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Beat Generation : L’exposition au Centre Pompidou
La Beat Generation, ce mouvement littéraire et artistique né dans les années 1950 aux Etats-Unis, s’expose à Paris au Centre Pompidou, un rendez-vous que je ne pouvais manquer. De tous les courants littéraires, c’est celui qui me touche le plus, à titre personnel si je peux dire. Si tous les autres mouvements restent pour moi, des faits historiques (pour ceux qui m’intéressent le moins) ou des références de qualité quand je cherche une lecture, les écrivains de la Beat Generation dépassent ce cadre car ils font partie de mon parcours initiatique.
C’est par le biais du magazine Actuel, dans les dernières années des sixties que j’ai découvert Jack Kerouac, Allen Ginsberg, William Burroughs, Allan Watts etc. Je n’avais pas vingt ans, le souffle de mai 68 laissait mes cheveux en bataille et je découvrais un autre monde : la liberté et les grands espaces avec Sur la route, le mythique roman de Kerouac, la spiritualité orientale avec Watts et ces incroyables délires de Burroughs explosant autant la technique de l’écriture que mon pauvre cerveau, à l’instar des psychotropes circulant à l’époque. On ne peut pas se remettre totalement de tant d’évènements, surtout quand on a été pris de plein fouet durant les plus belles années de sa vie. C’est donc en pèlerinage que je me suis rendu au cœur de la capitale pour raviver un pan important de ma jeunesse.
Très belle exposition car très complète. Films, dessins, documents sonores, objets, manuscrits, photos, tous les supports sont présents. Allons directement au but, la pièce maîtresse de cette exposition, c’est le tapuscrit original de Sur la route écrit en 1951 par Jack Kerouac sur un immense rouleau de papier de 36,5 mètres de long, assemblage de rouleaux de papier calque ajointés. Ecrit serré à la machine en un seul bloc, sans paragraphes ni sauts de ligne, cette masse de texte allongée de tout son long dans une vitrine sous un faible éclairage pour ne pas endommager le document, est franchement impressionnante, presque effrayante. Une trace tangible du grandiose comme le serait une momie dans son sarcophage. Dans une autre vitrine, une première version du livre beaucoup plus courte, écrite en français sur des pages de cahier.
Si la Beat Generation c’est l’Amérique, la France y a aussi son mot à dire. Kerouac (Jean-Louis Lebris de Kérouac) est né de parents québécois et Sur la route a été écrit en français dans sa première mouture. Mais c’est aussi à Paris, dans un hôtel de la rue Git-le-Cœur où vécurent de nombreux artistes (Ginsberg, Burroughs, Gysin, Corso…) entre 1958 et 1963 que Brion Gysin invente la technique du cut-up (un texte original est découpé en fragments aléatoires puis ceux-ci sont réarrangés pour produire un texte nouveau) dont William Burroughs fera un usage excessif ( ?) dans son œuvre. Dans ce même hôtel, Ginsberg y écrit son Kaddish. Et rappelons que toute cette bande vénérait nos poètes : Rimbaud, Apollinaire, Artaud ou Michaux.
Le reste de l’exposition propose des reliques de Kerouac (froc, t-shirt, casquette, espadrilles et gourde… heu ? Hum ! Hum !), des dessins de Kerouac, Corso, Burroughs. Des films rares, interviews de Jack Kerouac et délires. Des photographies en noir et blanc de Robert Franck de l’Amérique d’alors. En fond sonore du jazz, la musique de la Beat Generation, Charlie Parker ou Dizzy Gillespie. Bob Dylan est là aussi avec deux extraits des films Renaldo & Clara (sur la tombe de Kerouac avec Ginsberg) et Don’t look back (le passage avec Ginsberg sur Subterranean Homesick Blues).
Sont bien sûr aussi évoqués Lawrence Ferlinghetti et la librairie City Lights à San Francisco, ou bien montrés des revues underground de l’époque, le Mexique ou Tanger et leur trouille à tous d’une explosion nucléaire.
Une très belle exposition qui devrait combler les amoureux de ce mouvement riche en inventions ou innovations qui nous a ouvert les portes de la perception.
Beat Generation Centre Pompidou Paris IVe – Jusqu’au 3 octobre 2016 –
Photos : Le Bouquineur
09/07/2016 | Lien permanent | Commentaires (5)
Le Beat Hotel à Paris
Si vos déambulations dans le Quartier Latin à Paris vous mènent rue Gît-le-Cœur, vous ne pourrez pas manquer cet hôtel, parce que c’est le seul dans la rue – reliant le quai des Augustins à la rue Saint-André-des-Arts - et que celle-ci est tellement courte et étroite qu’il n’y a rien d’autre à y voir. Sis au n°9, l’enseigne officielle de l’établissement rénové et luxueux désormais, indique Hôtel du Vieux Paris, mais une plaque en bonne place, apposée en 2009, signale qu’ici vécurent B. Gysin, H. Norse, G. Corso, A. Ginsberg, P. Orlovsky, I. Sommerville et que W. Burroughs y acheva Le Festin nu en 1959.
Le Beat Hotel, ce petit hôtel de 42 chambres, doit donc sa renommée, ainsi que son surnom car il n'avait pas de nom à l’époque, aux membres de la Beat Generation qui y ont séjourné. C'était un hôtel sans confort pour ne pas dire moins. Les fenêtres des chambres donnaient sur la cage d'escalier, il ne comptait qu'une seule baignoire au rez-de-chaussée, l'eau chaude n'était disponible que trois jours par semaine, les draps étaient changés une fois par mois, « de vieux journaux servent de papier toilette dans les W.C. à la turque (comble du traumatisme pour les Américains) ». Hôtel miteux, prix ridicules mais bonnes vibrations, l’idéal pour des artistes sans le sou. C’est Chester Himes, l’Afro-Américain auteur de polars pour la Série Noire qui avait découvert cet antre, on y trouvait aussi des jazzmen ayant fui les Etats-Unis ainsi que des G.I. noirs ne supportant plus le racisme. Artistes en tous genres et des dealers certainement, le bouche à oreille entre Paris et les Etats-Unis fit le reste.
L’hôtel était dirigé, ainsi que le bistro du rez-de-chaussée, par M. et Mme Rachou depuis 1933, puis après la mort accidentelle de M. Rachou en 1957 par sa seule veuve jusqu'à sa fermeture en 1963. Mme Rachou, qui avait travaillé dans une pension fréquentée par Monet et Pissarro, voyait d'un bon œil les artistes qui fréquentaient son établissement et se faisait parfois payer en toiles et en manuscrits. Elle permettait même à ses pensionnaires de redécorer leur chambre à leur goût. C'est à cette époque que l'hôtel devient célèbre parmi la Beat Generation. « Il n’y avait qu’un seul téléphone. Quand il y avait un appel, elle criait « Jinsbergue », « Monsieur Burouz » dans la rue » se souvient Jean-Jacques Lebel qui a beaucoup fréquenté ces écrivains à l’époque et co-organise aujourd’hui l’exposition du Centre Pompidou.
Allen Ginsberg et Peter Orlovsky y séjournèrent tout d'abord en 1957. Ils furent rejoints par Gregory Corso, Harold Norse et William Burroughs. Ce dernier, arrivé de Tanger, y compile et complète son légendaire Festin nu et y rencontre Brion Gysin, marquant le début d'une longue collaboration. C'est là aussi que Burroughs rencontre son amant et « manager » Ian Sommerville, avec qui il expérimente sa technique du cut-up, inventée néanmoins par Brion Gysin. Allen Ginsberg quant à lui, y écrit son plus fameux poème, Kaddish.
Comme l’écrit Barry Miles, dans son ouvrage Beat Hotel , à propos de ces écrivains : « Depuis leur abri, le Beat Hotel, ils avaient tracé beaucoup de chemins que la « génération sixties » allait emprunter. »
Photos : Le Bouquineur Sources : Wikipédia - Hors série Les Inrocks « Sur la route avec la Beat Generation » - Le Monde du 1/07/2016 – Programme de l’exposition consacrée à la Beat Generation au Centre Pompidou
06/08/2016 | Lien permanent
City Light Books à San Francisco
En juin 1994 j’étais à San Francisco, j’en relis aujourd’hui mes notes de voyages transcrites dans mon carnet et j’y lis, permettez que je me cite, « Je remonte Colombus Avenue, à ma gauche Chinatown et à droite le quartier italien. Comme à New York les deux quartiers sont mitoyens. Il est 11h, l'odeur du café torréfié se répand dans les rues, au café Roma, murs couverts de cadres de photos d'artistes, chapelets d'ail pendus au plafond. Un peu plus haut, le fief de la culture beat avec le café Vesuvio et la librairie City Light Books Store. Ici se réunissaient dans les années 50', Jack Kerouac, Williams Burroughs et les autres écrivains qui inspirèrent la Beat Generation puis dans les années 60' les hippies. »
La Beat Generation est un mouvement artistique et littéraire né à New York dans les années 1950 qui doit son nom à Jack Kerouac. Les principaux écrivains de cette école sont Jack Kerouac (Sur la route), Allen Ginsberg (Howl), William S. Burroughs (Le Festin nu), mais aussi Gregory Corso, Lawrence Ferlinghetti, Gary Snyder …
S’il est une librairie mondialement connue, c’est bien City Light. La librairie se situe au n° 261 de Colombus Avenue et elle doit son nom au célèbre film de Charlie Chaplin connu en français sous le titre Les Lumières de la ville. Elle a été fondée en 1953 par le poète, écrivain et éditeur Lawrence Ferlinghetti qui passa en France son doctorat de lettres à la Sorbonne. Ecrivain engagé politiquement, auteur d’une œuvre contestataire, membre fondateur du mouvement Beat, il ouvre la librairie pour soutenir financièrement la revue littéraire éponyme. Premier éditeur des poètes beat, il s’efforça de populariser les textes et par là les idées qui amenèrent au renouveau de la littérature américaine et à l’émergence du mouvement hippie dans la seconde moitié des années 60.
La librairie est aussi connue pour être la première aux Etats-Unis à n’avoir vendu que des livres de poche. Ferlinghetti lançant sa propre collection de poches, dont le premier recueil est Howl d’Alan Ginsberg, ce qui lui vaudra d’être poursuivi par la justice américaine pour obscénité. Le procès retentissant, mobilisera les artistes et les intellectuels américains et finalement Alan Ginsberg sera relaxé.
Quant à la revue du même nom, elle n’existe plus depuis longtemps et City Light s’est agrandie depuis son ouverture, proposant une belle sélection de bouquins de poésies, philosophie, littérature en tous genres et surtout ouvrages d’avant-garde et textes politiques le plus souvent ignorés des médias classiques.
Une adresse mythique donc, rendez-vous de tous les amateurs de littérature de passage à San Francisco.
Source des photos : Le Bouquineur
29/10/2012 | Lien permanent
Jack Kerouac : La Grande traversée de l’Ouest en bus
D’origine canadienne, Jean-Louis Kérouac ou Jean-Louis Lebris de Kérouac dit Jack Kerouac (1922-1969), est un écrivain et poète américain. Les œuvres les plus connues de Kerouac, Sur la route (considéré comme le manifeste de la Beat Generation), Les Clochards célestes, Big Sur ou Le Vagabond solitaire, narrent de manière romancée ses voyages à travers les Etats-Unis.
On fête cette année le centenaire de la naissance de l’écrivain et pour cette occasion des éditeurs lancent de grandes manœuvres. Pour nous mettre en bouche – car je reviendrai à plusieurs reprises sur cet auteur dans les prochaines semaines – ce petit fascicule qui vient de paraître en poche. Une réédition de sept textes très courts et de genres très différents.
Tout d’abord de minuscules essais avec deux textes ayant trait à l’écriture et aux conseils donnés aux jeunes écrivains. Deux autres évoquent la Beat Generation, sa philosophie et le sens qu’elle devait donner à la vie. Nous avons aussi une errance dans Manhattan faite d’impressions et de ressenti pour Kerouac.
Les deux autres textes s’apparentent à des nouvelles. Celui qui donne son titre à l’ouvrage est classique, tout à fait ce qu’on attend de l’écrivain-vadrouilleur. Un périple en car à travers les Etats-Unis, de « San Francisco à New York en passant par le Nord-Ouest sur la côte Pacifique ». Et puis il y a « En route vers la Floride », mon préféré, un reportage pour le magazine Life en compagnie du célèbre photographe Robert Franck, « un artiste véritable et qui s’exprimait dans une forme d’art pas si différente de la mienne », « le Dos Passos des photographes américains ». L’écrivain s’émerveille de l’œil de Franck, quand l’homme de plume de voit rien de particulier, l’homme d’image voit tout un monde et le condense en un cliché, « une leçon pour n’importe quel écrivain… »
Nous n’avons pas là un bouquin mémorable, j’en conviens, mais ce mini-livre à un mini-prix est une façon aisée d’approcher Jack Kerouac, son état d’esprit et un peu son style.
« Épuisant ou pas, il n’y a pas de meilleur moyen de voir l’Ouest que de prendre un bon vieux bus et de foncer à toute allure sur de bonnes routes pour arriver dans toutes sortes de villes grandes et petites où vous pouvez descendre et parfois marcher pendant une heure entière, voir le monde et revenir au bus pour repartir. Quand j’ai acheté mon billet de San Francisco à New York en passant par le Nord-Ouest sur la côte Pacifique, le préposé a cru que j’étais fou. Je prenais le chemin du retour en traversant le continent avec mes dix sandwiches et un ou deux dollars en poche."
Jack Kerouac La Grande traversée de l’Ouest en bus et autres textes beat Folio 2€ - 99 pages -
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Guglielmina
01/04/2022 | Lien permanent | Commentaires (2)
Charles Plymell : Le Dernier des mocassins
Charles Plymell, né en 1935 à Holcomb au Kansas, est un écrivain, poète et éditeur. Il a travaillé sur des pipelines, chevauché des taureaux sauvages dans des rodéos, été dynamiteur de montagne et cueilleur de houblon etc. Lorsqu’il s’installe en 1962 à San Francisco, au carrefour entre Haight et Ashbury, son appartement devient un lieu de passage obligé de la contre-culture naissante. Très vite, Neal Cassady et Allen Ginsberg viennent habiter chez lui. Infatigable animateur du mouvement Beat, Charles Plymell publie des dizaines de revues underground et c’est lui qui découvre Robert Crumb. Publié en 1971 aux Etats-Unis, Le Dernier des mocassins vient d’être traduit.
Dans la série « Je lis pour vous les livres que vous n’ouvrirez jamais », voici un récit autobiographique, imprégné pour ne pas dire complètement imbibé des fondamentaux du mouvement Beat dont Jack Kerouac fut le plus illustre de leurs leaders.
On peut dire que globalement, le livre est en deux parties. La première remonte aux premières années de jeunesse du narrateur dans le Kansas. La ferme familiale, son père ancien routier ayant sillonné tout le pays, sa mère participant à un spectacle de cascades auto et sa sœur ainée à la vie agitée, plusieurs mariages, prostitution, alcool… qui décèdera. Le jeune homme aime les voitures, va de villes en villes, d’un bout à l’autre du pays et jusqu’au Mexique. Cette première moitié du l’ouvrage est assez pénible à lire, terriblement décousue, narrée par un junkie encore sous l’emprise de substances illicites.
Ces errances à travers le continent l’amènent tout naturellement à San Francisco, là où tout se passe pour la Beat Generation. Le récit devient plus lisible et relativement plus cohérent, plus intéressant aussi. Il nous replonge dans cette époque si riche, cette explosions de libertés d’abord, d’exagérations ensuite. Qui connait la ville en retrouve la géographie urbaine, le Tenderloin, le carrefour Haight-Ashbury…, la faune excentrique de drogués, de filles à moitié nues, de sexe débridé ; les noms connus entrent en scène, Lawrence Ferlinghetti, Allen Ginsberg, Neal Cassady… J’ai dit que c’était plus lisible mais on reste dans les vapeurs éthérées ou hallucinogènes, les interrogations existentielles taraudent les uns et les autres, la vie, la mort (« La mort veut la vie. La vie veut-elle la mort ? »), le sexe, pourquoi ci, pourquoi ça.
La fin du texte est très réussie, l’auteur constate qu’une époque s’achève, celle des beatniks, remplacée par celle des hippies, et qu’il lui faudra ou s’adapter ou disparaitre, « La plupart des poètes que je connaissais ont pris le train en marche, car ils se voyaient obliger d’aimer la nouvelle génération. »
Je ne vais pas tenter de vous vendre ce livre, il ne conviendra qu’aux gens de mon âge qui y retrouveront une partie de leur jeunesse et d’une époque heureuse pour eux.
« Tous les Sorciers et les défoncés étaient en train de se retrouver. Le réseau crépitait. C’était encore une scène relativement ouverte. La fin de la scène beat et le début des hippies. Allen venait juste de débarquer en ville, il revenait d’Inde, où il avait vécu depuis l’époque des beats. Quelqu’un avait dit qu’il serait à la soirée. Une des filles présentes avait rapporté du Nevada des yeux de Dieu. C’est une de leurs premières apparitions au sein de ce qui sera bientôt la génération hippie. Plus tard, le Grateful Dead a adopté l’œil de Dieu comme symbole. On a sonné à la porte, puis j’ai entendu des psalmodies et aperçu la tête d’Allen à la porte, à travers la verrière. Il semblait bien connaître l’endroit. »
Charles Plymell Le Dernier des mocassins 10-18 - 210 pages -
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard
01/12/2022 | Lien permanent
Jack Kerouac : Le Livre des rêves
D’origine canadienne, Jean-Louis Kérouac ou Jean-Louis Lebris de Kérouac dit Jack Kerouac (1922-1969), est un écrivain et poète américain. Les œuvres les plus connues de Kerouac, Sur la route (considéré comme le manifeste de la Beat Generation), Les Clochards célestes, Big Sur ou Le Vagabond solitaire, narrent de manière romancée ses voyages à travers les Etats-Unis.
Entre 1952 et 1960, Jack Kerouac consignait ses rêves dans des carnets et en 1961 il les tape à la machine pour les faire éditer. L’éditeur n’en retient qu’une partie, version qui sera traduite en français en 1977. Ce n’est qu’en 2001 que paraitra la version complète de l’ouvrage aux Etats-Unis, aujourd’hui traduite chez nous.
Ce n’est ni un roman, ni un récit, ni quoi que ce soit de bien définissable puisqu’il s’agit d’une longue collection de rêves alignés les uns derrière les autres. De quoi doit-on s’émerveiller en parcourant ce livre, en supposant qu’on y trouve matière à s’émerveiller ? De la densité de chaque rêve peut-être ? De la capacité de l’auteur à avoir pu noter tout ce déroulé dans les moindres détails ? Moi qui me réveille chaque matin sans jamais me souvenir de quoi que ce soit de mes pensées nocturnes – d’ailleurs si la science ne m’avait appris qu’on rêvait tous, je n’imaginerais même pas que cela soit possible ! – je trouve extraordinaire qu’on puisse remplir des carnets de ses aventures de la nuit.
Ce bouquin est donc une compilation de délires oniriques, sans queue ni tête, comme on s’en doute. C’est parfois drôle, toujours farfelu mais dans ce bouillonnement carrément incompréhensible subsistent les traces du Kerouac que l’on connait et de son époque : la moquerie/mépris pour les employés en costard/cravate qui vont bosser, le sexe et les femmes qui ne sont jamais loin (« Cette blonde splendide qui danse les seins nus sur une scène dorée »), les écrivains (Tolstoï…) ou politiques (Eisenhower) qui se trouvent mêlés à leur corps défendant au gloubi-boulga chimérique de Jack.
Pour participer à la célébration du centenaire de la naissance de Jack Kerouac, ayant déjà lu ses principaux romans depuis bien longtemps, je complète ma découverte de son œuvre avec des textes qu’en temps normal j’aurais laissé de côté si l’éditeur n’avait eu la bonté de me les offrir. Merci à lui, mais approchez votre oreille de votre écran, tout à fait confidentiellement et je compte sur vous pour ne pas le répéter, ce bouquin est vraiment chiant à lire ! Motus et bouche cousue, ok ? Ne gâchons pas la fête des survivants de la Beat Generation.
« Irwin Garden – il y a toujours un vague halo de meurtre autour de lui – une piaule à Manhattan – une longue – discussion – le doigt magistralement levé – je m’étais couché avec la première vision nette et la claire conscience de la nécessité de mon trépas – je marche sur un banc dans une foule, peu importe que cet homme de 30 ans râblé taciturne et musclé doive mourir – ça n’en fera jamais qu’un parmi deux milliards dans ce monde bilieux et mort – chargé de temps et d’ennui – Je me réveille, je sais maintenant que le sexe c’est la vie – le sexe et l’art – ça ou crever »
Jack Kerouac Le Livre des rêves Gallimard L’Imaginaire - 361 pages -
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne-Christine Taylor et Philippe Mikriammos
12/05/2022 | Lien permanent | Commentaires (6)
Brice Matthieussent : Petit éloge de l’Amérique
Brice Matthieussent, né en 1950 à Paris, est un écrivain, traducteur et éditeur français. Il est aussi professeur d'esthétique et auteur de plusieurs essais critiques. Depuis la fin des années 1970, il se consacre à la traduction en français de littérature anglo-saxonne, notamment américaine. Il a ainsi traduit de grands noms de la littérature contemporaine tels que Charles Bukowski, Thomas Pynchon, John Fante, Paul Bowles, Henry Miller, Jack Kerouac, Jim Harrison, Bret Easton Ellis, Thomas McGuane ou Richard Ford. Depuis 2022, il codirige la collection "Amériques" aux éditions du Réalgar, à Saint-Etienne, où ils traduisent et publient essentiellement de la poésie américaine.
Petit éloge de l’Amérique, un texte inédit, vient de paraitre directement en format poche. D’autres ouvrages, plus ou moins dans la même veine, vont certainement suivre à quelques mois à peine de l’échéance électorale américaine.
Brice Matthieussent pose immédiatement les bases de sa réflexion et j’ai cru y lire mes propres pensées : nous sommes tous les deux de la même génération et nous avons été attirés très jeunes à la période charnière entre 60’ et 70’ par ce pays par les mêmes éléments, littérature (Beat Generation), musique (Rock) et sentiment de liberté. Un attrait irrésistible mais pas aveugle pour autant, les Etats-Unis fascinent parce qu’ils mêlent le bien et le mal, certains aspects enthousiasment d’autres révulsent.
Donc dans les grandes lignes j’ai bien aimé ce petit bouquin, je dis grandes lignes car je l’ai trouvé néanmoins un peu décousu dans sa construction et que sur certains points pas obligatoirement d’accord avec l’auteur.
Quelques sujets abordés, dans le désordre : la littérature avec la Beat Generation, Bukowski, son ami Jim Harrison et tant d’autres qui viendront illustrer ses propos. L’écriture genrée, la langue anglaise n’est pas genrée et pour les Américains le langage de la rue fait la règle, contrairement à la France qui a son Académie Française qui décide du bon usage. Bien entendu l’auteur aborde le domaine de la traduction (« les titres des romans américains sont souvent mal traduits en français, pour des raisons commerciales frisant le grotesque ») constatant que « même les meilleures traductions littéraires perdent environ la moitié de l’original ». Et pour en finir avec la littérature, sa définition du roman réussi : « c’est un roman sans idées, sans opinion à défendre, sans thèse à prouver, sans message préexistant à l’écriture. »
Le bouquin ne peut faire autrement que d’évoquer Trump et entre autres que le clivage radical entre les deux camps ennemis trouve son origine dans l’émancipation des femmes dans les années 70, entre féminines de gauche et républicaines ultra-conservatrices.
Je retiens surtout de ce petit livre que le pays cumule de nombreux points très positifs mais aussi qu’il perd les pédales et le Nord sur d’autres, par exemple quand dans certaines universités, « des étudiants de couleur exigent des espaces non mixtes pour ne pas avoir à côtoyer des Blancs ! » soit, réinstaurer ce contre quoi on luttait au début, la ségrégation raciale !
Brice Matthieussent prend à témoin Tocqueville et s’en fait le double moderne, confrontant les écrits du premiers avec ce que lui voit de l’Amérique d’aujourd’hui.
« L’Amérique est ainsi divisée en deux camps irréconciliables à géométries variables, qui se méprisent et se détestent, Trump ayant seulement mis de l’huile – certes beaucoup d’huile… - sur le feu de cette division, qu’il attise à la première occasion en ayant recours à son mode de communication préféré : l’insulte. Et plus elle est vulgaire, plus elle lui plaît. Au slogan américain très populaire durant la Seconde Guerre mondiale, United We Stand, succède désormais son contraire désolant : Divided We Stand. La division triomphe, l’opposition systématique, irrévocable, de deux camps ennemis qui se détestent comme jamais. Et voilà les Etats-Désunis ! »
Brice Matthieussent Petit éloge de l’Amérique Folio - 122 pages -
19/09/2024 | Lien permanent
Philippe Djian : A l’aube
Philippe Djian est un romancier français né en 1949 à Paris. Longtemps présenté comme un héritier de la Beat Generation en France, il est notamment l'auteur en 1985 de 37°2 le matin qui lui apporta la popularité mais depuis, son style et son inspiration ont beaucoup évolué. A l’aube, son tout nouveau roman, vient de paraitre.
Je ne sais pas si l’écrivain a lu ma lettre ouverte ou si l’âge venant le bon sens lui est venu mais comme le laissait présager son précédent bouquin, Marlène, Philippe Djian accorde enfin une place à l’histoire, ne la dédaignant plus au profit du style, ce qu’il revendiquait haut et fort jusqu’alors. Conséquence directe, son nouveau livre est très bon. Ma surprise est d’autant plus grande que Le Monde (6/04/2018) l’avait méchamment cassé…
Etats-Unis, autour de Boston. Après le décès de ses parents dans un accident de la route, Joan revient dans la maison familiale pour s’occuper de son frère Marlon, autiste. Son retour dans la petite ville, où tout le monde se connait, attire ses anciennes connaissances, y compris Howard, ami de la famille mais homme étrange qui a pour particularité d’avoir couché avec Joan et sa mère ! Aujourd’hui son principal but est de fouiller dans les affaires des défunts, à la recherche d’on ne sait quoi…
Sans parler de polar, il y a des morts et des blessés, un shérif adjoint toujours prêt à couvrir les fautes de Joan, peut-être un magot caché quelque part et un réseau de call-girls genre petit commerce local. Car il faut bien des effluves de sexe dans un roman de Djian, d’où la double-vie de Joan ou le retour d’Howard dans son atmosphère, sans parler du frangin qui malgré son handicap n’en reste pas moins un homme… Mais tout ceci reste dans le domaine du correctement exprimé. Je n’entre pas plus dans les péripéties du bouquin et si l’intrigue tient bien la route, tout n’est pas carré – n’exagérons pas – mais ce n’est pas grave.
L’écriture reste modérément déstabilisante comme d’habitude et c’est très bien car ça ajoute du mystère à l’intrigue : on ne comprend certaines choses qu’à postériori, il n’y a pas de tirets dans les dialogues pour identifier immédiatement qui parle et le scénario restera flou sur certains points. Enfin, le roman se referme comme une porte qui claque, soudain et ne laissant pas la place à l’ambigüité, en forme de justice condamnant l’immoralité. Surprenant.
Un très bon roman de Philippe Djian, c'est-à-dire un bon roman dans l’absolu.
« Joan rentra presque à la nuit tombée. A cause d’une fille qui avait la grippe et qu’il fallait remplacer au pied levé. Pour tomber en plein dans les embouteillages. Elle imaginait Marlon qui tournait en rond, de plus en plus nerveux à l’idée de se retrouver seul dès que le crépuscule s’annonçait. Il avait tout le temps été comme ça, elle s’en souvenait très bien. ET encore aujourd’hui il dormait avec la lumière allumée. L’angoisse du soir qui descendait, du jour qui s’éteignait. Il la guettait derrière la fenêtre lorsqu’elle se gara. »
Philippe Djian A l’aube Gallimard – 190 pages –
09/04/2018 | Lien permanent | Commentaires (2)
Philippe Djian : Double Nelson
Philippe Djian est un romancier français né en 1949 à Paris. Longtemps présenté comme un héritier de la Beat Generation en France, il est notamment l'auteur en 1985 de 37°2 le matin qui lui apporta la popularité mais depuis, son style et son inspiration ont beaucoup évolué. Son nouveau roman, Double Nelson, vient de paraître.
Luc est un écrivain à la peine pour finir son roman. Il a vécu plusieurs mois de bonheur intense avec Edith mais ils viennent de se séparer et il en souffre. Petite précision qui ne manque pas de piquant, Edith dirige un commando des Forces spéciales ! Et justement, rescapée et blessée à la suite d’une mission, elle trouve refuge chez Luc, lui demandant de l’héberger et de la cacher. Bigre !
Oui, bigre ! Car depuis que Philippe Djian a décidé qu’il était temps d’écrire des bouquins avec une histoire, cette fois il s’est lâché. Les Forces spéciales avec des missions secrètes, une prise d’otages et tout le tralala, le Philou ne se sent plus. Bon, je vous rassure (ou je vous inquiète) nous sommes bien chez Philippe Djian, cet angle de son bouquin est complètement abracadabrant, inutile de vous précipiter dessus et venir ensuite geindre dans mon gilet que vous êtes déçus. Ajoutons une voisine érotomane qui lui colle aux basques et l’affaire est pliée quant au scénario. Mais ce n’est qu’une toile de fond, un décor sans plus.
Son propos reste le même depuis toujours, les rapports compliqués entre les hommes et les femmes, « Tu sais que moi, en tant qu’écrivain, les amours impossibles, c’est mon gagne-pain » alors il remet son ouvrage sur le métier dans chacun de ses livres. Je t’aime moi non plus, les portes claquent, la lingerie vient de chez Victoria Secret. La question que l’on est en droit de se poser, ce filon n’est-il pas tari ? Car même moi qui suis un fervent admirateur de l’écrivain je commence à me lasser…
Reste son écriture, légère et aérienne, sans gras superflu et ce je ne sais quoi qui fait son charme ; une sorte de second degré ou d’humour discret généré par l’exagération des situations afin de développer dans la bonne humeur son propos.
C’est court, ça se lit très vite, ce n’est pas désagréable. Point.
« Il payait cher la décision qu’il avait prise. Mettre fin. Certes, Edith avait un côté rigide pas toujours facile à vivre, mais il ne détestait pas ça, il s’en serait facilement accommodé. Sauf que ce n’était pas le but. Flanquer le feu aux poudres était le but. Rechercher la tension. Cela ne servait plus à rien d’en parler à présent. Il avait fait la seule chose qu’il y avait à faire. Il fallait savoir se couper un bras. La douleur était le gage d’être toujours en vie. (…) Provoquer l’orage. Faire tonner la foudre. Larguer Edith au moyen d’un Post-it était la meilleure façon de se la mettre à dos. Ca n’avait pas loupé. »
Philippe Djian Double Nelson Flammarion - 232 pages –
02/09/2021 | Lien permanent | Commentaires (2)
Philippe Djian : « OH… »
Philippe Djian est un romancier français né le 3 juin 1949 à Paris. Il est parfois présenté comme un héritier de la Beat Generation en France. Il est notamment l'auteur de 37°2 le matin qui lui apporta la popularité mais depuis son style et son inspiration ont beaucoup évolué.
Comme toujours dans les romans de Djian, ses héros vivent des histoires compliquées au possible, enchevêtrées, difficilement crédibles si on les examine dans le détail, mais l’auteur s’en fiche car il le répète à chaque interview, l’histoire n’a aucune importance, si on veut lire des histoires il suffit d’ouvrir le journal.
C’est à nouveau le cas avec ce nouveau roman. Michèle vient de se faire violer chez elle par un inconnu mais elle le garde pour elle et ne porte pas plainte. Elle vit séparée de Richard son mari depuis trois ans et leur fils Vincent vient de se mettre en ménage avec Josie, enceinte d’un dealer en prison. Sa mère Irène, soixante-quinze ans, va se fiancer avec un jeune gigolo et son père est en prison depuis trente ans après avoir massacré des enfants dans un club Mickey ! Michèle a une liaison avec Robert, le mari d’Anna sa meilleure amie avec laquelle elle a monté une boîte de production de films. Richard lui, se console dans les bras d’Hélène une standardiste qui pourrait être sa fille. Et puis il y a Patrick, un voisin de Michèle, bien entreprenant. Le roman se déroule durant la période de Noël. Voici en gros, les personnages du roman et leur situation.
Le bouquin se présente sous la forme d’un texte tout d’un bloc, sans chapitres, et Philippe Djian s’est glissé dans la peau de Michèle pour l’écrire à la première personne du singulier. Ce qui n’apporte rien de particulier, ni en bien ni mal, mais je ne vois pas une vraie femme écrire ce roman comme l’a fait l’auteur. Je pense en particulier à tout ce qui a trait au viol qui me semble relever des fantasmes masculins sur le sujet.
Ce qui frappe à la lecture, c’est la manière dont l’auteur révèle les évènements. Très lentement, par allusions puis au détour d’une phrase par l’énonciation du fait. Le viol et les crimes du père par exemple, ne sont clairement indiqués aux lecteurs qu’après de longues pages et par petites touches successives.
J’ai aussi été exaspéré par l’attitude des personnages, leurs réactions face aux évènements qui les touchent et qui ne peuvent que faire envenimer les choses, « Mais comment fais-tu pour te mettre dans de telles situations ? me demande-t-elle. Je suis sidérée ». Quant au personnage de Michèle, pauvre victime des premières pages du roman j’ai eu du mal à la suivre dans son évolution psychologique et sexuelle après qu’elle se retrouve à nouveau face à son violeur (ce que je vous laisse découvrir), mais je sais aussi que tout est possible, il suffit de lire les journaux comme dit Djian. En fait dans ce roman, peu de personnages sont sympathiques (aucuns ?). Tous se collettent avec la vie et font avec, chacun utilisant ses armes pour s’en sortir de son mieux mais jamais sans casse. Ce qui abonderait dans mon sens de voir la vie, à savoir qu’on n’a que ce qu’on mérite.
Alors pour conclure, paradoxalement après tout ce que je viens d’écrire, je pense que c’est l’un des meilleurs romans de l’auteur depuis bien longtemps. Même si l’histoire est outrée, mais elle n’est qu’un concentré de possibilités, et que Djian n’y attache pas d’importance, elle tient mieux la route que ses dernières productions. Mais ce qui est l’atout majeur du livre, c’est le style et l’écriture. Une écriture légère presque aérienne – surtout au vu du sujet – de laquelle se dégage un sentiment d’apaisement puissant. Quand le fond m’agaçait profondément, la forme me calmait aussi fortement. Un roman salé/sucré. Un (très) bon roman de Philippe Djian. Enfin.
« Non, je ne sais pas ce que je cherche au juste. Il fait froid, les jours ont raccourci. Je ne lis pas de bons scénarios. J’ai été violée. Je ne parle pas de mes relations avec mon mari et mon fils, je n’évoque même pas mes parents. Le pire est qu’il va falloir penser aux cadeaux. »
Philippe Djian « OH… » Gallimard
08/10/2012 | Lien permanent