Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : les grands cerfs

Jean-Pierre Chabrol : Les mille et une veillées

Chabrol Livre.jpgJean-Pierre Chabrol (1925-2001) est écrivain et scénariste. Tous ceux qui ont eu l’occasion de l’écouter parler, à la radio ou à la télévision, gardent le souvenir d’une grosse voix rocailleuse à l’accent cévenole. Une voix de conteur, de raconteur d’histoires. Ce sont justement ces histoires que l’écrivain a compilé dans Les mille et une veillées, son bouquin paru en 1997.

Installons-nous autour de la cheminée dans laquelle brûlent une bûche ou deux, le conteur bourre sa pipe et se racle la gorge tandis que le chat de la maison se réfugie sur les genoux de sa maîtresse, dehors le vent d’hiver se rue sur les volets. La veillée va commencer. 

Dans une courte introduction, Chabrol nous rappelle ce qu’étaient les veillées autrefois, leur rôle dans la vie des habitants des petits villages à une époque où même la télévision n’existait pas. Ensuite, dans plus d’une trentaine de nouvelles, il nous fait découvrir ou redécouvrir c’est selon, ce qu’était l’existence quotidienne dans nos campagnes, qu’il s’agisse de paysans, d’artisans, de prêtres, de soldats de la Grande Guerre revenus de l’horreur. Quelques textes atypiques aussi, comme celui sur des truands réunis autour d’un cassoulet dans un boui-boui, ou bien des histoires relevant du surnaturel à moins que ce ne soit du rêve. Histoires vraies et vécues, histoires inventées de toute pièce, difficile de faire le tri mais pourquoi le faire, d’ailleurs ? L’important étant le plaisir qu’on prend à les lire.

En quelques pages, le conteur dresse un décor, plante des acteurs et nous raconte une histoire extraordinaire. Par son talent narratif Jean-Pierre Chabrol réussit à nous faire croire que nous connaissons les lieux, voire les personnages ou leurs semblables ; nous l’écoutons, les yeux grands ouverts (sic !), nous conter les tribulations des uns et des autres et nous nous intéressons à leurs mésaventures comme s’ils étaient nos voisins ou compères de bistrot. Ces petites gens, ces minuscules tranches de vie, touchent notre inconscient collectif et nous placent en terrain familier.  

Des histoires bien torchées dont toutes ont en commun, une chute magistrale. Le livre idéal pour décembre et les mois qui s’annoncent, « car c’est au cœur de l’hiver que la veillée prends son poids » nous prévient le conteur.   

 

« Victorine avait été infirmière pendantla Grande Guerre, elle savait faire les piqûres, c’est dire les services qu’elle rendait continuellement et gratuitement, avec le sourire. – C’était un plaisir de se déculotter devant elle… dit avec un grognement satisfait Lamec-le-Gras. Les mots de Méchin traînent son épaisse salive comme les escargots leur bave ; il chuinte : - Une fois qu’on a baissé sa culotte, quand l’infirmière est de bonne volonté… Le cœur des femmes faisait : « Tsss… tsss… tsss… », ce qui prolongeait parfaitement l’immense crissement des grillons par milliers de cette nuit étoilée… »

 

 

Chabrol.jpgJean-Pierre Chabrol  Les mille et une veillées  Pocket

 

 

 

 

 

 

 

Une archive de l’INA consacrée à Jean-Pierre Chabrol – Les conteurs diffusée en 1964 à la télévision

 

Lire la suite

09/12/2012 | Lien permanent

Marcel Pagnol : Le Château de ma mère

Pagnol Marcel Le chateau de ma mère 2.jpgMarcel Pagnol est un écrivain, dramaturge et cinéaste français, né en 1895 à Aubagne (Bouches-du-Rhône), mort le 18 avril 1974 à Paris à l'âge de 79 ans. Il devient célèbre avec Marius, une pièce de 1929. Cinq ans plus tard, à Marseille, il créé sa propre société de production et ses studios de cinéma, et réalise de nombreux films – entrés dans mon panthéon culturel - avec entre autres Raimu, Fernandel, Pierre Fresnay, Louis Jouvet ; citons pour exemples, Angèle (1934), Regain (1937), La Femme du boulanger (1938) etc. En 1946, il est élu à l'Académie française. En 1957, après s’être éloigné du cinéma et du théâtre, il entreprend la rédaction de ses souvenirs d'enfance avec notamment La Gloire de mon père et Le Château de ma mère.

Ce deuxième volet de souvenirs reprend le cours du récit précédent, Marcel, son père Joseph et l’oncle Jules sont à la chasse, principale activité de ces mois de vacances en été, dans leur maison de campagne. Les liens d’amitié avec le jeune Lili, un gamin du coin, se sont resserrés, désormais ils sont amis pourla vie. Liliapprend à Marcel, la nature et les animaux, Marcel enseigne à Lili, les mots et les chiffres.

Aussi, quand vient l’époque où les vacances s’achèvent pour reprendre l’école, Marcel ne le supporte pas et décide de s’enfuir pour vivre en ermite au cœur de la garrigue dans les collines, avec la complicité de Lili très impressionné par le courage de son copain. Cette résolution ne durera pourtant qu’une seule nuit, freinée par le fantôme du Grand Félix et deux gros hiboux, avant le retour au bercail et le départ pour la ville.

La famille se languissant de la campagne, s’organise pour y passer ses week-ends. Une vraie expédition, plusieurs heures de marche avec des paquets plein les bras. Un ami de Joseph leur confie une clé, permettant de suivre discrètement un canal traversant plusieurs propriétés et châteaux, ce qui constitue un énorme raccourci pour rejoindre leur maisonnette. Un jour, un garde les surprend et Joseph humilié, vivra dans la crainte de se voir infliger un blâme ou d'être révoqué par l'inspecteur d'académie. Heureusement, les choses s'arrangent.

Les dernières pages de l’ouvrage nous apprennent le décès survenu cinq ans plus tard de sa mère Augustine, de son ami Lili pendant les combats de la Grande Guerre et de son petit frère Paul à 34 ans alors qu’il avait choisi le métier de chevrier. Enfin, ultime pirouette, alors que Pagnol devenu adulte longtemps après, tentera de monter des studios de cinéma près de Marseille, il achètera, par un intermédiaire et sans l’avoir vu, un château ; justement celui qui effrayait tant sa mère lorsqu’ils empruntaient le fameux raccourci le long du canal, « l'affreux château, celui de la peur de ma mère ».  

Mieux encore que La Gloire de mon père, le second tome des souvenirs d’enfance de Pagnol est plus émouvant – la découverte de l’amitié profonde avec Lili, son amour sans bornes pour sa mère Augustine qu’il tente de protéger des fatigues et tourments dela vie. Son admiration pour son père était déjà connue, par contre si son petit frère Paul est évoqué, sa sœur encore plus jeune est presqu’ignorée. Narrativement aussi, l’intérêt est plus fort, la fuite de Marcel et Lili dans les collines de nuit, la traversée secrète des propriétés privées et les rencontres cocasses.

 

« - Eh bien, moi, ce qui m’a manqué, ce sont des cabinets confortables, sans fourmis, sans araignées, sans scorpions, et munis d’une chasse d’eau. Voilà donc à quoi il pensait, ce grand buveur de vin, avec ses grosses fesses : parmi le thym, le romarin et les lavandes, au chant des grillons et des cigales, sous le ciel d’un bleu vif où naviguaient les provençales, il n’avait pensé qu’à ça ! Et il l’avouait ! » 

 

 

Pagnol Marcel.jpgMarcel Pagnol  Le Château de ma mère – Souvenirs d’Enfance 2  Editions Pastorelly

Lire la suite

10/01/2013 | Lien permanent

Emile Zola : Une Page d’amour

Zola Livre.jpgÉmile François Zola (1840-1902) écrivain et journaliste, est considéré comme le chef de file du naturalisme. C’est l'un des romanciers français les plus populaires, l'un des plus publiés, traduits et commentés au monde. Sur le plan littéraire, il est principalement connu pour Les Rougon-Macquart, fresque romanesque en vingt volumes dépeignant la société française sous le Second Empire et qui met en scène la trajectoire de la famille Rougon-Macquart à travers ses différentes générations. Les dernières années de sa vie sont marquées par son engagement dans l'affaire Dreyfus avec la publication en janvier 1898, dans le quotidien L'Aurore, de l'article intitulé « J’Accuse…! » qui lui a valu un procès pour diffamation et un exil à Londres.

Une page d’amour, publié en 1878, huitième volume de la série n’est pas l’un des plus connus, ni l’un des meilleurs, ceci expliquant cela ou l’inverse, aussi mérite-t-il qu’on s’y attarde.

L’héroïne du roman est Hélène, fille d’Ursule Macquart et du chapelier Mouret. Après avoir épousé un nommé Grandjean qui lui a donne une fille, Jeanne de santé fragile, les Grandjean montent à Paris, où l’époux meurt soudainement dès leur arrivée. Veuve d’un homme qu’elle n’a jamais vraiment connu, Hélène est prise d’une passion violente pour le docteur Deberle, son voisin qui est intervenu lors d’une des crises de sa fille, lui-même marié et père de famille.

De son côté, Jeanne voue un amour excessif et exclusif à sa mère, ne supportant pas de la voir courtisée par d’autres hommes, comme Rambaud doux et patient ami d’Hélène. Le jour où Hélène se donne à Henri Deberle, sa fille avertie par un pressentiment et déjà bien malade, se met à sa fenêtre sous la pluie et contracte une phtisie dont elle mourra quelque temps plus tard. Hélène est terrassée par la douleur, mais plus encore par ce qu’elle prend comme une punition, infligée par sa fille, pour avoir fauté avec Henri, une seule et unique fois. Quand le roman s’achève, deux ans après le drame, Hélène s’est remariée avec Rambaud et ils vivent à Marseille.

Ce qui frappe le plus à la lecture de ce roman de Zola, c’est sa simplicité. Point d’intrigues complexes et de personnages multiples, pas de manigances animées par le profit, la cupidité ou la vengeance. Les acteurs de ce drame sont plutôt sympathiques, il n’y a pas de vilaines figures tirant les fils dans l’ombre ; le seul pêché qu’on peut y dénicher, c’est l’adultère et encore… Hélène résistera longtemps à Henri avant de s’abandonner, ne se trouvant une excuse que lorsqu’elle apprendra que Juliette Deberle, la femme du docteur, envisage de céder à un amant, ce que d’ailleurs elle ne fera pas.

Le roman des braves gens, la fête des voisins, Hélène et Jeanne, Rosalie la bonne et son soupirant Zéphyrin, les époux Deberle et leur jeune fils, l’abbé Jouve et son demi-frère Rambaud. La petite bourgeoisie tranquille et calme sur laquelle il n’y aurait pas grand chose à dire, si Zola ne la mettait pas sous la coupe de la passion. Certes, on peut trouver le roman un peu trop sentimental, mais il prouve que Zola peut aussi dépeindre ce trait du caractère humain – qui n’est pas le moins puissant – et ne pas que s’intéresser à la boue et à la noirceur.  

L’autre grand acteur de ce livre c’est Paris, la grande ville vue des hauteurs de Passy où résident nos héros. Chacun des chapitres du roman se clôt sur une description de la ville, à une saison différente de l’année, comme une carte postale magnifique de la capitale en pleine restructuration. A ce propos, et Emile Zola s’en est excusé par la suite, certains avaient noté que l’écrivain avait commis des anachronismes en décrivant les toitures du nouvel Opéra et la coupole de Saint-Augustin « dès les premières années du Second Empire, époque à laquelle ces monuments n’étaient point bâtis. J’avoue ma faute, j’offre ma tête. »

 

« Pourquoi donc sa mère ne l’avait-elle pas emmenée ? Jeanne trouvait, dans cette eau qui lui battait les mains, une nouvelle tentation d’être dehors. On devait être très bien dans la rue. Et elle revoyait, derrière le voile de l’averse, la petite fille poussant un cerceau sur le trottoir. On ne pouvait pas dire, celle-là était sortie avec sa mère. Même elles paraissaient joliment contentes toutes les deux. Ca prouvait qu’on emmenait les petites filles, quand il pleuvait. Mais il fallait vouloir. Pourquoi n’avait-on pas voulu ? »

 

Zola.jpgEmile Zola  Une Page d’amour  Le Livre de Poche

 

 

 

 

Lire la suite

19/04/2013 | Lien permanent

Emile Zola : Pot-Bouille

emile zolaÉmile François Zola (1840-1902) écrivain et journaliste, est considéré comme le chef de file du naturalisme. C’est l'un des romanciers français les plus populaires, l'un des plus publiés, traduits et commentés au monde. Sur le plan littéraire, il est principalement connu pour Les Rougon-Macquart, fresque romanesque en vingt volumes dépeignant la société française sous le Second Empire et qui met en scène la trajectoire de la famille Rougon-Macquart à travers ses différentes générations. Les dernières années de sa vie sont marquées par son engagement dans l'affaire Dreyfus avec la publication en janvier 1898, dans le quotidien L'Aurore, de l'article intitulé « J’Accuse…! » qui lui a valu un procès pour diffamation et un exil à Londres. Le roman Pot-Bouille publié en 1882 est le dixième de la série Les Rougon-Macquart.

Dans les notes et variantes de l’édition de la Pléiade, on peut lire que le terme pot-bouille désignait dans la langue populaire du XIXe siècle, la cuisine ordinaire des ménages. Par extension, Emile Zola en a fait « la marmite où mijotent toutes les pourritures de la famille et tous les relâchements de la morale.» Le ton de l’ouvrage est donné !

Octave Mouret, jeune homme monté de Marseille à Paris, loge chez les Campardon des amis de sa famille (Achille architecte, Rose sa femme et Angèle la fille adolescente) qui lui ont trouvé un emploi chez les Hédouin (Charles et Caroline) lesquels dirigent le petit magasin Au Bonheur des Dames. A peine installé, Octave qui ne manque pas d’ambitions, cherche une femme à conquérir pour faire son entrée dans le monde.

Il tentera sa chance avec Valérie Vabre, femme névrosée de Théophile Vabre, le second fils du propriétaire de l’immeuble, puis avec Marie Pichon une petite femme simple et discrète épouse de Jules, employé au ministère. Mais sa grande affaire aura lieu avec Caroline Hédouin. D’abord repoussé, Octave par dépit quitte sa place au magasin et s’installe chez Berthe et Auguste Vabre, fils aîné du propriétaire. Il séduira Berthe un temps, mais quand le roman s’achève deux ans après son arrivée à Paris, Octave épouse Caroline Hédouin, devenue veuve entretemps. Un mariage de raison qui arrange Caroline, elle a besoin d’un homme pour la seconder dans la gestion du magasin, mais qui n’est pas une mauvaise affaire pour Octave qui pourra développer ses idées de management et faire du Bonheur des Dames l’ancêtre de nos Grands Magasins et le sujet du roman suivant de l’écrivain.  

Si Octave est le personnage principal, l’immeuble de la rue de Choiseul où se déroule l’intrigue, est une vaste ruche que Zola examine à la loupe, tel un Jean-Henri Fabre et le lecteur se régale. Comme chez les abeilles chacun a sa place et son rôle, du concierge qui prend de grands airs et le parti des locataires bourgeois contre la valetaille et le petit monde des bonnes qui vivent une vie à part en parallèle.

Une fois encore Zola oppose les deux mondes. Les bourgeois qui misent tout sur les apparences et les convenances, n’ayant que le mot « moralité » à la bouche mais qui en fait passent leur temps en turpitudes en tout genre ; les hommes trompent leurs femmes, les femmes cherchent des maris fortunés pour leurs filles. Tant que les choses se passent discrètement, l’hypocrisie est acceptée dans les beaux étages. De leur côté les bonnes, exploitées et corvéables à merci, sont au courant de toutes les magouilles de leurs maîtres et s’en gaussent dans leur dos ; elles vivent dans de misérables chambres sous les toits et leur royaume, la cuisine du logement de leur patron donne sur une cour intérieure où elles s’interpellent les unes les autres, s’échangeant les potins et les insultes.  

Emile Zola ouvre des portes qui devaient restées closes, met le nez du lecteur dans des pots nauséabonds et prouve à tous que ce beau monde bourgeois n’est guère reluisant, marqué du vice et de la mesquinerie. Dire que ce roman est à lire ou relire est une évidence.  

 

« Cependant le malaise de l’adultère persistait, insensible pour les gens sans éducation, mais désagréable aux personnes d’une moralité raffinée. Auguste s’obstinait à ne pas reprendre sa femme, et tant que Berthe demeurerait chez ses parents, le scandale ne serait pas effacé, il en resterait une trace matérielle. Aucun locataire, du reste, ne racontait publiquement la véritable histoire, qui aurait gêné tout le monde ; d’un commun accord, sans même s’être entendu, on avait décidé que les difficultés entre Auguste et Berthe venaient des dix mille francs, d’une simple querelle d’argent : c’était beaucoup plus propre. On pouvait dès lors, en parler devant les demoiselles. »  

 

emile zolaEmile Zola  Pot-Bouille  Le Livre de Poche

 

 

 

 

 

 

Lire la suite

16/05/2013 | Lien permanent

Carson McCullers : Le Cœur est un chasseur solitaire

carson mccullers, Carson McCullers, née Lula Carson Smith en 1917 à Columbus en Géorgie et morte en 1967 à Nyack dans l'État de New York, est une romancière américaine. Elle abandonne une partie de son nom en 1930 pour se faire appeler Carson. Elle écrit sa première nouvelle à l'âge de 16 ans et après des études à l'Université, elle commence à travailler sur son premier roman Le cœur est un chasseur solitaire, initialement intitulé Le Muet. En 1937, elle épouse Reeves McCullers et s'installe à Charlotte (Caroline du Nord), où elle achève ce roman qui sera publié en 1940, elle a alors 23 ans. En 1946, Carson McCullers  part voyager en Europe avec son mari. À la suite de problèmes de santé, elle tente de se suicider en 1947 et est hospitalisée à New York. En 1952, elle s'installe en France avec son époux, dans l'Oise, à Bachivillers. L'année suivante, après le suicide de celui-ci, elle rentre aux États-Unis. Son quatrième et dernier roman, L'Horloge sans aiguilles, est publié en 1961. Carson McCullers meurt des suites d'une hémorragie cérébrale en septembre 1967.

Le roman se déroule dans une petite ville du Sud des Etats-Unis, durant les années 1930. Par une étourdissante construction, Carson McCullers compose une fresque magistrale en alliant une vision à la fois microscopique, cette ville et ses habitants, et macroscopique, en l’élargissant au monde avec l’arrivée de Mussolini et Hitler au pouvoir.

Les personnages sont nombreux, entrant en scène les uns après les autres en une savante farandole, reliés par des liens ténus de prime abord puis plus profonds pour certains. C’est la progression dans la narration qui permet au lecteur d’en discerner les acteurs principaux. Il y a John Singer, un muet un peu mystérieux dont personne ne sait grand chose, très posé et toujours à l’écoute des autres ; il exerce une attraction bienfaisante sur tous les autres et tous se confient à lui. Il loge dans la pension tenue par les parents de Mick, une gamine de douze ans quand débute le récit, qui adore la musique. Autour de ces deux-là, citons aussi Biff Brannon le patron du café-restaurant de la ville, Jake Blount, l’homme moustachu et communiste, qui fait tourner un manège et le docteur Copeland, un Noir.

A partir de ces acteurs, l’écrivaine joue sur les deux tableaux indiqués précédemment. Leurs liens et leurs interactions dans la petite communauté, la grande leçon d’amitié entre Singer et Spiros, l’éveil de l’adolescence pour Mick ; ou bien l’élargissement du discours en abordant les problèmes sociaux et raciaux de l’Amérique, la misère des petites gens, les Noirs mais les Blancs aussi et au loin, la montée du fascisme et l’approche de la guerre en Europe. 

Carson McCullers a toujours les mots justes, chacun de ses personnages nous touche et nous émeut car on les voit tellement solitaires, se débattant avec cette solitude qui leur pèse. Si le roman est triste ou mélancolique - tous n’en sortiront pas indemnes - il déborde aussi d’une certaine manière, d’amour.

Je n’emploie que très rarement ce mot et je suis souvent avare de compliments, mais j’y vois là un chef-d’œuvre.

 

« C’est alors qu’elle eut une révélation de ce qu’était son père. Ce n’était pas comme si elle apprenait un nouveau fait. Elle avait connu déjà tout ça, sauf avec son cerveau. Maintenant, brusquement, elle savait qu’elle savait au sujet de son père. Il était seul et il était vieux. Parce qu’aucun de ses enfants ne recourait jamais à lui et parce qu’il ne gagnait pas beaucoup d’argent, il se sentait comme séparé de sa famille. Et, dans sa solitude, il voulait se rapprocher d’un de ses enfants… et ils étaient tous si occupés qu’ils ne s’en rendaient pas compte. Il sentait qu’il n’était réellement utile à personne. »

 

carson mccullers, Carson McCullers  Le Cœur est un chasseur solitaire  Le Livre de Poche – 445 pages –

Traduit de l’anglais par Marie-Madeleine Fayet 

 

 

 

 

 

 

 


Patrick Modiano - Les 20 livres qui ont changé... par la-grande-librairie

Lire la suite

Pete Fromm : Lucy In The Sky

Pete FrommPete Fromm, né en 1958 à Milwaukee dans le Wisconsin, est un écrivain américain, auteur principalement de nouvelles mais aussi de romans et de mémoires. Après des études secondaires Pete Fromm étudie la biologie animale à l'université de Montana. Il cumule plusieurs petits boulots, dont celui de maître-nageur puis de ranger dans le parc national de Grand Teton au Wyoming avant de se lancer dans l’écriture. Pete Fromm vit à Missoula dans le Montana. Son roman, Lucy In The Sky, qui date de 2003, vient d’être réédité. 

Great Falls dans le Montana. Lucy a quatorze ans, plus vraiment une enfant et se débattant pour ne pas être une femme, en jouant les garçons manqués avec ses cheveux coupés hyper courts. Son père, bûcheron itinérant n’est quasiment jamais au foyer et peut-être a-t-il une autre vie ailleurs ; sa mère, encore jeune et belle, rentre tard le soir (ou ne rentre pas du tout) prétextant des heures supplémentaires imprévues. Lucy s’interroge sur la solidité du couple formé par ses parents. Elle a un copain, Kenny, un gentil garçon qui vit seul avec sa mère. Premiers baisers, entrée au lycée, découverte du sexe et des soirées arrosées…

J’avais découvert, comme beaucoup je pense, Pete Fromm en 2006 avec Indian Creek, un roman nous plongeant au cœur de la nature, puis je l’avais oublié avant de tomber sur son nouvel opus. Un Gallmeister étiqueté Nature Writing, donc je me pensais en terrain connu. Première surprise, il n’y a pas plus de Nature Writing ici que de beurre en branche – comme on disait lorsque j’étais gamin. Seconde surprise - pour moi - le sujet du livre, qui à première vue n’avait rien pour m’attirer, nous donne un bien beau roman.

Roman initiatique donc, écrit par un homme, qui nous décrit le cheminement d’une jeune fille ordinaire (la narratrice) durant deux années pendant lesquelles, de ses quatorze ans de gamine jouant encore innocemment avec le petit voisin, jusqu’à la perte de sa virginité et son entrée dans le grand bain de la vie, elle va en faire voir de toutes les couleurs à son entourage. Roman de frictions, surtout entre la mère et la fille, le seconde ne supportant plus la vie menée par la première, idéalisant le père mais s’exaspérant de ses absences ; repoussant les avances des jeunes mâles puis prenant des initiatives.

Le point fort du bouquin, son rythme induit d’une écriture enlevée faite de répliques cinglantes et qui fusent. Lucy n’a pas sa langue dans sa poche et sa mère, en particulier, en prend pour son grade, les remarques acerbes pleuvent. L’âge ingrat est cruel. On pourrait presque sourire de ces répliques, pourtant le fond est sombre quand on le regarde de près. Peut-être (certainement) que mon âge avancé influe sur ma manière de voir les choses, mais sous une certaine légèreté de forme, j’ai trouvé ce roman épouvantablement pessimiste : le couple est foutu (« - Merde, Luce. Ils nous plaquent tous. Je pensais que tu aurais au moins appris ça. »), la démission totale des parents et en l’occurrence la mère (Lucy laissé seule un soir de Noël par exemple) mais aussi l’écartèlement de cette mère, pas très portée sur son rôle de parent et son envie de vivre une autre vie.

Lucy ne semble pas idiote, malgré son ton et son attitude rebelle, mais quid des études ? Une éducation à l’américaine ? La gosse est responsabilisée très tôt, rendue indépendante aussi vite, bref poussée dans le grand bain sans bouée, débrouille toi pour nager si tu veux survivre. Et cette fin, que je ne peux vous révéler, genre chacun pour soi, annonçant pour Lucy un avenir qui pourrait fortement ressembler à celui qu’a connu sa mère… Quel gâchis.  

 

« Le fantôme de Lola était aussi avec nous. Je ne savais pas qui elle était, mais c’était à coup sûr une histoire de sexe. Papa qui me prévenait qu’il me faudrait des années pour rattraper leur niveau. Maman qui me disait que je devais m’habituer. Kenny en suspens. Justin ricanant. Comment une chose si agréable pouvait-elle causer tant de dégâts ? S’envoyer en l’air, c’était tout foutre en l’air. »

 

 

Pete FrommPete Fromm  Lucy In The Sky  Gallmeister – 386 pages –

Traduit de l’américain par Laurent Bury

 

Lire la suite

Fédor Dostoïevski : Un petit héros

Fédor Dostoïevski Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski est un écrivain russe, né à Moscou en 1821 et mort à Saint-Pétersbourg en 1881. Considéré comme l'un des plus grands romanciers russes, il a influencé de nombreux écrivains et philosophes. Après une enfance difficile, il fréquente une école d'officiers et se lie avec les mouvements progressistes pétersbourgeois. Arrêté en avril 1849, condamné à mort, il est finalement déporté dans un bagne de Sibérie pendant quatre ans. Redevenu sous-lieutenant, il démissionne de l'armée en 1859 et s'engage complètement dans l'écriture. Epileptique, joueur couvert de dettes et d'un caractère sombre, Dostoïevski fuit ses créanciers et mène une vie d'errance en Europe au cours de laquelle il abandonne toute foi dans le socialisme et devient un patriote convaincu. Ecrivain admiré après la publication de Crime et Châtiment (1866) et de L'Idiot (1869), l'auteur publie ensuite ses œuvres les plus abouties, Les Démons (1871) et Les Frères Karamazov (1880).

C’est en 1849, dans la cellule où il attend d’être jugé pour complot politique (Depuis la fin de l’année 1846 il fréquente le cercle fouriériste de Mikhaïl Petrachevski, un fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères, qui combat l'absolutisme de Nicolas Ier) que Dostoïevski écrit la nouvelle intitulée Un petit héros. Ce texte vient d’être réédité dans une collection de poche. 

Le narrateur, un gamin de onze ans, passe les vacances d’été à la campagne, près de Moscou, chez un parent aisé qui organise une grande fête durant plusieurs jours, où sont conviés de nombreux invités. D’abord moqué en public par une jeune femme blonde et pétaradante, son attention se porte bien vite sur une de ses amies, Mme Nathalie M., jeune et jolie brune épouse d’un butor, chez qui il devine une tristesse enfouie. Cet attrait mystérieux, pour un enfant encore, constitue le sujet de cette nouvelle, « Pourquoi était-ce seulement elle que j’aimais suivre du regard, bien qu’il m’intéressât fort peu alors de lorgner les dames et de lier connaissance avec elles ? »

Texte initiatique sur la naissance du sentiment amoureux, la perte des repères, les mystères de l’âme et du cœur, les non-dits quand on ne sait pas encore quoi dire, les troubles inexpliqués, l’attrait irrésistible qui pousse à des actes fous (monter un étalon récalcitrant par exemple). Outre cette révolution intime, le gamin va se retrouver témoin muet d’une passion plus adulte entre son adorée et son amant.

Une très belle nouvelle de l’écrivain qui, si elle n’ajoute rien à son talent, présente une certaine singularité si je m’en réfère à mes lectures anciennes de ses chefs-d’œuvre connus : Il y a ici une légèreté de ton, des descriptions de la nature qui donnent envie de vivre, bref une sorte de « gaité » ou un je ne sais comment dire, de « positif », qui m’a surpris et enchanté. 

 

« A ce moment mon regard errant rencontra le regard de Mme M., tout alarmée, toute pâle, et – c’est un instant que je ne puis oublier – en un clin d’œil mon visage s’inonda de rougeur, s’empourpra, brûla comme du feu ; je ne sais plus ce qui se produisit en moi, mais, confus et effrayé de ce que je ressentais, je baissais timidement les yeux vers le sol. Mais mon regard avait été remarqué, saisi, dérobé. Tous les yeux se tournèrent vers Mme M., et, prise de court par l’attention générale, elle rougit soudain elle aussi comme un enfant, d’une involontaire et naïve émotion, et à grand peine, et sans beaucoup de succès, elle s’efforça de réprimer sa rougeur par le rire… »

 

 

Fédor Dostoïevski Fédor Dostoïevski  Un petit héros  Folio bilingue  - 137 pages –

Traduit du russe par Gustave Aucouturier. Traduction révisée par Simone Sentz-Michel

Lire la suite

Saul Bellow : Les Aventures d’Augie March

saul bellowSaul Bellow (1915-2005) est un écrivain canadien-américain fils d'immigrés juifs-russes, élevé à l'école de la rue mais universitaire de carrière, notamment à Chicago. Saul Bellow a obtenu trois fois le National Book Award, pour Les Aventures d'Augie March (1953), Herzog (1964) et La Planète de Mr. Sammler (1969). Il reçut le prix international de littérature en 1965 et le prix Nobel de littérature en 1976. Cinq fois divorcé, l’écrivain vivait entre le Vermont et Boston, remarié à une ex-étudiante de trente ans sa cadette, lorsqu'il décède en 2005. Les Aventures d’Augie March vient d’être réédité en poche, dans sa dernière traduction.

Augie March, le narrateur, est né dans une famille juive émigrée à Chicago, avant la Dépression. Sa mère est pauvre et perd lentement la vue, son plus jeune frère George est attardé mental tandis que son frère aîné, Simon, bourré d’ambition, veut devenir riche le plus vite possible. Tous vivent sous la férule de Grandma Lausch, hantée par les souvenirs de son Ukraine, « fripée comme un vieux sac en papier, une autocrate, implacable et jésuitique, un vieux rapace de Bolchevik aux serres acérées… »

Le titre du roman dit bien ce dont il s’agit puisque des aventures, Augie va en connaitre en faisant de multiples petits boulots, croiser le chemin de quantité de gens, hommes et femmes, de conditions sociales différentes, quitter Chicago pour voyager jusqu’au Mexique, connaître plusieurs amours, se marier, embarquer pour l’Europe en guerre mais faire naufrage et revenir à Windy City. Nous accompagnons Augie durant de nombreuses années, côtoyant des petits gangsters, des millionnaires, des syndicalistes, des filles de famille dont l’une s’est mise en tête de chasser l’iguane avec un aigle, et même nous croiserons le chemin de Trotski au Mexique ! Tout ceci n’est qu’un mince aperçu du contenu romanesque de l’ouvrage.

Roman initiatique ou plus précisément d’éducation, Augie cherche désespérément à donner un sens à sa vie. Si pour son frère Simon, réussite et fric sont le moteur de ses actions, pour notre héros il n’en est pas du tout de même. Au contraire, même, au plus grand dam de son frère qui le lui reprochera sans arrêt. Toutes les expériences et rencontres seront prétextes pour notre héros à analyser les comportements des uns et des autres, répondre ou non à leurs sollicitudes et tenter de mener sa barque à sa convenance, libre de toutes contraintes, car ce qu’il veut en définitive, c’est « avoir une belle vie, ce qui passait en premier. »

Je sors de ce roman, étourdi et étonné, car 900 pages, il faut les engloutir (surtout pour moi qui déteste les longs romans, comme je l’ai dit maintes fois ici) ! Oui le bouquin est trop long, deux cents pages de plus ou de moins, ne feraient aucun différence ; mais pour autant, je me suis laissé emporté par cette vague – sans hauts ni bas très marqués, à part une scène ou deux -, sans que je me sois passionné véritablement pour le sort d’Augie mais sans pouvoir non plus lâcher ce foutu roman qui dès que l’envie m’en venait, me retenait tout autant. Certainement doit-il tout à son écriture, simple en apparence mais efficace.   

 

« Mais la dureté d’une ville comme Chicago offre un avantage : on ne se berce pas d’illusions. Alors que dans les grandes capitales du monde, on a quelque raison de penser que l’espèce humaine est très différente. Toute cette antique culture et toutes ces magnifiques œuvres d’art exposées au public, des œuvres de Michel-Ange et de Christopher Wren, et toutes ces cérémonies, comme celle du salut au drapeau sur la place de la Horse Guard’s Parade ou l’enterrement d’un grand homme au Panthéon à Paris. On regarde ces merveilles et on se dit que la barbarie appartient au passé. C’est ce qu’on croit. »

 

 

saul bellowSaul Bellow  Les Aventures d’Augie March  Folio – 899 pages –

Nouvelle traduction de l’américain par Michel Lederer 

Lire la suite

16/12/2016 | Lien permanent

J.C. Carrière et Umberto Eco : N’espérez pas vous débarrasser des livres

umberto eco, jean-claude carrière, Jean-Claude Carrière, né en 1931 dans l'Hérault, est un conteur, écrivain, scénariste, parolier, metteur en scène, et occasionnellement acteur français. Umberto Eco, né en 1932 dans le Piémont, est un universitaire, érudit et romancier italien. Reconnu pour ses nombreux essais universitaires sur la sémiotique, l’esthétique médiévale, la communication de masse, la linguistique et la philosophie, il est surtout connu du grand public pour ses romans. N’espérez pas vous débarrasser des livres, paru en 2009, est le verbatim d’entretiens menés par Jean-Philippe de Tonnac, lui-même écrivain, journaliste et essayiste français.

On s’en doute, on parle ici principalement de livres et de bibliothèques. Origines des livres, incunables, livres rares, bibliophilie, bibliothèques mythiques et perdues, papyrus mais aussi e-books, avenir du livre, la palette de la discussion est large. D’autant plus qu’elle débouche vers des considérations philosophiques ou religieuses, à travers les temps et les âges. Le livre n’est pas très long mais il regorge d’enseignements et de réflexions tirés aussi bien de textes obscurs que de littérature très populaire et ce n’est rien dire que d’affirmer que Jean-Claude Carrière et Umberto Eco nous subjuguent par leur érudition. Et c’est là, le point fort de cet essai, même si parfois (ou souvent) des références m’étaient étrangères, elles sont dites sans pédanterie, nos deux débatteurs pouvant passer avec une facilité déconcertante de Gracian, l’écrivain jésuite espagnol (1601-1658) travaillant à son Oraculo manual y arte de prudencia au Voleur de bicyclette le film de Victorio De Sica, dans un grand écart excessivement jouissif pour le lecteur.

Voici quelques sujets abordés dans cet essai : la paradoxale éphémérité des supports dits durables (CD, CD-Rom…), le rôle d’Internet, quelle place pour la mémoire humaine face à celle de nos ordinateurs, qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre « On ne nait pas chef-d’œuvre, on le devient », notre connaissance du passé est souvent due à des crétins, la censure, tous ces livres que nous ne lirons jamais, comment classer sa bibliothèque et qu’en faire après notre mort… Le genre de livre où j’ai beaucoup souligné et coché des passages pour y revenir plus facilement plus tard.

On s’instruit dans la bonne humeur et même par le rire quand notre duo nous rappelle quelques cinglés de la littérature : « N’oubliez pas Edgar Bérillon, membre de l’Institut, qui en 1915 écrit que les Allemands défèquent en plus grosse quantité que les Français. C’est même au volume de leurs excréments qu’on reconnait qu’ils sont passés ici ou là. » Le lecteur se voit aussi impliqué directement quand il lit : « Il m’arrive de me rendre dans une pièce où j’ai des livres et de simplement les regarder, sans en toucher un. Je reçois quelque chose que je ne saurais dire. C’est intrigant et en même temps rassurant. »

Un livre précieux et donc indispensable pour tous ceux qui aiment les livres.

 

« Le grand collectionneur brésilien José Mindlin m’a montré une édition des Misérables publiée à Rio, en portugais, en 1862, c'est-à-dire l’année même de la publication du livre en France. Deux mois seulement après Paris ! Pendant que Victor Hugo écrivait, Hetzel, son éditeur, envoyait le livre, chapitre après chapitre, aux éditeurs étrangers. Autrement dit, la diffusion de l’œuvre était à peu près celle de ces best-sellers aujourd’hui proposés dans plusieurs pays et en plusieurs langues simultanément. Il est parfois utile de relativiser nos prétendues prouesses techniques. Dans le cas de Victor Hugo, les choses allaient plus vite qu’aujourd’hui. »

 

 

umberto eco, jean-claude carrière, Jean-Claude Carrière / Umberto Eco   N’espérez pas vous débarrasser des livres   Le Livre de Poche  - 282 pages – 

Lire la suite

Bergsveinn Birgisson : La Lettre à Helga

Birgisson Livre.jpgBergsveinn Birgisson est né en 1971. Titulaire d’un doctorat en littérature médiévale scandinave, il porte la mémoire des histoires que lui racontait son grand-père, lui-même éleveur et pêcheur dans le nord-ouest de l’Islande.

Arrivé au crépuscule de son existence, Bjarni le narrateur, se décide à écrire une longue lettre à Helga, celle qui fut le seul grand amour de sa vie mais qu’il ne sut retenir. Bjarni, vieillard de quatre-vingt dix ans, se souvient de tout. D’Unnur, sa femme décédée après cinq ans de souffrances suite à une opération intime qui ruina leur vie de couple ; d’Helga, mariée avec deux enfants, à laquelle il voua un amour profond et réciproque, et du cas de conscience qui mit un terme à leur bonheur envisageable : Helga enceinte de Bjarni, ne voyant que deux solutions, soient fuir loin des ragots vers Reykjavik la grande ville, pour y refaire leurs vies, soit se séparer  définitivement et rester au village, elle avec son mari, lui avec ses regrets.

Le roman est très court mais il est très riche en réflexions et idées diverses. Les souvenirs du narrateur le ramènent aux années mille-neuf-cent-trente à soixante et à l’évolution subie par la société islandaise, l’occasion d’évoquer des traditions locales ou des pratiques de pêche et d’élevage. Ces us et coutumes induisent des comportements et des raisonnements qui éclairent les attitudes de Bjarni, comment abandonner sa terre, une propriété dans sa famille depuis neuf générations ? Mais comment vivre aussi, dans un bled où les commérages allaient déjà bon train sur Bjarni et Helga, avant même qu’il ne se passe réellement quelque chose entre eux ?

Bjarni reste attaché aux valeurs ancestrales, sans pour autant être passéiste. C’est une figure locale très impliquée dans la vie de la communauté, il est contrôleur du fourrage, s’occupe de la bibliothèque, bricole pour les uns et les autres, tout en s’occupant de son élevage de moutons. Homme simple et de bon sens, la Nature est tout pour lui.

Le roman est empreint d’une sensualité forte - « Une fois, peu après la fin de l’hiver, je me suis réveillé debout dans le pré, en caleçon long pour tout appareil, et avec une de ces érections ! » - où les seins d’Helga ont une place prépondérante, ce qui ne l’empêche pas en bon paysan de faire le rapprochement avec les mamelles de ses brebis. Birgisson sait aussi se faire poète, et s’il s’agit d’une poésie rustique, elle est sincère. Sans oublier une pointe d’humour comme lorsque vous découvrirez le sort réservé au corps défunt de l’épouse d’un autochtone.  

Quand Bjarni achève sa lettre, avec une petite surprise ( ?) pour le lecteur, il ne peut que constater amèrement qu’il est « un bonhomme qui a préféré croupir dans son trou plutôt que suivre l’amour. »

Un très bon roman.

 

« Te voir nue dans les rayons de soleil était revigorant comme la vision d’une fleur sur un escarpement rocheux. Je ne connais rien qui puisse égaler la beauté de ce spectacle. La seule chose qui me vienne à l’esprit est l’arrivée de mon tracteur Farmall. Arracher l’armature et le carton protégeant le moteur pour découvrir cette merveille éclatante qui allait changer la vie. Tu vois comme ma pensée rase les mottes, chère Helga : te comparer, toi, jeune et nue… à un tracteur ! C’est faire injure à ta beauté que de te mettre sur le même plan que les choses d’ici-bas ; Mais… pour ce qui était de faire l’amour, tu n’étais pas à la remorque. »

 

Birgisson.jpgBergsveinn Birgisson La Lettre à Helga  Zulma – 131 pages –

Traduit de l’islandais par Catherine Eyjolfsson

 

Lire la suite

21/11/2014 | Lien permanent

Page : 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17