25/03/2019
Ron Rash : Un Silence brutal
Ron Rash, né en Caroline du Sud en 1953, titulaire d’une chaire à l’Université, écrit des poèmes, des nouvelles et des romans. Son premier roman paru en France en 2009, Un pied au paradis, avait fait forte impression et Serena en 2011, l’imposera comme l’un des grands écrivains américains contemporains. Son nouveau roman, Un Silence brutal, vient tout juste de paraître.
Une bourgade dans les Appalaches, un coin perdu de Caroline du Nord entre rivière et montagnes, qui fut certainement jadis une imitation du Paradis. Ici tout le monde se connait depuis l’enfance. Les, le shérif n’est plus qu’à quelques semaines de la retraite mais ses derniers jours vont être bien difficiles à gérer quand Tucker, propriétaire d’un relais Nature et Pêche attirant de riches touristes en quête de truites mouchetées, accuse Gerald d’avoir empoisonné la rivière pour couler son entreprise. Le vieux Gerald, malade du cœur, un peu braconnier certes mais amoureux fou de ces poissons pleins de vie, aurait commis ce crime ? Becky, la poétesse, garde forestière éprise de nature, n’y croit pas et Les ne semble pas vraiment convaincu non plus…
Ron Rash est de retour avec un roman franchement superbe offrant de multiples motifs de satisfaction. Vous aimez la nature, vous serez comblé, la faune, la flore, l’air ambiant, les décors sont des cartes postales à rendre écologistes les plus réfractaires. Vous aimez les polars, celui-ci tient la route sans être particulièrement démoniaque non plus et pouvant convenir à tous les publics. Vous aimez les romans avec des personnages dont on s’entiche immédiatement, vous allez être servi car c’est le point fort de ce bouquin.
Roman à deux voix, Les et Becky en sont les protagonistes principaux. Elle et lui ont des passés chargés : Becky, l’homme de sa vie, terroriste écolo est décédé ; Les, sa femme l’a quitté avant de mourir. Chacun évoquera avec ses mots, ses moments de leurs vies d’hier ou de la timide idylle qui faillit les unir autrefois. Ron Rash associe à ces voix, un style d’écriture distinct, à l’identique de ces groupes de rock où les deux guitaristes jouant d’instruments de modèles différents peuvent mêler leurs solos tout en restant bien identifiable l’un de l’autre.
J’ai parlé de nature et de Paradis jadis, mais aujourd’hui, même en ces contrées reculées la drogue (la meth) fait des ravages. Un jeune adjoint du shérif écœuré rendra son insigne après un épisode sordide. Pourtant, Rash ne voulant pas noircir le tableau, en tire une belle image : sur un bout de terrain jonché d’immondices de drogués, seringues et autres joyeusetés, pousse une fleur rare… Le monde va de mal en pis, « Je vous jure, Les, c’est devenu tellement moche que je trouve pas les mots pour le dire, pas vous ? » Si Les n’en dit rien, lui le flic pragmatique et adepte du compromis, on devine que le monde d’hier n’est déjà plus sa préoccupation : il va boucler l’affaire d’une manière toute personnelle, favorisant le bon sens plutôt que la loi, et après… une autre vie commencera.
Un roman dont je me suis régalé, lu lentement pour ne pas arriver trop vite à l’épilogue. Un rythme légèrement trainant, des personnages très humains, c'est-à-dire fragiles et forts, hantés par le doute, des mauvais mais pas trop, des gentils mais pas complètement innocents, tous très attachants néanmoins.
« - On a tué des truites au sommet de la cascade, Les, des truites mouchetées, reprit Becky, dont la voix trahissait à présent davantage d’émotion. « Je suis montée là-haut avec Gerald pour les observer, cet automne. Si tu nous avais accompagnés, ce matin-là… oui, tu saurais que ça ne peut pas être lui. Ces truites mouchetées, Gerald ne voulait pas les prendre pour les manger. Il voulait tout simplement qu’elles soient là, et qu’elles y restent, poursuivit-elle d’une voix qui se brisait. Si tu avais vu comment il les regardait, Les, il les aimait. »
Ron Rash Un Silence brutal Gallimard La Noire - 257 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez
07:22 Publié dans POLARS | Tags : ron rash | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook |