulle bête ne vit et à la végétation toxique, abriterait Les Bûcherons, « tueurs redoutables et impunis », tenant à leur merci les habitants du village ; habitants eux-mêmes plus qu’étranges, vivant hors du temps, sans Internet, télévisions ou téléphones, genre Amish en plus inquiétants… Ces premières pages donc, intriguent joliment. Mais bien vite l’intérêt, relatif, retombe, le masque tombe, il s’agit d’un roman de gare (Livre de lecture facile, pour voyageur pressé) empilant tous les clichés mêlant la grande conspiration mondiale orchestrée par des puissants inconnus « devant lesquels les Présidents eux-mêmes doivent courber la tête », la guerre raciale menaçant la race blanche qui ne va pas tarder, etc.
Quant à la narration proprement dite, écrite dans un style très pauvre, elle enchaine les situations improbables ou dignes d’une bande dessinée pour gamin, souterrains, drogues, et pompon extravagant quand Naomi va découvrir qui est le cerveau local de ce camp retranché de demeurés !
Vous avez bien compris que j’ai trouvé cela bien nul, ce qui à la réflexion n’est pas vraiment étonnant : je n’avais jamais lu cet écrivain car ça ne me semblait pas du haut-niveau, ni même du moyen niveau, le gars écrit plus de trois romans par an depuis des dizaines d’années, donc statistiquement parlant le déchet (en supposant qu’il y se trouvent des bons livres dans le tas ?) doit être conséquent.
Pour en terminer plus aimablement, si vous lisez peu et que vous prenez le train, le roman ne casse rien mais ça se lit facilement avec des rebondissements (foireux certes) à la pelle (à tarte ?), arrivé à destination vous abandonnerez le truc sur la banquette de votre wagon, ça fera peut-être le bonheur d’un autre ?
« Ruth est loin d’être idiote, l’imminence de la Grande Guerre raciale a, certes, électrisé la génération précédente, mais elle se fait attendre… A l’image du Big One, le tremblement de terre qui doit faire basculer la Californie dans l’océan… ou encore de cette météorite qui doit percuter la Terre et tuer 98% des êtres vivants. De belles promesses, qui laissaient espérer un changement radical, mais qui, hélas, n’ont pas été tenues. »
Serge Brussolo La Forêt des silences H&O Poche - 248 pages -
07/12/2023 | Lien permanent | Commentaires (15)
Anatole France : Les Dieux ont soif
Anatole France (1844-1924) de son vrai nom Anatole François Thibault, doit son pseudonyme au métier de son père, libraire, qui tenait une boutique appelée « Librairie de France » et à ses débuts d’écrivain il signera France-Thibault avant d’opter définitivement pour Anatole France. Dès l’enfance il vivra au milieu des livres. Il est considéré comme l’un des plus grands de l'époque de la Troisième République, dont il a également été un des plus importants critiques littéraires et il deviendra l’une des consciences les plus significatives de son temps en s’engageant en faveur de nombreuses causes sociales et politiques du début du XXème siècle. Il reçoit le prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre en 1921.
Les Dieux ont soif paru en 1912 est le grand roman des désillusions politiques.
Paris en 1793. Rappel rapide de quelques faits marquants de l’année : Exécution de Louis XVI, bataille de Valmy et proclamation de la République, instauration de la Terreur gouvernement d'exception qui a donné lieu à des arrestations massives, des exécutions et une surveillance accrue des citoyens.
Evariste Gamelin, jeune peintre obscur et sans le sou, « citoyen actif de sa section et membre du Comité militaire » rêve d’un monde vertueux. Amoureux d’Elodie la fille du marchand d’estampes qui lui achète à bas prix ses tableaux, il est terriblement jaloux de celui qui l’a séduite autrefois sans savoir de qui il s’agit. Parmi ses proches, sa mère avec laquelle il vit ou Brotteaux un vieux libre-penseur désormais ruiné. Un jour, Mme de Rochemaure, ancienne maîtresse de Brotteaux, le contacte pour qu’il l’a mette en relation avec Marat dans l’espoir d’en tirer des faveurs et une protection (elle intrigue avec des financiers), en contrepartie elle le fait nommer juré au Tribunal révolutionnaire. A partir de là, Evariste va devenir de plus en plus intransigeant et impitoyable, pris dans l’ambiance effrayante de la Terreur et poussé par ses excès de pureté, il abandonne petit à petit ses idées premières « Il n’y a que les despotes qui soutiennent que la peine de mort est un attribut nécessaire de l’autorité » et devient un farouche accusateur, envoyant à la guillotine au nom de la lutte contre les ennemis de la Révolution, un innocent qu’il croit à tort être celui qui a abusé d’Elodie et même ses proches… Toutes les révolutions finissent par se retourner contre leurs instigateurs et Evariste en paiera le prix fort aux côtés de Robespierre.
Le peuple a faim, les rumeurs les plus folles circulent (fake news !), l’aristocratie est prise en haine, les tribunaux d’exception condamnent sans relâche, la guillotine chauffe de tant servir, la peur s’installe, les gens perdent tout bon sens et ne savent plus à qui se vouer…
Un superbe roman dénonçant les excès de(s) la Révolution(s) montrant comment les idéaux révolutionnaires se transforment en tyrannie et en violence. Un lucide avertissement contre l'ignorance et la peur qui engendrent la bêtise, le fanatisme et l’escalade des excès mortifères. Une réflexion sur la nature humaine (comment une personne vertueuse peut se transformer en une assoiffée de sang et de vengeance), et les dangers du pouvoir absolu et de l'idéologie extrême.
Un grand classique, hélas intemporel, je ne vous fais pas un dessin…
« Le plus probable, à mon sens, c’est que le Tribunal révolutionnaire amènera la destruction du régime qui l’a institué : il menace trop de têtes. Ceux qu’il effraie sont innombrables ; ils se réuniront, et, pour le détruire, ils détruiront le régime. Je crois que vous avez fait nommer le jeune Gamelin à cette justice. Il est vertueux : il sera terrible. Plus j’y songe, ma belle amie, plus je crois que ce tribunal, établi pour sauver la République, la perdra. »
Anatole France Les Dieux ont soif Le Livre de Poche - 285 pages -
01/07/2024 | Lien permanent | Commentaires (2)
François Mauriac : Les Anges noirs
François Mauriac (1885-1970), lauréat du Grand Prix du roman de l'Académie française (1926), membre de l'Académie française (1933) et lauréat du prix Nobel de littérature (1952) a été décoré de la Grand-croix de la Légion d'honneur en 1958. Les Anges noirs est un roman de 1936.
Jeunes gens, Gabriel et les cousines Adila et Mathilde se fréquentaient lorsque contre toute attente, le beau jeune homme épousa Adila, triste laideron, coup dur à encaisser pour l’autre. Très vite décédée, sa femme lui laisse leur fils, Andrès, que Mathilde élèvera car Gabriel est volage autant qu’ambitieux, usant de ses charmes pour arriver à ses fins, et c’est à Paris qu’il tente de s’y employer grâce à Aline, prostituée ne manquant pas de ressources. Une vingtaine d’années plus tard, Gabriel aux abois, endetté et à la merci d’un chantage exercé par Aline, revient dans les Landes, au château de Liogeats, où vivent Mathilde, son époux malade et leur fille Catherine, ainsi qu’Andrès. Gabriel a un plan, faire hériter au mieux son fils du domaine et des terres appartenant au couple pour en tirer ensuite quelques profits…
L’intrigue est diablement complexe car si dans les grandes lignes il y est question d’héritage, s’y ajoute un acteur supplémentaire, l’abbé Forcas, un jeune prêtre moqué de tous au village, « il avait échoué : ni auprès des jeunes gens, ni auprès des vieux il n’avait trouvé le moindre accueil ». L’abbé a une sœur, Tota, femme mal mariée, maitresse secrète d’Andrès, mais que tout le village prend pour la concubine du pauvre prêtre !
Le roman est terriblement captivant car la lutte psychologique est âpre entre les uns et les autres. Tous se tiennent les uns aux autres, comme une chaine dont chaque maillon est un personnage dépendant du précédent ; magouilles, manigances, chantage, liens du cœur réanimés, trahison, un festival de rouerie mais aussi de naïveté coupable/bêtise… Au château tout le monde sait que Gabriel est dangereux, son passé en témoigne, certains craignent même pour leur vie, d’ailleurs un crime sera commis ! La lâcheté et l’appât du gain imposeront le silence à tous.
A tous, sauf à Gabriel qui ressentira le besoin irrépressible de confier ses péchés à l’abbé Forcas, les deux anges noirs ; noir de ses crimes pour l’un, noir de la soutane pour l’autre. Deux hommes que tout oppose a priori mais qui se comprendront in fine.
Je l’ai dit, l’intrigue est complexe, les acteurs nombreux et liés les uns aux autres par des liens de sang, d’amour, de haine, de profit, cette complexité psychologique m’a aussi fortement agacé parfois, exemples : Mathilde a jadis aimé Gabriel, aujourd’hui ce n’est plus le cas mais néanmoins pour lui elle va trahir pensant aider Andrès, de même pour Gabriel qui d’une certaine manière, manigance pour assurer l’avenir de son fils… La fin justifie les moyens dit le proverbe mais que répond la morale ? Un roman qui se lit comme un thriller, tant il est prenant.
« Il s’était mis à genoux, les mains jointes sur le cahier ouvert. Ses mains faites pour consacrer et pour absoudre touchaient cette page où, entre chaque ligne, courait le trait léger qu’y avait gravé l’ongle de Gradère. Le desservant priait sur cette écriture criminelle. Dans un effort d’obéissance, il rappelait à son esprit l’enseignement du séminaire. Personne n’a de soi-même que le mensonge et le péché, c’est un don de Dieu que d’aimer Dieu et son amour nous récompense de ce que son amour nous a donné. Mais si c’est Lui qui commence pour le bien, c’est nous qui commençons pour le mal. Chaque fois que nous faisons le bien, Dieu opère en nous et avec nous ; chaque mauvaise action, en revanche, n’appartient qu’à nous. Pour le mal, nous sommes en quelque sorte des dieux… »
François Mauriac Les Anges noirs Grasset Les Cahiers Rouges - 213 pages –
01/04/2024 | Lien permanent | Commentaires (10)
Jean-Jacques Schuhl : Entrée des fantômes
Jean-Jacques Schuhl, né en 1941 à Marseille, est un écrivain français. Il a reçu le prix Goncourt en 2000 pour son roman Ingrid Caven. Son quatrième ouvrage, Entrée des fantômes, est paru en 2010.
Le narrateur, écrivain, tente avec beaucoup de difficultés d’écrire un nouveau roman. L’inspiration le fuit, laissant la place aux souvenirs et aux fantômes envahir son esprit, réveillant le passé.
Roman qui n’appelle pas l’analyse, Entrée des fantômes doit se prendre comme une rêverie, mêlant le vrai et le faux, souvenirs et inventions, personnages réels ou de fiction. Les souvenirs, quand l’écrivain revient sur l’écriture d’Ingrid Caven, son grand succès. Ses fantômes, êtres de chair et de sang venant du cinéma, Jean Eustache, Jim Jarmusch et Raoul Ruiz les réalisateurs comme Jean-Pierre Rassam le producteur, mais aussi de la littérature avec Lafcadio (personnage de Gide) ou Troppmann (personnage de Bataille).
On lit, on se laisse emporter (ou pas, ce sont les limites d’un tel roman) par ces divagations sans queue ni tête qui ne tiennent debout que par le pouvoir du style et l’écriture fluide et élégante de Jean-Jacques Schuhl. Roman de la nuit, vaguement branché, usant du name dropping, mais pas tant que je le craignais avant d’ouvrir ce livre, l’écrivain sait aussi nous passionner en jouant avec les mots et leur sonorité et nous intéresser par ses considérations sur le métier d’acteur ou ses réflexions à propos des gestes qui amèneraient les mots, « Je me revois à mon bureau comme si j’y étais, sept huit dix fois en train de ramasser et d’enrouler et de réenrouler à mon poignet une chaîne absente, afin de faire venir les mots, trouver la phrase précise… »
Roman ou autoportrait, les deux c’est selon, moderne mais pas creux, « morbide chic » d’après le narrateur qui ailleurs en convient « Un thème ? oui vaguement mais, tu sais bien, c’est un prétexte pour faire des images, jouer avec les mots, faire revenir quelques morts… » Un roman comme un film, à moins que ce ne soit l’inverse, Jean-Jacques Schuhl use de sa plume comme d’une caméra, pour faire son cinéma.
« … du rire, des larmes, de l’action, un peu de réflexion quand même, pas trop… une vie… n’oublie pas la vie, Charles… tu oublies trop souvent… remets les pieds sur notre belle planète bleue. Ah ! ah ! ah !... Et puis une femme, faut une femme, Carlito, n’oublie pas ça quand même, sans ça tintin pour le Goncourt. Ah ! ah ! ah ! Quoi encore ? Ah oui, ce qui est toujours bien c’est de les faire voyager les gens… les faire rêver… du rêve, Charles, n’oublie pas le rêve, mais ça tu connais, le rêve, hein ? les beaux voyages, New York, Rome… le cinéma… une actrice ou une grande chanteuse peu importe… comme tu veux… Ah ! ah ! ah ! Mais surtout, mets-moi dedans !! Ca vaut le coup ! »
Jean-Jacques Schuhl Entrée des fantômes Gallimard - 143 pages -
16/05/2014 | Lien permanent
Balzac : Illusions perdues
Le repos forcé m’a donc permis de lire en toute quiétude le roman entamé fin décembre. Toutes les conditions étaient requises pour l’apprécier dans les meilleures conditions car ce n’est pas le genre d’œuvre qu’on peut lire dans le métro.
Le roman de Balzac est découpé en trois parties et il n’y a pas de chapitres intermédiaires permettant des pauses impromptues. Il faut se lancer dans la lecture de longs passages sans craindre d’être stoppé dans son élan et ne reposer le livre que lorsque l’intrigue le permet. Ce roman est le condensé ou l’illustration parfaite de sa géniale Comédie Humaine. Comment un homme peut-il écrire autant, si bien, avec une telle cohérence globale ? Je ne vais pas me lancer dans une analyse poussée du roman encore moins de l’œuvre titanesque de Balzac, d’autres plus calés que moi l’ont déjà fait et le referont encore. Néanmoins je constate une nouvelle fois que la lecture des grands classiques de la littérature permet de remettre les choses à leur place, de nombreux livres sont édités, beaucoup sont très agréables à lire mais entre un bon livre et un chef-d’œuvre il y a une différence que même le béotien remarque. Aussi quand je parcours certaines critiques dithyrambiques sur des best-sellers à peine éclos des imprimeries Brodard et Taupin à La Flèche(Sarthe) -par exemple- je leur accole un bémol d’emblée.
Pour en revenir aux Illusions perdues (et non pas Les illusions perdues) « l’absence d’article défini – cas unique chez Balzac- montre clairement le caractère absolu de la désillusion » vous en sortirez étourdi et sonné par le machiavélisme des personnages où l’intérêt et l’ambition priment sur tout autre sentiment, les alliances se font et se défont au gré des rebondissements. Lucien de Rubempré pauvre poète monté d’Angoulême à Paris nous permettra d’évoluer dans le monde de la littérature, de la presse, du théâtre, de la bourgeoisie et de l’aristocratie où tous ont partie liée selon le sens du vent. L’intrigue est puissante, atterrante quand Lucien trahira ses amis ou ruinera sa famille, éblouissante quand Balzac démonte sous nos yeux tous les mécanismes économiques et moraux qui enrichissent ou ruinent ses personnages. Paru vers 1840 le livre reste terriblement moderne et tout aussi extraordinaire. Chef-d’œuvre s’il faut encore le répéter.
« Depuis deux heures, aux oreilles de Lucien, tout se résolvait par de l’argent. Au théâtre comme en librairie, en librairie comme au journal, de l’art et de la gloire, il n’en était pas question. Ces coups du grand balancier de la monnaie, répétés sur sa tête et sur son cœur, les lui martelaient. Pendant que l’orchestre jouait l’ouverture, il ne put s’empêcher d’opposer aux applaudissements et aux sifflets du parterre en émeute les scènes de poésie calme et pure qu’il avait goûtées dans l’imprimerie de David, quand tous deux ils voyaient les merveilles de l’Art, les nobles triomphes du génie, la gloire aux ailes blanches. En se rappelant les soirées au Cénacle une larme brilla dans les yeux du poète. »
Honoré de Balzac Illusions perdues Scènes de la vie de province Le Livre de Poche
09/10/2012 | Lien permanent
Thomas Bernhard : Extinction
L’auteur qui vit à Rome reçoit un télégramme de ses deux sœurs l’informant du décès dans un accident de voiture, de leurs parents et frère. Murau quitte la capitale italienne et rentre en Autriche dans le domaine familiale de Wolfsegg afin d’assister à l’enterrement et prendre possession de cette vaste propriété qui désormais lui revient.
Ces quelques jours vont être le prétexte pour Murau à se livrer à une critique incendiaire de tout et tout le monde. Critique de sa famille, son père national-socialiste, sa mère bête, inculte, cupide et trompant son père sans amour pour ses enfants, son frère falot, ses sœurs qui n’ont jamais vécu car restées sous la coupe de leurs parents même si l’une Caecilia a épousé un crétin de fabricant de bouchons de bouteilles de vin. Critique de son pays l’Autriche, trop attachée au national-socialisme et au catholicisme.
Un roman terrible où les critiques succèdent aux critiques, d’autant plus dures qu’elles sont dirigées contre sa propre famille et son pays. Cinq cents pages sans paragraphes ni saut de lignes, des phrases mises bout à bout constituent ce bouquin découpé en deux chapitres, Le télégramme qui se déroule en Italie et Le testament en Autriche, à Wolfsegg. J’avoue que les premières pages furent éprouvantes, cette diarrhée de propos acerbes contre les siens m’a semblé insupportable puis au fil de ma persévérance j’ai accepté le parti pris de Thomas Bernhard et je l’ai suivi jusqu’au bout, car derrière la forme du propos s’est dégagé un style puissant. Un épouvantable grand livre.
Thomas Bernhard écrivain autrichien (1931-1989) a livré en 1986 avec Extinction son tout dernier livre, apogée de son style fait de phrases longues et répétitives, comme pour marteler son propos et nous le faire entrer dans le crâne de gré ou de force. Toute sa vie l’écrivain fera scandale dans son pays par ses textes diffamatoires ou attaquant l’Etat, néanmoins il est reconnu comme un grand écrivain par la critique et reçoit de nombreux prix.
« Les Autrichiens n’ont pas le moindre goût, en tout cas ils n’en ont plus depuis longtemps, partout où l’on jette les yeux règne le pire mauvais goût. Et quel manque d’intérêt généralisé. Comme si l’unique centre était l’estomac, ai-je dit, et que la tête fût entièrement mise hors circuit. Un peuple si bête ai-je dit, et un pays si merveilleux dont, en revanche, la beauté est inégalable. Une nature à nulle autre pareille et des gens qui se désintéressent à tel point de cette nature. Une si haute culture, si ancienne, ai-je dit, et une si barbare absence de culture aujourd’hui, une inculture catastrophique. Ne parlons même pas de la situation politique déprimante. Quelles abominables créatures détiennent aujourd’hui le pouvoir en Autriche ! »
Thomas Bernhard Extinction collection Imaginaire chez Gallimard
09/10/2012 | Lien permanent
Jonathan Coe : Testament à l’anglaise
J’avais emporté le bouquin avec moi lors de mon séjour à Londres il y a quelques jours, le titre me semblant tout indiqué pour m’accompagner et m’occuper dans l’Eurostar. Jonathan Coe est un écrivain britannique né en 1961 qui s’est fait connaître en 1994 avec ce Testament à l’anglaise, son troisième roman.
Véritable saga où les personnages se croisent sans se connaître puis se retrouvent, flash-back et mise en abîme, l’écrivain tel un démiurge manipule ses personnages à son gré et nous entraîne dans la chronique d’une dynastie qui règne dans tous les secteurs de la vie publique de l’Angleterre des années Thatcher.
Un jeune écrivain dépressif et le plus souvent reclus chez lui, Michael Owen, accepte par hasard de rédiger l’histoire des Winshaw à la demande d’une vieille femme, Tabitha Winshaw qu’on dit folle car elle prétend qu’un de ses neveux aurait été responsable de la mort de son frère pendant la seconde guerre mondiale. Son enquête va révéler la vraie personnalité des descendants de cette dynastie. Un banquier véreux, un galeriste pratiquant le droit de cuissage, un marchand d’arme trafiquant avec Saddam Hussein, une journaliste sans morale, un politicien corrompu, la galerie de portraits nous fait tomber de Charibe en Scylla. L’enquêteur s’avèrera moins étranger aux Winshaw qu’il ne l’aurait pensé quand le puzzle commencera à se mettre en place et l’épilogue tragique au plus haut point n’épargnera personne.
Le roman mêle la critique sociale de l’Angleterre des années 80 pendant l’ère Thatcher avec le polar et Jonathan Coe balance des piques contre la télévision ou l’art moderne qui nous éloignent de l’intrigue policière avant de nous y faire revenir mine de rien, quelques pages plus loin, afin de mieux nous ferrer.
Le scénario particulièrement habile nous tient en haleine jusqu’à la dernière page et c’est le paradoxe de ce livre, car à y regarder de plus près certains passages ou scènes sont carrément ridicules – ou bien il s’agit de second degré – surtout la fin du roman quand tout le monde se retrouve dans le manoir isolé sur la lande pour un finale digne d’un film gore de série Z. Je ne sais pas comment Coe s’y prend mais ça fonctionne, j’ai fait abstraction de ces scènes peu crédibles sans effort pour savoir comment se terminerait cette histoire extraordinaire.
« Hilary bailla. A sept heures vingt-cinq, ils regardèrent une histoire de médecin écossais avec sa gouvernante, qui paraissait très lente et très provinciale. Alan expliqua que c’était u des programmes les plus populaires. Hilary n’en avait jamais entendu parler. « On commentera demain cet épisode dans chaque bureau, dans chaque usine de Grande-Bretagne, dit-il. C’est ça la grande force de la télévision : elle forme un lien entre toutes les parties dela nation. Elleannule les différences de classe et contribue à créer un sentiment d’identité nationale ». »
Jonathan Coe Testament à l’anglaise chez Folio
10/10/2012 | Lien permanent
John Connolly : L’ange noir
Un polar pour l’été. Quoi de mieux que quelques frissons quand la chaleur fait transpirer. Ici le cocktail mêle polar et un (gros) doigt de fantastique. Bien sûr il ne faut pas être trop à cheval sur la crédibilité de l’histoire ou trop pointilleux sur le « comment est-ce possible ? » de certaines scènes, mais est-ce bien raisonnable de toujours vouloir tout comprendre, tout contrôler ; lâchons la bride à l’imagination, laissons la folâtrer et divaguer.
Charlie Parker est détective privé. Un de ses amis lui demande de retrouver sa jeune cousine disparue. Des quartiers mal famés, terre de prédilection des macs, des putes et des dealers l’enquête va dériver vers les crimes en série. De là Parker va s’enfoncer un peu plus dans la dépravation et l’horreur quand il sera question de sculpture faite avec des os humains et plus particulièrement d’une statue recherchée par beaucoup de monde, des moines et des gros vilains qui se prennent pour des anges du Diable. Il y aura beaucoup de macchabées, le plus souvent tués atrocement, des faits mystérieux remontant à la nuit des temps relatés dans le Livre d’Enoch, des nazis et un final dans un ossuaire au cœur de l’Europe.
Mais est-ce réellement terminé ? Charlie Parker n’est-il pas marqué à tout jamais pour accomplir son destin et réussira-t-il à trouver la paix sur cette terre ? A naviguer à la lisière du Bien et du Mal il flirte avec des puissances qui dépassent l’humain et qui toutes l’appellent, saura-t-il résister à ce chant des sirènes ?
Un roman copieux, basé sur certains faits avérés mais largement enjolivés pour notre plus grand plaisir. Un bouquin qu’on dévore les yeux grands ouverts, avide d’arriver à l’épilogue.
« Sedlec. Enoch. Des Anges Noirs sous forme humaine. Un appartement où des ossements jaunissent dans un bain de pisse. Une cave décorée d’os humains attendant l’arrivée dune statue d’argent dans laquelle un démon est emprisonné. Un homme qui reste placidement dans une voiture en feu jusqu’à ce que son corps se transforme en cendres. Le crâne d’une jeune femme orné d’or placé dans une niche après qu’elle a été assassinée dans une pièce carrelée à cette fin. C’est plus clair, maintenant mon père, ou mon frère ? »
John Connolly L’ange noir chez Pocket
10/10/2012 | Lien permanent
Ella Maillart : Envoyée spéciale en Mandchourie
Années 30, le Petit Parisien l’un des plus grands journaux en France à cette époque, accepte d’envoyer Ella Maillart en Mandchourie. A son retour, en 1935, le quotidien publiera ses onze articles. Le livre que les Editions Zoé viennent de faire paraître, reprend ces articles inédits jusqu’à ce jour, retouchés à partir des notes manuscrites de l’écrivaine et complétés de photographies en noir et blanc prises par Ella Maillart avec son fameux Leica qui ne la quittait jamais.
Le Japon a récemment créé un état fantoche, le Mandchoukouo dans la région de Port-Arthur au nord-est de la Chine en y mettant l’empereur Pu Yi à sa tête. L’histoire de cette région est particulièrement complexe puisque Port-Arthur est cédé à la Russie en 1898, puis conquis par le Japon en 1905 avant de passer sous administration sino-soviétique en 1946 et enfin d’être cédé à a Chine en 1954 ! Ouf !
C’est non loin de là qu’Ella Maillart débarque en 1934, face à la Corée du Nord, dans cet état fantoche du Mandchoukouo créé par les Japonais en 1932 qui y ont placé l’empereur Pu YI à sa tête. La situation politique est instable, les frontières mal définies ; le Japon cherche à s’imposer et construit des lignes de chemin de fer. Durant ce voyage, Ella Maillart va croiser des Chinois, des Japonais, des Coréens, des Russes blancs, de rares Occidentaux aussi. Chacun essaie de trouver des marchés commerciaux dans cette région en pleine construction, en plein devenir. Les militaires sont partout, l’administration est pesante, les tracas administratifs nombreux mais vaille que vaille notre « petite reporter » poursuit sa route, évitant les bandits de grands chemins, se faisant rouer de coups par des soldats Japonais, dormant à la dur.
Ces textes sont une image précieuse de cette partie de la Chine à cette époque et Ella Maillart nous livre des faits bruts, sans afféterie romanesque. C’est au cours de ce voyage qu’elle rencontrera Peter Fleming et que tous deux plus tard poursuivront leur voyage en Asie pour nous donner les excellents Oasis Interdites et La voie cruelle pour Ella Maillart (parus tous deux chez Payot) Courrier de Tartarie (paru chez Phébus Libretto) pour Peter Fleming.
Personnellement j’ai préféré ces derniers ouvrages à cette Envoyée spéciale en Mandchourie, mais il reste néanmoins un très bon document et la trace des premiers pas de l’écrivaine en Asie.
« Le Japon pour échapper à une guerre de classes qui le menace, a lancé l’idée de faire la guerre à notre race blanche, cette race, qui ne sait plus que s’épuiser en disputes intestines, qui s’affole et se désagrège autour d’une S.D.N. impuissante… Danger imminent que représente ce Japon volontaire, aujourd’hui puissance continentale. »
Ella Maillart Envoyée spéciale en Mandchourie Editions Zoé
15/10/2012 | Lien permanent
Craig Johnson : Little Bird
Je suis dans ma période polars en ce moment, j’ai envie de suspense, de dénouement inattendu et de dévorer des livres dont j’attends la fin avec impatience. Ce roman de Craig Johnson remplit parfaitement son rôle et je ne lui en demanderai pas plus. Je ne connaissais pas du tout l’auteur mais je me suis fié à une bonne critique dans une revue, le petit plus supplémentaire étant qu’il est édité chez Gallmeister et que pour moi c’est une référence. Jusqu’à ce jour je n’ai jamais été déçu par leur catalogue, tous les bouquins lus chez eux dégageant un parfum enivrant d’Amérique et de grands espaces.
Deux ans après le viol d’une jeune indienne nommée Melissa Little Bird par quatre adolescents blancs, l’un d’eux est retrouvé assassiné près dela réserve Cheyenne. Lepremier de la liste ? La vengeance est un plat qui se mange froid. Le shérif Walt Longmire va mener l’enquête.
On n’échappera pas à certains clichés, l’inspecteur est usé par les ans et vit seul, ses quelques adjoints ou adjointes vont bientôt le quitter etc. mais ça fait partie du plaisir à lire certains polars. Vu le contexte, un petit bled du Wyoming et le viol d’une indienne, nous aurons aussi le copain indien du shérif, un grand costaud patron d’un bar miteux et last but not least, le plaisir de parcourir la région dans des pick-up bringuebalants alors que le blizzard se lève et que la neige commence à tomber. Ajoutons quelques pincées de mysticisme local et voilà un bouquin qui tient la route.
La construction de certains passages peut dérouter au début mais l’auteur ne manque pas d’humour et certains dialogues entre le shérif et son pote indien, peu loquaces l’un comme l’autre sont assez amusants. La lecture du roman provoque le visionnage mental du film qui pourrait en être tiré. Il semble que ce livre soit le premier traduit, d’une série de cinq, dont l’inspecteur Longmire soit le héros récurrent. J’attends la suite avec plaisir.
« Je mis en route le Bullet et fis tourner le moteur, je remontai les fenêtres et examinai mon œil droit dans le rétroviseur. C’était un bel œil droit, malicieux mais d’une élégance nonchalante. L’oreille droite était aussi remarquable, une belle oreille, somme toute, bien formée avec un lobe bien détaché. La patte était un peu grisonnante, juste assez pour donner du charme, et la couleur était bien assortie au feutre gis de mon chapeau. Un homme ou, pour être plus honnête, un œil et une oreille de bien belle allure. Je ne cédai pas à la tentation de tout compromettre en ajustant le rétroviseur pour en voir plus. »
Craig Johnson Little Bird chez Gallmeister
14/10/2012 | Lien permanent