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Rechercher : larmes blanches

Colin Thubron : En Sibérie

Thubron Livre 202794988.jpgL’écrivain voyageur Colin Gerald DrydenThubron est né à Londres en 1939. Il a travaillé dans l’édition et réalisé des documentaires pour la télévision mais depuis longtemps maintenant, l se consacre à l’écriture de romans et récits de voyage. Le présent ouvrage En Sibérie, est paru en 1999 mais traduit en Français que depuis 2010.

Colin Thubron est un voyageur cultivé, on pense à son compatriote Patrick Leigh Fermor, et un journaliste dans l’âme. Ses récits de voyage ne se contentent pas de descriptions de paysages bucoliques ou de couchers de soleil pour cartes postales. Quand Thubron part pour la Sibérie, il s’est fixé un plan de route allant d’Ouest en Est, de Iekaterinbourg, lieu du martyre de la famille du tsar, jusqu’à Magadan et la Kolyma de sinistre mémoire, au bord du Pacifique. Seul avec un bagage léger, mais parlant suffisamment le Russe pour se faire comprendre et interroger les hommes et les femmes qu’il rencontrera durant ce long périple. 

Le voyageur prend son temps, passant du train au car, du bateau au bus, ne sachant pas à l’avance où il dormira le soir, jamais inquiet dans l’adversité, bien dans la lignée de ces illustres Britanniques grands arpenteurs de notre planète. Si les paysages ne sont pas le point fort de ses récits, c’est parce que l’écrivain sait que le plus important est ailleurs, il est dans la richesse inouïe des rencontres fortuites jalonnant son parcours.

Et il en croise des gens étranges. Il y a un soi-disant descendant de Raspoutine, une vieille femme rescapée des camps de travail du goulag, un moine bouddhiste, un major du KGB devenu chapelain baptiste, Sacha le scientifique « qui restait des nuits entières à bosser dans un grand bâtiment sinistre, baptisé Institut de médecine clinique expérimentale ». Et tant d’autres encore, tous petites gens du peuple, issus de minorités ethniques souvent.

Chacun, chacune raconte sa vie, telle qu’elle fût jadis, telle qu’elle est devenue aujourd’hui car des ombres sombres planent au-dessus de ces populations et de ce pays, Staline, Lénine, le communisme, ont marqué à jamais les esprits et les corps, du moins pour les survivants. Quand Colin Thubron entreprend son voyage, il n’y que dix ans d’écoulés depuis l’effondrement du régime communiste, il faut se remettre dans ce contexte historique pour mieux appréhender les propos des intervenants. 

Toutes ces rencontres et lieux visités permettent à l’auteur d’évoquer les sujets les plus divers, les traditions du peuple des Scythes ou des Enètses, le retour de la religion, qu’on parle d’orthodoxie ou de bouddhisme, voire des chamans, ou bien encore l’éternel problème du continent russe, l’alcoolisme.

Travail sur la mémoire, réflexion sur le passé, Colin Thubron sous couvert d’un livre de voyage, nous embringue dans un portrait émouvant d’une nation dévastée, où ne semblent survivre que des fantômes et des rescapés, mais il précise « Ce n’est pas la nature qui a fait de la Sibérie un enfer, c’est l’homme ! ».    

 

« Mais vers le soir, le vent tombe et nous entrons dans un vide doré. Je me dis : voilà la Sibérie originelle – insaisissable, infinie -, celle qui s’attarda au fond des yeux des premiers voyageurs, tel un inconscient géographique. Son apparente vacuité était une page blanche offerte à l’écriture. Des siècles durant, elle a attisé la rumeur et la légende, inspiré des idéaux et suscité la peur. Sonnom même – fusion mystique du terme mongol siber (« beau, pur ») et du tatar sibir (« pays endormi ») – évoquait quelque chose de vierge, en attente. Hegel l’avait carrément placée en dehors de l’histoire, car trop froide et trop hostile pour permettre une vie qui ait du sens. »

 

Thubron 3085997394.jpgColin Thubron  En Sibérie  Folio

 

 

 

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16/10/2012 | Lien permanent

S.J. Watson : Avant d’aller dormir

Watson Livre 122926177.jpgS.J. Watson a 39 ans, natif de Grande-Bretagne il y a travaillé durant de longues années pour le Ministère de la Santé avant de faire paraître ce premier roman.

A la suite d’un accident survenu vingt ans plus tôt, Christine est devenue amnésique, une forme particulière de cette pathologie puisque chaque matin elle se réveille en s’imaginant avoir vingt ans et être encore étudiante, alors qu’elle en a quarante-sept et qu’elle est mariée. Son neuropsychologue lui conseille alors de rédiger un journal intime pour y consigner tous ses maigres souvenirs ce qui lui permet à chaque relecture, le matin au réveil, de ne plus repartir de zéro.

Cette mise au propre de ses souvenirs va bientôt déclencher une série de questions restant sans réponse, avait-elle un enfant et qu’est-il devenu, où est passée son amie Claire, de quel accident a-t-elle été victime, pourquoi son mari Ben semble-t-il si réticent à lui fournir des explications, pourquoi le docteur Nash lui a-t-il conseillé d’écrire son journal intime à l’insu de son mari ? « Le Dr Nash marque une pause puis enchaîne, « je ne suis pas certain que Ben sache que nous nous voyons. »

Les questions se succèdent, des réponses surgissent puis vient le temps des contradictions, donc des suspicions ce qui engendre de nouvelles questions encore plus angoissantes, Ben lui ment-il, mais pourquoi ? « Mon mari me raconte une version de la manière dont j’en suis arrivée à ne plus avoir de mémoire, mon intuition m’en souffle une autre. »

Je ne peux décemment pas vous en dire plus de l’intrigue, mais ce qui est certain c’est que ce roman est un magistral thriller. L’histoire avance paradoxalement à un rythme posé qui met encore plus les nerfs à cran, tout est banal dans le récit, une vie tranquille dans un quartier de Londres, excepté que Christine ne sait plus rien de sa vie passée et qu’elle commence à subodorer qu’on lui cache sciemment des choses. Tout est parfait dans ce roman, au-delà d’un « simple » thriller, il s’agit de littérature, le livre est superbement écrit, l’intrigue monte crescendo jusqu’à la fin – le dernier chapitre doit être lu d’une traite pour ne pas devenir fou d’impatience -, les personnages gravitant autour de Christine passent du camp « amis » au camp « ennemis » et inversement au fur et à mesure qu’on progresse dans la lecture.

Comment peut-on écrire un si bon premier livre ? Mr Watson réalise un sans faute avec cet Avant d’aller dormir que je vous recommande vivement pour vos vacances d’été, et il paraît que Ridley Scott en a déjà acheté les droits pour le porter à l’écran. Par contre n’ouvrez pas ce bouquin avant d’aller dormir, nuit blanche assurée. La chute était facile, je sais, mais je n’ai pas pu résister.  

 

« La boîte était à l’endroit que j’avais décrit dans mon journal, fermée à clé, comme je l’avais soupçonné. Je n’en étais pas contrariée. J’ai commencé à regarder. Je me suis dit que je ne m’arrêterais pas tant que je n’aurais pas trouvéla clé. J’ai d’abord fouillé le bureau. Les autres tiroirs. Je l’ai fait méthodiquement. J’ai tout replacé là où je l’avais trouvé, et après, je suis allée dansla chambre. J’ai ouvert les tiroirs, fouillant entre ses slips, ses mouchoirs, soigneusement repassés, les maillots de corps et les t-shirts. Rien, et rien dans mes affaires non plus. Les tables de nuit avaient des tiroirs. J’avais l’intention de fouiller chacun d’eux, en commençant par le côté du lit où je n’avais pas dormi. J’ai ouvert le tiroir du haut et fouillé son contenu – des crayons, une montre qui ne marchait plus, une plaquette de pilules que je ne reconnaissais pas – avant d’ouvrir le tiroir du bas. Au départ j’ai cru qu’il était vide. Je l’ai refermé doucement, mais en le poussant, j’ai perçu un tout petit bruit, de métal frottant contre du bois. Je l’ai ouvert à nouveau, mon cœur battant à tout rompre. C’était une clé. »

 

 

Watson 2488644655.jpgS.J. Watson  Avant d’aller dormir  Sonatine

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17/10/2012 | Lien permanent

Tom Wolfe : Un homme, un vrai

Wolfe Livre Homme mages.jpgL’écrivain Tom Wolfe nous a habitué à ses énormes bouquins et ce Un homme, un vrai est du même gabarit avec ses 1000 pages ! Parfois pour ne pas dire souvent, le plus est l’ennemi du bien, pourtant ici encore Tom Wolfe réussit l’exploit de nous tenir en haleine tout du long. Il ne s’agit pas du tout d’un polar dont on voudrait absolument connaître le dénouement, non, mais d’un livre d’une incroyable richesse de documentation qui a certainement demandé un énorme travail de recherches et de compilation d’informations. Ce roman peut se comparer à un volume de La Comédie Humaine, nous ne sommes pas loin de Balzac pour sa peinture d’une certaine société et de ses mœurs. Lucide, cruel, critique, très vrai et plus proche de nous puisque le roman date de 1998, ce magnifique ouvrage nous met le nez dans notre époque, où du moins dans certains mondes de notre époque.

Charlie Croker est un ancien athlète de haut niveau du football américain à la carrure imposante, parti de rien du fin fond de sa Géorgie (un « péquenaud » de Sudiste) il est devenu le principal entrepreneur immobilier d’Atlanta. Le fric tombe de ses poches par liasses, propriétés, avions privés, voitures de luxe, il est une figure marquante de la haute société locale, plus pour son argent que pour ses manières ou sa distinction. Au crépuscule de sa carrière il s’est engagé dans un projet de construction pharaonique qui doit couronner son ego mais qui va l’acculer à la ruine. Ca c’est la trame du roman, mais en parallèle nous suivons aussi les aventures d’un brave gars, manutentionnaire mis au chômage, qui par une succession de coups du sort va se retrouver en tôle, au milieu de fous furieux. Il y a aussi un jeune black vedette du football accusé du viol d’une fille blanche de la société huppée de la ville ; le maire noir de la ville qui manœuvre en vue des prochaines élections municipales en jouant sur d’éventuelles émeutes raciales, d’un jeune avocat noir aussi, ami du maire et aux dents longues, des membres d’une banque qui veulent récupérer les prêts accordés à Charlie Croker et bientôt tous ces personnages sont mis en rapport, plus ou moins directement.

Quand je parlais de Balzac en version moderne, je n’en étais pas loin car Tom Wolfe nous immerge dans le monde de la finance et des affaires, de la politique et des élections, d’un pénitencier avec ses rites et ses codes, du travail dans les entrepôts frigorifiques. Tout est magnifiquement documenté et décrit dans ses moindres détails ; nous passons d’une réception dans une plantation du Sud avec banquiers et politiques, à une cellule dans un pénitencier.

Contre toute attente, un dernier personnage fera son apparition par le biais d’un livre, Epictète le philosophe latin. Stoïcien il avait une vision de la vie fondée sur la différence entre ce qui dépend de l’individu et ce qui n’en dépend pas. C’est ce principe appliqué in fine par Charlie Croker qui, d’une certaine manière, le sauvera. Mais je vous laisse deviner comment.

Non pas un livre mais une somme, un chef-d’œuvre à lire absolument. La construction habile, le ton enlevé, certaines scènes inoubliables, font que j’ai littéralement dévoré le bouquin.

 

« - Incidemment, dit Wes Jordan, juste pour bien mettre les choses en perspective, deux tiers d’Atlanta intra-muros sont maintenant dans notre dos. (Il désigna l’arrière avec son pouce.) Ainsi que soixante-dix pour cent de la population. Mais, pour le reste du monde, c’est invisible. Est-ce que tu es tombé par hasard sur un de ces guides d’Atlanta qu’ils ont publié au moment des Jeux Olympiques ? De gros machins épais, certains en tout cas, de vrais bouquins, et au début, je n’en croyais pas mes yeux. C’était comme si rien n’existait au-delà de Ponce de Leon, rien à part l’hôtel de ville, CNN, et le mémorial Martin Luther King. Les cartes – les cartes, tu m’entends ! – étaient toutes tronquées… coupées en bas… pour qu’aucun touriste blanc ne pense même à s’aventurer dans l’Atlanta Sud. Elles ne mentionnaient même pas Niskey Lake ou Cascade Heights. – Ca ne me désole pas vraiment. – Moi non plus dit Wes, mais tu vois le tableau, non ? » 

 

Wolfe images.jpgTom Wolfe  Un homme, un vrai chez Pocket                        

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17/10/2012 | Lien permanent

Gillian Flynn : Les Apparences

Flynn Livre.jpgAprès une enfance passée à Kansas City, Gillian Flynn dit avoir eu l'envie de devenir journaliste dans le domaine criminel. Elle sort diplômée de journalisme de l'université de Kansas avant de poursuivre sa formation à l'école de journalisme de la North Western University.Après avoir écrit pour différents journaux elle est finalement embauchée chez Entertainment Weekly pour lequel elle travaillera durant dix ans avant de se lancer parallèlement dans l'écriture de son premier roman, Sur ma peau, sorti en 2006. Aujourd’hui elle vit à Chicago où elle poursuit une carrière d'écrivain et après Les lieux sombres en 2009, son dernier ouvrage Les Apparences, est paru l’été dernier. 

Nick Dunne, journaliste, et sa femme Amy diplômée de psychologie, vivaient heureux jusqu’à ce que la crise les rattrape. Le chômage les exile de New York vers une petite ville du Missouri, là où Nick a grandi. Avec l’argent d’Amy, fille d’une famille aisée, Nick achète un bar qu’il gère avec sa sœur jumelle. Tant bien que mal, Amy new-yorkaise pure et dure a du mal à trouver ses marques dans cette province reculée, le couple s’adapte à sa nouvelle vie.

Arrive le jour de leur cinquième anniversaire de mariage qui sera aussi le premier jour d’une descente aux enfers, puisqu’Amy disparaît, laissant leur maison dans un désordre prouvant qu’il y a eu lutte avec traces de sang. L’enquête est confiée à un couple de flics locaux, Gilpin et Bony. De son côté, Nick lui aussi tente de comprendre. Or, qui dit enquête, dit qu’on va fouiner dans l’intimité des gens et inévitablement il en ressort toujours d’étranges comportements. Au fur et à mesure qu’on va avancer dans le roman, ce qui paraissait certain ne va plus l’être, un mari coupable va sembler innocent, une épouse victime moins blanche qu’il était évident. 

Je ne peux hélas, en dire plus sur l’intrigue au risque de gâcher votre lecture, elle ressemble à ces montagnes russes dans les parcs d’attractions, elle monte vers une éclaircie puis retombe dans un noir plus profond avant de regrimper vers ce qui s’apparente à une réponse finale mais ce n’est qu’un leurre avant de redescendre vers l’inconnu. Car notre jeune couple, bien gentil et mignon au début du roman, s’avèrera bien plus complexe que leur douce banalité amoureuse ne le laissait supposer. Comme quoi, il ne faut jamais se fier aux apparences.

Gillian Flynn réussit à nouveau son coup avec ce très bon roman, polar ou thriller, appelez-le comme vous voulez, son génie retors de l’intrigue frappe à nouveau très fort. Le portrait psychologique des ses deux héros est effrayant de précision et de machiavélisme, que Dieu nous sauve de tomber entre les tentacules de l’un des deux partenaires de ce couple. Néanmoins le futur lecteur doit être informé que le bouquin est trop long et que c’est au début que se situe cet excès, pour être clair le livre fait 570 pages, Amy disparaît page 43 mais ce n’est que page 250 que le trouble et l’excitation gagneront votre lecture. Il faut absolument faire l’effort de poursuivre car lorsque la machine va s’emballer, vous oublierez ce détail.

D’un autre côté il faut reconnaître que Gillian Flynn écrit très bien, un style coulé et agréable même quand il est bavard. Et ce début qui traine trop s’explique parfaitement d’un point de vue narratif, d’abord plonger le lecteur dans une béatitude romantique pour qu’ensuite, quand les nuages noirs vont s’accumuler, pouvoir le mettre dans une position déstabilisante et agaçante. Car la dame sait y faire, chapitres alternant les points de vue de Nick et d’Amy à travers son journal intime, le lecteur se retrouve dans la position du voyeur partisan de l’un ou l’autre au gré des pages, distillation au compte-goutte de faits troublants. Du grand art.   

Un excellent roman qui réactualise le fameux Love/Hate dans une histoire de fou – littéralement.   

 

« Au contraire, les femmes de tous les pays se sont unies dans leur dégradation ! Bien vite, la Fille cool est devenue la fille normale. Les hommes croyaient dur comme fer à son existence – elle n’était plus seulement l’exception enchantée. Chaque fille était censée être cette fille, et si ce n’était pas votre cas, eh bien, c’est que vous aviez un problème. »

 

Flynn.jpgGillian Flynn  Les Apparences  Editions Sonatine

 

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Philip Roth : Le Complot contre l’Amérique

philip rothPhilip Roth est né le 19 mars 1933 à Newark, dans le New Jersey, son œuvre couronnée de multiple prix en fait l’un des plus grands écrivains américains contemporains. Aujourd’hui il vit dans le Connecticut et en octobre 2012 il a déclaré à la presse qu’il arrêtait d’écrire. Le Complot contre l’Amérique est paru en 2004.

Le roman se déroule aux Etats-Unis, entre 1940 et 1942, le président Franklin Delano Roosevelt n’est pas réélu battu par Charles Lindbergh le célèbre aviateur. Or Lindbergh est un sympathisant du régime nazi et il a basé sa campagne électorale principalement sur le refus de voir l’Amérique s’engager dans le conflit qui fait rage en Europe et aussi sur un antisémitisme rampant. Dès qu’il est élu, son premier geste politique consiste à conclure avec Hitler un pacte de non-agression. Le récit nous est narré par un certain Philip Roth, un gamin de neuf ans, âge qu’avait l’écrivain à cette époque, né dans une famille juive de Newark dans le New Jersey.

Roman de fiction historique, ou plus précisément uchronie, c'est-à-dire reconstruction historique d’évènements fictifs, d’après un point de départ historique. Et c’est toute la beauté de la chose car le vrai et le faux se mêlent avec une maestria effrayante. Les acteurs politiques ont réellement existé, leurs propos ont bien été tenus, ce sont les bases historiques avérées mais à partir de ces faits, l’écrivain fait diverger le sens de l’Histoire par des extrapolations qui lui sont propres. On voit comment un pays démocratique peut pencher vers la face noire de l’histoire, lentement mais sûrement, au point que de nombreux juifs ne verront pas venir la menace, même un rabbin aura ses entrées à la Maison Blanche. Au sein de la famille Roth, les avis divergent et seul le père (et la mère) s’opposera farouchement, du début à la fin,  aux idées véhiculées par Lindbergh, abandonnant leurs emplois « pour faire échec au plan du gouvernement et nous protéger contre le subterfuge antisémite qu’il voyait (…) dans la loi de peuplement 42.» Rumeurs infondées, théories des complots, émeutes raciales, premiers pogroms et morts violentes, la mécanique infernale est connue mais elle fonctionne toujours. Un bouquin sidérant autant qu’inquiétant, car s’il y a invention de l’auteur, elle est terriblement crédible. Et même la fin, car il fallait bien qu’il y en ait une, en forme d’hommage à la démocratie américaine, tient la route. Mais je vous laisserai la découvrir.

Un excellent roman, complètement atypique dans l’œuvre de Philip Roth. Ceux qui n’aiment pas l’écrivain peuvent lire ce bouquin, ils n’y trouveront pas ce qui leur déplait ailleurs (j’imagine le sexe, les pleurnicheries hypocondriaques, les tracas de l’âge etc.) quant aux amateurs de Philip Roth, comme moi, ils y verront une autre facette du talent qu’on savait immense, de l’écrivain… même si, avis très personnel, je préfère l’autre Roth.

Dans un long post-scriptum, l’auteur a l’intelligence de nous fournir toutes les clefs historiques réelles, ce qui évite les longues recherches fastidieuses que je prévoyais de faire afin de vérifier certains points.

 

« Ce fut mon frère qui, une fois au lit ce soir-là, m’expliqua pourquoi mon père était sorti de ses gonds au point de dire des gros mots devant ses enfants. Cette joyeuse terrasse à l’ambiance familiale, en plein centre-ville, était une guinguette bavaroise, établissement qui n’était pas sans lien avec le Bund germano-américain, lequel n’était pas sans lien avec Hitler, Hitler qui, inutile de me le dire, avait tous les liens possibles avec les persécutions contre les Juifs. Cette ivresse de l’antisémitisme… voilà donc, me dis-je, ce qu’ils buvaient de si bon cœur sur leur terrasse, ce jour-là, comme les nazis sous toutes les latitudes, des litres et des litres d’antisémitisme, remède à tous les maux. »   

 

 

philip rothPhilip Roth  Le Complot contre l’Amérique  Folio – 557 pages –

Traduit de l’américain par Josée Kamoun

 

 

 

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La liste des livres à lire

Tous les gros lecteurs sont confrontés à un problème commun, la gestion de la liste des livres qu’ils envisagent de lire un jour. Ceux qui lisent peu, à l’inverse, n’ont pas idée de l’ampleur de la tâche que constitue pour nous, cette mise à jour.

Chaque semaine, de mes lectures de romans aux magazines ou journaux, des émissions à la radio ou à la télévision, de mon survol de certains blogs, toutes ces sources diverses m’offrent de multiples occasions pour noter des références d’ouvrages très alléchants. Depuis ma prime jeunesse – et ça remonte un peu maintenant – j’ai pris l’habitude de noter tout cela dans un petit calepin. Et quand j’évoque les bouquins inscrits dans mon calepin, il s’agit de ma « liste des livres à lire » ; à ce propos, petite parenthèse, j’ai vu fleurir sur les blogs des acronymes ou sigles du genre PAL ou autres, dont je devine qu’ils désignent en termes modernes et branchés mon petit calepin, mais si quelqu’un pouvait m’en donner la traduction exacte, ça serait sympa, fin de la parenthèse.  

Donc, dans mon calepin, s’empilent des masses de références et bien que le carnet soit effectivement petit, vous n’imaginez pas le nombre extravagant de livres qu’il peut contenir quand on y inscrit seulement, titre du bouquin et nom de l’auteur. Ce pense-bête m’a longtemps semblé une très bonne idée dont je n’étais pas peu fier, jusqu’à ce que je commence à m’inquiéter. Les entrées y affluaient sans répit mais les sorties (les livres lus) ne suivaient pas le même rythme, d’autant que certaines de mes lectures ne passaient pas toujours par ce fameux calepin ! J’avais beau rayer en rouge les ouvrages lus, la liste des non-lus s’allongeait sans cesse.

L’inquiétude de me trouver sans savoir quoi lire était rassurée mais inversement, la tristesse de réaliser que je ne pourrais jamais lire tous les livres qui m’intéressent, m’accablait. Qu’importe, j’ai continué à alimenter mon calepin, ce goinfre sans cœur. Or, cette fameuse liste s’est avérée avoir aussi un effet pervers ; à voir toutes ces références attendant leur tour, j’en venais à accélérer mon rythme de lecture, espérant sottement vider mon tonneau des Danaïdes… Le plaisir de lire – car pour moi, la lecture ne peut être que plaisir ou n’est pas – devenait contrainte. Un comble !

Enfin, tout cela c’était avant. Désormais je m’impose de strictes règles, n’entrent dans mon calepin que les bouquins ex-trê-me-ment alléchants et dont je suis quasi certain que je les lirai. Finies les références notées à la volée, les pourquoi pas, les peut-être bien que ou les éventuellement. De toute manière, et je le sais depuis un bon moment déjà, il y a plus de livres déjà écrits et de très grande qualité que je ne pourrai en lire d’ici la fin de mes jours. Alors pourquoi m’inquiéter de toutes ces nouveautés d’un niveau souvent moyen qui sortent jour après jour ? Si ces livres sont réellement bons, le temps saura les reconnaitre… et il sera toujours temps de les inscrire dans mon carnet.

Aujourd’hui, j’ai toujours mon petit calepin mais alors que je pensais devoir le changer prochainement, car presque plein, les quelques pages blanches qui restent, peinent à se remplir. Et croyez-le ou non mais moi, ça me rend plus heureux.

 

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Leonardo Padura : Vents de carême

leonardo paduraLeonardo Padura Fuentes, né en 1955 à La Havane (Cuba), et licencié en philologie, est auteur de romans policiers, scénariste, journaliste et critique littéraire, auteur d’essais et de livres de contes. Il amorce sa carrière de romancier en 1991 et devient l'auteur d'une série de romans policiers ayant pour héros le lieutenant-enquêteur Mario Conde. Vents de carême, date de 1994 mais n’a été traduit chez nous que dix ans plus tard. 

1989 à La Havane. Une jeune enseignante, appréciée de ses élèves comme de son directeur de lycée, a été assassinée. Mario Conde est chargé de l’enquête et en parallèle il gère un coup de foudre pour une ravissante joueuse de saxophone amateur de jazz tout comme lui.

Second roman de Leonardo Padura que je lis et je suis définitivement convaincu de son talent d’écrivain. Je dis bien d’écrivain et non d’auteur de polars, car si je ne m’en tenais qu’à l’intrigue policière il n’y aurait pas de quoi casser quatre pattes à un canard (d’autant que cette pauvre bête n’y serait pour rien) : une jeune prof moins oie blanche qu’on ne le croit, des élèves et un directeur d’établissement qui cachent des choses, de la marijuana qui circule… Non, la vérité est ailleurs.

Il s’agit d’un roman très littéraire, ce qui nous évite la construction traditionnelle des polars qui tous, même ceux écrits par les cadors du genre, respectent des codes et des conventions nécessaires à la montée en intensité de leur dramaturgie. Ici, l’enquête étant secondaire, l’écrivain se consacre plus à son héros, Le Conde, qui va replonger dans l’ambiance du lycée qu’il fréquenta jadis avec les amis qu’il fréquente toujours. Discussions entre vieux potes autour d’un frichti revigorant (dont l’auteur donne la recette) arrosé de rhum ou autres alcools. Les uns et les autres voient leur vie défiler, rêves d’hier, réalité d’aujourd’hui, « jamais je n’ai pu faire ce que j’avais envie de faire, parce qu’il y avait toujours ce qu’il était correct de faire, et je l’ai fait : étudier, me marier, être un bon fils et maintenant un bon père… »

Littérature qu’on retrouve aussi dans le texte proprement dit puisque Mario Conde qui se voulait écrivain jadis, n’est pas avare de références livresques, cassant sévèrement au passage quelques collègues cubains comme Senel Paz, Miguel Mejides, Arturo Arango… qui tous m’étaient inconnus, je l’avoue, et dont j’ai du vérifier l’authenticité.

Amitié nous l’avons vu ; amour des livres et de l’écriture mais aussi amour physique – voire érotisme torride - quand super Mario tombera amoureux, Leonardo Padura s’évitant les circonvolutions pour appeler un chat un chat. Nostalgie ou mélancolie pour envelopper le tout dans un léger voile tissé de toutes ces émotions qui touchent le cœur des hommes. Un excellent roman qui m’a incité à ralentir ma lecture pour en profiter le plus longtemps possible.

 

« Les nuits d’un policier sont des eaux troubles, aux odeurs putrides et aux couleurs mortes. Dormir !… Rêver peut-être ! Et j’ai appris une seule façon de les vaincre, ces nuits : l’inconscience, qui est un peu une mort de chaque jour et la mort même chaque matin, quand la soi-disant joie de l’éclat du soleil est une torture dans les yeux. Horreur du passé, peur du futur : ainsi filent vers le jour les nuits du policier. (…) C’est pour cela que la solitude du policier est la plus redoutable des solitudes : c’est la compagnie des fantômes, de ses douleurs, de ses fautes… » 

 

 

leonardo paduraLeonardo Padura  Vents de carême  Editions Métailié – 231 pages –

Traduit de l’espagnol (Cuba) par François Gaudry

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Sophie Divry : Rouvrir le roman

sophie divrySophie Divry, née en 1979 à Montpellier, vit à Lyon. Entre 2004 et 2010, elle a été journaliste au journal La Décroissance, un mensuel anticonsumériste, syndicaliste et engagée sur une liste de gauche aux élections municipales de sa ville d’adoption avant de se lancer dans la littérature, tout en exerçant un job de serveuse dans la restauration. Après une petite poignée de romans, Rouvrir le roman, un essai, est sorti en début d’année.

Avec cet essai, Sophie Divry ôte sa casquette de romancière pour s’offrir un moment de réflexion sur son art, s’interrogeant sur le roman et les formes qu’il prend. Explorant les voies empruntées par la littérature, dans la forme et le fond, le rôle voulu ou pas des écrivains et des éditeurs, soulevant de passionnantes questions sur chacun.

En termes, globalement simples à comprendre par tous, elle « démonte » le roman comme un mécanicien le ferait d’un moteur, pour en rendre apparent chaque pièce. Et pour chacune d’elles, Divry en révèle le sens : par exemple, les dialogues dans certains romans sont marqués par des tirets ou des guillemets, mais dans d’autres ils sont directement inclus dans le texte, qu’elle est la logique derrière tout ça ? Ses explications, appuyées par des citations d’écrivains célèbres, ne manquent pas d’intérêt, et pour moi qui n’aie pas fait d’études littéraires, elles sont sources d’éclaircissement ; voici donc, écrit noir sur blanc, ce que je ressentais dans mes lectures sans en avoir théorisé le sens.

La première partie de l’essai est plus dans l’histoire de la littérature, avec les grandes questions que se posent les écrivains, comment sortir du roman traditionnel (des personnages, une histoire etc.) ? La tentative de réponse donnée par le Nouveau Roman. L’écrivain est-il complètement libre, devant sa feuille blanche ? Que veut-il réellement : « Tu veux être lu(e) ou tu veux écrire pour ton plaisir personnel ? » La seconde partie s’attache plus à la forme, les dialogues comme je l’ai déjà dit, la typographie employée, les comparaisons ou métaphores utilisées par l’écrivain, la narration même…

Bien entendu je ne suis pas d’accord avec toutes les « révolutions » menées par certains écrivains pour moderniser la littérature, citées par l’auteure. Dans l’ensemble Divry ne prend pas trop parti, « En littérature il n’y a pas de panacée ». Moi-même je ne suis guère amateur de chamboulements trop voyants dans le roman, ma vision bornée de la chose s’accommodant parfaitement des romans simples, pour autant, je n’ai rien contre ceux qui veulent trousser le genre de multiples façons ! Ils font ce qu’ils veulent et moi je lis ce que je veux. Rien n’est plus simple.

Pour conclure, un essai indispensable qui s’adresse aux écrivains, aux lecteurs pour qu’ils prennent mieux conscience de ce qu’ils lisent (et aux blogueurs donc), en fait à tous ceux qui aiment la littérature et lire. Beaucoup de monde en somme.  

 

« Les écrivains ont le droit d’avoir du dégoût pour une technique, de la déclarer usée jusqu’à la corde, de chercher à s’en écarter. C’est même tout le suc des recherches littéraires dans lesquelles certains engagent leur existence. Mais la question n’est pas de savoir si la focalisation zéro, la description physique des personnages ou les tirets de dialogue sont en soi et pour l’éternité des formes littéraires à bannir. Les questions stimulantes sont Qu’en faire ? et Comment écrire pour ne plus que ces formes engoncent un texte dans un moule conventionnel, pour ne pas s’en sentir prisonnier, et pour choisir vraiment, hors de tout tabou, la technique qui servira mon texte et mon idée ? »

 

sophie divrySophie Divry  Rouvrir le roman   Notabilia – 202 pages –

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Marc Lefrançois : Histoires insolites des écrivains et de la littérature

Marc LefrançoisMarc Lefrançois est né en 1973 à Angers. Après des études de lettres et une période passée dans l’enseignement, il décide de se consacrer entièrement à l’écriture. Auteur de plusieurs ouvrages dont plusieurs Histoires insolites de…, c’est en 2013 qu’est paru Histoires insolites des écrivains et de la littérature.

Comme son titre le suggère, cet ouvrage se propose de nous faire découvrir des anecdotes insolites impliquant des écrivains ou la littérature mondiale à travers les âges, comme par exemple que Gérard de Nerval était tellement dérangé qu’il fut surpris en train de promener un homard en laisse. Que, sentant la mort arriver, Flaubert s’exclama : « Je vais mourir et cette pute de Bovary va vivre ! » Qu’il est arrivé à Paul Claudel de recopier cinquante fois certains ses manuscrits pour les vendre comme des autographes originaux. Que Cocteau surprit Gide dans une chambre d’hôtel avec un jeune liftier agenouillé devant lui et, pour s’excuser, bredouilla : « Il me recoud un bouton. »

Le bouquin se présente sous la forme d’un dictionnaire alphabétique aux entrées pas toujours très explicites quand on souhaite y revenir. Et déjà, la déception s’installe. Car franchement, il n’y a pas grand-chose de réellement instructif dans ce livre. Ce qui doit être connu, l’est déjà en général et ce qui ne mérite pas de l’être, occupe la plus large part de ces pages.

Le ton général m’a rappelé l’Almanach Vermot, une anecdote est citée et Marc Lefrançois la conclut par une chute qui se veut drôle : à propos d’un richissime bibliomane anglais, il termine par « Ils n’aimaient que les livres… sterling. » ou bien à propos des écrivains sportifs, « Quant à Proust, il lui restait le soulevé de madeleines. » On est plié de rire ou de gêne pour l’auteur, c’est selon.

La majorité des anecdotes font référence aux gauloiseries et sont particulièrement lourdes voire vulgaires, à la décharge de l’auteur (sic !), il faut reconnaître que de nombreux écrivains étaient de chauds lapins. Certaines historiettes ne m’ont carrément pas semblé crédibles, comme celle où Renoir, Rodin et Proust se retrouvent dans une même loge au théâtre et font tellement preuve de courtoisies pour savoir qui s’assoira le premier, que la pièce se termine avant qu’ils ne se soient mis d’accord. D’autres sont incohérentes, voir p.235, la querelle entre les Anciens et les Modernes. Au milieu de tout cet étalage subsistent néanmoins des informations instructives parfois : savez-vous que la leucoséphobie est la peur de la page blanche, ou bien qu’Emile Verhaeren le poète, mourut écrasé par un train en gare de Rouen, suite à une bousculade entre ses admirateurs ?

Un livre gentillet et souriant, qui ne gagne qu’à être picoré de temps à autre, plus que lu d’une traite, tout en n’étant pas indispensable.  

 

« Beauvoir (Simone de) : Très tôt distinguée pour son intelligence, Simone de Beauvoir se présenta avec un an d’avance au concours de l’agrégation. Plus jeune candidate, elle fut classée seconde derrière un certain Jean-Paul Sartre. Si elle envia quelque temps le lauréat du concours, elle ne lui en tint pas longtemps rigueur, et sa relation avec lui allait bientôt devenir légendaire. Assez peu populaire dans un certain milieu littéraire, elle fut successivement surnommées « la Grande Sartreuse » et « Notre-Dame de Sartre ». Geneviève Dormann a dit d’elle : « Elle se vantait d’avoir appris à écrire en lisant les romans de Delly. Cela se voit tout au long de sa longue et pâteuse production. » »

 

 

Marc LefrançoisMarc Lefrançois  Histoires insolites des écrivains et de la littérature  City Editions – 295 pages –

 

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Edouard Moradpour : Nous parlions d’amour de peur de nous parler d’autre chose

Edouard MoradpourNé à Téhéran d'une mère russe ayant immigré après la révolution soviétique, Edouard Moradpour s'installe en Russie juste avant la chute du Mur, où il sera rapidement considéré comme le "père de la publicité". Il a déjà publié deux romans et celui-ci, vient tout juste de paraître.

Peut-on encore tomber amoureux lorsque l'on a choisi de mettre fin à sa vie? Eleonore, violoniste dans un orchestre symphonique et Julien, grand avocat d’affaires, ont trois jours pour décider de mourir ou de commencer à s'aimer car atteints de maladies graves, ils ont choisi la mort programmée, le suicide assisté, en Suisse.

Quand l’éditeur m’a proposé ce roman, j’ai été sensible à son argument « Il s’agit d’une histoire d’amour tournant autour du thème avant-gardiste du suicide assisté (euthanasie), sujet sur lequel l’état français devrait prendre position au printemps prochain (projet de loi à voter) ». J’attendais donc un bouquin traitant de ce sujet grave, une voix parmi d’autres pour éclairer un débat important. Quelle arnaque !! A moins que ce ne soit ma mauvaise compréhension de son email, le « tournant autour » devant être pris au pied de la lettre, on tourne autour effectivement mais on n’y arrive jamais !

En fait et plus simplement, tout est mauvais dans ce livre qui aurait dû paraître dans la collection Harlequin (avec tout le côté péjoratif accolé à cette remarque). Une histoire d’amour à l’eau de rose, digne des romans photos d’antan, les héros ont des professions libérales ou artistiques, ils évoluent dans des décors de luxe et font des voyages à Venise… L’écriture est formatée, les poncifs abondent et l’auteur plaque lourdement à son intrigue des références culturelles qui font chic et permettent de tirer à la ligne. La psychologie des personnages ne peut s’adresser qu’à des gamines, et encore, pas celles de notre époque.

Quant au fond, le suicide assisté, il est à peine abordé réellement, tellement vu de loin et tellement peu crédible d’un point de vue factuel que c’en est gênant pour ceux qui se sentiraient directement concernés par ce problème. J’arrête là mon billet car le fait qu’un tel bouquin existe, c’est déjà triste, mais qu’un éditeur le vende en mettant le suicide assisté en avant, c’est carrément une honte. Nul, archinul !

Je pense avoir été clair ?

 

« La brume froide surprit Eleonore, fatiguée, consumée par ces deux heures de travail. Elle releva le col de son manteau jusqu’à lui couvrir la bouche, elle eut l’impression curieuse de rentrer dans un tableau tout en sfumato ; la rue Saint-Séverin était baignée d’une lumière irréelle, confuse. Elle discernait à peine le boulevard Saint-Michel. Il y avait encore devant l’église un groupe compact, obscur, d’une dizaine de personnes emmitouflées, des exhalaisons blanches s’évaporaient de leurs bouches. Elle eut une drôle d’image dans la tête : celle de colonies de pingouins agglutinés contre le froid, elle en sourit. Elle aurait bien aimé écouter ce que disaient tous ces gens du concert. »

 

Edouard MoradpourEdouard Moradpour  Nous parlions d’amour de peur de nous parler d’autre chose Michalon – 270 pages –

A paraître le 5 mars 2015

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