21/09/2020
Philippe Djian : 2030
Philippe Djian est un romancier français né en 1949 à Paris. Longtemps présenté comme un héritier de la Beat Generation en France, il est notamment l'auteur en 1985 de 37°2 le matin qui lui apporta la popularité mais depuis, son style et son inspiration ont beaucoup évolué, ce roman qui vient de paraître en étant la preuve flagrante.
Nous sommes en 2030, le réchauffement climatique s’est intensifié, il fait chaud et il ne pleut pas ou bien ça se rafraichit, il peut et ce sont les inondations. Greg vivote dans le souvenir de sa femme et enfant décédés dans un accident de voiture. Il travaille dans le laboratoire chimique de son beau-frère Anton, second époux de sa sœur Sylvia qui a deux filles, Aude, vingt ans, paralysée dans son fauteuil, et Lucie, quatorze ans, militante écologiste. Le pesticide fabriqué par le laboratoire est soupçonné d’être dangereux pour les humains, ce qu’un rapport falsifié à l’insu de Greg mais non d’Anton aurait caché jusqu’à ce qu’un mort modifie la donne pour Greg…
Le roman devait paraître au printemps comme d’habitude avec l’écrivain mais pour les raisons que vous connaissez, il a été reporté à l’automne ; une attente qui n’a rien gâché, au contraire, car il est excellent.
Si vous aviez cessé de lire cet auteur par lassitude, il est grand temps d’y revenir car depuis ces dernières années tout a changé dans sa boutique et il atteint aujourd’hui une vitesse de croisière particulièrement réussie. Terminée l’époque où il décrétait que l’histoire n’avait pas d’importance, finies les scènes de sexe olympiques, oubliés les effets de style (genre focus sur les points-virgules) etc.
Donc une histoire qui tient la route. Tous les romans de Djian sont imprégnés de l’air du temps et des idées qui circulent, mais dans celui-ci, l’écologie y tient une part prépondérante, toile de fond omniprésente à son récit. Félonie des fabricants de pesticides, participation de « la jeune fille aux nattes » (mais jamais nommée) comme modèle et idole de Lucie, meeting écolo avec attentat etc.
Si cet angle est très important dans le livre, le réel propos de l’auteur est ailleurs, celui qu’il développe et reprend au fil de chacun de ses bouquins : les relations difficiles entre les hommes et les femmes. Ici Greg tombe follement amoureux de Véra, une belle femme divorcée, libraire et éditrice écolo qui a pris Lucie sous son aile. L’un est hanté par le souvenir de sa femme défunte, l’autre a été déçue par son mariage. Ils sont aimantés l’un par l’autre mais résistent tacitement par peur de tout gâcher. Quel avenir pour ce couple virtuel ? D’autant qu’ils ont du mal à se dire les choses importantes… Même la fin du roman avec son petit rebondissement est assez bien gérée.
Ce qui m’ennuie souvent avec la littérature française, ce sont les messages trop lourdingues avec ces récits qui baignent trop dans l’écolo, le social, les migrants, le racisme…. Philippe Djian ouvre ici le volet écologique mais son ton, son approche, bien que très proches de la réalité, restent légers et aériens. Ce qui, de mon point de vue, ne retire rien à la gravité des faits.
Sachant que je suis un fan de Philippe Djian vous me lirez avec méfiance et je ne vous en tiens pas grief, alors pour vous prouver ma bonne foi je vais évoquer un défaut mineur : quand l’angle sentimental entre Greg et Véra s’accentuera, dans le dernier tiers du livre, le volet écolo et tout ce qui tourne autour sera oublié par l’écrivain. Ca peut en agacer certains… ?
Un très bon roman de Djian.
« Ce livre rendait tellement furieux. A moins de faire preuve d’un optimisme inébranlable, il n’y avait aucune chance de réparer les dégâts infligés à l’environnement – sans même parler des catastrophes humanitaires. Au fond, se disait Greg, c’était une histoire d’engrenage muni d’un cliquet antiretours. Si certains s’employaient à limiter la casse, d’autres – plus puissants, plus roués, plus vénaux – s’empressaient de tout démolir. Une mécanique folle, que rien ne pouvait arrêter. C’était hallucinant. »
Philippe Djian 2030 Flammarion – 210 pages –
« … il pouvait lire à la lumière naturelle ou écouter les yeux mi-clos cette fille que Véra lui avait fait découvrir, Michelle Gurevich, une bénédiction, des enregistrements qui ne dataient pas d’hier, 2016 et 2018, avec une voix à tomber. »
07:00 Publié dans Français | Tags : philippe djian | Lien permanent | Commentaires (6) | Facebook |
Commentaires
Tiens tiens, j'ai u n a priori sur l'auteur, mais là... je pourrais tenter!
Écrit par : keisha | 21/09/2020
Laissez tomber les a priori qui n’ont plus de raison d’être…… Tentez votre chance, avec ce roman, c’est maintenant ou jamais plus !
Écrit par : Le Bouquineur | 21/09/2020
J'aime Djian, je le lis depuis longtemps, j'ai moins aimé certains titres mais celui-ci me tente énormément surtout après vous avoir lu.
Écrit par : krol | 22/09/2020
Je vous reçois cinq sur cinq ! Je lis Djian depuis son premier bouquin, un « amour » immodéré qui ne m’empêche pas d’être réaliste : oui, il y a eu un gros passage à vide dans sa production mais depuis ces dernières années, de livre en livre ça devient de mieux en mieux. C’est pourquoi je conseille fortement, à ceux qui l’avaient abandonné, d’y revenir avec celui-ci. Si ce bouquin ne vous plait pas, vous pourrez définitivement tirer un trait sur l’écrivain.
Écrit par : Le Bouquineur | 22/09/2020
Bon, vous m'avez convaincu, je m'y remets (à lire Djian, je veux dire, pas à écrire...)
Écrit par : Condie Raïs | 29/11/2020
Je ne cherche pas à convaincre, tout au plus à inciter voire à éclairer le choix de futurs lecteurs. Je ne suis qu’un modeste artisan…
Écrit par : Le Bouquineur | 29/11/2020
Les commentaires sont fermés.