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Rechercher : les marches de l'amérique

Paul Beatty : Slumberland

paul beattyPaul Beatty, né en 1962 à Los Angeles, est un écrivain afro-américain. Diplômé d'un Master of Fine Arts du Brooklyn College en écriture créative, il a également obtenu une maîtrise en psychologie à l'université de Boston. En 1990, il est couronné Grand champion de slam du café des poètes de Nuyoricana et gagne à cette occasion un contrat d'édition pour la publication de son premier recueil de poésie, Big Bank Takes Little Banka. Slumberland, roman paru initialement en 2009, vient tout juste d’être réédité.

Si vous n’avez encore pas lu cet écrivain, il serait temps de vous y mettre. American Prophet (2013) et Moi contre les Etats-Unis d’Amérique (2015) m’ont largement convaincu du talent de Paul Beatty.

Ferguson Sowell, le narrateur afro-américain, bien qu’ayant obtenu une excellente note à l’examen d’entrée à UCLA n’est pas jugé digne de suivre les cours du programme d’aérospatiale et se voit aiguillé vers une Académie de musique. Doté d’une mémoire phonographique exceptionnelle lui « permettant de répliquer parfaitement n’importe quel morceau de musique », il créé un beat parfait (« la confluence de la mélodie et du groove qui transcende l’humeur et le temps ») mais pour qu’il soit certifié comme tel, il doit obtenir l’aval de Charles Stone (dit le Schwa), un musicien génial ayant disparu de la circulation. Un maigre indice l’envoie à Berlin, faire le DJ dans un bar, Le Slumberland, pour rechercher cet homme, cette légende. Le Berlin de l’époque de la chute du Mur… 

Dès la première page – comme toujours avec l’écrivain – c’est la claque et j’ai toujours cette image qui me vient en tête, la petite plaque métallique vissée sous la fenêtre des wagons de train de mon enfance, où l’on pouvait lire cette phrase magique « E pericoloso sporgersi » avertissant du danger potentiel à ouvrir la fenêtre. Car ouvrir un bouquin de Paul Beatty, c’est comme ouvrir la fenêtre du train en marche pour y passer la tête, on en prend plein la gueule !

Des phrases comme des torrents en crue, une débauche de vocabulaire, une multitude de références culturelles touchant à tous les genres, une inventivité narrative peu banale, bref le lecteur est immédiatement happé dans l’univers délirant de l’écrivain. Soit il suit tant bien que mal, accordant sa confiance aveugle, soit il abandonne, sort du jeu… et rate un grand moment de littérature.

Je ne développe pas plus l’intrigue, elle est trop fournie, trop folle. Quelques indices néanmoins, nous sommes dans le Berlin qui va voir le Mur s’écrouler et il y a un agent de la Stasi se livrant des activités choquantes avec une poule… Chut ! Je ne vous en dis pas plus.

Toujours très drôle, maniant toutes les formes de l’humour : noir, corrosif, se moquant du politiquement correct, ça balance pas mal chez Betty, le racisme, les Juifs, les Blacks, les Allemands de l’Ouest ou de l’Est mais aussi le vivre ensemble. Et bien que le roman se déroule à Berlin, on ne peut s’empêcher de voir le narrateur comme un double de l’écrivain, le premier à la recherche du beat et du Schwa prétextes à décrire cette Amérique que peint le second : « Mais en découvrant ce beat l’autre soir (…) J’entends l’Amérique. »

Le roman est excellent, même s’il est nettement moins puissant que les deux autres mais par contre il est plus facile à lire. Et je dois préciser pour les éventuels futurs lecteurs, que baignant dans la musique (jazz, blues, funk, pop, rock …) un minimum de connaissances en la matière me semble nécessaire pour en apprécier les moindres références, allusions et piques car Paul Beatty en connait un sacré rayon !  

 

« Slumberland. J’avais beau placer mes doigts bien serrés autour des yeux, je n’arrivais pas à voir l’intérieur du bar. Une lumière rouge vaporeuse filtrait à travers les stores en bambou toujours tirés. La vitre vibrait avec le murmure de la conversation bruyante et de la musique reggae. A en juger par le tremblement de la vitre, je supposai que a chanson était une de mes ballades préférées, « On and On » d’Aswad, une reprise profondément respectueuse du tube easy-listening de Stephen Bishop. J’entrai dans le bar. Et effectivement, c’était « On and On » qui passait ; j’étais plus que content de moi. J’avais l’impression d’être un super héros venant de découvrir ses pouvoirs. Ma capacité à identifier une chanson à la façon dont sa rythmique faisait trembler les carreaux ne sauverait pas le monde d’une invasion extraterrestre ou d’un météore fugitif, mais je pouvais envisager de remporter quelques paris dans les bistrots. »

 

paul beattyPaul Beatty  Slumberland  Editions Cambourakis – 279 pages –

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard

 

 

 

 

« « Stolen Moment » est le titre phare d’Oliver Nelson, la chanson idéale, selon moi, pour installer une atmosphère ; c’est un standard du jazz à servir en apéritif. (…) Je sus immédiatement que « Stolen Moment » serait le morceau fétiche du Slumberland… » (p.101-102)

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Philip Roth : J’ai épousé un communiste

philip rothPhilip Roth est né le 19 mars 1933 à Newark, dans le New Jersey, son œuvre couronnée de multiple prix en fait l’un des plus grands écrivains américains contemporains. Aujourd’hui il vit dans le Connecticut et en octobre 2012 il a déclaré à la presse qu’il arrêtait d’écrire. Paru en 2001, J’ai épousé un communiste, fait partie du cycle Nathan Zuckerman, et plus précisément de la Trilogie américaine, entre Pastorale américaine (1999) et La Tache (2002).

J’ai déjà lu une quinzaine de romans de l’auteur - et j’ai bien l’intention de tous les lire -, vous pouvez en conclure que c’est l’un de mes écrivains favoris, or, à ma plus grande stupéfaction j’ai eu de grosses difficultés avec ce livre. Deux fois je l’ai ouvert, deux fois je l’ai abandonné, le rapportant à ma bibliothèque. Cette fois-ci, je me suis obstiné mais ce fut douloureux…

Nathan Zuckerman, le narrateur, retrouve l’un de ses anciens professeurs, Murray Ringold, aujourd’hui un vieil homme prêt à bien des révélations sur le passé de son frère Ira, décédé, « Je suis la seule personne encore en vie qui sache l’histoire d’Ira, et toi tu es la seule personne encore en vie qui t’y intéresses »). Ira, le mentor de Nathan quand il était adolescent, vedette de radio et époux d’Eva Frame une ancienne gloire du cinéma muet.

Nathan qui croyait bien connaitre Ira va en apprendre de belles sur la vraie personnalité de cet homme au parcours chaotique débuté sur les chantiers, puis vedette de la radio et époux d’une star de cinéma. Ira, un homme broyé entre sa vie privée, ses problèmes de couple entre sa femme et sa belle-fille, elles-mêmes se trimballant leurs ennuis, et son lourd secret, être communiste dans l’Amérique des années 50 à l’époque du Maccarthysme où pendant deux ans (1953-1954), la commission présidée par McCarthy traqua d'éventuels agents, militants ou sympathisants communistes aux Etats-Unis dans une ambiance de chasse aux sorcières.

De nombreux thèmes sont abordés dans ce roman, le poids de l’Histoire écrasant les individus, la difficile situation des minorités (Juifs et/ou communistes), la trahison des proches (« C’est que la trahison se trouvait déstigmatisée et même récompensée comme jamais dans ce pays »). Ou, comme le dit Roth dans Le Monde (23 avril 1999) : « … un livre peuplé, tout comme la vie, d’imbéciles, de naïfs et de braves gens, arrêtés net dans leur réussite, victimes des pièges tendus par leur pays et leur époque, et par l’irréductible goût de l’espèce humaine pour la trahison et la vengeance. »

Le roman est dense, trop à mon goût au début (cent premières pages ?) ce qui explique mon renoncement par deux fois. Par la suite cela s’arrange, j’ai mieux suivi la narration, même si là aussi, on peut peiner quand on ne connait pas (ou ne se souvient plus) très bien de tous les acteurs et faits politiques de l’époque. Je critique beaucoup mais il y a bien entendu de nombreuses pages éblouissantes, tant par l’angle scénaristique que par la profondeur des analyses. Quand même !

Philip Roth n’a jamais écrit de mauvais romans mais celui-ci, en raison du début complexe, ne m’a pas vraiment emballé. En tout cas, je ne le conseille pas à qui n’a jamais encore ouvert un roman de l’écrivain.

 

« L’un des privilèges du Juif américain, c’est qu’il pouvait se permettre de donner libre cours à sa colère en public comme Ira le faisait ; d’être agressif dans ses convictions, de ne laisser aucune insulte invengée. On n’était pas obligé de hausser les épaules et de se résigner. On n’était pas obligé de museler ses réactions. Être américain à sa manière propre ne posait plus de problème. Il était permis de se montrer au grand jour pour faire valoir ses arguments. C’est une des plus grandes choses que l’Amérique ait donnée aux Juifs, ça, leur colère. (…) L’Amérique, c’était le paradis des Juifs en colère. Le Juif timoré existait encore, mais on n’était pas obligé d’adopter ce rôle-là si on n’en voulait pas. »

 

philip rothPhilip Roth  J’ai épousé un communiste  Gallimard – 405 pages –

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun

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Louise Erdrich : Love Medicine

Erdrich Livre 17668367_1393304.jpgLe bouquin vient de paraître dans sa traduction française mais en fait il date de 1984, premier roman de Louise Erdrich et couronné d’un National Book Award. Depuis l’écrivaine a commis plusieurs ouvrages où la voix de la nation Indiennetente de se faire entendre au sein de l’Amérique moderne. Car c’est là le thème principal de son œuvre et donc le sujet de ce Love Medicine qui retrace du début du XX siècle dans les années 30 jusqu’à nos jours les vies de deux familles indiennes, les Lamartine et les Kashpaw. Les personnages se croisent et se décroisent, se rencontrent et se quittent et les femmes en sont les principaux protagonistes, plus fortes et plus aptes à se colleter avec la dureté du Monde.

Un livre écrit par un vrai écrivain, on le sent en le lisant. La construction du roman, les retours en arrière, la chorale des voix qui s’expriment, tout indique une maîtrise absolu pourtant je l’avoue sans honte, j’ai eu beaucoup de mal à rentrer dans le roman et même si par la suite j’ai trouvé certains chapitres remarquables, globalement je n’ai pas réellement pris de plaisir à lire cet ouvrage. Dommage pour moi très certainement.

 

« Tout se liguait contre lui. Il ne se souvenait plus quand cela avait commencé. Probablement dès le début, depuis toujours, tout s’était ligué contre lui. Il s’appuya à la pente du coffre puis pivota sur le dos. Il tremblait de tous ses membres et sa mâchoire fermée était bloquée. Le ciel était un liquide impénétrable, sinistre et sans étoiles. Il ne l’avait encore jamais compris, mais à présent, parce que deux clés avaient été fabriquées pour ouvrir cette seule voiture, il vit clairement que l’organisation de la vie était truquée et qu’il était piégé. »

 

Erdrich  20070420_louiseerdrich_2.jpgLouise Erdrich  Love Medicine chez Albin Michel  

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13/10/2012 | Lien permanent

Lisa Jackson : De glace et de ténèbres

lisa jacksonLisa Jackson est née en 1952 dans une petite ville de l’Oregon. Elle sort diplômée de l'Université d'État de l'Oregon et commence par travailler dans le secteur bancaire avant que son premier roman ne paraisse en 1983. Habituellement ses bouquins se placent sur les listes des meilleures ventes de livres du New York Times, USA Today et Publisher's Weekly. Son nouvel ouvrage, De glace et de ténèbres, est le douzième publié en France.

En voici le résumé, tel qu’on peut le lire au dos de l’ouvrage : « Selena Alvarez en est persuadée, l’affaire sur laquelle elle et sa coéquipière Regan Pescoli enquêtent est hors normes. D’abord parce que les victimes — toutes des femmes — se ressemblent étonnamment : ossature du visage, peau claire, cheveux auburn, yeux verts. Ensuite parce que le tueur, qui s’attaque méthodiquement et froidement à ses victimes, semble insaisissable et tout proche à la fois. En pleine période de Thanksgiving, dans ce Montana de ténèbres et de glace que les décorations de Noël peinent à réchauffer, Selena sait qu’elle va devoir faire preuve d’une ingéniosité et d’un courage sans égal pour arrêter ce tueur implacable. Et pour révéler au grand jour le terrible secret qui le pousse à agir… »

Il n’y a rien de plus épouvantable, comme ici, que d’entamer un pavé de plus de cinq cents pages et de s’apercevoir après dix pages ( !) qu’on a fait mauvaise pioche. Certes je n’avais pas vraiment choisi de lire ce bouquin, arrivé gracieusement entre mains par des voies que je ne peux dévoiler.

Que dire de ce livre ? D’abord, il est beaucoup trop long, on peut facilement en retirer la moitié sans en édulcorer le sens. Un texte qui s’étale comme un bavardage sans fin, s’attardant sur des détails vestimentaires ou alimentaires sans intérêt, comme si l’auteure s’imaginait que les lecteurs mesuraient le talent d’un écrivain ou la qualité d’un roman, à son épaisseur ! Le pire, c’est que je ne suis pas loin de penser que c’est exactement une part du raisonnement de Lisa Jackson ou de son éditeur, d’ailleurs tout le bouquin pue l’artificiel. Tous les trucs éculés du thriller s’empilent éhontément, les clichés abondent et bien entendu le style est inexistant. Même la traduction laisse planer un doute parfois. Exemple de phrase qu’on peut lire dans ce navet,  « Le tueur éclata d’un rire démoniaque qui résonna dans la nuit » (p. 517), comment peut-on encore écrire de telles foutaises à notre époque ? 

Il existe beaucoup de mauvais livres, pour de multiples raisons qui en général restent néanmoins honorables, mais celui-ci va plus loin et c’est en cela que je l’exècre. Il s’agit d’un roman écrit par une femme pour un public féminin, chaque phrase en traduit le créneau visé, chaque digression le révèle (enfants malades, femmes vivant seules se cherchant un mec, éducation des ados etc.). Aucune littérature là-dedans, un simple produit marketing qu’on espère vendre en grosses quantités. Tous comme la série des SAS de Gérard de Villiers s’adresse aux hommes, ce bouquin est pour les femmes. Ce n’est pas un propos machiste, c’est une simple constatation qui mériterait l’ire des féministes, car Lisa Jackson entretient dans ce bouquin tous les modèles les plus crétins d’une féminité infantile.   

Je ne pense pas qu’il soit nécessaire que je m’étende plus, vous avez compris ce que je pensais de ce truc….

 

 

« Il songea à la gorge gracile d’Acacia et se vit brandissant un couteau, celui-là même avec lequel elle l’avait marqué à vie. Il imagina la lame étincelante inciser sa peau laiteuse et pénétrer dans la fine chair de son cou. Il crut la voir écarquiller les yeux tandis que des gouttes de sang perlaient au passage de l’acier tranchant, scintillant comme autant de rubis dans un écrin soyeux, avant de former un ruisseau écarlate sur son sternum et ses seins, se diluant ensuite dans l’eau du bain. Les bulles de savon blanches se teintaient de rouge tout autour de son corps tandis qu’elle s’affaissait dans l’eau chaude. »  

 

 

lisa jacksonLisa Jackson  De glace et de ténèbres  Editions Harlequin  (à paraître le 1er août 2013)

Traduit de l’américain par Philippe Mortimer

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17/06/2013 | Lien permanent

Ottessa Moshfegh : Mon année de repos et de détente

Ottessa Moshfegh, Woody Allen, Philip Roth   Ottessa Moshfegh, née en 1981 à Boston dans le Massachusetts, est une écrivaine américaine. Née d'un père iranien et d'une mère croate, tous deux musiciens et enseignants au New England Conservatory, elle reçoit dès l'enfance une formation musicale et apprend à jouer du piano et de la clarinette. Après un séjour en Chine, où elle enseigne l'anglais et travaille dans un bar punk, elle est de retour aux Etats-Unis et s'installe à New York, puis s'inscrit à l'université Brown de Providence, dans le Rhode Island, où elle obtient une maîtrise en beaux-arts. Son deuxième roman, Mon année de repos et de détente, vient de paraître.   

New York en l’an 2000. La narratrice est une jeune diplômée de l’université de Columbia, vingt-sept ans, jolie fille, friquée grâce à l’héritage de ses parents, elle habite Manhattan. Mais « être belle ne faisait que me maintenir prise au piège d’un monde qui valorisait l’apparence plus que tout. » Une dépression ou une crise existentielle la pousse à s’extraire du monde et pour réaliser ce projet, elle décide d’hiberner dans le sens premier du terme, faire une longue cure de sommeil, « Mon hibernation relevait d’un instinct de conservation. Je pensais qu’elle me sauverait la vie. »

Pour élargir mon résumé de l’intrigue, la narratrice a une amie, Reva. Une copine de fac, juive et envahissante, qui se fait vomir pour ne pas grossir et cherche l’amour en vain. L’opposé de la narratrice, « Reva pouvait se montrer furieuse, passionnée, déprimée, euphorique. Pas moi. Je le refusais. Je ne ressentirais rien, je serais une page blanche. » Néanmoins, elle a un amant épisodique, Trevor, un cavaleur, qu’elle semble aimer alors que lui ne pense qu’au sexe. Autre personnage, le Dr Tuttle, une psychiatre genre folledingue qu’elle ne consulte que pour obtenir des médocs qui font dormir…

J’ai voulu jouer au jeu du gars qui suit de près la rentrée littéraire…. Et j’ai perdu !

L’écriture n’a rien de particulièrement notable. Le récit est truffé de noms de marques commerciales, ou de films et d’acteurs, Whoopi Goldberg est l’idole de l’endormie, qui par ailleurs fait des crises de somnambulisme où elle se livre des actions dont elle n’a plus souvenir. Si les scènes les plus réussies (drôles) sont celles avec le Dr Tuttle, on sourit un peu mais sans plus. Tout le roman m’a laissé indifférent (même l’évocation des décès du père de la narratrice ou de la mère de Reva) et j’ai même peiné pour le terminer, cherchant désespérément ce qu’annonce l’éditeur : « la romancière s’attaque aux travers de son temps avec une lucidité implacable » ! Franchement de qui se moque-t-on ? Si ça c’est de la critique sociale que sont tous les autres romans qui s’empilent sur les tables des librairies ?

Un roman qui m’a laissé de marbre face au destin de l’ensuquée et de sa copine, deux pauvres filles pathétiques, bien trop fade à mon goût et ce ne sont pas les fréquents propos graveleux (« j’avais une raideur dans la mâchoire qui m’a rappelé les crampes que je me faisais en taillant des pipes ») placés-là pour réveiller le lecteur qui y changent quoi que ce soit.

La critique institutionnelle fait un parallèle avec Oblomov, le célèbre personnage d’Ivan Gontcharov, mouais, si on veut ; d’autres citent Woody Allen et même Philip Roth et je pense qu’ils font référence à la psy Tuttle, mais là nous sommes à des kilomètres du talent et de l’humour des deux cadors ! Si vous vous lancez dans ce livre, oubliez ces rapprochements qui placent la barre bien trop haute pour Ottessa Moshfegh.   

Seules les trente dernières pages du bouquin sont intéressantes et résument l’ensemble mais arrivé-là, c’est moi qui m’endormais…

 

« A la Bodega, j’ai pris deux cafés et une tranche de carrot cake préemballée, j’ai acheté tous les sacs poubelle que les Egyptiens avaient en stock, puis je suis remontée chez moi et j’ai tout emballé. Tous les livres, tous les vases, toutes les assiettes, les bols, les fourchettes, les couteaux. Toutes mes vidéos, y compris la collection Star trek. Je savais que je devais le faire. Le sommeil profond dans lequel j’allais bientôt entrer, si je voulais en ressortir régénérée, exigeait que je fasse le vide complet. Je ne voulais que des murs blancs, des sols nus, de l’eau de robinet tiède. J’ai emballé toutes mes cassettes, mes CD, mon ordinateur portable, mes bougies intactes, tous mes stylos et crayons, tous mes fils électriques, mes sifflets anti-viol et mes guides Fodor sur des endroits où je n’étais jamais allée. »

 

 

Ottessa Moshfegh, Woody Allen, Philip Roth   Ottessa Moshfegh   Mon année de repos et de détente   Fayard – 301 pages –

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Clément Baude

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09/09/2019 | Lien permanent

De l’inconvénient de trop lire ?

J’aime beaucoup lire, cela va de soi quand on tient un blog dédié à cette activité. Est-ce que je lis beaucoup, je pense que oui, mais il ne s’agit pas d’un concours donc inutile de me contacter pour me contredire sur ce point et vous vanter du nombre de livres lus chaque mois !

Par contre, puisque vous lisez tant, peut-être serez-vous intéressés par cette interrogation : est-ce que lire plusieurs livres par mois/semaines, donc à un rythme soutenu, n’est que bénéfique ? A ce qui nous semble un bienfait qui nous fait un bien fou, ne pourrait-on opposer une liste d’inconvénients ? Et s’il y a avers/revers c’est-à-dire inconvénients/bénéfices, de quelle nature est le solde ? Positif ou négatif ?

Lister les bénéfices retirés de la lecture c’est comme enfoncer une porte ouverte, on l’a déjà et redit mais tant pis, j’en redonne quelques exemples : ça nous offre un moment de détente parfait, ça nous instruit en nous apprenant toutes sortes de choses d’ordre factuel ou psychologique etc., ça nous aide à enrichir notre vocabulaire et notre expression écrite, donc à apprécier notre langue… vous compléterez la liste de vous-même.

Venons-en aux inconvénients, car il y en a. Du moins, il y en a pour moi et je parle par expérience, un constat fait sur la bête. Quand on lit beaucoup, on devient plus critique, c’est criant dans le domaine du polar par exemple : les intrigues/mobiles de crimes ne sont pas infinis, on finit par retomber sur les mêmes cas, obligation pour le lecteur averti d’aller trouver un autre motif de satisfaction dans sa lecture. Le sens critique s’aiguise.

Si le sens critique s’aiguise, on devient plus difficile dans ses choix de lectures, on commence à élaguer, rayer de ses lectures possibles des écrivains ou des sujets de romans qui frayent trop avec le déjà lu. L’affaire se complique pour le malheureux lecteur obsessionnel.

Le dernier stade - car je n’ose envisager qu’un jour je cesse de lire ! – c’est d’être devenu un lecteur blasé. Etat que je crains d’avoir atteint : quand je lis les chroniques littéraires dans la presse, je ne note que très peu de livres qui seraient susceptibles de m’intéresser, savoir qu’une avalanche de nouveautés vont sortir lors des rentrées littéraires ne m’effraie plus vraiment, lire vos critiques sur vos blogs me désespère car il est très rare qu’un de vos bouquins me tente…

J’exagère un peu mon angoisse car j’aurai toujours quelque chose à lire, si je ne trouve rien dans les nouveautés, les écrivains du passé ont assez pondu pour que j’y trouve de quoi me sustenter.

Pour conclure sur une note optimiste je dirai que le solde de mes lectures est toujours positif mais que j’observe avec attention et crainte mon relevé mensuel de compte !  

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Giorgio De Maria : Les Vingt journées de Turin

Giorgio De Maria, Italo Calvino, Umberto EcoGiorgio De Maria (1924-2009) a été critique de théâtre mais il a aussi travaillé pour Fiat et la RAI. En 1958, il a participé à la création de Cantacronache, aventure originale du côté de la chanson engagée, qui a réuni écrivains, poètes, musiciens — parmi lesquels Italo Calvino, Umberto Eco… D’anticlérical convaincu, il s’est converti au christianisme, rapportant même des visions mystiques qui inquiétèrent les psychiatres ! Dès lors, il a abusé de l’alcool et de somnifères, jusqu’à mourir à moitié fou et presque ruiné. Auteur de quatre romans, dont ce dernier paru en 1977. Très vite disparu des librairies pendant quarante ans, tout en devenant culte, jusqu’à sa publication aux Etats-Unis en 2017, il vient d’être traduit chez nous.

Le narrateur, jamais nommé, est un homme très quelconque, employé obscur dans un bureau, qui décide d’écrire un livre sur des évènements extravagants ayant frappé Turin (« Surnommée la ville de la magie noire ») il y a une dizaine d’années et dont plus personne, bizarrement, ne semble avoir gardé le souvenir. A l’époque une épidémie d’insomnies frappa de nombreuses personnes dans le centre historique de la ville – la géographie urbaine de la cité tient une place importante dans l’ouvrage -, la nuit elles erraient dans les rues puis la nuit du 8 mai commencèrent des massacres ahurissants perpétrés par un ou plusieurs êtres non identifiés, attrapant un passant « par les jarrets et balancé avec force contre le tronc du marronnier. Ceux qui ont assisté au meurtre ont juré qu’ils n’avaient rien vu. » Cela dura vingt jours, ou plutôt vingt nuits. Pour mener son enquête notre homme va interroger la sœur de la première victime, puis un avocat qui l’aiguille vers un homme ayant fait des enregistrements sonores juste avant le premier crime, des voix hésitantes, venant de nulle part, conversent puis se lancent un défi guerrier…

Au centre de ce mystère, semble-t-il, la Bibliothèque, un bâtiment où ne sont entreposés que des journaux intimes et écrits très personnels, confessions sordides, horreurs envisagées, la lie de la pensée humaine, à la disposition de tous ceux qui sont intéressés.

L’enquête prend une tournure plus complexe quand notre héros se voit inviter par une nonne à cesser ses recherches, quand il s’aperçoit qu’on le suit, que son indicateur aux bandes magnétiques est assassiné…

Si le roman a tout du thriller, il cache une profondeur de propos beaucoup plus inquiétante encore. Je me méfie un peu des analyses a posteriori ; certains ont vu dans ce livre une dystopie, mêlée à une métaphore sur la situation alors dramatique de l’Italie, les « années de plomb » (1960-1980). Par contre ce qui est troublant c’est ce qui ressemble comme deux gouttes d’eau aux futurs Réseaux sociaux comme Tweeter, ces torrents d’horreur distribués par la Bibliothèque et leurs répercussions dans la vie des gens (Attardez-vous sur les pages 78-79, par curiosité si vous ne lisez pas ce livre…).

Psychose collective, impulsivité agressive, sont le terreau de ce roman dérangeant qui fiche un peu la trouille il faut le dire, d’autant qu’en fin d’ouvrage le drame est de retour en ville, peut-être sous une autre forme ? L’épilogue pessimiste pour notre héros, glace le sang. Pour Giorgio De Maria, dès 1977, il voyait que le monde était mal barré !

 

 

« Je lui racontai tout ce qui m’était arrivé depuis ma rencontre avec sœur Clotilde. Je comprends… Les lettres de l’inconnu, les gens qui ramassent des bouts de papier manuscrits dans les rues, ces jeunes à l’apparence si propre avec leur talkie-walkie en face des statues de la Gran Madre di Dio, le coup assené à votre portail la nuit dernière… Nous croyions tous que l’affaire était close mais, en fait, elle est en train de redémarrer, et cela se passe avec une lucidité, une froideur qui étaient impensables à l’époque des « vingt journées »… Les lettres de l’inconnu obéissent peut-être même à ce dessein… »

 

 

Giorgio De Maria, Italo Calvino, Umberto EcoGiorgio De Maria   Les Vingt journées de Turin Une enquête de fin de siècle   Editions DO   - 165 pages -     

Traduit de l’italien par Angela Calaprice

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De Gutenberg aux livres de poche

C’est l’été, journaux et magazines dressent leurs listes de livres de poche à emporter dans nos valises pour lire sur la plage ou sous les papa-les palétuviers. Loin de moi l’idée d’en faire autant, par contre arrêtons-nous un instant sur ce type d’objet.

Pour nous lecteurs, la plus belle invention est certainement celle de l’imprimerie que l’on doit, je me permets de le rappeler pour les très jeunes visiteurs de ce blog, à l'allemand Johannes Gensfleisch plus connu sous le nom de Gutenberg. Jeune orfèvre ayant ouvert son propre atelier vers 1430, Gutenberg se tourne finalement vers la reproduction de textes en 1450 et développe un nouveau procédé qui va révolutionner l'impression papier et permettre la diffusion de masse.

Imaginez-vous lire le dernier Goncourt gravé sur des tablettes en pierre ou le joli bazar pour ranger vos papyrus dans votre bibliothèque ? Je vous épargne les digressions rigolardes qui me viennent spontanément à l’esprit tout comme au vôtre.

Certes ce fut un pas de géant mais que dire de cette autre innovation qui a vu naître les collections de poche. En 2013, Le Livre de poche fêtait ses 60 ans et j’avais salué l’évènement par un petit billet amical. Depuis d’autres éditeurs ont créé d’autres collections, de Folio à Totem par exemple. Et moi je trouve cela carrément génial, de mon vivant ce sera sûrement ce que je verrai de plus innovant pour promouvoir la lectures et les livres.

Des bouquins dans de petits formats et à de petits prix, difficile de faire mieux. Au fil des années les éditeurs font subir des liftings salutaires à leurs collections pour les rendre plus attrayants et modernes. Parfois ce n’est pas vraiment mieux ou bien nos habitudes nous font préférer les vieilles éditions avec leurs jaquettes aujourd’hui ringardes, c’est le classique « c’était mieux avant »…

Outre l’intérêt pratique de ces collections, elles permettent aussi grâce au marketing de remettre en avant des livres parus précédemment et qui, sous la masse éditoriale, risquaient de tomber dans une sorte d’oubli. Je pense que les écrivains eux aussi plébiscitent ces rééditions.

Certains d’entre vous vont avancer que les poches datent un peu/beaucoup et que les liseuses sont un sacré progrès ! J’en conviens. Techniquement parlant c’est indéniable et j’applaudis l’invention ; mais comme j’ai déjà eu l’occasion plusieurs fois de le dire, je suis de la génération du papier et rien, absolument rien, ne me fera changer d’opinion ou de manière de lire. J’ai testé le truc mais ma liseuse a vite terminé au fond d’un tiroir. Ce n’est pas pour moi. Si la logique voudrait que ce soit le support des futurs générations, et ce le sera certainement un jour (quand il n’y aura plus de forêts ?), actuellement la tendance ne voit pas un élan fabuleux vers ce mode de lecture, me semble-t-il.

Mais peut-être est-ce ainsi que raisonnaient en souriant les moines copistes ou les scribes égyptiens quand ils ont entendu parler de l’imprimerie ? Un rire qui n’a pas duré longtemps.    

 

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Benjamin Whitmer : Cry father

benjamin whitmerBenjamin Whitmer est né en 1972 et a grandi dans le sud de l'Ohio et au nord de l'État de New York. Il a publié des articles et des récits dans divers magazines et anthologies avant que ne soit publié en 2012 son premier roman, Pike. Il vit aujourd’hui avec sa femme et ses deux enfants dans le Colorado, où il passe la plus grande partie de son temps libre en quête d'histoires locales, à hanter les librairies, les bureaux de tabac et les stands de tir des mauvais quartiers de Denver. Son second opus, Cry father, vient tout juste de paraître.

Patterson Wells est élagueur, il sillonne l’Amérique à bord de son camion pour en déblayer les décombres. Entre deux missions, il se réfugie loin du monde dans sa cabane perdue près de Denver. Là, il boit et tente d’oublier l’inoubliable, la mort de son jeune fils suite à une erreur médicale. Sa rencontre avec Junior, le fils de son seul ami, un petit frimeur bossant pour un trafiquant de drogue, va l’entrainer inexorablement dans un enchainement de violences et de mort.  

Le premier roman de Benjamin Whitmer m’avait impressionné et j’avais hâte de lire le suivant, espérant qu’il confirme tout le bien que j’en avais dit alors. Espoir comblé aujourd’hui. L’écrivain nous guide à travers l’Amérique profonde, de Denver à El Paso, qu’on parcourt en de longues heures de route déserte, trajet ponctué de bières dans des bars miteux, de lignes de coke à même le comptoir, un flingue dans la ceinture du pantalon. Il y a des bagarres, des filles à la peau mate, des morts brutales aussi, occasionnellement un couple de pédophiles. Ce genre qu’on connait bien finalement, à travers films et bouquins. Sauf qu’ici, ce n’est que le décor. Le décor d’une certaine Amérique, celle où des prêcheurs fous baragouinent dans les radios, celle où les théories de complots (11-septembre, Aliens etc.) font les conversations, celle où le port d’arme est une évidence, « il se sentait foutrement plus à l’aise armé », et le culte de la liberté individuelle poussé à ses extrémités, « Dehors, dans la rue, vous êtes constamment sur les écrans radar de quelqu’un. Et vous commettez sans cesse des infractions. (…) Parce qu’il y a tellement de lois que c’en est même impossible de les compter. »

Dans cet environnement, des hommes et des femmes tentent de survivre en tenant à distance leurs propres démons et s’interrogent : « Peut-être que la véritable question n’est pas comment s’y prendre pour que le monde t’oublie, mais comment s’y prendre pour qu’il te reconnaisse. » Patterson ne peut oublier Justin, son fils décédé, et lui écrit dans un calepin des lettres qu’il ne lira jamais, son ex-femme Laney cherche à aller de l’avant, elle a eu un nouveau gamin avec un autre, parti, et va tenter une action en justice contre le médecin responsable de la mort de Justin. Il y a Henry, le vieux pote éclopé de Patterson, en conflit avec son fils Junior. Et ce Junior, éborgné dont l’œil suinte en permanence, toujours dans des coups foireux, haïssant son père et tentant de renouer avec son ex qui vit avec leur petite fille.

C’est là que Benjamin Whitmer est excellent. Aucun de ces personnages n’est très fréquentable mais on a du mal à les condamner pour autant, leur solitude les punissant bien assez. Certaines scènes sont réellement poignantes et l’effet de miroir inversé, Patterson qui se meurt à petit feu au souvenir de son enfant décédé tandis que Junior est prêt à descendre son père Henry, est très fort. L’ambiance générale du roman est envoûtante, c’est son point fort. Whitmer sait installer des climats, des sensations. Et je peux reprendre les mêmes propos tenus lors de son premier livre, des chapitres particulièrement courts et des scènes très dures de violence physique, mais très courtes elles aussi, comme des claques sèches avant qu’on ne passe à autre chose.

 

« Junior n’a pas envie de quitter la I-25 à Walsenburg. Il sniffe sa cocaïne directement dans le flacon, maintenant. En buvant du café de station-service noyé de bourbon. Tout est bon pour rester éveillé. Il sait qu’il ne devrait pas rallonger son trajet. Surtout pas pour faire route sur la San Luis Valley. Mais quand tu restes suffisamment longtemps sans dormir et que tu carbures à la cocaïne et aux vapeurs d’essence, tes mains font plus ou moins ce qu’elles veulent. »

 

benjamin whitmerBenjamin Whitmer  Cry father  Gallmeister – 315 pages –

Traduit de l’américain par Jacques Mailhos

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Beat Generation : L’exposition au Centre Pompidou

La Beat Generation, ce mouvement littéraire et artistique né dans les années 1950 aux Etats-Unis, s’expose à Paris au Centre Pompidou, un rendez-vous que je ne pouvais manquer. De tous les courants littéraires, c’est celui qui me touche le plus, à titre personnel si je peux dire. Si tous les autres mouvements restent pour moi, des faits historiques (pour ceux qui m’intéressent le moins) ou des références de qualité quand je cherche une lecture, les écrivains de la Beat Generation dépassent ce cadre car ils font partie de mon parcours initiatique.

C’est par le biais du magazine Actuel, dans les dernières années des sixties que j’ai découvert Jack Kerouac, Allen Ginsberg, William Burroughs, Allan Watts etc. Je n’avais pas vingt ans, le souffle de mai 68 laissait mes cheveux en bataille et je découvrais un autre monde : la liberté et les grands espaces avec Sur la route, le mythique roman de Kerouac, la spiritualité orientale avec Watts et ces incroyables délires de Burroughs explosant autant la technique de l’écriture que mon pauvre cerveau, à l’instar des psychotropes circulant à l’époque. On ne peut pas se remettre totalement de tant d’évènements, surtout quand on a été pris de plein fouet durant les plus belles années de sa vie. C’est donc en pèlerinage que je me suis rendu au cœur de la capitale pour raviver un pan important de ma jeunesse.

Très belle exposition car très complète. Films, dessins, documents sonores, objets, manuscrits, photos, tous les supports sont présents. Allons directement au but, la pièce maîtresse de cette exposition, c’est le tapuscrit original de Sur la route écrit en 1951 par Jack Kerouac sur un immense rouleau de papier de 36,5 mètres de long, assemblage de rouleaux de papier calque ajointés. Ecrit serré à la machine en un seul bloc, sans paragraphes ni sauts de ligne, cette masse de texte allongée de tout son long dans une vitrine sous un faible éclairage pour ne pas endommager le document, est franchement impressionnante, presque effrayante. Une trace tangible du grandiose comme le serait une momie dans son sarcophage. Dans une autre vitrine, une première version du livre beaucoup plus courte, écrite en français sur des pages de cahier.

Si la Beat Generation c’est l’Amérique, la France y a aussi son mot à dire. Kerouac (Jean-Louis Lebris de Kérouac) est né de parents québécois et Sur la route a été écrit en français dans sa première mouture. Mais c’est aussi à Paris, dans un hôtel de la rue Git-le-Cœur où vécurent de nombreux artistes (Ginsberg, Burroughs, Gysin, Corso…) entre 1958 et 1963 que Brion Gysin invente la technique du cut-up (un texte original est découpé en fragments aléatoires puis ceux-ci sont réarrangés pour produire un texte nouveau) dont William Burroughs fera un usage excessif ( ?) dans son œuvre. Dans ce même hôtel, Ginsberg y écrit son Kaddish. Et rappelons que toute cette bande vénérait nos poètes : Rimbaud, Apollinaire, Artaud ou Michaux.

Le reste de l’exposition propose des reliques de Kerouac (froc, t-shirt, casquette, espadrilles et gourde… heu ? Hum ! Hum !), des dessins de Kerouac, Corso, Burroughs. Des films rares, interviews de Jack Kerouac et délires. Des photographies en noir et blanc de Robert Franck de l’Amérique d’alors. En fond sonore du jazz, la musique de la Beat Generation, Charlie Parker ou Dizzy Gillespie. Bob Dylan est là aussi avec deux extraits des films Renaldo & Clara (sur la tombe de Kerouac avec Ginsberg) et Don’t look back  (le passage avec Ginsberg sur Subterranean Homesick Blues).

Sont bien sûr aussi évoqués Lawrence Ferlinghetti et la librairie City Lights à San Francisco, ou bien montrés des revues underground de l’époque, le Mexique ou Tanger et leur trouille à tous d’une explosion nucléaire.  

Une très belle exposition qui devrait combler les amoureux de ce mouvement riche en inventions ou innovations qui nous a ouvert les portes de la perception.

 

 

Beat Generation  Centre Pompidou Paris IVe – Jusqu’au 3 octobre 2016 –

 

jack kerouac, william burroughs

jack kerouac, william burroughs

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Photos : Le Bouquineur

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