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Yves Bichet : L’Homme qui marche

Yves BichetYves Bichet, né en 1951 à Bourgoin-Jallieu (Isère), est un écrivain français au trajet singulier. Salarié agricole pendant neuf ans, puis artisan du bâtiment, il se consacre désormais totalement à l’écriture. Son premier roman, La Part animale (1994), a été adapté au cinéma par Sébastien Jaudeau avec Niels Arestrup comme acteur principal. Son dernier opus, L’Homme qui marche, est paru cette année.

Robert Coublevie marche. Il marche sans arrêt, accompagné de sa chienne Elia, depuis que sa femme Elia (oui, le même nom !) l’a quitté il y a cinq ans, sur la ligne frontalière entre la France et l’Italie, dans les Alpes du côté de Briançon. Dans ces montagnes le chemineau croise son copain Jean, un ex-chartreux italien, ils discutent de choses et d’autres et se séparent jusqu’à la prochaine. Quand Robert redescend en ville, il va au Café du Nord boire un blanc limé. Derrière le comptoir, Sylvain Taliano le patron et Mounir le serveur maghrébin. Dans une minuscule pièce au-dessus, Camille, seize ans, fille de Sylvain, épie la salle par un judas. Elle porte en elle une lourde blessure secrète qu’elle finira par confier à Robert, l’entraînant dans une aventure sans issue passant par le cadavre d’Yves Tissot qui fera de Robert un suspect parfait pour cet éventuel meurtre, sachant qu’il avait un bon mobile, Tissot aurait couché avec Elia, sa femme qu’on croyait partie.

Roman court, et original non pour son scénario mais pour le ton et l’écriture d’Yves Bichet, nimbant le livre d’une ambiance doucement mélancolique. L’écrivain s’exprime par ellipses, petits mots pour petites phrases timidement enfilées, images délicates qu’une vulgarité esquissée vient troubler parfois incongrument. Robert ne comprend pas trop le monde et le répète à l’envi, préférant fuir vers la solitude des sommets rocailleux, s’émerveillant d’une fleur sauvage ou d’une marmotte, se contentant de la présence à dose homéopathique de son copain Jean. Et ce n’est pas la révélation de Camille qui va arranger ses bidons, « la compassion scandaleuse » de la victime pour son violeur n’est pas faite pour faciliter la compréhension de Robert.

Un dicton veut que ce soient les meilleurs qui partent les premiers, le pauvre Robert, garçon simple et épris de liberté en fera le triste constat après un coup du sort funeste, « privé de mes montagnes, je ne pouvais espérer vivre comme avant » et s’offrira en victime expiatoire. Comme un saint.

 

« Elle glisse le long du mur. Je voudrais dire quelque chose de gentil mais, non, ça sert à rien de réagir. Bilan des corps et des dépouilles, ma Camille, bilan des vies gâchées. Cette fois-ci, vois-tu, on implore tous ta clémence, on voudrait vraiment que tu oublies. Je suis un homme comme les autres et je rêverais que tu pardonnes aux hommes. Pardonne ma Camille… Elle ne répond pas. Je lui dis qu’on s’excuse tous de lui demander pardon… Ca la fait sourire. (…) Elle chuchote encore un truc, qui me vrille, moi, Coublevie, simple chemineau des frontières qui ne comprend rien à la marche du monde. »

 

Yves BichetYves Bichet  L’Homme qui marche  Mercure de France – 174 pages –

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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14/08/2014 | Lien permanent

Lance Weller : Le Cercueil de Job

lance wellerLance Weller, né en 1965 dans l'Etat de Washington, est l’auteur de plusieurs nouvelles qui lui ont valu diverses récompenses littéraires. Après deux excellents romans, Wilderness (2012) et Les Marches de l’Amérique (2017), Le Cercueil de Job est son dernier ouvrage.

Durant la guerre de Sécession (1861-1865). Bell Hood, une très jeune esclave est en fuite, elle tente de rejoindre le Nord - « l’Union » - d’Abraham Lincoln qui souhaite l’abolition de l’esclavage. De son côté, Jeremiah Hoke, soldat de l’armée Sudiste a réchappé, mais dans un sale état, de la bataille de Shiloh. Leurs deux chemins avancent en fausses parallèles qui finiront par se rejoindre dans une apothéose dramatique…

Pourquoi ai-je différé la lecture de ce roman ? Je ne sais pas, une lubie saugrenue, d’autant que j’avais aimé les précédents bouquins de l’écrivain. Une erreur n’en est plus une quand elle est réparée, et sacrebleu il y avait intérêt à ce qu’elle le soit !

Ecartons d’emblée les préjugés malvenus qui pourraient en bloquer certains : oui le roman est dense, oui la chronologie nous joue des tours, oui des faits ne trouveront leur explication que plus tard dans le récit, oui j’ai eu le sentiment parfois, surtout dans les débuts, de suivre une histoire contée sur un ton monocorde, défaut ou qualité (?) créant un effet hypnotique. Au final, vous avez-là un roman sensationnel, de bruits et de fureur, d’une grande beauté littéraire où l’horreur et l’émotion vous emportent dans un souffle irrésistible vers une apothéose sublime.

L’idéal serait que je m’arrête là, que vous découvriez par vous-même tous les évènements du livre, donc je vais tenter d’être succinct. Ce n’est que le livre refermé qu’on peut en remettre la chronologie dans le bon ordre avec les explications qui vont avec : Toute l’histoire part d’un drame insoutenable affectant Bell Hood qui la poussera à l’évasion ; Hoke, quant à lui, soldat Sudiste, est rongé par le remord et le doute, il a commis un geste terrible qui le damne pour l’éternité et au fond de sa conscience une petite voix indistincte lui dit que l’esclavage et le sort réservé aux Noirs sont répréhensibles. La bataille de Shiloh l’a privé de la majorité de ses doigts, une punition corporelle qui n’est rien en regard de sa souffrance morale. Lors du carnage final durant la prise de Fort Pillow, devenu camp d’esclaves réfugiés, tenu par les Nordistes, Hoke et Bell vont s’y retrouver, et le sens profond du livre nous être révélé.

Le bouquin regorge de scènes et d’images d’une force inouïe, l’horreur de cette guerre rarement autant épouvantable, que ce soit par les cadavres qui jonchent le sol des combats que par les souffrances endurées par les esclaves Noirs où les Sudistes ségrégationnistes n’y voyaient que normalité.

Bell Hood est animée d’une volonté farouche, elle avance quelles que soient les embûches (euphémisme !), Joe Hoke traine son fardeau moral, cherchant en vain (?) une éventuelle rédemption…

Une lecture indispensable.

 

« Bell se redressa et alla tout de même se poster près de lui. June voulut lui couvrir les yeux de sa main, mais elle l’écarta. Elle regarda, longuement. Puis elle eut un haut-le-cœur et mit la main devant sa bouche. Mais elle ne se détourna pas. Elle laissa entendre un petit bruit tandis qu’elle contemplait le chaos, le gâchis et la ruine qui s’étalaient devant elle, comme si elle effectuait un pointage de tout ce qu’elle voyait, comme si c’était une tâche qu’elle s’était assignée. June se tenait à côté d’elle, haletant, les yeux en éveil, à l’affût du danger. »

 

 

lance wellerLance Weller   Le Cercueil de Job   Gallmeister  - 465 pages -  

Traduit de l’américain par François Happe

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Don DeLillo : Les noms

Delillo NOMS 7890811_4033109.jpgL’écrivain américain Don DeLillo nous a habitué depuis longtemps à ses gros livres touffus qui mêlent les époques et brassent les idées. Se plonger dans l’un de ses pavés s’est s’immerger dans sa vision du monde, sous forme de métaphores où s’enchevêtrent aujourd’hui et hier pour mieux nous parler de demain.

Avec ce roman, Les noms, paru en 1982 aux Etats-Unis mais traduit en 1990 pour la France, l’auteur nous livre sa version de la place de l’Amérique dans le monde. « L’Amérique est le mythe vivant du monde ». Le monde vu par l’Amérique, l’Amérique vue par le monde à travers cinq cents pages d’un roman politique et méandreux, complexe à appréhender.

Le livre se déroule autour de la Méditerranée et au Moyen-Orient comme dans les romans d’espionnage, car la zone est riche en Histoire, conflits larvés ou actifs, peuples divers, nomades ou sédentarisés. Régions des débuts et peut-être de la fin pour l’Homme, terres des langues ancestrales et millénaires. Des employés Américains de grandes multinationales naviguent entre ces différents pays, rédigeant des rapports et des analyses sur la situation géopolitique pour anticiper les évènements qui pourraient perturber les cours des matières premières et énergétiques. A Beyrouth ou Athènes, ils ont leurs habitudes, leurs points de chute. L’un d’eux va se laisser entraîner dans une enquête suite à un meurtre rituel qui va le mettre sur la piste d’une secte qui a le culte des mots. Le nom de votre ennemi est inscrit sur une poterie, on brise la poterie, plus de nom donc plus d’existence. « Voilà ce que nous apportons au temple, non pas des prières ou des incantations ou des béliers sacrifiés. Notre offrande est le langage ».   

Un livre dense, pas facile à lire. Difficile de suivre les protagonistes, la chronologie des évènements et les idées. Néanmoins un roman fascinant pour ceux qui acceptent de se laisser entraîner par le rythme des mots, quitte à perdre pied durant plus phrases avant de refaire surface à la page suivante. Personnellement je n’ai que moyennement adhéré à la narration et ce n’est pas mon bouquin de Don DeLillo que je préfère, mais il faudrait le relire au moins une fois de plus pour donner un avis sensé.  

 

 

« Le monde es tellement grand. On nous répète sans cesse qu’il rapetisse. Mais ce n’est pas vrai. Tout ce que nous apprenons à son sujet le rend plus grand. Tout ce que nous faisons pour compliquer les choses le rend plus grand. Ce n’est qu’une vaste complication. Un vaste embrouillamini. Elle se mit à rire. Les communications modernes ne rétrécissent pas le monde, elles l’agrandissent. Les avions rapides l’agrandissent. Ils nous donnent davantage, ils relient plus de choses entre elles. Le monde ne rétrécit pas du tout. Ceux qui prétendent qu’il rétrécit n’ont jamais volé sur Air Zaïre dans un orage tropical. Je ne savais pas ce qu’elle entendait par là, mais cela avait l’air drôle. Cela lui parut drôle aussi. Elle était forcée de parler par-dessus son fou rire. Rien d’étonnant à ce que les gens retournent à l’école pour apprendre s’étirer et se courber. Le monde est si grand et si compliqué que nous n’avons plus confiance en nous-mêmes pour comprendre quoi que ce soit. Rien d’étonnant à ce que les gens lisent des livres qui leur disent comment courir, marcher, s’asseoir. Nous essayons de rester au courant du monde, de sa taille, de ses complications.

 

DELILLO  .JPGDon DeLillo  Les noms  collection Babel  

 

 

 

 

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12/10/2012 | Lien permanent

Don DeLillo : L’Homme qui tombe

DELILLO L homme 7885429_4033139.jpgDestins éclatés et chaotiques de quelques personnages marqués à tout jamais par les attentats du 11 septembre 2001 contre les Tours de New York. Je dois avouer que je n’ai pas su entrer dans le livre trop éclaté à mon goût, au début particulièrement, reflet des troubles physiques (quête des corps) et psychologiques (troubles de la mémoire) des héros de ce roman. Il aurait certainement fallu que je consacre de plus longues plages de lecture pour mieux m’immerger dans l’univers de l’écrivain alors que j’ai lu le bouquin par petits bouts, fractionnant un texte par lui-même déjà déstructuré. Quant à l’Homme qui tombe, il s’agit d’un artiste créant des performances en se jetant dans le vide, retenu par un simple harnais, pour styliser ces corps qui pour se sauver, se jetèrent des tours lors de l’attentat apocalyptique. Peut-être qu’en le relisant plus sérieusement j’en savourerais la moelle ?

 

« Si nous occupons le centre, c’est parce que vous nous y avez mis. Voilà votre vrai dilemme, dit-il. En dépit de tout, nous sommes toujours l’Amérique, et vous êtes toujours l’Europe. Vous allez voir nos films, vous lisez nos livres, vous écoutez notre musique, vous parlez notre langue. Comment pouvez-vous cesser de penser à nous ? Vous nous voyez et nous entendez tout le temps. Posez-vous la question. Il y a quoi, après l’Amérique ? Martin répondit avec calme, presque sans conviction, comme s’adressant à lui-même. Je ne connais plus cette Amérique-là. Je ne la reconnais pas, dit-il. Il y a un espace vide à l’endroit où était l’Amérique. »

 

DELILLO  .JPGDon DeLillo   L’Homme qui Tombe  Actes Sud

  

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12/10/2012 | Lien permanent

Russel Banks : Un membre permanent de la famille

russel banksRussell Banks, né en 1940 à Newton, dans le Massachusetts, est un écrivain américain. Après des études à l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, il voyage, passe même quelque temps en Jamaïque. Il a écrit des romans, des nouvelles et de la poésie. Il enseigne actuellement la littérature contemporaine à Princeton. Depuis 1998, il est membre de l’Académie américaine des arts et des lettres. Très actif politiquement, il est le président fondateur d’une fondation qui s'est donné pour mission d'établir aux Etats-Unis des lieux d'asile pour des écrivains menacés ou en exil. Un membre permanent de la famille, recueil de douze nouvelles, date de 2015.

Russel Banks est doué pour écrire de courtes histoires qui prennent instantanément le lecteur. Une écriture simple, sans chichis, qui va directement au but, vous plongeant immédiatement au cœur du récit. Toutes ces nouvelles mettent en scène des gens ordinaires dans leur vie de tous les jours et sans parler de fil rouge, on remarque qu’il s’agit très souvent de divorcé(e)s, de personnages ayant vécu ou traversé des épreuves, se coltinant avec la vie comme ils le peuvent. Outre le talent narratif, l’écrivain sait nous rendre sympathiques ses héros ou du moins solliciter notre compréhension : comment en vouloir à ce retraité de braquer des banques pour arrondir sa petite pension ? (Ancien marine), pourquoi critiquer cette veuve qui malgré son amour pour le défunt, se sent revivre et comme libérée désormais ? (Oiseaux des neige).

Banks ne manque pas d’imagination non plus, chaque nouvelle est une surprise pleine d’invention : ce greffé du cœur à qui la femme du donneur demande à pouvoir écouter battre l’organe de son défunt mari (Transplantation) ou bien cette extravagance (Blue), une femme voulant acheter une voiture d’occasion se retrouve enfermée pour la nuit chez un concessionnaire, à la merci d’un pitbull menaçant. Sujets divers, personnages qui le sont tout autant, on ne s’ennuie pas une seule seconde avec ce bouquin.

Russel Banks ne cherche pas à moraliser ou dispenser un message (encore qu’il offre une réflexion intéressante sur la renommée dans Big Dog), il ne fait que croquer de petits univers tout ce qu’il y a de plus communs d’une Amérique très middle class.  

 

« Ed se releva. Il avait soixante-douze ans ; les choses simples étaient devenues très difficiles en très peu de temps : se redresser, s’asseoir, sortir du lit, conduire pendant plus de quatre ou cinq heures. Quand ils étaient partis de chez eux un an plus tôt, rien de cela n’était encore difficile pour lui. C’était la raison pour laquelle il avait décidé de partir – la raison pour laquelle ils l’avaient décidé tous les deux -, car bien qu’alors aucune des choses simples n’ait été particulièrement difficile pour eux, ils étaient assez vieux pour savoir que tout ce qu’ils ne feraient ou ne verraient pas maintenant, ils ne le feraient ni ne le verraient jamais. Cette idée avait aussi été celle d’Alice, pas seulement d’Ed – le romantisme de la route sans fin, voir l’Amérique et mourir… » [Les Outer Banks]

 

russel banksRussel Banks  Un membre permanent de la famille  Actes Sud – 239 pages –

Traduit de l’américain par Pierre Furlan

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Harry Crews : Par le trou de la serrure

Harry Crews, Erskine Caldwell, Jim HarrisonHarry Crews (1935 - 2012) est un romancier américain. Orphelin de père dès l’âge de deux ans, confronté à un beau-père alcoolique et violent, son enfance est marquée par les conditions de vie difficiles dans le Sud rural et de graves problèmes de santé. A 17 ans il s’engage dans le corps des Marines, où il passera trois années durant lesquelles il combat en Corée et découvre la littérature. Il intègre ensuite l’université de Floride pour des études d’anglais, qu’il interrompt en 1956 pour une virée de 18 mois en moto à travers les Etats-Unis. Il exercera jusqu’en 1997 comme enseignant d’anglais dans plusieurs écoles et universités de Floride. On lui doit une vingtaine de romans.

Par le trou de la serrure, qui vient de paraître, est un recueil de vingt-sept articles parus initialement dans des magazines américains (Playboy, Esquire…) entre 1976 et 1983 mais dont certains sont carrément inédits même aux Etats-Unis. L’ouvrage avait été établi par Harry Crews peu de temps avant sa mort et laissé dans un tiroir jusqu’à ce jour.  

Deux types d’articles, des reportages in situ et des textes plus personnels touchant à son enfance, mes préférés car le Harry Crews aux allures de gros dur sur ses photos, se livre sans fard et sait se faire émouvant.

Les reportages nous font partager l’intimité de « figures » typiquement américaines pas toutes fréquentables et assez effrayantes quand on y réfléchit bien : le jeune chef du Ku Klux Klan, un évangéliste dirigeant une université et un autre occupant le créneau médiatique, d’autres sont plus agréables et finalement plus qu’on ne pouvait le penser comme Madonna et l’on suit aussi Sean Penn, son époux à cette époque. Des anonymes ne manquant pas de gueule complètent cette galerie de portraits.

Pour les souvenirs personnels, retenons principalement le vibrant hommage rendu à sa mère qui « n’a pas simplement été une maman pour moi, elle a aussi été le papa que j’avais perdu », ou ce magnifique chapitre où il se souvient que gamin assis par terre, il écoutait les histoires que les adultes se racontaient au coin du feu le soir. Une enfance dans le Sud, cette Géorgie de fermiers pauvres, celle d’Erskine Caldwell, celle où le mulet était roi et Harry Crews de consacrer deux chapitres à cet incroyable animal, « je célèbre le mulet car il a fait le Sud ».

Outre tout cela, il y a bien sûr de l’alcool, de la violence et des femmes, comment pourrait-il en être autrement ?

Un bon bouquin, amusant, effrayant, émouvant, dont les thèmes principaux tournent autour de la littérature, ses maîtres et sa manière d’écrire, des personnages cocasses qui font ce pays et les valeurs morales qui font d’un gamin un homme, à commencer par le travail. 

 

« Et partout il y avait des mules, dans les écuries, courant librement dans l’enclos ou bien guidées par leur licou dans l’air lumineux chargé d’odeurs de maïs ou de foin. Il n’y avait jamais de femmes à l’écurie. C’était le repère des pères, des frères et des oncles, un monde fondamentalement masculin et, précisément pour cette raison, un endroit presque insupportablement agréable pour un jeune gars qui, sans s’en rendre compte, apprenais les us et coutumes de la virilité. Ca plaisantait, ça rigolait, ça racontait des histoires, mais le fondement de tout cela était on ne peut plus sérieux, puisqu’il s’agissait du commerce des mulets. »

 

 

Harry Crews, Erskine Caldwell, Jim HarrisonHarry Crews   Par le trou de la serrure   Finitude   - 343 pages -        

Traduit de l’américain par Nicolas Richard   Postface de Joseph Incardona

 

 

PS : Curieux hasard qui voit la publication simultanée de deux livres, du même genre, par deux écrivains aux nombreux traits communs, La Recherche de l’authentique de Jim Harrison et ce bouquin de Harry Crews !

Deux compilation d’articles parus dans des magazines pour ce qui est des livres et deux écrivains américains totalement contemporains, Harrison (1937-2016) et Crews (1935-2012), ayant connus des déboires de même nature dans la vie, pour Jim : perte d’un œil, décès conjoints et dramatiques de sa sœur et son père dans un accident de voiture ; pour Harry : mort de son père quand il avait deux ans, paralysie inexpliquée de ses deux jambes durant six mois, chute dans un chaudron où l’on ébouillantait le cochon qui l’immobilisera encore de long mois nu sous une moustiquaire.

Deux visions de l’Amérique, l’une par un gars du Midwest (Big Jim) évoquant souvent la cause Indienne et l’autre par un Sudiste pur jus (Harry) celle des Noirs, deux gars simples mais cultivés, deux visions qui ne s’opposent pas mais se complètent pour dresser le portrait en patchwork de ces sacrés Etats-Unis…

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Philip K. Dick : Les Marteaux de Vulcain

Philip K. Dick Philip Kindred Dick, né en 1928 à Chicago et décédé en 1982 à Santa Ana en Californie, est un auteur américain de romans, de nouvelles et d'essais de science-fiction, l’un des meilleurs du genre, mon préféré entre tous. On lui doit Le Maître du Haut Château ou encore Ubik  par exemple et le cinéma a adapté certains de ses textes pour nous offrir Blad Runner avec Harrison Ford, Total Recall avec Arnold Schwarzenegger, Minority Report avec Tom Cruise etc. Son roman, Les Marteaux de Vulcain, date de 1960.

Après la fin de la Première Guerre atomique en 1992, l’humanité abandonne le principe des nations souveraines pour devenir une, sous la forme de l’Union. Un directeur général (Jason Dill) secondé par des directeurs régionaux découpant le monde, comme William Barris chargé de l’Amérique du Nord, gèrent les activités humaines en suivant les consignes données par un méga-ordinateur, Vulcain 3, dernier né de cette génération de super-machines. La société serait stable s’il n’y avait ce mouvement contestataire, Les Guérisseurs, mené par le Père Fields qui veut redonner aux hommes la maîtrise de leur destin…

Quand je reviens, de temps en temps, à de vieilles amours comme la SF, je ne le consens que s’il s’agit de lire un maître et pour moi, Philip K. Dick sera le cador du genre pour l’éternité. Ce qui époustoufle le plus chez cet écrivain, c’est sa puissance prédictive. Ce bouquin date de 1960 et il est néanmoins d’une actualité confondante puisqu’il traite de l’Intelligence Artificielle (IA) ! Impossible aujourd’hui d’ignorer les progrès faits en cette matière qui fait appel à la neurobiologie computationnelle, à la logique mathématique et à l'informatique. Ce qui inquiète car il s’agit, ni plus ni moins, que de remplacer l'homme dans certaines mises en œuvre de ses fonctions cognitives.

Dans le roman, la machine est devenue presque humaine, elle sait tout sur tout et tous et à partir de là elle ébauche elle-même les scénarios de gouvernance de l’humanité, développe et crée ses propres outils offensifs ou défensifs, hors de tout contrôle humain comme vont le découvrir bien un peu tard, ses propres supporters. « Sans connaissance directe d’aucune sorte, Vulcain3 était capable, à partir de principes historiques généraux, de déduire les conflits sociaux qui se développaient dans le monde contemporain. Il avait forgé l’image de la civilisation telle que l’être humain la voyait à son réveil. »

On peut certes – aujourd’hui – reprocher à ce bouquin une forme narrative datée et naïve mais ce serait bien mesquin au vu de son contenu qui pose la question essentielle : est-il préférable de vivre dans un monde avec des violences et des guerres inhérentes aux faiblesses humaines, ou bien dans un monde aseptisé et de paix mais où les hommes ne sont que des pions au service d’une machine, variante des dictatures bienveillantes ?

Un roman à lire et à relire…

 

« Vous avez mis fin au culte du technocrate. Je suis diablement dégoûté de ce bourrage de crâne. Comme si des compétences manuelles, la maçonnerie ou la plomberie, ne valaient rien. Comme si les gens qui travaillent de leurs mains, avec l’habileté de leurs doigts… Je suis fatigué que ces gens soient encore relégués au second plan. – Je ne vous blâme pas. – Nous coopérerons avec nos prêtres en gris, comme nous les appelions dans nos brochures. Mais prenez garde. Si l’aristocratie des règles à calculer, des cravates pastel et des chaussures noires nous échappe des mains… » Il désigna la rue, au loin, sous les fenêtres. « Vous nous entendrez là, de nouveau. - Ne me menacez pas », dit Barris calmement. Fields rougit. « Je ne vous menace pas. Je vous fais remarquer des faits. Car si nous sommes exclus de l’élite gouvernante, pourquoi coopérerions-nous ? » 

 

 

Philip K. Dick Philip K. Dick   Les Marteaux de Vulcain   J’ai Lu  - 222 pages –

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Monique Bénâtre

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30/08/2018 | Lien permanent

Alix de Saint-André : En avant, route !

Alix Livre 27523379_9412800.jpgAlix de Saint-André est journaliste (entre autre elle fut chroniqueuse sur Canal+) et écrivaine. Son nouveau livre En avant, route ! nous raconte son pèlerinage sur la route de Compostelle, trajet qu’elle eut l’occasion de faire trois fois, la première au départ de Saint-Jean-Pied-de-Port, la seconde en partant de La Corogne et enfin en accomplissant le vrai voyage, à savoir partir de chez elle, des bords de la Loire et rejoindre Compostelle à pied.

Une vraie cure de jouvence la lecture de ce bouquin car Alix n’est pas du genre à pleurnicher sur ses maux de pieds ou nous assommer avec des considérations religieuses lourdingues. « Beaucoup s’imaginent qu’on marche derrière des curés en récitant des prières, pas du tout ! Les gens sont très individualistes, pour tout dire on picole, on s’amuse, on improvise des fêtes. Beaucoup même, ne sont pas croyants. »

Livre de marche mais surtout de rencontres, car c’est là l’un des principaux aspects de ce périple, on rencontre des hommes et des femmes – ainsi qu’un âne – de toutes nationalités et de tous âges. Chacun vient avec son caractère, ses problèmes et ses joies, on marche ensemble pendant quelques étapes, on se perd de vue, on se retrouve plus loin. Sans que le bouquin soit un guide, Alix nous distille quelques conseils pratiques sur la manière de sangler son sac à dos, de marcher avec son bâton de pèlerin, les rituels aux étapes dans les gîtes prévus pour les marcheurs et la trace de votre passage grâce au tampon apposé sur votre crédentiale, ce petit livret qui certifie votre passage, par le curé du village ou parfois la tenancière d’un bistrot !

Alix de Saint-André écrit dans un style alerte, plein d’humour et de culture sans ostentation mais avec aussi quelques passages émouvants sur son père et deux amies disparues. On est tenté de lire son livre très vite, mais il faut le déguster lentement pour mieux le savourer, car comme le dit un proverbe du Mali « Tu as la montre, et moi j’ai le temps ». N’hésitez pas à vous lancer dans la lecture de ce livre délicieux qui accompagnera à merveille vos randonnées estivales et le soir, fourbus, vous pourrez dire sans honte « Nous sommes de vrais pèlerins qui ronflons, qui buvons et qui sentons mauvais des pieds ! »

 

« Les plus jolis marcheurs sont un couple de Suisses ; le rythme souple de leurs corps côte à côte dégage une sorte de grâce et d’élégance partagées, comme s’ils dansaient. A un moment ils m’ont emboîté le pas, le temps d’une conversation, l’un à ma gauche, l’autre à ma droite, et après un au revoir, se sont éloignés en me doublant dans l’accélération silencieuse de leur essor naturel, très vite et très loin. Même taille, grands, minces, lui blanc, et elle métisse d’origine haïtienne, assez drôle. Deux légers accents, différents, adoucissent leur français chantant ; ils sont curieux, attentifs, et parents d’enfants adultes, déjà. Ils m’assurent que le quatrième jour, le chemin devient moins douloureux, demain… »

 

 

Alix images.jpgAlix de Saint-André  En avant, route !  Gallimard  

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16/10/2012 | Lien permanent

Marcel Pagnol : Le Château de ma mère

Pagnol Marcel Le chateau de ma mère 2.jpgMarcel Pagnol est un écrivain, dramaturge et cinéaste français, né en 1895 à Aubagne (Bouches-du-Rhône), mort le 18 avril 1974 à Paris à l'âge de 79 ans. Il devient célèbre avec Marius, une pièce de 1929. Cinq ans plus tard, à Marseille, il créé sa propre société de production et ses studios de cinéma, et réalise de nombreux films – entrés dans mon panthéon culturel - avec entre autres Raimu, Fernandel, Pierre Fresnay, Louis Jouvet ; citons pour exemples, Angèle (1934), Regain (1937), La Femme du boulanger (1938) etc. En 1946, il est élu à l'Académie française. En 1957, après s’être éloigné du cinéma et du théâtre, il entreprend la rédaction de ses souvenirs d'enfance avec notamment La Gloire de mon père et Le Château de ma mère.

Ce deuxième volet de souvenirs reprend le cours du récit précédent, Marcel, son père Joseph et l’oncle Jules sont à la chasse, principale activité de ces mois de vacances en été, dans leur maison de campagne. Les liens d’amitié avec le jeune Lili, un gamin du coin, se sont resserrés, désormais ils sont amis pourla vie. Liliapprend à Marcel, la nature et les animaux, Marcel enseigne à Lili, les mots et les chiffres.

Aussi, quand vient l’époque où les vacances s’achèvent pour reprendre l’école, Marcel ne le supporte pas et décide de s’enfuir pour vivre en ermite au cœur de la garrigue dans les collines, avec la complicité de Lili très impressionné par le courage de son copain. Cette résolution ne durera pourtant qu’une seule nuit, freinée par le fantôme du Grand Félix et deux gros hiboux, avant le retour au bercail et le départ pour la ville.

La famille se languissant de la campagne, s’organise pour y passer ses week-ends. Une vraie expédition, plusieurs heures de marche avec des paquets plein les bras. Un ami de Joseph leur confie une clé, permettant de suivre discrètement un canal traversant plusieurs propriétés et châteaux, ce qui constitue un énorme raccourci pour rejoindre leur maisonnette. Un jour, un garde les surprend et Joseph humilié, vivra dans la crainte de se voir infliger un blâme ou d'être révoqué par l'inspecteur d'académie. Heureusement, les choses s'arrangent.

Les dernières pages de l’ouvrage nous apprennent le décès survenu cinq ans plus tard de sa mère Augustine, de son ami Lili pendant les combats de la Grande Guerre et de son petit frère Paul à 34 ans alors qu’il avait choisi le métier de chevrier. Enfin, ultime pirouette, alors que Pagnol devenu adulte longtemps après, tentera de monter des studios de cinéma près de Marseille, il achètera, par un intermédiaire et sans l’avoir vu, un château ; justement celui qui effrayait tant sa mère lorsqu’ils empruntaient le fameux raccourci le long du canal, « l'affreux château, celui de la peur de ma mère ».  

Mieux encore que La Gloire de mon père, le second tome des souvenirs d’enfance de Pagnol est plus émouvant – la découverte de l’amitié profonde avec Lili, son amour sans bornes pour sa mère Augustine qu’il tente de protéger des fatigues et tourments dela vie. Son admiration pour son père était déjà connue, par contre si son petit frère Paul est évoqué, sa sœur encore plus jeune est presqu’ignorée. Narrativement aussi, l’intérêt est plus fort, la fuite de Marcel et Lili dans les collines de nuit, la traversée secrète des propriétés privées et les rencontres cocasses.

 

« - Eh bien, moi, ce qui m’a manqué, ce sont des cabinets confortables, sans fourmis, sans araignées, sans scorpions, et munis d’une chasse d’eau. Voilà donc à quoi il pensait, ce grand buveur de vin, avec ses grosses fesses : parmi le thym, le romarin et les lavandes, au chant des grillons et des cigales, sous le ciel d’un bleu vif où naviguaient les provençales, il n’avait pensé qu’à ça ! Et il l’avouait ! » 

 

 

Pagnol Marcel.jpgMarcel Pagnol  Le Château de ma mère – Souvenirs d’Enfance 2  Editions Pastorelly

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10/01/2013 | Lien permanent

Georges Simenon : Le Charretier de la « Providence »

georges simenonGeorges Simenon est un écrivain belge francophone (1903-1989). L'abondance et le succès de ses romans policiers (notamment les « Maigret ») éclipsent en partie le reste d'une œuvre beaucoup plus riche. Simenon est en effet un romancier d’une fécondité exceptionnelle, on lui doit 192 romans, 158 nouvelles, plusieurs œuvres autobiographiques et de nombreux articles et reportages publiés sous son propre nom et 176 romans, des dizaines de nouvelles, contes galants et articles parus sous 27 pseudonymes ! Le Charretier de la « Providence » paru en 1931 est l’un des premiers romans de la série des Maigret.

Le cadavre d’une femme étranglée est retrouvé dans une écurie près d’une écluse d’un canal latéral de la Marne. La femme correctement vêtue n’est certainement pas une familière des lieux. Le commissaire Maigret est chargé de l’enquête.

Dès ce premier roman, on plonge dans l’ambiance pesante des Maigret : une zone déserte, une écluse et un café de la Marine où les mariniers viennent boire un coup, une météo pluvieuse avec averses, ciel bas et gadoue qui colle aux godasses. Très vite deux bateaux attirent l’attention, un yacht, propriété de Walter Lampson, colonel de l’armée des Indes à la retraite porté sur l’alcool, Willy Marco, Mme Negretti et Vladimir le matelot russe. Le cadavre est celui de Mary, jeune épouse du colonel. Mais le bateau le plus intrigant c’est La Providence car un indice trouvé sur le cadavre le rend suspect ; péniche en bois, tirée sur le canal par deux chevaux, à son bord un couple de mariniers et Jean, un vieil homme taiseux, le charretier qui vit dans la paille auprès de ses bourrins… L’enquête se complique quand Willy est à son tour assassiné !

Maigret loge sur place et se mêle à la vie des mariniers, apprend tout du fonctionnement des écluses et de la navigation sur les canaux, ses codes, ses rites et ses contraintes. Les deux bateaux, deux univers opposés, sur l’un c’est une morne fiesta permanente avec champagne en jonglant avec les problèmes d’argent, liens sentimentaux complexes entre les uns et les autres, sur la péniche c’est la vie difficile mais aimée par leurs occupants, on travaille dur et on se serre les coudes. Maigret observe, écoute, emprunte un vélo pour se déplacer et suivre à la trace les bateaux sur le canal, il pleut, bonjour tristesse. De temps à autre, Lucas, adjoint du commissaire vient au rapport, mais le futur célèbre commissaire est seul à tenter de démêler cette intrigue dont je ne vous dis rien d’autre… le titre du roman parlant de lui-même !

Une intrigue qui se révèlera finalement assez abracadabrante car reposant sur un hasard assez improbable. Néanmoins l’épilogue nous réserve des pages d’une extrême tendresse, émouvantes au possible et très belles.

 

« « Jean, lui, c’est son écurie… Et ses bêtes ! … Tenez !... Il y a naturellement des jours où on ne marche pas parce qu’on décharge… Jean n’a rien à faire… Il pourrait aller au bistro… Non ! Il se couche, à cette place-ci… Il s’arrange pour qu’il entre un rayon de soleil… » Et Maigret se mit en pensée à l’endroit où se trouvait le charretier, vit la cloison passée à la résine à sa droite, avec le fouet qui pendait à un clou tordu, la tasse d’étain suspendue à un autre, un pan de ciel entre les panneaux du haut et, à droite, la croupe musclée des chevaux. Il se dégageait de l’ensemble une chaleur animale, une vie multiple… »

 

georges simenonGeorges Simenon   Le Charretier de la « Providence »   Gallimard La Pléiade Romans 1  - 100 pages -  

 

 

 

PS : Quelques jours de retard pour fêter les cent-vingt ans de la naissance de Georges Simenon, né le 13 février 1903 à Liège. Mais est-ce réellement important ? Tant qu’on le lit…

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20/02/2023 | Lien permanent

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