04/04/2013
Ron Rash : Un Pied au paradis
Ron Rash, né en Caroline du Sud en 1953, titulaire d’une chaire à l’Université, écrit des poèmes, des nouvelles et des romans. Son premier roman paru en France en 2009, Un pied au paradis, avait fait forte impression et Serena en 2011, l’imposera comme l’un des grands écrivains américains contemporains.
Le roman débute dans les années 50, dans un bled au cœur d’une vallée de Caroline du Sud. Holland Winchester, un jeune homme revenu médaillé de la Guerre du Pacifique mais pas très bien vu dans la communauté locale, a disparu et sa mère accuse sans preuve, ni cadavre, son voisin Billy Holcombe de l’avoir assassiné. Le shérif Alexander va mener l’enquête.
Ca commence comme un polar classique, avec les clichés habituels du genre sur le shérif, son couple à la dérive, un père et un frère qu’il ne fréquente guère depuis qu’il est parti faire des études abandonnant la ferme familiale puis être revenu comme responsable de la police de la petite ville. Le lecteur se croit donc en terrain connu, prêt à suivre le shérif dans ses investigations.
Sauf que ce n’est pas ainsi que Ron Rash envisage les choses, et si le roman ressemble à un polar, ce n’en est pas réellement un, éventuellement un polar déstructuré ou plus certainement un roman choral. Dès le début de son enquête le shérif est convaincu de la culpabilité de Billy et la page 119 nous livre le modus operandi. Il n’y a donc pas le suspense traditionnel au genre, meurtre, enquête, dénouement et arrestation finale. Et ce n’en est que mieux.
Par contre nous avons entre les mains un bouquin découpé en cinq chapitres, dans lesquels chaque acteur du drame va nous en livrer sa version de l’histoire ou nous préciser le rôle qu’il y a joué. Le premier chapitre conté par le shérif Alexander pose les bases et démarre en polar, dans le second Amy la femme de Billy nous donne les clés du mobile avant que Billy lui-même, dans le chapitre suivant, ne nous cache rien de la manière dont il s’est débarrassé du corps. Les deux derniers chapitres, vingt ans plus tard, closent définitivement le drame. Les uns et les autres prendront leurs responsabilités pour que la justice, même si ce n’est pas celle des hommes, passe.
Un très beau roman où des faits complexes démontrent qu’il est souvent difficile de faire la part entre le bien et le mal qui eux, ne sont que des mots. D’où ce sombre constat « Mais rien n’est solide, ni permanent. Nos existences sont élevées sur les fondations les plus précaires. Inutile de lire les manuels d’histoire pour le savoir. Il suffit de connaître l’histoire de sa propre existence. »
Dès ce premier bouquin Ron Rash s’affirme comme un grand écrivain, ses héros sont attachants et leur évolution au fil des pages et des ans nous bouleverse car elle met à jour leur personnalité et leurs actes, plus complexes qu’on ne le pensait. Serena, l’héroïne hors norme de son second roman éponyme, était un caractère fort, acteur actif de sa propre destinée, ici Billy et les autres se coltinent à leur corps défendant les réalités de la vraie vie et réagissent comme ils le peuvent, avec les moyens dont ils disposent.
Point commun avec le roman Serena, dans l’un la nature était ravagée par une exploitation forestière cupide, alors que dans celui-ci il s’agit d’un barrage construit par une compagnie d’électricité qui va inonder la vallée pour créer une vaste zone de rétention d’eau. Les ravages du progrès, mais sans que l’auteur ne s’appesantisse, pour un final lyrique, les lieux du drame engloutis à jamais et pour tous, si ce n’est une trace dans la mémoire de ceux qui partent ailleurs reconstruire leur vie.
« Un pasteur affirmerait que c’était la condition humaine depuis que l’homme avait quitté le paradis, et il y avait tant de vieux cantiques expliquant que dans une autre vie nous serions aux côtés de Dieu. Seulement nous vivions dans le présent. Toujours en quête de quelque chose qui comble cette absence. Peut-être qu’un mariage pouvait guérir cette nostalgie, même si le mien n’y était pas parvenu. L’alcool était la solution pour beaucoup d’autres hommes, sans compter Williams. Peut-être que pour certains les enfants la comblaient, ou peut-être, comme pour papa, l’amour d’un lieu qui vous rattachait à vos ancêtres. »
Ron Rash Un Pied au paradis Editions du Masque
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez
11:29 Publié dans POLARS | Tags : ron rash | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |