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La librairie Shakespeare and Company à Paris
Située en bordure du Quartier Latin, timidement en retrait du quai de Montebello et séparée de Notre-Dame par la Seine, la librairie Shakespeare and Company, au 37 rue de la Bûcherie dans le Vème arrondissement de Paris, est certainement l’une des plus « mignonnes » librairies de la capitale. Dans mon imaginaire, je l’aurais bien vue dans la Comté, au Pays de Bouc, fréquentée par Bilbo le fameux Hobbit.
Il suffit de voir le monde autour et dans la boutique pour comprendre que cette librairie n’est pas qu’un commerce indépendant spécialisé dans la littérature anglophone, mais quasiment un lieu de pèlerinage attirant les touristes du monde entier. Ses fonctions, son histoire et même son aménagement intérieur expliquant facilement cet attrait.
Tout remonte au début du siècle dernier quand l’Américaine Sylvia Beach (1887-1962) arrive à Paris en 1916, et devient la compagne de la libraire Adrienne Monnier. En 1919, elle ouvre sa propre librairie, Shakespeare and Co, au 8 rue Dupuytren, laquelle déménagera en mai 1921 au 12 rue de l'Odéon. Sa librairie accueille alors les intellectuels américains et anglo-saxons de Paris, Man Ray, Ezra Pound, Ernest Hemingway, mais aussi français tels Valery Larbaud, André Gide, Paul Valéry, Jacques Lacan... La librairie sera fermée en 1941 en raison d’un conflit avec un officier allemand de l’armée d’occupation et ne sera jamais ré-ouverte.
Ce n’est qu’en 1951 qu’une nouvelle librairie anglophone est ouverte à Paris par un autre américain, George Whitman (décédé en 2011 et sans lien avec le poète Walt Whitman) au 37 de la rue de la Bûcherie, mais à cette époque, sous le nom de Le Mistral. Il faudra attendre la mort de Sylvia Beach en 1962 pour que le nom de la librairie soit changé en Shakespeare and Company en 1964, à l’occasion du 400e anniversaire de la naissance de William Shakespeare.
Après le décès de son père George, sa fille Sylvia reprit le flambeau et donna à la librairie un second souffle en organisant des festivals culturels, des lectures hebdomadaires et même en créant un prix littéraire, le Paris Literary Prize. La librairie perpétue aussi une vieille tradition (Dans les années 1950, beaucoup d'écrivains de la Beat Generation tels qu'Allen Ginsberg, Gregory Corso et William Burroughs logèrent dans la librairie tenue par Sylvia Beach), être un asile pour les écrivains en herbe qui souhaitent rester pour quelques nuits à condition de respecter certaines conditions comme lire un livre par jour, aider deux heures à la boutique et pour finir, rédiger une page autobiographique en y joignant une photo.
Quant à l’aménagement intérieur de la boutique, il vaut à lui seul le détour. Un capharnaüm d’étagères bourrées jusqu’à la gueule de livres de toutes les couleurs, un enchevêtrement de petites pièces étroites où l’on se bouscule, du bois vieillot, des lustres incongrus au plafond, un aspect général rustique et ancien patiné par les ans, tout à fait dans l’iconographie de l’univers de Bilbo, telle que je me la représente mentalement…
Une librairie qui dépasse largement le simple cadre du commerce des livres, ou pour reprendre les termes de George Whitman, « Une utopie socialiste déguisée en librairie (…) J’ai créé cette librairie comme un homme écrirait un roman, construisant chaque pièce comme un chapitre. Et j’aimerais ouvrir la porte aux visiteurs, comme j’ouvre un livre. Un livre qui les conduit vers le monde magique de leur imagination. »
Sources : Wikipedia, L’Express.fr Photos : Le Bouquineur
25/05/2015 | Lien permanent | Commentaires (2)
Philippe Djian : Marlène
Philippe Djian est un romancier français né en 1949 à Paris. Il a longtemps été présenté comme un héritier de la Beat Generation en France. Il est notamment l'auteur en 1985 de 37°2 le matin qui lui apporta la popularité mais depuis, son style et son inspiration ont beaucoup évolué. Marlène, son nouveau roman vient de paraître.
Dan et Richard, amis d’enfance et vétérans de l’armée ayant fait l’Afghanistan, l’Irak et le Yémen, vivent dans la même ville depuis leur retour des zones de combat. Encore gravement perturbés par ce qu’ils ont vécu, ils peinent à retrouver une vie normale. Dan semble mieux y parvenir, partageant son temps entre le boulot et le sport mais retranché dans une sorte de solitude, ne fréquentant que son ami. Richard de son côté, est marié avec Nath mais il est infidèle et bagarreur, quant à leur fille Mona, adolescente rebelle, elle leur en fait voir de toutes les couleurs. Un jour, débarque Marlène, sœur de Nath…
Allons droit au but, Marlène est un bon roman ! Maintenant, si on entre un peu plus dans le détail, si vous aimez Philippe Djian c’est effectivement un bon livre car l’histoire se tient et la fin est très belle, il n’y a pas d’exagérations trop outrées et le sexe reste soft et discret. Pour les autres par contre, c’est un gentil roman mais dont on ne retire aucun enseignement (sur la vie, sur la morale…) et qui ressasse des lieux communs sur les rapports entre hommes et femmes, à savoir qu’elles sont une drôle d’engeance mais qu’on a du mal à s’en passer.
Deux hommes, trois femmes, réunis pour le meilleur et pour le pire, tous se trimballant leur problèmes existentiels. Les mecs ont été marqués par les guerres et doivent vivre avec dans un environnement qui ressemble à ce que doit être une vie « normale ». Elles, se sont Mona, l’ado en crise qui ne supporte plus ses parents et cherche refuge chez Dan ; Nath, qui se laisse aller à des ébats sans passion avec un amant devenu trop collant ; et Marlène qui déboule sans crier gare chez sa sœur, en quête d’un point de chute pour souffler, sans boulot, larguée par son dernier copain, plutôt bordélique dans l’ensemble… Nous aurons donc droit aux démonstrations d’amitié virile non exemptes de conflits tout aussi intenses, aux ruses féminines pour obtenir ou refuser les avances du sexe opposé, les classiques du monde de Djian.
La première partie du roman est faite de chapitres extrêmement courts et l’écriture est squelettique, l’écrivain réduisant son texte au minimum, alors que plus loin dans le livre ce sera plus épais. Ce début d’ouvrage est particulièrement travaillé, ellipses et non-dits immédiats obligent à rester concentré pour comprendre ce qui se passe. J’ai dû revenir souvent en arrière pour remettre mes idées en place. A ce point du récit on sent et l’on voit que Djian a bossé comme un malade son texte – mais inversement, parfois ça se voit trop et comme chacun sait, le trop est l’ennemi du bien. Pour ne pas se quitter sur cette remarque négative, je répète ce que j’ai dit en entame, c’est un bon roman.
« Quelque part et malgré les épreuves qui se dressaient devant lui, il était satisfait du rôle qu’il devait jouer pour sortir Richard et Nath du sacré pétrin dans lequel ils s’étaient mis de part et d’autre. Au moins avait-il à nouveau l’impression de servir à quelque chose, d’être au moins encore bon à ça. Préserver la vie de Richard durant toutes ces années où ils étaient partis au charbon était la seule raison qui lui avait permis de tenir le coup, une raison suffisante, rédemptrice, qui donnait un sens à sa propre existence, et c’était bon de pouvoir tenir ce rôle à nouveau, de sentir son esprit se rapprocher de son corps. »
Philippe Djian Marlène Gallimard - 212 pages –
05/03/2017 | Lien permanent | Commentaires (2)
Don Carpenter : Un dernier verre au bar sans nom
Don Carpenter (1931-1995) est un écrivain américain, auteur d’une dizaine de romans, de nouvelles et scénarios de film. A la fin des années 80 il est touché par différentes maladies, tuberculose, diabète, glaucome et après plusieurs années de souffrances, il se suicide en 1995. Un dernier verre au bar sans nom, n’était pas complètement finalisé quand Don Carpenter s’est donné la mort ; l’écrivain Jonathan Lethem explique dans la postface les quelques retouches qu’il a apportées au bouquin avant qu’il ne soit enfin édité aujourd’hui.
Le roman court de la fin des années 50 jusqu’au milieu des 70, entre San Francisco et Portland. Alors que la Beat Generation rebat les cartes de la littérature, un groupe de jeunes gens rêve d’une vie d’écriture dont Charlie qui revient du conflit en Corée avec le puissant désir d’écrire « LE » grand livre sur la guerre. Sur les bancs de la fac, il rencontre la très talentueuse Jaime, jeune fille de la classe moyenne. Quels écrivains vont devenir Charlie, Jaime et leurs amis… ?
Si le premier roman de l’écrivain, Sale temps pour les braves m’avait tapé dans l’œil, celui-ci m’a crevé le second. Tout y est excellent. Le sujet, la construction et l’écriture.
Le sujet, c’est la littérature ou plus précisément, sa place dans la vie de ceux qui se rêvent écrivains. Tous les personnages du roman écrivent, la différence entre les uns et les autres, c’est que certains seront publiés, d’autres non. L’écrivain décrit ces parcours, faits de hauts et de bas, d’espoirs, de déceptions ou de réussites, de compromis. En choisissant des figures chargées de passés divers, Charlie revient de la guerre, Jaime est une jeune fille de la classe moyenne avec des ambitions, Stan est un cambrioleur, Dick s’est forgé une petite réputation locale à Portland après qu’une de ses nouvelles soit publiée par Playboy, Don Carpenter peut couvrir tout le champ des possibles. De San Francisco à Hollywood, il n’y a qu’un pas et les sirènes du cinéma corneront aux oreilles de certains avec des promesses d’argent facile, sauf que le cinéma n’a pas besoin d’écrivains, il veut des scénaristes, ce qui n’est pas exactement la même chose…
La construction du bouquin rend parfaitement compte de ces destins qui se croiseront, se lieront, se délieront ou se recroiseront au fil des années, tissant une toile où tel ou tel apparaît puis disparaît durant plusieurs chapitres avant de revenir, changé par les ans et les évènements. Ce très beau roman est servi par l’écriture de Don Carpenter, qui là encore, comme je l’avais noté dans son premier ouvrage, s’avère d’une très grande simplicité à la lecture, pas de mots compliqués ou de tournures de phrases chiadées, tout coule, laissant croire que la littérature serait à la portée de tous, la forme démentant le propos.
Si l’écriture et l’ambition de devenir écrivain sont au cœur du livre, il y est aussi question d’amour et d’amitié, en un combat perpétuel toujours difficile à gérer, « Les écrivains ne devraient jamais se marier entre eux, de toute façon, songea Jaime. On est trop égoïstes. »
A consommer sans modération.
« Qu’allait-elle faire de sa journée ? Ou de sa nuit, quand elle ne pourrait dormir ? Son roman avait été son ancre, et maintenant elle l’avait perdue. Tout le plaisir de finir, de savoir qu’elle était capable d’écrire un livre entier, était noyé dans ce sentiment de perte. Et elle avait écrit ce roman en quoi ? Trois mois et des poussières. Charlie travaillait au sien depuis des années, elle ne savait pas exactement combien, mais ça se comptait en années. Cela semblait injuste. Charlie était assis devant elle, faisait semblant d’écouter de la musique à la radio, dodelinant de la tête, jouant avec son sachet de thé, le cœur sans doute déchiré. »
Don Carpenter Un dernier verre au bar sans nom Editions Cambourakis – 382 pages -
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy
10/05/2016 | Lien permanent | Commentaires (5)
Philippe Djian : Chéri-Chéri
Philippe Djian est un romancier français né le 3 juin 1949 à Paris. Il a longtemps été présenté comme un héritier de la Beat Generation en France. Il est notamment l'auteur en 1985 de 37°2 le matin qui lui apporta la popularité mais depuis, son style et son inspiration ont beaucoup évolué. Son tout nouveau roman, Chéri-Chéri, vient de paraître.
Denis, la quarantaine, est écrivain fauché le jour, mais quand vient la nuit, il est Denise, danseuse dans un club, pour arrondir ses fins de mois. Quand ses beaux-parents viennent s'installer au-dessous de chez lui, rien ne va plus et je vous laisse le découvrir. Paul, son beau-père aux activités douteuses, n’est pas franchement un fana du travestissement et il lui a trouvé un emploi pas banal qui devrait l'endurcir. Chaque semaine, assorti d'un certain Robert, l'écrivain devra réclamer de façon musclée leurs impayés aux débiteurs de son beau-père. Contre toute attente, le job lui convient bien et Robert lui inspire le sujet d'un livre, qui pour la première fois fait un tabac en librairie.
Enfin ! Enfin un bon roman de Philippe Djian. Je n’y croyais plus. Après un départ tonitruant dans la littérature française au début des années 80, l’écrivain prisonnier de ses recherches sur le style, négligeait ses intrigues et chaque bouquin pondu me devenait une souffrance. Certes, ses dernières productions et « Oh… » en particulier montraient des signes d’espoir mais je ne m’attendais pas à cette embellie.
L’histoire se tient, en tout cas elle ne tombe pas dans les exagérations extravagantes du passé, les scènes de sexe se cantonnent au minimum et ne sombrent pas dans le ridicule, bref tous les excès qui me poussaient à délaisser l’écrivain sont oubliés. Dans ce roman du moins. Même l’univers récurrents des ouvrages précédents évolue, les décors sont moins systématiques, certes il y a encore des flocons de neige et l’époque de Noël, mais si peu.
L’écrivain aborde deux thèmes, le travestissement qu’il dissocie de l’homosexualité, « …apparaître en femme (…) me procure un trouble plaisir, un plaisir profond, irremplaçable, mais je ne suis pas passé de l’autre côté pour autant » et le travail de l’écrivain. Ce second angle est dilué dans le texte proprement dit, sous forme de réflexions qu’on peut supposer propres à Djian lui-même, « on m’interrogeait sur cette nouvelle manie de supprimer la majeure partie de la ponctuation ou sur mon obsession pour les dialogues ou cet étrange mélange des temps », et il est vrai qu’ici, la ponctuation se résume à des points et des virgules, les dialogues s’exonérant de tirets ou guillemets pour s’insérer dans le texte.
Philippe Djian a un style bien à lui, qui ne saute pas aux yeux immédiatement mais se dévoile au fil des pages. Des phrases courtes en général et les rares fois où ce n’est pas le cas, elles font leur effet. Des descriptions précises, des détails pratiques pointus comme les accessoires nécessaires au maquillage, la citation de marques commerciales. J’ai crû déceler des références cinématographiques américaines (Denis et Paul, m’évoquant une version détournée en plus dure, de Robert de Niro et Ben Stiller dans Mon beau-père et moi) et une ou deux pointes d’humour comme ce « …il m’empoigne par le col de mon anorak – modèle Houellebecq 2010 vert olive – et m’ordonne de démarrer. »
J’avais eu la dent dure avec Philippe Djian lors de mes chroniques antérieures, tant j’étais déçu par ce qu’il était devenu, aujourd’hui j’essaie de calmer mon enthousiasme mais je suis heureux de le retrouver avec ce bon roman.
« Mais j’ai l’habitude. Lorsque j’écris, je me heurte souvent à des portes closes, je suis rodé à leur obstacle, je dois les enfoncer les unes après les autres et c’est loin d’être un jeu d’enfant, on ne les renverse qu’au terme d’un minutieux travail, qu’en retour de multiples et redoublés efforts – sans savoir s’ils seront récompensés et les forces d’un homme ne sont pas inépuisables, sa résilience, avec le temps, s’effrite, l’amertume le guette, etc. Cela explique le côté ravagé, maladif, la mine d’endive cuite qui affectent tant de bons écrivains – les autres sont plutôt bronzés, bien nourris, mais les bons paient le prix fort, les bons marchent au riz complet, au pain bis, au ginseng et à la gelée royale pour se donner des forces, quand ils le peuvent, quand les à-valoir sont au minimum décents et la foule des imbéciles et des nuisibles relativement réduite au silence – ce qui permet une ou deux ventes. »
Philippe Djian Chéri-Chéri Gallimard – 194 pages -
12/10/2014 | Lien permanent | Commentaires (4)
Chantal Thomas : East Village Blues
Chantal Thomas, née en 1945, est une romancière, essayiste, dramaturge, scénariste, spécialiste de la littérature et universitaire française. Après avoir rédigé sa thèse sous la direction de Roland Barthes, elle a enseigné dans plusieurs universités américaines et est directrice de recherche au CNRS. East Village Blues, un récit, est son dernier ouvrage paru.
En 1976, Chantal Thomas vient de soutenir sa thèse et s’offre un voyage à New York, une vague adresse de colocation en poche, elle s’installe chez Cynthia une lesbienne, dans l’East Village, quartier à taille humaine. Fêtes, parties, se succèdent, soirées dans des bars féministes etc. Quarante ans plus tard, elle revient dans ce quartier le temps d’un été…
Le récit saute d’une époque à l’autre en allers et retours tourbillonnants menés de main de maître et par la grâce d’une écriture très élégante. A cette forme plus que séduisante, s’ajoute le parfum d’une époque qui m’est chère, riche en souvenirs et moments agréables, liés à la littérature, à la musique et à cette ville qui m’avait tant sidéré lors de mon premier voyage aux Etats-Unis, il y a trop longtemps… Pour résumer, cette balade aux côtés de Chantal Thomas est une confrontation de souvenirs pour elle (le quartier a beaucoup changé) et une merveilleuse réanimation des miens.
Un texte où seront évoqués des lieux : ce quartier si particulier de la ville, agréable mais non sans risques alors ; Alphabet City, « où les propriétaires préféraient mettre le feu à leurs bâtiments pour toucher la prime d’assurance » plutôt que de les entretenir » ; les bars et les lieux de rencontres ; les appartements étroits où s’improvisent des parties ; St. Mark’s Church et le Chelsea Hotel, ce « lieu mythique », « sous le signe de l’excentricité, où se croisaient des gens de fortunes et d’âges divers, où cohabitaient des résidents (certains incrustés depuis des années) et des clients passagers. »
Ce lieu qui nous renvoie à des gens célèbres (Patti Smith, Andy Warhol, Lou Reed…) ou plus particulièrement ici, aux écrivains de la Beat Generation, les Allen Ginsberg, William Burroughs et surtout Jack Kerouac. Tout le livre est sous-tendu par le souffle de ce courant culturel et les extraits de l’œuvre du Clochard céleste ponctuent le récit, insufflant à l’ouvrage une aération comme un grand vent de liberté.
Un livre charmant qui vous l’avez compris, m’a particulièrement touché par l’évocation de ces souvenirs – sans nostalgie – qui nous ont rappelé, à elle comme à moi, mais à des degrés divers, d’excellents moments. Or comme vous le savez, il n’y a guère de plaisir de lecture plus intense que de tomber sur un livre qui semble vous inclure dans son propos.
« L’appartement avait une vue sur Central Park. Un verre à la main, ivre de fatigue, j’ai découvert une immensité de verdure. Un morceau de nature que délimitait, à une extrémité, une rangée de tours, dont les créneaux disparates m’ont fait rêver le Moyen Âge. Des fenêtres allumées ou bien des étoiles, brillaient, tandis que tout en bas, au creux des bosquets et des vallons, s’agitaient, parmi leurs troupeaux de millepattes, un peuple de gnomes et d’elfes, de lutins malins, de fées évanescentes. J’ai levé mon verre à leur santé et à la mienne, à mon arrivée à New York, à ma chance d’avoir pour la nuit gîte et boisson à volonté. Et à leur endurance à eux. A cette vie imperceptible que quelques touffes d’herbe et un peu de feuillage suffisaient à camoufler et dont les services d’immigration les plus paranoïaques n’avaient pas même notion. »
Chantal Thomas East Village Blues Seuil – 191 pages –
Photos d’Allen S. Weiss
« … dans la musique du Velvet Underground et dans « Candy Says », la chanson de Lou Reed écrite pour elle [Candy Darling] et qu’il chante de sa voix mate, dense d’une tristesse très ancienne et d’une rage à peine contenue… »
13/01/2020 | Lien permanent | Commentaires (2)
Denis Johnson : La Générosité de la sirène
Denis Johnson, né en 1949 à Munich en Allemagne et mort en 2017, est un auteur américain. Denis Johnson commence sa carrière en tant que poète, assistant aux ateliers d’écriture dispensés par Raymond Carver, il écrit plusieurs très beaux volumes inspirés de la poésie de Walt Whitman ou des poètes de la Beat Generation. Vivant éloigné des principaux pôles de culture de la Côte Est et de la Côte Ouest des Etats-Unis, Johnson semble avoir été un homme discret, introverti, dont les manières douces contrebalancent une présence physique intensément charismatique. Son œuvre comprend poésies, nouvelles, romans et théâtre. La Générosité de la sirène, un recueil de cinq nouvelles, vient de paraître.
Je viens de refermer l’ouvrage et j’avoue ne pas trop savoir comment en parler car je ne sais pas vraiment ce que j’en pense ! L’auteur est porté aux nues par les plus grands écrivains (Philip Roth, Jonathan Franzen, Don DeLillo et notre Philippe Djian pour n’en citer que quelques uns), comparant son style à Jack Kerouac ou William Burroughs (et moi j’y vois du Bukowski dans le premier texte). La ramener après ces cadors pour donner un avis plus tempéré peut sembler prétentieux ou preuve d’amateurisme de ma part mais tant pis, c’est la règle du jeu : j’écris ce que je pense en toute indépendance.
Première réflexion, les textes – à mon avis – se succèdent dans un ordre d’intérêt croissant ; est-ce une bonne idée ? Je ne le crois pas et je m’adresse aux éventuels futurs lecteurs, si la première nouvelle qui donne son titre à l’ouvrage vous déroute par son aspect narratif totalement décousu, sautant du coq à l’âne, n’abandonnez pas le bouquin. Sautez-la et passez à la suite quitte à y revenir ensuite. Un recueil de nouvelles devrait être organisé comme un disque, avec un titre fort d’entrée, pour chopper le lecteur/auditeur, quitte à s’autoriser un temps faible ensuite puis finir en force. Enfin, moi je vois ça comme ça…
Les autres nouvelles adoptent une narration plus abordable même si l’écrivain n’est pas des plus classiques, digressions courtes ou histoires multiples au sein d’une même nouvelle demandent un minimum de concentration. Quant aux sujets, ils sont tous très surprenants : un alcoolique en centre de désintoxication depuis quatre ans écrit des lettres (qu’il n’envoie pas) à tous les gens qu’il connait mais aussi au pape et au diable (Le Starlight sur Idaho) ; en prison, un détenu prédit à ses trois collègues qu’ils tueront dans le futur (Bob l’Etrangleur) ; le narrateur accompagnera successivement deux amis à l’heure de leur mort (Triomphe sur la mort) ; un professeur de poésie se lie d’amitié avec un de ses étudiants obnubilé par Elvis Presley, un délire total sur toutes les théories abracadabrantes concernant sa mort et un épilogue à l’unisson (Doppelgänger, Poltergeist).
La première nouvelle m’est passé au-dessus de la tête, les deux suivantes sont pas mal mais j’ai vraiment adoré les deux derniers textes, Triomphe sur la mort est excellent et le dernier complètement extravagant. Autant dire que tous les textes font la part belle à la mort mais sur un ton légèrement drôle jouant sur le doux et l’amer et c’est en cela que Denis Johnson est un vrai écrivain, il a sa propre écriture.
Pour résumer, je n’ai pas tout aimé dans ce recueil, mais ce que j’ai aimé est d’un très bon niveau.
« Bon, c’est pas une famille à se tatouer son blason sur le buste. Tu te rappelles la fois où le frérot a cassé le nez de sa petite amie au salon en disant : « Voilà, j’ai rien à ajouter. » Tu te rappelles le matin où papa a plongé la main dans ses céréales ramollies puis est resté assis le regard vide, pendant environ vingt-deux minutes, avec ce truc visqueux au creux de la paume ? Tu te rappelles le jour où John a eu sa photo dans les journaux de Dallas après son arrestation, et il nous l’a envoyée par courrier comme si y avait vraiment de quoi être fier ? Tu sais ce que je me souviens surtout à propos de cette photo ? Les bords étaient tout déchiquetés, parce qu’il avait dû la déchirer avec les doigts dans le journal. Mon frère aîné est quelqu’un à qui l’Etat du Texas refuse l’usage des ciseaux. » [Le Starlight sur Idaho]
Denis Johnson La Générosité de la sirène Christian Bourgois Editeur – 219 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent
04/10/2018 | Lien permanent
Philippe Djian : 2030
Philippe Djian est un romancier français né en 1949 à Paris. Longtemps présenté comme un héritier de la Beat Generation en France, il est notamment l'auteur en 1985 de 37°2 le matin qui lui apporta la popularité mais depuis, son style et son inspiration ont beaucoup évolué, ce roman qui vient de paraître en étant la preuve flagrante.
Nous sommes en 2030, le réchauffement climatique s’est intensifié, il fait chaud et il ne pleut pas ou bien ça se rafraichit, il peut et ce sont les inondations. Greg vivote dans le souvenir de sa femme et enfant décédés dans un accident de voiture. Il travaille dans le laboratoire chimique de son beau-frère Anton, second époux de sa sœur Sylvia qui a deux filles, Aude, vingt ans, paralysée dans son fauteuil, et Lucie, quatorze ans, militante écologiste. Le pesticide fabriqué par le laboratoire est soupçonné d’être dangereux pour les humains, ce qu’un rapport falsifié à l’insu de Greg mais non d’Anton aurait caché jusqu’à ce qu’un mort modifie la donne pour Greg…
Le roman devait paraître au printemps comme d’habitude avec l’écrivain mais pour les raisons que vous connaissez, il a été reporté à l’automne ; une attente qui n’a rien gâché, au contraire, car il est excellent.
Si vous aviez cessé de lire cet auteur par lassitude, il est grand temps d’y revenir car depuis ces dernières années tout a changé dans sa boutique et il atteint aujourd’hui une vitesse de croisière particulièrement réussie. Terminée l’époque où il décrétait que l’histoire n’avait pas d’importance, finies les scènes de sexe olympiques, oubliés les effets de style (genre focus sur les points-virgules) etc.
Donc une histoire qui tient la route. Tous les romans de Djian sont imprégnés de l’air du temps et des idées qui circulent, mais dans celui-ci, l’écologie y tient une part prépondérante, toile de fond omniprésente à son récit. Félonie des fabricants de pesticides, participation de « la jeune fille aux nattes » (mais jamais nommée) comme modèle et idole de Lucie, meeting écolo avec attentat etc.
Si cet angle est très important dans le livre, le réel propos de l’auteur est ailleurs, celui qu’il développe et reprend au fil de chacun de ses bouquins : les relations difficiles entre les hommes et les femmes. Ici Greg tombe follement amoureux de Véra, une belle femme divorcée, libraire et éditrice écolo qui a pris Lucie sous son aile. L’un est hanté par le souvenir de sa femme défunte, l’autre a été déçue par son mariage. Ils sont aimantés l’un par l’autre mais résistent tacitement par peur de tout gâcher. Quel avenir pour ce couple virtuel ? D’autant qu’ils ont du mal à se dire les choses importantes… Même la fin du roman avec son petit rebondissement est assez bien gérée.
Ce qui m’ennuie souvent avec la littérature française, ce sont les messages trop lourdingues avec ces récits qui baignent trop dans l’écolo, le social, les migrants, le racisme…. Philippe Djian ouvre ici le volet écologique mais son ton, son approche, bien que très proches de la réalité, restent légers et aériens. Ce qui, de mon point de vue, ne retire rien à la gravité des faits.
Sachant que je suis un fan de Philippe Djian vous me lirez avec méfiance et je ne vous en tiens pas grief, alors pour vous prouver ma bonne foi je vais évoquer un défaut mineur : quand l’angle sentimental entre Greg et Véra s’accentuera, dans le dernier tiers du livre, le volet écolo et tout ce qui tourne autour sera oublié par l’écrivain. Ca peut en agacer certains… ?
Un très bon roman de Djian.
« Ce livre rendait tellement furieux. A moins de faire preuve d’un optimisme inébranlable, il n’y avait aucune chance de réparer les dégâts infligés à l’environnement – sans même parler des catastrophes humanitaires. Au fond, se disait Greg, c’était une histoire d’engrenage muni d’un cliquet antiretours. Si certains s’employaient à limiter la casse, d’autres – plus puissants, plus roués, plus vénaux – s’empressaient de tout démolir. Une mécanique folle, que rien ne pouvait arrêter. C’était hallucinant. »
Philippe Djian 2030 Flammarion – 210 pages –
« … il pouvait lire à la lumière naturelle ou écouter les yeux mi-clos cette fille que Véra lui avait fait découvrir, Michelle Gurevich, une bénédiction, des enregistrements qui ne dataient pas d’hier, 2016 et 2018, avec une voix à tomber. »
21/09/2020 | Lien permanent | Commentaires (6)
Jack Kerouac : Sur la route
Le livre mythique, Sur la route de Jack Kerouac, vient d’être réédité dans sa version première avec le sous-titre Le rouleau original. En reprendre la genèse serait trop fastidieux, d’ailleurs il y a quatre préfaces par autant de spécialistes de l’œuvre de l’écrivain américain en ouverture de cette nouvelle édition pour tout vous expliquer.
Jack Kerouac écrivain américain d’origine canadienne-française (1922-1969) est le chef de file de la Beat Generation, ces écrivains comme Burroughs, Corso, Ferlinghetti, Ginsberg, mentors des beatniks et plus tard des hippies en ouvrant les portes de la perception du monde qui les attendait, leur montrant que d’autres chemins étaient possibles. Avec ce livre, toute une génération s’est précipitée sur le bord des routes, le pouce en l’air et le sac au dos pour les uns, par procuration, par l’esprit et le rêve pour les autres (moi par exemple).
Jack Kerouac a écrit ce bouquin en 1951 (paru en 1957 aux USA) et je l’ai lu au début des années 70, en témoigne ma vieille édition Folio préfacée par Michel Mohrt, datée de 1972 aux pages jaunies et poussiéreuses que j’ai ressortie des rayons de ma bibliothèque pour la comparer à cette nouvelle version. A l’époque le texte avait été fractionné en chapitres pour respecter les normes de l’édition classique et les noms propres avaient été changés, de même que les scènes à référence sexuelle (voire homosexuelle) avaient été caviardées. Aujourd’hui nous avons ce qui ressemble le plus à ce que désirait Kerouac, le tapuscrit original proposait un texte écrit d’une seule traite, sur un rouleau de papier, sans sauts de lignes ou chapitres. C’est ce que nous pouvons lire désormais, près de 370 pages sans pouvoir souffler, avec les noms réels des protagonistes, Jack et son pote Neal Cassady, Williams Burroughs et les autres. Pour avoir comparé quelques pages de mon Folio avec ce nouveau bouquin, il n’y a pas photo, c’est un peu comme un vieux disque qui ressortirait en version remasterisée. Nous avions été nombreux à adorer ce livre jadis, le lire aujourd’hui est encore meilleur tant le style en retranscrit l’urgence.
Ce qui peut ressembler à un pavé avec toutes ces pages qui se suivent sans vouloir s’arrêter, restitue admirablement le propos de l’écrivain, foncer, aller de l’avant, vivre sans débander, choper le pulse comme dit son ami Neal, car « j’ai compris que quoi qu’on fasse, au fond, on perd son temps, alors autant choisir la folie ». Tout le livre n’est qu’une longue course, en voiture ou en stop, à travers les Etats-Unis, « la route c’est la vie », New York vers San Francisco, San Francisco vers New York ou New Orleans et au finale la ruée vers le Mexique. Allers et retours incessants, sans le sou en poche, en quête de bières, de filles et de fêtes, avec le jazz et son beat permanent en fond sonore. Une histoire d’amour/amitié entre hommes, Jack Kerouac et Neal Cassady, parce que c’était lui, parce que c’était moi aurait-il pu écrire lui aussi. Les couples se font et se défont, des amis arrivent d’autres partent.
Une vie minable pour certains, une sensation de liberté intense pour d’autres. On imagine l’effet d’une telle bombe pour les cercles bourgeois surtout à cette époque. Pourtant il y a comme un hiatus entre l’idée qu’on se fait de l’écrivain et sa réalité car il écrivait aussi « Mener une vie saine, être bien logé, bien se nourrir, prendre du bon temps, le travail, la foi, l’espérance, moi j’y croyais. J’y ai toujours cru. » Jack Kerouac un écrivain mal compris, très certainement, diabolisé par les uns, idéalisé comme le chantre de la liberté pour les autres, la vérité est ailleurs peut-être.
En tout cas un livre absolument merveilleux qui m’a redonné le temps de sa lecture, l’espoir et l’enthousiasme de la jeunesse, qui m’a rappelé l’origine de mon attrait pour le continent nord-américain, comme une fenêtre ouverte vers le grand large. N’est-ce pas la preuve d’une grande réussite pour un livre ?
« A moi tout seul, j’ai déchargé un wagon de marchandise et demi de cageots de fruits dans la journée, interrompu seulement par une virée aux entrepôts de Denver, pour prendre des cageots de pastèques sur le parterre glacé d’un wagon, les tirer au soleil brûlant et les charger dans un camion tapissé de glace pilée, ce qui m’a valu un mauvais rhume. Ca m’était égal ; une fois de plus, je voulais aller à San Francisco. Tout le monde veut y aller, et pourquoi faire ? Au nom du Ciel et des étoiles, pourquoi faire ? Pour la joie, pour le pied, pour cet éclat dans la nuit. »
Jack Kerouac Sur la route Gallimard
14/10/2012 | Lien permanent
Paul Bowles à Paris
Paul Bowles (1910-1999) est un compositeur, écrivain, et voyageur américain. Il passa la majeure partie de sa vie au Maroc. De son nom complet Paul Frederic Bowles, il naquit le 30 décembre 1910 dans le Queens à New York. Très jeune sa mère lui fit lecture d'œuvres d'Edgar Allan Poe et il apprit la musique dès sept ans. Par la suite, il étudia à l'université de Virginie. En 1929, il abandonna ses études pour faire son premier voyage à Paris. En 1931, lors d'un autre séjour en France, il s'agrégea au cercle littéraire et artistique de Gertrude Stein et, sur son conseil, se rendit pour la première fois à Tanger en compagnie de son ami et professeur de musique, le compositeur Aaron Copland. Il retourna en Afrique du Nord dès l'année suivante, voyageant dans d'autres régions du Maroc, du Sahara et de l'Algérie.
Paul Bowles est indissociable du Maroc, en 1947 il partit s'établir définitivement à Tanger, où Jane Auer – épousée en 1938 leur vraie vie commune ne dura que quelques mois, chacun étant davantage porté vers des personnes de son propre sexe mais un attachement profond les liera jusqu’à la mort de celle-ci - vint le rejoindre en 1949. Le couple devint rapidement incontournable dans le milieu des Européens et Américains établis dans la ville. Ils y reçurent la visite de figures littéraires éminentes, parmi lesquelles Truman Capote, Tennessee Williams et Gore Vidal qui furent suivis, au cours des années 1950, par les auteurs de la Beat Generation, Allen Ginsberg et William S. Burroughs.
À partir de son installation au Maroc, Bowles se consacra à l'écriture de romans, de nouvelles et de récits de voyages. Son œuvre n’est pas importante en quantité, 4 ou 5 romans dont le fameux Un thé au Sahara (1949) l’histoire finissant mal, de trois américains qui voyagent sans but dans le désert nord-africain et cherchent là un remède à leurs maux existentiels. Pour la petite histoire le bouquin sera adapté au cinéma en 1990 par Bernardo Bertolucci, film dans lequel la narration fut confiée à Paul Bowles lui-même.
Après la mort de Jane Bowles en 1973 à Malaga (Espagne), Bowles continua de vivre à Tanger, écrivant et recevant ses visiteurs dans son modeste appartement. Paul Bowles mourut d'un arrêt cardiaque à l'hôpital italien de Tanger le 18 novembre 1999, à l'âge de 88 ans. Le lendemain, le New York Times publia une nécrologie occupant une page entière. Bien qu'ayant résidé au Maroc pendant 52 ans, Bowles fut inhumé à Lakemont (New York) à proximité de ses parents et grands-parents.
Si l’écrivain consacra sa vie à l’Afrique du Nord, ses premières amours furent pour Paris comme il l’écrit dans Mémoires d’un nomade : "Tous les mois, quand j'achetais le nouveau numéro [du magazine littéraire Transition], j'avais l'illusion d'être à Paris, car l'atmosphère de la ville, telle qu'elle apparaissait à la lecture de ces pages, correspondait tout à fait à l'image que je m'en faisais : celle d'une métropole où les gens sont à la fois désespérés et sophistiqués, cyniques et fanatiquement passionnés par les idées. Paris était l'épicentre de l'existence ; je sentais son rayonnement quand je me tournais vers l'Est, comme un musulman reçoit la lumière de La Mecque, et je savais qu'un jour, avec un peu de chance, j'irais là-bas pour visiter les lieux sacrés." Sa première satisfaction littéraire sera d’ailleurs de voir publier deux de ses textes d’inspiration surréaliste en 1928 par la revue Transition éditée entre 1927 et 1938.
Le 27 avril 1929, sans prévenir sa famille, il part pour l’Europe. Il arrive à Paris, où il devient standardiste au New York Herald puis travaille dans une banque de la place Vendôme. Il vit quelque temps à l’hôtel Daunou, au-dessus du Harry’s bar, au 5 rue Daunou. Ses amis français le font aussi voyager à travers toute la France avant qu’il ne retourne à New York le 24 juillet 1929.
Lorsque il revient à Paris le 10 avril 1931, un de ses premiers gestes est de se présenter 27 rue de Fleurus, chez Gertrude Stein qui l’appelait « Freddie ». Une plaque près de la porte d’entrée signale qu’habita ici entre 1903 et 1938 la poétesse, écrivain, dramaturge et féministe américaine qui passa la majeure partie de sa vie en France et fut un catalyseur dans le développement de la littérature et de l'art moderne. Par sa collection personnelle et par ses livres, elle contribua à la diffusion du cubisme et plus particulièrement de l'œuvre de Picasso, de Matisse et de Cézanne. Celle-ci, ainsi que Aaron Copland, parraine son entrée en musique et en littérature. Paul Bowles fait alors connaissance avec Ezra Pound et Jean Cocteau. C’est Gertrude Stein qui, ayant déjà vécu trois étés à Tanger, lui conseille d’aller y passer ses vacances, ce qu’il fait entre août et novembre 1931, conquis pour toujours.
Pour l’heure, il emménage en 1931 dans un studio, au dernier étage du 17 quai Voltaire donnant sur la Seine, qu’il partage avec son ami Harry Dunham et compose des sonates. Il est un compositeur reconnu avant d’être un écrivain connu. L’année suivante il déménagera vers l’avenue de la Bourdonnais puis à Montmartre.
Ordre d’apparence : rue Daunou – rue de Fleurus – quai Voltaire
Sources: Wikipedia - The Authorized Paul Bowles Web Site – Photos: Le Bouquineur
02/03/2014 | Lien permanent
Philippe Djian : Love Song
Philippe Djian est un romancier français né le 3 juin 1949 à Paris. Il a longtemps été présenté comme un héritier de la Beat Generation en France. Il est notamment l'auteur de 37°2 le matin qui lui apporta la popularité mais depuis son style et son inspiration ont beaucoup évolué. Son nouveau roman Love Song, vient tout juste de paraître.
J’ai un réel problème avec Philippe Djian. Je le lis depuis ses débuts (Bleu comme l’enfer en 1983) et j’ai adoré ses premiers romans tout autant que le personnage vaguement lié à ce qui pourrait s’appeler la culture rock. Fidèle, je m’empresse d’acheter ses bouquins à peine sortis de l’imprimerie mais leur lecture me laisse depuis longtemps dans une incompréhension totale. L’année dernière OH… m’avait fait une bonne impression toute relative mais ce n’était qu’un avis de fan. Son nouveau bouquin me laisse dans la même perplexité, alors pour en parler autant vous présenter les deux commentaires contradictoires qui me viennent naturellement sous la plume.
« Daniel est un musicien accompli. À 50 ans et quelques, sa carrière est faite, il est l’auteur de plusieurs gros succès, de plus d’une dizaine d’albums, et tourne dans le monde entier. Le public et la critique l’adorent, on le reconnaît dans la rue et le désordre de sa vie conjugale avec Rachel fait parfois la une de la presse people. Mais ces derniers temps, l’industrie du disque a changé sans qu’il s’en aperçoive. Et, quand il remet à sa maison de disques ses nouveaux morceaux, le verdict tombe : pas assez commercial. Renvoyé en studio, il doit d’urgence trouver l’inspiration, quand sa femme, qui l’avait quitté depuis un an, choisit justement ce moment pour revenir… enceinte ! »
Même si le roman baigne dans le monde musical et si l’écrivain en profite pour balancer quelques vérités convenues sur l’industrie du disque, ce n’est pas son propos principal. D’ailleurs, y-a-t-il réellement un fond dans ce roman. Certes il y a de la réconciliation, de la résurrection et de la délivrance mais il n’y a pas de morale puisque le crime n’est pas puni.
CONTRE : Le lecteur n’est jamais surpris par une nouvelle histoire sortie de l’imagination de l’écrivain et il a toujours l’impression de retrouver les mêmes personnages dans chaque livre. Des gens aisés vivant dans de belles maisons, du genre Bobo, dans une ville non identifiée, près d’un lac avec des montagnes au loin et la neige qui tombe à un moment ou un autre. Le héros du roman a toujours des problèmes avec sa femme et le genre féminin en général, les couples sont en rupture ou se déchirent ; on couche à droite et à gauche et l’on s’étonne que le conjoint en prenne ombrage. Les hommes écoutent plus leur bite que leur tête, les scènes de sexe sont nombreuses et torrides croit-on comprendre et si ce n’est le cas, les petites pilules viennent à la rescousse. On boit beaucoup, on fume des joints un peu. Pour en revenir à ce roman précis, il y a des situations carrément grotesques comme la scène de branlette dans la salle-de-bain ou la tentative de meurtre de Walter ami de Daniel ou l’extravagante Amanda qui vit de ses passes à 70 ans et joue de la batterie dans le groupe de Daniel ! A moins que ce ne soit de l’humour… ? Rien ne tient la route dans le scénario et l’on enrage de se laisser aller à lire de telles salades. On a beau savoir que Djian se fiche des histoires, c’est son droit puisque c’est lui qui écrit, mais nous sommes en droit de n’être pas satisfaits puisque nous sommes les lecteurs.
POUR : Et malgré tout ce qui précède, à un moment ou un autre, je me laisse prendre à l’écriture, étonné devant des phrases tournées ainsi « Une odeur de feu de bois s’est répandue dans l’air, de tamaris coupés, des étoiles apparaissent. » ou bien ce genre « Elle revient. Elle lui sourit. Il lui demande de partir. A moi aussi. » On constate l’absence de point d’interrogation quand des questions sont posées. Peut-être sont-ils trop vulgaires pour l’écrivain. Pourtant, même ces points de style que je considère positifs pourraient être contestés par d’autres.
Pour conclure (enfin), je ne m’intéresse plus beaucoup aux romans de Philippe Djian mais je ne peux pas m’empêcher de les lire. Une addiction comme une autre et dont je ne cherche pas vraiment à me guérir. Philippe Djian écrit de belles musiques mais ses paroles sont insipides, Love Song, son dernier album ( ?) en est la preuve encore.
« Nous demeurâmes un instant silencieux, également assommés, l’un et l’autre, par l’édifiant constat de cette dérive et par cette faculté qu’ont les hommes de toujours travailler à leur propre destruction – comme se donner de mauvais chefs, empoisonner les champs ou désirer des femmes trop belles. »
Philippe Djian Love Song Gallimard
29/09/2013 | Lien permanent | Commentaires (2)