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Paul Morand : Fin de siècle

Morand Livre Fin de siecle 8579188_9384105.jpgPaul Morand 1888-1976 est l’écrivain d’une époque, celle qui fait charnière entre deux siècles riches en Histoire et technologies et qui nous fait entrer dans le monde que nous connaissons. Avec Fin de Siècle, ici la fin du XIX siècle, l’écrivain nous propose un recueil de quatre nouvelles. La première Fleur-du-Ciel se déroule entre Vienne et Pékin et voit trois officiers se disputer l’amour d’une femme qui finira tragiquement puisque torturée à mort par les Boxers après s’être faite lazariste. La seconde nouvelle, La Présidente, se passe aux Etats-Unis et nous peint une forte femme de caractère pétrie de la culture de la haute bourgeoisie de son époque. Avec Le Bazar de la Charité, il s’agit du scénario classique mari-femme-amant, du vaudeville qui se termine dans le fait divers tragique. Enfin avec Feu monsieur le duc un veuf dont toute la famille lorgne l’héritage avec avidité nous sommes dans un registre plus amusant, presque farce avec un happy end digne des comédies de l’âge d’or du cinéma.

Ce n’est pas le premier Morand dont je vous parle et je ne vais pas vous répéter qu’il s’agit d’un écrivain dont j’apprécie beaucoup le style, élégant et enlevé, témoin et chroniqueur d’une époque agonisante, dont Giraudoux disait qu’il était un « pessimiste gai ».

 

« - Révolte-toi ma fille. En 1900, on se révolte ! – Impossible ; quand je veux me mettre en colère les gros mots me manquent…  - Fais comme moi : j’ai appris ; c’est si agréable d’être mal élevé quand on a été bien élevé. »

 

Morand images.jpgPaul Morand  Fin de Siècle  chez Gallimard L’Imaginaire

 

 

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15/10/2012 | Lien permanent

Paul Nizon : la fourrure de la truite

Nizon Livre 1274326_3178848.jpgTout d’abord évacuons un quiproquo possible, il s’agit d’un livre de Paul NizOn (né à Berne en 1929 mais installé à Paris)  et non pas de Paul Nizan (écrivain français 1905-1940).

Un livre relativement mince au format agréable, un titre énigmatique qui ouvre la porte à l’imagination, nous sommes dans le domaine de la poésie en prose, de l’onirique et de la déambulation urbaine. Le texte écrit à la première personne nous apprend que le narrateur vient d’hériter de l’appartement de sa tante défunte, dans le nord de Paris entre la Butte Montmartre et la Porte de Clignancourt. Immédiatement on devine que le héros est encombré par ce legs, comme une poule ayant trouvé un couteau. La formule est connue mais correspond bien, par sa référence aux volatiles, à notre personnage du nom de Stolp, car descendant d’une famille d’acrobates, il doit vivre libre comme l’air et l’on sent qu’il a du mal à atterrir, que son rêve est de vivre comme les hirondelles ou les martinets, qui jamais ne se posent comme il le dit lui-même. A l’étroit dans cet appartement il part dans les rues du quartier, à l’aventure, dans les cafés ou et les restaurants. Au Bar du Football il rencontrera Carmen, mais son esprit reste hanté par une lithographie exposée dans une boutique proche de son nouveau domicile représentant une femme en fourrure, dans une pose sensuelle, surnomméeLa Truite.Leroman est mince à la dimension de son scénario, les amateurs de romans construits sur des histoires solides, des intrigues ou des rebondissements seront déçus, ici tout est dans le style, léger voire aérien comme la vie du narrateur. C’est très beau, facile à lire mais peut-être pas à conseiller à tous, moi-même je ne suis pas trop amateur.

 

« Pourquoi avoir acheté cette lithographie ? Pour l’avoir ? Ou plutôt pour ne plus l’avoir – sous les yeux, dans la vitrine ? En tout cas il n’était pas question que je l’aie près de moi. J’allais la donner à Carmen. Alors un grand abattement s’empara de mon être, au moment où, dans la pénombre de l’appartement, mes yeux tombèrent sur l’arrière-cour vide de pigeons. »

 

NIZON mages.jpgPaul Nizon   La fourrure de la Truite   Actes Sud 

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15/10/2012 | Lien permanent

John Rechy : Cité de la nuit

Rechy Livre mages.jpgJohn Rechy est né à El Paso au Texas, Cité de la nuit, son premier roman est paru en 1963. Roman autobiographique le livre nous plonge dans la vie quotidienne d’un tapin homosexuel à travers son errance américaine, New York, Chicago, Los Angeles, San Francisco, La Nouvelle Orleans etc. Ici, nous ne côtoyons que michés, tapins, travestis, tapettes, hommes femmes, femmes hommes, perversions. Très bien écrit, le texte ne dit que rarement le glauque, il ne fait que le suggérer, rappelons nous qu’il a été publié en 1963, s’il était paru de nos jours aucun détails sordides ne nous auraient été épargnés, on aurait « gagné » en précisions mais on aurait perdu en émotion. Car ce bouquin est très fort, ponctué de rencontres qui sont autant de portraits d’hommes à la marge, toujours seuls ou sachant qu’ils le seront bientôt, vivant des doubles vies pour certains, cachés derrière des masques de respectabilité, l’outing n’étant pas encore à la mode. Vous n’êtes pas obligés de lire ce livre mais l’ignorer, c’est passer à côté d’un grand bouquin.

 

Un court extrait : Dans un bar, Chi-Chi un travesti baraqué est pris pour cible par un groupe de touristes qui veulent rapporter une photo/preuve de la dépravation qui règne àla Nouvelle Orleans pendant le carnaval :

« Car Chi-Chi, toujours menaçant, est planté devant le type et les autres. Et le type ne bouge pas, comme si les yeux de la tapette qui le regardent du fond d’un monde étrange, interdit, non seulement empêchaient son doigt de faire jouer le déclic mais lui adressaient un avertissement plus subtile. Chi-Chi est bien de toute évidence un homme tandis qu’il tient tête au groupe qui le cerne et qu’il crie : « Putains de vos pères ! Je vous prends tous ensemble ou un par un ! Prouvez-le Moi que Vous êtes des durs ! Qui veut commencer ? – qui veut commencer ? Tous ensemble ? Venez-y » Et le poing attend. »

 

Rechy 6fcb28a4-250wi.jpgJohn Rechy     Cité de la nuit    Gallimard    

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16/10/2012 | Lien permanent

Lucie Ronzoni : Au tour de Violette

Ronzoni Livre 3124967966.jpgLe roman de Lucie Ronzoni, Au tour de Violette, est sous-titré Une enquête du commissaire Tallier ce qui nous apprend deux choses, à savoir premièrement qu’il s’agit d’un polar et deuxièmement qu’il préfigure certainement une série de bouquins dont ce commissaire sera le héros récurrent.

Un homme devenu handicapé suite à une opération chirurgicale passe une bonne partie de son temps à surveiller les habitants de l’immeuble d’en face jusqu’au jour où il constate la disparition d’une vieille dame aux cheveux teints en violet qu’il surnomme donc Violette, ainsi que d’une jeune fille blonde qui de même se voit appelée Blondinette. Par ailleurs, l’homme tente d’attaquer en justice le chirurgien cause de son malheur ce qui le rend paranoïaque au point d’imaginer que les deux disparitions feraient partie d’un vaste complot fomenté contre lui par le chirurgien incompétent. Entre en scène le commissaire Tallier qui va mener l’enquête, d’abord dubitatif devant ce soi-disant complot qui finalement va le conduire au cœur d’un imbroglio scientifique pas si imaginaire que cela.    

Le roman policier est un genre littéraire plus difficile qu’il n’y paraît car souvent on lit très vite ces romans et basta ! Sans entrer dans une analyse pointue du genre, on constate que les bons polars se distinguent des mauvais par leur toile de fond, c'est-à-dire une approche sociologique d’une époque ou d’un milieu, des caractères ayant un minimum d’épaisseur, ou encore un style d’écriture fort ou original. C’est hélas, tout ce qui manque dans ce roman de Lucie Ronzoni. A part l’intrigue qui est assez originale je veux bien l’admettre, il n’y a rien à sauver dans ce polar qui me rappelle ces téléfilms policiers français – avec tout le sous-entendu péjoratif induit – que diffusent certaines chaînes de télévision.

Entre les clichés usés jusqu’à la corde (le commissaire mal rasé et dépressif), la psychologie des personnages inexistante (les rapports amoureux entre Tallier et la jeune kiné sont ahurissants de mièvrerie), la méconnaissance complète du monde policier d’aujourd’hui (le peu qui en est dit, semble tiré de polars des années 60, de même que le vocabulaire) et cette obsession récurrente dans le bouquin qui voudrait qu’on soit essoufflé après avoir monté trois étages (!), sachez aussi qu’il y a 44 chapitres ( !!) pour seulement 200 pages ce qui ne fait pas lourd pour un chapitre et j’avoue avoir refermé le roman très déçu.

Seul point positif comme je l’ai évoqué plus haut, l’intrigue n’est pas trop mal et on veut savoir comment elle se termine, mais je l’ai déjà dit aussi, une intrigue ne suffit pas à faire un roman, loin de là, c’est même tout le reste qui fait l’essentiel.

J’imagine que c’est un premier roman donc je fais crédit cette fois en disant « peut mieux faire », mais il y a du boulot !  

« Comment avait-il pu croire qu’il ferait le poids contre le brillant adjoint du professeur Vernet, lui le policier mal rasé, dépressif, acheteur compulsif ? Comment avait-il pu faire confiance à la jolie et si douce kinésithérapeute ? C’était une traîtresse, une fichue belle traîtresse. Il s’était fait avoir en beauté. Plus question dans ces conditions d’appeler la perfide, même pour ces beaux yeux. Il fallait tout de même qu’il fasse la part des choses. Dans tout ce qu’avait dit Catherine, il devait bien y avoir une part de vérité. Il faut qu’il approfondisse les cas de maladies psychosomatiques avant de se coucher, histoire de voir si ses propos sont plausibles. Il allume son ordinateur pour surfer sur internet à la découverte des cas les plus glauques. Ca promet une bonne soirée en perspective. »  

 

Lucie Ronzoni  Au tour de Violette  Autoédité en vente sur Internet

 

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16/10/2012 | Lien permanent

Philip Roth : Professeur de désir

Roth Livre Desir 51446_9748950.jpgUne nouvelle fois nous retrouvons Philip Roth, le célèbre écrivain américain né en 1933 à Newark et maintes fois primé pour de nombreux livres. Ce roman, Professeur de désir, date de 1977.

Comme souvent dans les romans de Roth, le héros est assez porté sur « la chose » et cette fois encore, David Kepesh un autre double ou alias du romancier, va devoir endurer le tourment du désir. Très vite le jeune étudiant Kepesh va découvrir qu’il est « un libertin parmi les érudits, un érudit parmi les libertins ». Parti pour Londres afin de préparer sa licence de lettres, l’étudiant va rencontrer deux Suédoises, Bettan et surtout Birgitta, comme on les fantasmait dans les années soixante-dix, jeunes, belles et dépourvues de complexes, prêtes à toutes les expériences prônées par la toute nouvelle liberté sexuelle qui submergeait l’occident. Inutile de vous dire que notre Kepesh ne se fera pas prier pour participer à une fête qui dépasse ses espérances « peut-être n’ai-je jamais, jusqu’ici, connu de fille de mon âge pour laquelle ce genre d’excès n’aurait été considéré que comme un outrage. »

Quelques années plus tard tandis qu’il achève sa dernière année de littérature comparée, David Kepesh rencontre Helen. Helen Baird est une aventurière très classe, intrépide, partie vivre sur un coup de tête, à HongKong avec un homme ayant le double de son âge, elle connu le luxe et les séjour en Asie du sud-est, « la bonne vie coloniale ». Face à cette femme aussi belle que mystérieuse, David décide d’épouser Helen « quand le poids de l’expérience requis pour atteindre la décision monumentale de l’abandonner à jamais se révèle si monstrueux, si bouleversant que la vie sans elle me paraît inimaginable ». Le mariage va être éprouvant, leurs relations houleuses et conflictuelles se détériorer et finalement ils divorcent.

Une autre femme va entrer dans la vie de Kepesh devenu jeune professeur de littérature d’une trentaine d’années, Claire Ovington. Après les excès de sexe avec les nordiques, les relations tourmentées avec Helen, Claire semble le bout de la (qué)-quête de notre héros. Elle est jeune, belle et par-dessus tout pas compliquée. Terminées les séances de psychanalyse, la vie de David Kepesh va-t-elle enfin trouver la stabilité et la sérénité qui lui font tant défaut ? Parfois lui reviennent en mémoire les fantômes des Suédoises, même Helen depuis remariée vient lui rendre une ultime visite avec son mari. David pourra-t-il trouver la paix de l’âme auprès de Claire qui lui est toute dévouée. Rien n’est moins sûr, « impossible de le dire, pas ce soir, mais dans un an ma passion sera morte. Elle a déjà commencé de mourir… »  

Philip Roth autopsie les états d’âme de David Kepesh et reconnaissons-le, ce Kepesh est pénible, jamais satisfait toujours à la recherche d’autre chose, cramponné à un idéal de désir qui n’existe pas – du moins sur la durée – ce qui bien évidemment le tourmente au plus haut point. Plusieurs fois j’ai failli abandonner le bouquin, exaspéré, mais le style de l’écrivain est là et de très belles scènes sauvent le roman, quand il évoque ses parents, le décès de sa mère, son père âgé qui vient lui rendre visite, ou encore des digressions passionnantes sur Kafka quand il se rend à Prague pour un court voyage d’étude.   

  

« Faire comprendre à ces gens que ce qu’ils sont, d’où ils viennent, ce qu’ils portent est intéressant. En un certain sens, capital. Voilà la vraie compassion. Et je t’en prie, pas d’étalage d’ironie. Ton problème, c’est que tu les effarouches avec ta merveilleuse prédilection pour la complexité des choses. D’après mon expérience, la femme de la rue, la femme ordinaire, n’apprécie pas l’ironie. En fait, c’est l’ironie qui la braque. Elle veut qu’on lui soit attentif ; elle veut être appréciée. Elle n’a sûrement aucune envie de faire assaut d’esprit avec toi. Réserve donc toute cette subtilité pour tes articles de critique ; quand tu sors dans la rue, pratique l’ouverture – les rues, voilà à quoi ça sert. »

 

 

Roth images.jpgPhilip Roth  Professeur de désir  chez Folio

 

 

 

 

 

 

 

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16/10/2012 | Lien permanent

Umberto Eco : Le Cimetière de Prague

ECO Livre  38822461_8261749.jpgUmberto Eco est né en 1932, médiéviste, sémioticien, philosophe, critique littéraire et romancier il a connu un succès mondial avec son roman Le nom de la Rose en 1980.

Un nouveau roman de Umberto Eco c’est toujours la promesse gourmande de longs moments de lecture érudite avec ce je ne sais quoi qui nous replonge dans la littérature du XIXe siècle, Le cimetière de Prague en est la preuve évidente.

Le romancier qui ne s’en cache pas et d’ailleurs les cite, nous entraîne dans une folle aventure digne des meilleurs Dumas ou Eugène Sue, ces spécialistes des gros pavés truffés d’histoires à rebondissements et de complots machiavéliques. Le roman se déroule entre 1830 et 1890 à travers l’Europe, où le « héros » Simon Simonini faussaire de talent et espion à la solde de tous, croisera dans le désordre, Napoléon III, Garibaldi, le roi Victor-Emmanuel, les Carbonari, les Francs-maçons, les Jésuites, des spirites, j’en passe et des meilleurs, la liste des personnages serait trop longue à énumérer. Il y a foison de complots, des cadavres planqués dans les égouts, des messes noires, un double de Simonini en l’abbé Dalla Piccola, soyons franc, on a parfois un peu de mal à suivre tout ce beau monde dans leurs activités méprisables.

Car c’est là, le parti pris d’Umberto Eco, avoir choisi comme personnage principal de son roman ce Simonini qui s’avère être un ignoble individu, sans aucune qualité, sans morale et surtout animé d’un antisémitisme total qui motive toutes ses actions et toute sa vie. Tous les complots dans lesquels il va tremper n’ont qu’un but, discréditer les Juifs. Cador dans son métier de faussaire, il est bien vite connu sur la place et de toute l’Europe, de tous bords, les mouches attirées par ce miel utiliseront ses services pour créer de faux documents afin de faire accuser tel ou tel, et il finira par devenir le créateur du tristement célèbre Protocole des Sages de Sion, cet évangile antisémite. L’espionite atteint de tels niveaux de complexité que parfois c’en devient ridicule et comique dans les situations, Umberto Eco n’étant pas non plus avare de réflexions pleines d’humour.

Le livre aurait fait polémique en Italie – j’écris « aurait » car Eco dément et peut-être n’est-ce qu’un coup du marketing – accusant l’écrivain d’antisémitisme. Pour ma part, je dois reconnaître que ce livre me met mal à l’aise. Umberto Eco n’est pas antisémite, j’en suis certain, mais son roman trop intelligent, trop second degré (voire plus) pourrait être mal lu ou mal interprété.

Le point faible de ce roman, à mon avis, c’est qu’il est trop bien écrit ! Tous les personnages et les faits cités sont réels (sauf Simonini). Eco décrit la manière de mettre en branle le soit disant complot universel fomenté par les Juifs pour conquérir le monde, afin de mieux le dénoncer – et je maintiens que c’est son but – mais il le fait d’une telle façon, qu’à la lecture de son roman on ne s’indigne pas réellement de ce Simonini, qu’à suivre ces aventures rocambolesques on se prête au jeu du feuilleton. A compiler tout ce que la littérature antisémite à déjà semé dans l’esprit des gens, qui plus est sous cette forme romanesque admirablement écrite, il concourt à répandre ce qu’il dénonce, « les gens oublient facilement ce qu’ils ont appris et, quand on leur fait prendre pour argent comptant ce qu’ils on lu dans un roman, ils ne s’avisent que vaguement qu’ils en avaient déjà entendu parler, et ils ont confirmation de leurs croyances ». Vertigineuse mise en abîme qui d’un point vue strictement intellectuel est remarquable, mais n’est-ce pas aussi renforcer insidieusement le sentiment anti-juif de quelques esprits faibles. Si Umberto Eco voulait soulever une polémique, il y a là matière à discuter.

Pour conclure, un gros livre qui se lit comme du Dumas pour l’ampleur des aventures et des personnages et si parfois on perd un peu pied ce n’en est que plus grisant. On retrouve aussi toute l’érudition d’Eco à travers les faits historiques et les quelques mots rares (mais pas trop, ici) dont il a l’habitude de parsemer ses ouvrages et qui font mon régal. Umberto Eco fait confiance à notre intelligence pour le lire comme il convient, ne le décevons pas.

 

« Or précisément cette année, plus ou moins le même texte a paru dans un opuscule à Moscou. Bref, là-bas, ou là-haut si on préfère, on est en train d’organiser une affaire d’Etat autour des Juifs, qui deviennent une menace. Mais pour nous aussi ils sont une menace car à l’abri de cette Alliance Israélite se cachent les maçons, et Sa Sainteté est désormais bien décidée à déchaîner une campagne en bataille rangée contre tous ces ennemis de l’Eglise. Et voilà que, bien bon, tu reviens toi, Simonini, qui dois te faire pardonner la plaisanterie que tu m’avais jouée avec les Piémontais. Après l’avoir si bien diffamée, tu dois quelque chose àla Compagnie. Diable, ces jésuites étaient plus forts qu’Hébuterne, que Lagrange et di Saint Front, ils savaient toujours tout de tout le monde, ils n’avaient pas besoin de services secrets parce qu’ils étaient un service secret eux-mêmes ; ils avaient des frères dans chaque partie du monde et ils suivaient ce qui se disait dans chaque langue née de l’effondrement de la tour de Babel. »    

 

 

ECO curiosite,M27925.jpgUmberto Eco  Le Cimetière de Prague  Grasset     

     

 

 

 

 

 

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13/10/2012 | Lien permanent

Nikolaj Frobenius : Le valet de Sade

Frobenius Livre 87291_2658971.jpgLe Salon du Livre de Paris célébrait cette année les écrivains du Nord de l’Europe, une occasion comme une autre pour faire connaissance avec Nikolaj Frobenius, un romancier Norvégien né à Oslo en 1965 dont plusieurs livres ont déjà été traduits en français, comme Le valet de Sade paru chez nous en 1998. 

 

Nous sommes au XVIIIe siècle quand naît à Honfleur, d’une usurière, un fils nommé Latour. Si la mère était bien laide, l’enfant ne l’est pas moins et tous deux vivent à l’écart de la ville pour éviter le regard malveillant des gens. Bien vite l’enfant découvre qu’il est insensible à la douleur ce qui le met une fois encore au ban dela société. Lehasard lui fait rencontrer un taxidermiste qui lui enseignera les premières bases de son art avant qu’il ne monte à Paris après la mort de sa mère dont il se persuade qu'elle a été empoisonnée par des créanciers parisiens, et un vol de bijoux, maigre pécule pour le voyage.

C’est dans la capitale qu’il va trouver sa voie, de la taxidermie il passe à la dissection auprès d’un maître. Désormais il veut se consacrer à la connaissance du cerveau humain afin de découvrir le siège de la douleur et par là, comprendre son infirmité. Si l’entreprise est louable, les moyens le sont moins puisqu’il assassine les supposés responsables de la mort de sa mère, pour obtenir des corps.

Repéré par l’écrivain Sade dans un bordel, celui-ci l’engage comme domestique, « je peux tout t’apprendre sur la jouissance » lui promet-il. Des liens étranges vont alors se tisser entre ces deux hommes. Tous deux se vautrent dans la souffrance, mais leurs objectifs sont différents, le valet fait souffrir dans un but scientifique, pourrait-on dire, afin d’isoler le lieu de la souffrance dans le cerveau humain, alors que pour le divin marquis « la cruauté était devenue invraisemblable et je compris alors que ce n’était pas la jouissance de ces actes que mon maître avait essayé de décrire. Mais bien la solitude. »

La justice des hommes ne pouvait rester indifférente à leurs turpitudes, les lettres de cachet pleuvent sur Sade qui sera embastillé, de son côté Latour est poursuivi par un policier intrigué par tous ces cadavres sans tête, victimes certainement du même tueur. Au soir de leur vie, ils finiront à l’asile de Charenton où, comme le notera le directeur, « Ce qui était, en effet, fascinant chez ces deux hommes, c’était le mélange de penchants obsessionnels et d’arrogance intellectuelle, de croyance en la raison et de folie, qui avait fait, de l’un un assassin, de l’autre un dramaturge. »       

Nikolaj Frobenius nous mène dans ce Paris boueux où vivent les gueux et dans les lupanars dont Sade nous a tout dit dans son œuvre mais sans s’appesantir – heureusement – sur les « plaisirs » qu’on y achetait. Un livre étrange, mêlant le sexe et le crime pour la forme, tout en cherchant à explorer les zones troubles du comportement humain pour le fond. Pas mal et intéressant. 

 

« Ils n’ont jamais retrouvé la fille du jardinier. Je l’ai découpée à la lueur dela lune. J’ai dispersé ses restes dansla propriété. J’ai ouvert la tête dans ma chambre et débité cette sorte de cerneau en tranches fines. Je dois convenir qu’il m’a été difficile d’identifier les organes de Rouchefoucault dans un fruit aussi tendre. Les circonvolutions sont si petites et si entrelacées. La lumière de ma chambre était trop faible et il va de soi que je ne peux travailler quela nuit. C’est irritant au fond. Comment mener à bien un travail scientifique avec une pareille lumière ? »

 

frobenius 10.jpgNikolaj Frobenius  Le valet de Sade  Babel

 

 

   

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13/10/2012 | Lien permanent

Théophile Gautier : Le roman de la momie

Gautier Livre 32715_2655486.jpgThéophile Gautier (Tarbes 1811 – Neuilly 1872) est un poète, romancier, peintre et critique d'art. Partisan du romantisme, populaire par ses romans historiques (Capitaine Fracasse), il devient l’un des théoriciens de « l’art pour l’art » et l’un des maîtres de l’école parnassienne qui défendait cette thèse.

En Egypte, un jeune aristocrate anglais lord Evandale, et un docteur allemand, Rumphius, découvrent une tombe inviolée grâce à l'aide d'Argyropoulos, un Grec « entrepreneur de fouilles, marchand et fabricant d’antiquités, vendant du neuf au besoin à défaut de vieux ». Depuis plus de 3500 ans, nul n'a foulé le sol des chambres funéraires où repose le sarcophage d'un pharaon. Mais quand s'ouvre le lourd couvercle de basalte noir, les deux hommes trouvent, à leur grande stupéfaction  - « Un cri d’admiration jaillit en même temps des lèvres de Rumphius et d’Evandale à la vue de cette merveille » - la momie parfaitement conservée d'une jeune fille d'une magnifique beauté, appelée Tahoser ainsi qu’un papyrus qui prendra trois ans d’études avant d’être déchiffré.

Après ce long prologue, la traduction du papyrus nous révèle l’histoire tragique de la momie, un vrai roman d’amour dans un lointain passé. Tahoser fille d'un grand prêtre d'Egypte, s'éprend d'un Hébreu. Elle est prête à partager la vie du peuple esclave, mais le pharaon la fait enlever et lui offre puissance et richesse. Ou comment l’orpheline d’un grand prêtre deviendra maître de l’Egypte.

Si le cadre du roman est historique, les personnages sont fictifs, mêlés à des évènements comme la traversée dela Mer Rougepar les Hébreux sous la conduite de Moïse. Il est amusant de noter que Théophile Gautier fera paraître ce roman en 1858 alors que ce ne sera qu’en fin d’année 1869 qu’il se rendra en Egypte à l’occasion de l’inauguration du canal de Suez. Toutes ses connaissances sur l’Egypte pharaonique il les doit à ses recherches. Et elles furent nombreuses et pointues, car le roman est lourdement lesté de descriptions d’objets, de vêtements, des travaux quotidiens du peuple etc. avec le vocabulaire spécialisé associé. C’est aussi à mon sens, l’un des points faibles du livre, beaucoup trop de digressions. D’ailleurs, avant d’être un roman, le texte est paru à l’époque en feuilleton dans un journal, sans grand succès auprès des lecteurs. On imagine mal effectivement, ce texte en feuilleton, où rien ne relance vraiment l’intérêt de la lecture.

Au milieu de ce déballage de science érudite, une et même plusieurs histoires d’amour. L’Hébreu qui aime Tahoser, Tahoser qui elle a un béguin sans retour pour Poëri l’intendant des biens de la couronne, et Pharaon qui lorgne sur Tahoser. Et, cerise sur ce gâteau de fruits de la passion, à plusieurs siècles d’écart, lord Evandale tombera amoureux lui aussi de Tahoser, au point qu’il n’a « jamais voulu se marier, quoiqu’il soit le dernier de sa race. »

Je vais être honnête, je n’ai pas trop aimé ce roman auquel je n’ai pas réussi à m’intéresser.

 

« Quelle touchante coutume, dit le docteur Rumphius, enthousiasmé à la vue de ces trésors, d’ensevelir avec une jeune femme tout son coquet arsenal de toilette ! car c’est une jeune femme, à coup sûr, qu’enveloppent ces bandes de toile jaunies par le temps et les essences : à côté des Egyptiens, nous sommes vraiment des barbares ; emportés par une vie brutale, nous n’avons plus le sens délicat de la mort. »

 

 

gautier.jpgThéophile Gautier  Le roman de la momie  Livre de Poche

 

 

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13/10/2012 | Lien permanent

Françoise Héritier : Le Sel de la vie

Heritier Livre 44358508_9852966.jpgFrançoise Héritier née le 15 novembre 1933 est une anthropologue et ethnologue française. Elle a succédé à Claude Lévi-Strauss au Collège de France, inaugurant la chaire d'« étude comparée des sociétés africaines ». Lévi-Strauss voyait en elle son successeur.

Son dernier ouvrage qui vient de paraître, Le Sel de la vie, n’est pas un livre scientifique, « c’est une « fantaisie », née au fil de la plume et de l’inspiration » comme l’annonce en présentation son auteure. J’avoue qu’il m’est difficile d’en faire un compte-rendu, car j’hésite à classer ce bouquin qui selon les jours ou les heures, passe dans la catégorie des livres sans intérêt ou bien dans celle des livres de sagesse au quotidien !

Abordons la forme. Ils’agit d’une lettre envoyée à un ami et qui s’étale sur 80 pages mais dans laquelle Françoise Héritier ne fait que lister tous ces petits moments qui donnent du goût à la vie. Uneliste de 80 pages, vous imaginez que ça fait beaucoup de petits riens où se mêlent souvenirs, émotions, plaisirs banals… qui vont « d’oublier de prendre son courrier » à « revoir Butch Cassidy et le Kid » en passant par « rechercher toujours bien qu’en vain le goût des reinettes du Mans ». A ce point de la chronique, certains vont se dire, mais à quoi rime cette daube ? Un bouquin qui en fait n’est qu’une énumération, merci bien. Je reconnais qu’il m’est difficile de donner tort à ces reproches et je les partage quand je suis dans ma phase négative.

Par contre, dans ma période positive, je parcours l’ouvrage sereinement, comme une poésie en prose et je m’arrête longuement sur chaque item de la liste, cherchant à retrouver en moi les émotions qu’ils suscitent. Le plaisir retiré est mince mais je conçois qu’on puisse l’apprécier. Vous voyez que je fais des efforts pour être objectif dans mon analyse.

Pour éclairer un peu plus la lanterne du futur lecteur éventuel, j’associerais Françoise Héritier et Philippe Delerm comme le tenon et la mortaise, sans allusion grivoise bien évidemment, elle, dressant la liste des sujets que lui développe en quelques pages dans ses propres livres. Et pour être franc, je préfère lire les petits billets simples de Delerm plutôt que la liste sèche d’Héritier.

Dans cette longue liste chacun n’y retrouvera pas tous ses petits – ce qui est normal – mais tous y trouveront des similitudes avec sa propre vie, donc sur 80 pages si vous ôtez ce qui ne vous concerne pas, il ne reste qu’un fascicule pas bien épais. Il ne coûte pas cher certes (7.00 euros), mais il ne vaut pas plus, non plus. Mon conseil est simple, lisez-le chez votre libraire, ce sera bien suffisant. Encore un de ces livres dans l’air du temps, où l’on vous vante le bonheur des plaisirs simples – et je suis d’accord sur ce constat – mais qui ne va pas plus loin. Si vous en étiez déjà convaincu avant de l’ouvrir, ennui total assuré, si ce n’est pas votre façon de voir les choses, après cinq pages le bouquin finira à la poubelle. 

 

« Il s’agit tout simplement de la manière de faire de chaque épisode de sa vie un trésor de beauté et de grâce qui s’accroît sans cesse, tout seul, et où l’on peut se ressourcer chaque jour. Rien de tout cela n’est vraiment sorcier n’est-ce pas ? »

 

HERITIER  .JPGFrançoise Héritier  Le Sel de la vie  Odile Jacob

 

     

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Régis de Sà Moreira : La Vie

Sa moreira Livre 48811469_10482539.jpgNé en 1973 d'un père brésilien et d'une mère française, Régis de Sà Moreira a beaucoup changé de lieu d'habitation. Son nouveau bouquin, La Vie, est son cinquième roman.

Le livre m’ayant été offert, je n’en savais rien quand je l’ai ouvert ce qui explique ma surprise, car ce n’est pas un bouquin comme un autre. Il ne s’agit pas d’un roman dans le sens classique du terme, avec quelques personnages plongés dans des situations voulues par l’auteur et dont on suit les aventures.

Imaginez plutôt un long et unique travelling du début à la fin de l’ouvrage. Ca m’a rappelé une publicité diffusée par la télévision il y a plusieurs années, pour une banque je crois, dans un long mouvement de caméra et accompagnés d’une belle musique, nous passions d’une saison à l’autre avec des personnes ordinaires dans leurs occupations de vies ordinaires. C’était très beau et très simple. Ce livre de Régis de Sà Moreira, c’est exactement cela. Sous la forme de couplets de quatre ou cinq lignes, c'est-à-dire deux ou trois phrases maximum, nous suivons ce qui ressemble à un relai verbal, chaque couplet étant la voix ou la pensée d’un personnage différent, laquelle entre en résonnance avec le personnage suivant, et ainsi de suite, du début jusqu’à la fin du roman. Et c’est magnifiquement réussi !

Ce petit livre ne fait que 120 pages mais il pourrait en faire 1000 ce serait pareil. Vous pouvez le lire de la première à la dernière page comme un roman « normal », ou bien le prendre en plein milieu, ou plus fort encore, commencer par la fin pour remonter au début ! Ca paraît ahurissant dit ainsi et vous pouvez penser que le texte doit être bien décousu, mais pourtant c’est sensationnel. Ce qui m’épate réellement, c’est que tout est d’une simplicité quasi banale mais le ton employé par l’écrivain est remarquable. Par sa concision d’abord, en deux phrases, un personnage que nous ne recroiserons pas, est campé, une situation est posée, tout est dit et hop ! on passe au suivant. C’est toujours très léger dans la manière – même si parfois s’exprime la voix d’une violée, d’un enfant battu, d’un mort…- et c’est aussi extrêmement drôle « Je me demande pourquoi je garde des tables dans mon restaurant, les clients n’achètent plus qu’à emporter. » De belles réflexions jaillissent aussi comme des pépites, « La réalité n’a aucune chance contre l’imagination » ou bien encore « Je comptais déjà les heures, le bureau quand on est amoureux c’est pire que l’école quand on est petit ». Et dans ce long cortège d’inconnus qui se croisent ou se souviennent, déboulent des vedettes de cinéma comme Scarlett Johansson ou Angelina Jolie, et même le Pape a son mot à dire, tout cela paraît incongru quand vous le lisez dans cette chronique, mais dans le roman ça glisse tout naturellement. 

Inutile de vouloir en dire plus, il s’agit d’un pur joyau, pas d’un grand livre avec des majuscules partout et des courbettes plein la bouche quand on en parle, non, plutôt un petit livre délicat qui recèle mille plaisirs simples de lecture à travers les vies de gens comme vous et moi, pour former ce grand tout qu’on appelle la Vie.    

 

« Tous mes frères et sœurs me battent au baby-foot, c’est pas normal, je suis sûr que mes parents m’ont adopté… C’est le seul que nous n’avions pas adopté. Des années plus tard il a tout découvert, il a quitté la maison et il ne nous a plus jamais parlé. C’est dur le silence pour une mère… »

 

 

regis-de-sa-moreira.jpgRégis de Sà Moreira  La Vie  Au Diable Vauvert

 

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12/10/2012 | Lien permanent

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