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Rechercher : larmes blanches

Rachel Joyce : La lettre qui allait changer le destin d’Harold Fry arriva le mardi…

Joyce Livre 3229152359.jpgRachel Joyce qui vit en Angleterre a été durant plus de vingt ans scénariste et comédienne avant d’écrire ce premier roman qui vient de paraître. Je ne sais pas si La lettre qui allait changer le destin d’Harold Fry arriva le mardi… est le titre de roman le plus long de l’histoire de la littérature mais en tout cas il y entre par la grande porte, celle du talent.

Harold Fry reçoit une lettre bouleversante de Queenie Hennessy, une ancienne collègue de bureau, lui apprenant qu’elle est en phase terminale d’un cancer. Pendant que sa femme vaque au ménage, Harold écrit aussitôt un petit mot de réconfort et sort pour poster son courrier. Il ne reviendra pas chez lui, poussé par un élan irrésistible autant qu’irréfléchi, il part à pied rejoindre Queenie, du Sud de l’Angleterre àla frontière Ecossaise, 87 jours de marche pour 1000 kilomètres de distance, persuadé qu’elle aura la force de rester en vie jusqu’à son arrivée.

Pourtant Harold est loin d’être un aventurier, âgé de 65 ans et à la retraite aujourd’hui, il était casanier, menant une vie insipide. Un employé effacé voire inexistant. Sa vie de couple avec Maureen n’est plus qu’une histoire ancienne, après 47 ans de mariage ils ne se parlent plus et leur fils David ne vient plus les voir. Comment un personnage aussi falot peut-il se lancer dans une telle entreprise aussi contradictoire avec son caractère et la manière dont il a toujours vécu, c’est ce que Rachel Joyce réussit à nous faire comprendre et accepter.

Ce long voyage sera une catharsis non seulement pour Harold mais aussi pour Maureen. La marche est un exercice physique qui tend à libérer l’esprit et Harold va en faire l’expérience. Les souvenirs vont remonter des zones sombres de son esprit où ils étaient enfouis et oubliés. Chaque page va nous révéler un petit bout de la vie du modeste héros, chaque chapitre nous en dit un peu plus sur un passé qui s’avère plus troublant au fil de la lecture.

De son côté Maureen, abasourdie par la décision d’Harold et se retrouvant seule à la maison, prend conscience de ce qu’était devenue leur vie et elle aussi, à coup de souvenirs et de remords va tenter de recoller les morceaux du puzzle d’une vie où ils vécurent heureux jadis. Un couple en lambeaux, deux êtres qui n’ont même plus les mots pour se comprendre.

Tout est absolument remarquable dans cet ouvrage, chaque page est un plaisir de lecture car Harold durant son pèlerinage expiatoire va rencontrer des gens qui tous ont une histoire ordinaire mais émouvante ou bien un geste amical pour ce pauvre vieux vagabond. La construction du roman est magnifiquement aboutie, au fur et à mesure que l’on avance aux côtés d’Harold, parfois les larmes aux yeux, c’est son passé qu’on voit se reconstruire et l’épilogue nous livre la fresque dans sa totalité pour révéler la vérité totale sur Harold et Maureen et Queenie. 

Je pense que vous avez compris qu’il s’agit d’un superbe roman fait de gens ordinaires, d’amour et de mort, une leçon de vie magistrale qui fera un merveilleux film dans la veine de celui de David Lynch, Une Histoire vraie (1999) où un vieil homme de 73 ans en mauvaise santé se lançait dans une expédition sur sa tondeuse autoportée pour retrouver son frère qui venait d’avoir eu une attaque.

   

« - Pour quelle raison Queenie a-t-elle disparu ? – Je l’ignore. Des bruits ont couru. Mais c’était une période difficile pour Harold et moi. Il ne m’a jamais rien dit et je n’ai rien demandé. Nous sommes ainsi, Rex. Aujourd’hui, tout le monde déballe ses secrets les plus intimes. Quand je lis les magazines people chez le médecin, j’en ai le vertige. Mais pour nous, c’était différent. Une fois, nous nous sommes dit beaucoup de choses. Des choses que nous n’aurions pas dû dire. Au sujet de la disparition de Queenie, je n’avais pas envie de savoir. »

 

Joyce 1993711839.jpgRachel Joyce  La lettre qui allait changer le destin d’Harold Fry arriva le mardi…  Editions XO

 

 

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08/10/2012 | Lien permanent

Jonathan Franzen : Freedom

jonathan franzen, Jonathan Franzen né en 1959 dans l’Illinois, est un écrivain, romancier et essayiste américain. Né d'une mère américaine et d'un père suédois, il passe son enfance dans le Missouri mais fait ses études supérieures à Berlin. Il parle couramment l'allemand et est également traducteur. Il vit actuellement à New York. Il connaît un succès phénoménal avec Les Corrections, livre couronné d’un National Book Award en 2001. Son roman Freedom est paru en 2010.

Patty, ancienne joueuse de basketball de haut niveau ayant abandonné le sport sur blessure, a épousé Walter, un juriste adhérent à la cause écologique pour la protection de l’environnement. Ils ont deux enfants, la fille aînée Jessica est plutôt indépendante alors que Joey, longtemps couvé par sa mère, lors de sa crise adolescente quitte le foyer familial pour aller vivre chez les voisins. Richard est un ami du couple de longue date, à l’université il était colocataire de Walter. Lui, sa vie c’est la musique, guitariste dans un groupe punk.

Patty devenue femme au foyer, son mari Walter ayant un job respectable, tout semblerait aller pour le mieux jusqu’à ce que le troisième larron Richard, plus rock and roll et plus libre de ses mouvements, ne revienne donner de ses nouvelles. Inévitablement se pose pour Patty la question existentielle, ai-je fait le bon choix en épousant Walter ou bien aurais-je dû suivre Richard quand nous étions plus jeunes ? La raison contre la passion, éternel dilemme.

Voici résumé, au moins une partie du roman, car fait exceptionnel que je suis obligé de mentionner, je n’ai pas réussi à aller jusqu’au bout de ce gros pavé de près de huit cents pages (version poche). Ca ne m’arrive pour ainsi dire jamais, mais là j’ai calé à presque trois cents pages.

Qu’on soit bien d’accord, je suis certain que le roman est bon. Jonathan Franzen m’a tout l’air diablement habile à faire vivre tous ces personnages et ces évènements dans une sorte de Comédie Humaine de l’Amérique des années 2000. Son exploration en profondeur des sentiments, la manière dont il décortique ces vies – presque banales - qu’il nous livre comme témoignages d’une époque, tout cela est remarquable.

Et pourtant je n’ai pas tenu la distance. Le bouquin est très long (en pages) mais aussi très dense, fait de longues phrases et de très longs chapitres qui mettent le lecteur (moi, en l’occurrence) en mauvaise posture, comme si vous étiez avec un bavard impénitent qui enchaîne phrases et idées les unes aux autres, quasiment sans reprendre son souffle – et donc le vôtre. On étouffe devant cette logorrhée, on manque d’air. Comme de plus le récit n’est pas linéaire avec en intercalaire dans le texte des extraits de l’autobiographie de Patty, il faut s’accrocher devant ce tsunami littéraire. L’abandon m’a paru la seule issue possible.

Nous avons donc un roman qui n’est certainement pas mauvais, peut-être excellent même, si j’en crois la critique professionnelle, mais au-dessus de mes forces pour ma part.  

 

« Elle eut de terribles disputes avec Walter durant lesquelles il lui reprochait d’avoir rendu Joey ingérable et elle était incapable de se défendre vraiment, parce qu’elle ne s’autorisait pas à exprimer la conviction malsaine qu’elle avait dans le cœur, à savoir que Walter avait détruit son amitié avec son fils. En dormant dans le même lit qu’elle, en étant son mari, Walter avait fait croire à Joey que Patty était dans le camp ennemi. Elle haïssait Walter pour ça, elle regrettait son mariage, et maintenant Joey avait quitté la maison pour aller s’installer chez les Monaghan et faisait verser à chacun des larmes amères pour leurs erreurs. »

 

 

jonathan franzen, Jonathan Franzen  Freedom  Points

 

 

 

 

 

 

 

 

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20/01/2013 | Lien permanent

Mary Costello : Academy Street

Mary costello, Originaire de Galway, Mary Costello vit à Dublin. Elle est l'auteur d'un recueil de nouvelles largement acclamé par la critique anglophone. Academy Street, son premier roman, est paru récemment.

Nous sommes en Irlande dans les années 40, dans le vaste domaine familial d’Easterfield et Tess a sept ans lorsque sa mère meurt de la tuberculose. De ses études d’infirmière à son départ pour New York à l’invitation de sa sœur Claire jusqu’aux dernières années de sa vie, nous suivons cette enfant puis cette femme dans son parcours à travers la vie.

Les plus belles histoires sont souvent des histoires tristes, Academy Street nous conte une belle histoire. Vous connaissez la formule, « une fois le livre refermé vous n’oublierez pas le portrait de cette femme », je crois qu’il s’applique avec justesse à ce roman.

Il y a des êtres qui semblent condamnés d’avance à porter une croix toute leur existence, comme cette Tess dont la perte de sa mère va la plonger dans une solitude silencieuse qui la marquera à jamais. Toujours en marge des autres, confinée dans sa bulle intérieure qui la condamne à une solitude virtuelle dans un premier temps, puis bien réelle quand sa sœur aînée et adorée Claire partira pour l’Amérique, « La sensation de proximité qu’elle éprouvait envers ses frères et sœurs, ce lien si fort, elle ne l’avait avec personne d’autre ». Quand à son tour elle rejoindra New York, une vie nouvelle sur un autre continent plein de promesses devrait être signe d’espoir mais le sillon était tout tracé, manque de confiance en soi, dévalorisation d’elle-même, timidité, « Jamais de toute sa vie elle n’avait vraiment su quoi faire, comment agir », elle ne peut se lier avec personne, les hommes l’indiffèrent et donc ils l’ignorent et quand l’un d’eux, David, semblera combler ses vœux, il l’abandonnera en lui laissant un souvenir cuisant en son sein, d’où d’autres tourments.   

La pauvre Tess nous file un peu le bourdon, les décès familiaux s’enchaînent, ses souffrances psychologiques s’accumulent, sa profonde solitude et son manque d’amour, nous attristent d’autant plus qu’en tant que lecteur nous ne pouvons rien y faire, seule Mary Costello…. Mais ce serait un autre roman, or pourquoi en faire un autre puisque celui-ci est très bon.

Le texte est fait de phrases très courtes le plus souvent, presque brutalement jetées sur le papier, très sobre. Et cette sobriété, contre toute attente, amplifie l’émotion qui étreint le lecteur durant tout le roman. Le temps s’écoule en Amérique et l’auteure le signifie discrètement, un mot ou une demie phrase, mais nous comprenons que Kennedy vient d’être assassiné, qu’il y a le Vietnam ou plus tard l’effondrement des tours.

Un très beau roman, très émouvant ou poignant parfois, sans effets ostentatoires pour vous tirer la larme, s’accordant parfaitement avec la saison automnale et humide, et Billie Holiday en sourdine.

 

« Ce n’était pas des réponses ou des consolations qu’elle trouvait dans les romans, mais un degré d’empathie qu’elle n’avait croisé nulle part ailleurs et qui atténuait sa solitude. Ou qui la renforçait, comme si une partie d’elle-même – son côté ermite – se trouvait à portée de main, attendant d’être incarnée. La pensée qu’à une époque lointaine, une personne – un étranger qui écrivait à son bureau – avait su ce qu’elle savait, ressenti ce qu’elle ressentait dans son cœur plein de vie, lui donnait confiance et force. Il est comme moi, se disait-elle. Il partage mes sensations. »

 

 

Mary costello, Mary Costello  Academy Street  Editions du Seuil – 187 pages –

Traduit de l’anglais (Irlande) par Madeleine Nasalik

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Philip Roth : Un homme

philip rothPhilip Roth est né le 19 mars 1933 à Newark, dans le New Jersey, son œuvre couronnée de multiple prix en fait l’un des plus grands écrivains américains contemporains. Aujourd’hui il vit dans le Connecticut et en octobre 2012 il a déclaré à la presse qu’il arrêtait d’écrire. Un homme est paru en 2007.

Un titre impersonnel pour un roman dont le héros n’a pas de nom mais dont nous saurons tout. Il a été directeur artistique dans la pub avec succès, marié trois fois mais trois échecs, de sa première épouse il a deux fils qui l’ignorent, de la seconde, une fille Nancy qui l’adore, la troisième est une jeunette, mannequin sans cervelle. Aujourd’hui on l’enterre, arrivé au terme d’une vie qui s’est achevée sur une table d’opération. Flashback.

De l’enfance auprès de ses parents, son père est bijoutier et d’un frère aîné Howie, en passant par ses diverses situations matrimoniales et ses écarts de conduite, jusqu’à sa retraite professionnelle lui laissant du temps libre pour s’adonner à la peinture, nous suivons le parcours d’un homme marqué par la maladie. Philip Roth nous les détaille à loisir, de la péritonite en 1967 au quintuple pontage coronarien une vingtaine d’années plus tard, ou bien l’opération de l’artère carotide, l’insertion du stent rénal et j’en passe, le sort s’acharne sur notre homme de manière inexplicable, le poussant à détester son frangin qui lui bénéficie d’une santé de fer, « il détestait Howie parce qu’il ne savait pas ce que c’était que l’hôpital, parce que la maladie lui était inconnue ».

Un corps de moins en moins fiable, des décès autour de lui, parents ou amis, « il » ne sait plus trop à quoi se raccrocher, n’ayant même pas le secours de la religion, « ce n’était pas lui qui serait dupe de ces balivernes sur la mort et sur Dieu, ou de ces fantasmes de paradis d’un autre âge. » Parvenu à un certain âge, comme on dit, la désillusion est cruelle, l’obligeant à faire « le constat humiliant que physiquement – entre autres – il s’était rabougri pour devenir cet homme qu’il ne voulait pas être… »

Roman sur la maladie, la peur de la vieillesse et la mort, on ne peut s’interdire de penser qu’il y a beaucoup de l’écrivain caché derrière l’anonymat de son héros. Quand le bouquin paraît, Philip Roth a soixante-quatorze ans et lui-même a connu de nombreux aléas de santé dans sa vie, une grave dépression après une opération chirurgicale, un quintuple pontage coronarien, une autre dépression imputable à un médicament coupable après une opération du genou pas très réussie, bref, l’écrivain sait de quoi il parle quand il évoque la dégradation physique et son corollaire, la peur de perdre la maîtrise de soi.

Un sujet grave et fort qui nous concerne tous, pourtant malgré tout le respect que je porte à Philip Roth, je suis resté assez indifférent à cette affaire. Peut-être est-ce dû à l’approche clinique, l’analyse froide, ici rien n’est amusant (évidemment) ni assez dramatique dans la mise en scène pour m’émouvoir à la simple lecture du texte. Un roman plutôt moyen pour mon goût.

 

« Lors de cette intervention, Nancy l’avait accompagné, une fois de plus ; quand il remonta dans sa chambre, et ouvrit la tunique d’hôpital pour lui montrer la bosse du pacemaker sous la peau, elle dut détourner la tête. « C’est pour me protéger, ma chérie, il ne faut pas que ça te perturbe – Je sais bien que c’est pour te protéger, et je suis contente que cet appareil existe, mais ça fait un choc, parce que… », elle en avait trop dit pour s’en sortir par un pieux mensonge, « tu as toujours fait tellement jeune ! – Mais je suis plus jeune avec que sans. Maintenant je vais pouvoir faire tout ce que j’aime, et sans avoir peur que mon arythmie ne me mette en danger. » Mais elle demeura toute pâle, désemparée, incapable d’endiguer les larmes qui lui inondaient le visage. »  

 

 

philip rothPhilip Roth   Un homme  Gallimard – 153 pages –

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun

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Jake Hinkson : L’Enfer de Church Street

jake hinksonJake Hinkson est né en 1975 dans l’Arkansas, d’un père charpentier et diacre dans une église évangélique et d’une mère secrétaire dans une église. L’un de ses deux frères est pasteur. Dans sa jeunesse il se passionne vite pour la lecture de polars (Mickey Spillane, Hammett, Chandler, Jim Thomson). « Les deux obsessions de mes jeunes années – la religion et le crime – m’habitent encore aujourd’hui » aime-t-il à dire. Aujourd’hui, il vit à Chicago avec sa femme et écrit des articles sur le cinéma pour des magazines. Après un recueil de nouvelles encore inédit chez nous, L’Enfer de Church Street, son premier roman, vient de paraitre en France. 

Geoffrey Webb se fait braquer sur un parking mais contre toute attente, il n’a absolument pas peur de l’arme pointée sur lui et même, il prévient son agresseur qu’il ne se laissera pas dépouiller, par contre il lui propose un deal. Prendre les trois milles dollars contenus dans son portefeuille à condition de l’emmener à Little Rock en Arkansas, à plusieurs heures de route de là, pour y accomplir son destin. Ce trajet sera l’occasion pour lui de confesser ses fautes et ses crimes, bien qu’il sache « qu’il n’y a pas de pardon ni de bienveillance qui puisse changer ce que j’ai fait. »

Une petite ville au cœur de l’Amérique. Geoffrey Webb, aumônier de l’Eglise baptiste pour une vie meilleure dirigée par Frère Card, tombe amoureux d’Angela, sa fille mineure, « sans attrait, grosse ». A partir de là, les ennuis vont s’enchaîner mécaniquement, aux chantages vont répondre les meurtres et comme le shérif est loin d’être un saint…  

Autant le dire franchement, j’ai été un peu déçu par ce roman. Son titre et son éditeur, m’avaient laissé imaginer un bouquin très noir, or ce n’est pas ce que j’en retiens et c’est aussi en cela que je suis passé à côté de ce roman. Jamais je ne me suis impliqué émotionnellement dans cette histoire, jamais je n’ai tremblé pour le sort réservé à tel ou tel acteur de ce drame. J’ai suivi l’histoire sans m’ennuyer, certes, mais sans impatience ou curiosité excessive quant à son dénouement. En fait, j’ai été pris à contrepied par le ton général de l’ouvrage. Jake Hinkson ne force pas sur le trait noir, même si les éléments dramatiques d’un point de vue factuel, sont nombreux j’en conviens ; il y a au contraire, me semble-t-il, quelque chose d’humoristique ( ?) dissimulé dans le ton de son écriture. J’en veux pour preuve, cette scène où la vieille mère du shérif décédé vient voir et menacer Geoffrey Webb à l’hôpital, ça fait un peu Pieds Nicklés !

Le roman n’est pas mauvais, loin de là, je l’ai lu sans m’ennuyer mais il n’est pas indispensable non plus. Et il est toujours instructif de voir comment un scénario unique aurait pu être traité par un autre écrivain : ici il est léger, ailleurs il aurait été sordide et insoutenable. Une simple constatation, sans jugement de valeur.

 

« Il vira brusquement sur le côté et arrêta son pick-up. Je fus projeté violemment vers l’avant et me cognai la tête contre le pare-brise. Le temps que je retrouve mon équilibre, il avait dégainé son révolver et le pointait sur ma bouche. Je me plaquai contre la portière et plantai mes ongles dans la garniture du siège. Dans la lumière émise par le tableau de bord, son visage avait pris une vilaine teinte orange : - Rapidement, une petite séance de clarification. T’es une sale crapule, je te tiens. Et tu es à mes ordres. Tu joues les durs avec moi, ou tu me balades, et je saute l’étape prison, tu files direct en enfer. Je te mets une balle dans le crâne et je te planque sous un caillou dans les bois. – OK, fis-je d’une voix plaintive. – Tu me crois maintenant ? – Oui, monsieur. S’il vous plaît, dites-moi juste ce que vous voulez. »

 

 

jake hinksonJake Hinkson  L’Enfer de Church Street  Gallmeister Neo Noir – 236 pages –

Traduit de l’américain par Sophie Aslanides

 

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13/05/2015 | Lien permanent

Boualem Sansal : 2084 La fin du monde

Boualem Sansal, Boualem Sansal, né en 1949 dans un petit village des monts de l’Ouarsenis, est un écrivain algérien d'expression française, principalement romancier mais aussi essayiste, censuré dans son pays d'origine à cause de sa position très critique envers le pouvoir en place. Il habite néanmoins toujours en Algérie, considérant que son pays a besoin des artistes pour ouvrir la voie à la paix et à la démocratie. Ses ouvrages, en France et en Allemagne particulièrement, ont reçu de nombreux prix. Son dernier roman, 2084 La fin du monde, vient de paraître.

L’Abistan est un immense empire, au cœur d’un désert, dont le système politique – en fait une dictature religieuse - est fondé sur l’amnésie et la soumission à un dieu unique. Toute pensée personnelle est interdite et un système de surveillance pointu permet de connaître les idées et les actes déviants. Officiellement, la population vit dans un bonheur serein. Un homme pourtant va s’interroger. Ati, le héros de ce roman, revenu dans la capitale après deux ans d’absence, exilé au loin pour soigner une tuberculose, a rencontré lors de son périlleux voyage, Nas, un ethnologue qui vient de découvrir un village antique parfaitement intact mais qui risque de remettre en cause les fondements de la religion dominante…

Le titre du roman n’est pas un clin d’œil discret à celui de George Orwell (1984) mais une référence carrément assumée et complétée par différents éléments éparpillés dans le texte. Ici aussi nous avons, dans un avenir pas si lointain, une utopie qui vire au cauchemar. Boualem Sansal entend ainsi mettre en garde le lecteur en montrant les conséquences néfastes d’une idéologie ou d’une pratique religieuse radicale présente à notre époque. Pas une seule fois dans ce roman, vous ne lirez les termes : Coran, Allah et Mahomet son prophète, pourtant ils sont là partout présents mais sous d’autres noms, Gkabul, « Yölah le tout-puissant et Abi son Délégué ».

L’intrigue est assez complexe à suivre si on s’attache aux détails mais dans ses grandes lignes disons qu’Ati, poussé par une saine curiosité intellectuelle qui l’amène à penser qu’il y aurait une autre vie, hors des règles et des lois en vigueur en Abistan, va se retrouver impliqué dans une conspiration entre membres de l’élite gouvernante.

Le roman est magnifique, répondant parfaitement aux critères qualifiant un bon livre pour Bernard Pivot (notre maître à tous) que je cite approximativement de mémoire, « Une histoire, une écriture, une ambition ». J’ai rapidement évoqué le scénario, je ne manquerai pas de signaler la qualité de l’écriture qui joue sur une contradiction, une « douceur » dans la narration qui pourtant nous peint un monde épouvantable. Des mots choisis, un rythme empreint d’une certaine langueur, une écriture particulièrement travaillée qui s’accommodera assez mal d’une lecture dans le métro ou de ruptures trop fréquentes. Quant à l’ambition, elle n’est pas mince, puisqu’il s’agit de dénoncer les dérives et l’hypocrisie du radicalisme religieux qui menace les démocraties. Je ne vous fais pas un dessin.

Roman ou pamphlet, on y trouvera aussi une réflexion sur le lien croyant/croyance « Le croyant doit continûment être maintenu en ce point où la soumission et la révolte sont dans un rapport amoureux » et sur la religion, « la religion s’appauvrit et perd de sa virulence si rien ne vient la malmener. » Enfin j’ai adoré cette idée romanesque d’un musée du XXème siècle qu’Ati aura l’occasion de visiter et vous avec lui, ce que je souhaite.  

 

« Il découvrit aussi, perçues par tous très tôt, mais minimisées, relativisées par lourdeur, peur, calcul, porosité de l’air ou simplement parce que les alerteurs manquaient d’acuité et de voix, les prémices de ce que serait le monde avant peu, si rien n’était fait pour remettre les choses à l’endroit. Il avait vu arriver 2084, et suivre les Guerres saintes et les holocaustes nucléaires ; plus fort, il vit naître l’arme absolue qu’il n’est besoin ni d’acheter ni se fabriquer, l’embrasement de peuples entiers chargés d’une violence d’épouvante. Tout était visible de chez prévisible mais ceux qui disaient « Jamais ça » et ceux qui répétaient « Plus jamais ça » n’étaient pas entendus. Comme en 14, comme en 39, comme en 2014, 2022 et 2050, c’était reparti. Cette fois, en 2084, c’était la bonne. L’ancien monde avait cessé d’exister et le nouveau, l’Abistan, ouvrait son règne éternel sur la planète. »

 

 

Boualem Sansal, Boualem Sansal  2084 La fin du monde  Gallimard  - 274 pages –

 

 

 

 

 

 

 

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Batya Gour : Meurtre en direct

Batya Gour, Batya Gour, née Batya Mann (1947- 2005), est une écrivaine israélienne, spécialisée dans le roman policier. Batya Gour enseigna la littérature dans un lycée, puis à l'Université hébraïque de Jérusalem, où elle avait fait ses études. Elle collabora également, en tant que critique littéraire, au quotidien israélien Haaretz. Ce n’est qu’en 1988 qu’elle publiera Le Meurtre du samedi matin, un premier roman policier qui met en scène son héros récurrent, le commissaire Michaël Ohayon, « directeur des affaires criminelle de Jérusalem ». Michaël Ohayon qui reviendra dans cinq autres titres, dont ce Meurtre en direct, dernier de la série, paru initialement en 2006 et tout juste réédité. 

« Qui tue sur les plateaux de la première chaîne de télévision israélienne? Après la décoratrice retrouvée le crâne fracassé par une colonne de marbre du décor, c’est au tour du producteur exécutif d’être assassiné dans d’étranges circonstances. Le commissaire Michaël Ohayon a bien du mal à démêler le vrai du faux dans cet univers où l’éclat des projecteurs dissimule souvent de vastes parts d’ombre… »

Aïe ! Aïe ! Aïe ! Comment parler de ce bouquin dont je ne sais toujours pas s’il est magnifique ou très moyen ? Trois fois j’en ai abandonné la lecture en cours de route, mais trois fois pourtant, je l’ai repris et finalement terminé. Pourtant, jamais je n’ai eu l’idée de le délaisser définitivement car j’avais en main un roman écrit par un véritable écrivain, c’était indéniable.

Le problème, le seul, avec ce roman, c’est qu’il est beaucoup trop long. Au moins deux cents pages de trop ! Le texte est très dense, ça parle de beaucoup de choses très détaillée, si le premier meurtre arrive vite, on cherche l’enquête dans cet épais roman roboratif. Mais il est bien écrit, je le répète. Il faudra attendre les cents dernières pages pour que l’intrigue prenne un tour carrément « polar » d’un bon niveau et l’épilogue est de toute beauté, car posant la question de la rédemption : une faute aussi lourde et dramatique soit-elle, commise vingt-cinq ans plus tôt, peut-elle être expiée par une vie exemplaire menée depuis ? Et cette question se pose-t-elle avec plus d’acuité quand on est Juif et qu’on a connu la Shoah ? « Le problème est qu’en tant que Juifs, nous voulions être irréprochables… et il apparaît que nous sommes comme les autres. »

Beaucoup de bonnes choses dans ce roman qui sous couvert de polar, nous plonge dans une société Israélienne prise dans ses tourments religieux et sociaux. S’il n’était pas si long, pour mon goût, je l’aurais déclaré excellent… mais là, tel quel, je ne sais plus.

 

« Pas plus que n’importe qui, il n’était vacciné contre le spectacle qui s’offrit à ses yeux dans le bureau de Tsadik. Et cela, non seulement en raison du visage broyé – « pas besoin de se presser le citron pour découvrir l’arme du crime, hein ? » avait dit le médecin légiste avec une pointe de satisfaction dans la voix en désignant la perceuse qui baignait dans une flaque de sang avec le bleu de travail – et de l’expression de surprise figée autour de la bouche, du corps qui avait glissé par terre du fauteuil en cuir placé derrière son bureau, mais surtout à cause de tout ce sang qui donnait à la pièce l’aspect d’un abattoir. »

 

Batya Gour, Batya Gour  Meurtre en direct  Folio policier – 526 pages –

Traduit de l’hébreu par Emmanuel Moses

 

 

 

 

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Chahdortt Djavann : Big Daddy

Chahdortt DjavannChahdortt Djavann, née en 1967 en Iran, est une romancière et essayiste de langue française et de nationalité française. Après la Révolution islamiste iranienne, elle est forcée d'arrêter de lire de grands auteurs français pour étudier le Coran et elle est voilée de force. À 13 ans, elle est incarcérée trois semaines pour avoir manifesté contre le régime. Elle arrive en France en 1993 sans être francophone. Elle fait l’auto-apprentissage du français, des petits boulots, une tentative de suicide puis débute des études universitaires en psychologie et en anthropologie. Après une maîtrise et un DEA, elle prépare une thèse de doctorat, qu’elle ne termine pas, sur la création littéraire dans la langue de l'autre en travaillant sur les œuvres de Cioran, Ionesco et Beckett. Elle se lance alors dans l’écriture et son premier roman parait en 2002. Son dernier ouvrage, Big Daddy, vient de paraître.

Une petite ville des Etats-Unis. Rody, un jeune latino de treize ans est condamné à perpétuité pour le meurtre de trois gangsters. Nikki Hamilton, son avocate, démissionne après sa condamnation mais continue à s’intéresser à son cas et lui rend visite en prison, lui apprenant à lire et écrire. Pour mettre en pratique ses nouvelles connaissances, elle lui propose d’écrire un bouquin qu’elle retranscrirait et où il raconterait son histoire. Le gamin accepte, à condition qu’elle-même en fasse autant. De cette collaboration inattendue va naître un bouquin unique, fait des portraits croisés de Rody, le gosse du caniveau, et de Nikki, issue d’une famille aisée d’origine iranienne mais non exempte de problèmes. On y fera la connaissance de Big Daddy, le caïd qui prendra Rody sous son aile, l’élevant comme son fils, lui enseignant la vie avec pragmatisme et bon sens simple mais dans sa vision du monde et sa logique discutable… L’intrigue ne s’arrête pas là, le dernier tiers du roman embraye sur une seconde partie faite de réouverture du procès avec enjeu électoral et médiatisation de l’affaire, entrée en lice d’un serial killer et épilogue noir.

Les chapitres courts alternent, les voix se renvoient la note. L’écriture est entrainante, le ton reste léger même quand il est question de crimes atroces, l’humour perce aussi : « La qualité essentielle d’un macchabée, c’est son infinie patience. »

Le roman effleure quelques sujets sociétaux, comme on dit, les problèmes raciaux, la délinquance et le crime organisé, la prison, mais aussi la politique, les médias, l’édition… J’ai lu quelque part que la psychologie était un point fort de l’auteure, ça ne m’a pas du tout frappé, j’ai même trouvé un peu lourdingues quelques pages de la dernière partie du bouquin. Et cette Amérique n’échappe pas aux clichés. Mais basta ! Le roman est largement assez bon pour qu’on s’y plonge, servi par une écriture enlevée et un gentil suspense final.

 

« En vingt ans de carrière, j’ai écouté les craques de petits, moyens et grands délinquants – parfois des simples camés, camés et criminels, camées et prostituées pour les filles -, assis devant des bureaux métalliques, dans des pièces mal ventilées. Des craques à partir desquelles je devais bâtir une ligne de défense à laquelle je ne croyais pas moi-même. J’ai travaillé sans foi, sans conviction, sans moyen. Comment les défendre lorsque tout et tout le monde plaident contre eux ? Je remplissais mon rôle dans cette interminable course à l’arrestation et à l’emprisonnement. L’homicide involontaire était la seule ligne de défense plausible. « La balle est partie toute seule », c’est la phrase de tout tueur qui débute, au point qu’on pourrait plaider pour la culpabilité de l’arme et non de l’assassin. »

 

Chahdortt DjavannChahdortt Djavann  Big Daddy   Grasset – 285 pages –

 

 

 

 

 

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08/04/2015 | Lien permanent

Liu Qingbang : Cataclysme

Liu QingbangNouvelliste et romancier Liu Qingbang est né en 1951 dans le Henan, province pauvre du centre de la Chine. A 16 ans, il quitte le collège pour devenir paysan, puis mineur. Après des années passées au fond d’un puits, il travaille pendant huit ans comme journaliste au Département de la Propagande de la mine. Il est ensuite envoyé à Pékin pour collaborer au Journal des ouvriers des mines de Chine. Parallèlement et depuis 1972, il écrit et l’un de ses textes (Le Puits) a été adapté au cinéma sous le titre Blind Shaft, couronné de plusieurs prix internationaux, dont un Ours d’argent au festival de Berlin.

Cataclysme, édité en 2011, est un recueil de trois nouvelles, Nouvel An à la mine, Cataclysme et Automnale, parues dans des revues chinoises en 2006 et 2007.

Nouvel An à la mine, est la courte tranche de vie d’un jeune couple avec enfant, dont le mari travaille à la mine à plusieurs centaines de kilomètres du village où ils habitent. La femme prépare le repas de fête dans l’attente du retour de son époux, lequel lui apprend qu’il n’a pas obtenu de permission pour rentrer. Bien décidée à partager la Fête du Printemps avec sa petite famille au complet, la femme et l’enfant partent rejoindre l’homme sur son lieu de travail. Cataclysme, évoque un monstrueux ouragan tropical causant une énorme inondation qui oblige un village entier à déguerpir provisoirement. Seuls, deux hommes restent pour surveiller les silos à grains, réfugiés dans les hautes branches d’un arbre. Enfin, Automnale, désopilante histoire d’un pochetron disparu dans la nuit et recherché par sa femme, est-il coincé dans les latrines, s’est-il noyé dans la rivière ou bien est-il chez la coiffeuse du village, une drôlesse qui propose à ses clients masculins, quand la boutique est vide, « une mise en plis, (…) lui rouler le bigoudi » ?

Un bien joli petit recueil de textes traitant des gens simples, à la mine (on sent bien le vécu grâce à l’expérience de l’écrivain) ou à la campagne. C’est exotique, que ce soient les rites des fêtes et les traditions gastronomiques mais aussi les mentalités, quand approche l’inondation il est logique d’abandonner les faibles et les grabataires sur place. Si la troisième nouvelle est un peu à part, très drôle avec un ton grivois ou légèrement vulgaire pour coller au parler des acteurs ruraux très bas de gamme, les deux autres sont délicatement écrites mais toutes, pleine d’empathie pour leurs personnages. On imagine que tous ces gens ne sont pas bien riches mais jamais cela ne transpire dans la lecture, ce n’est pas du Zola. La notion de chagrin n’est jamais exprimée ou montrée, ni pour celle qui repêchera son mari noyé, ni pour l’un des hommes resté au village à surveiller les silos, « A vrai dire, d’ailleurs, il n’en éprouvait pas de chagrin, n’arrivait même pas à pleurer, ce grand coup de massue du déluge le laissait assommé. » 

J’ai lu quelque part à propos de Liu  Qingbang, « Il considère qu’une nouvelle réussie doit laisser le lecteur l’esprit absent, les idées en suspens ; contrairement à ceux qui considèrent qu’il faut « saisir » le lecteur, il pense plutôt qu’il faut le laisser à ses pensées, pour qu’il lui reste ensuite comme un arrière-goût, un effluve discret qui persiste longtemps après la fin de la lecture. » Si on s’en réfère à ces critères, ce recueil est parfaitement réussi.

 

« Moins chanceuse que l’aveugle fut une jeune femme du village : elle souffrait d’une maladie incurable, n’en avait plus pour bien longtemps, aussi son mari jugea-t-il peu raisonnable de la transporter. Informée de la décision de son époux, l’intéressée n’émit pas un mot de plainte : à ses yeux, toute vie, si longue qu’elle fût, devait se terminer par la mort, un peu plus tôt, un peu plus tard, peu importait le moment ! Cependant, elle exprima avec force une ultime volonté : qu’on ne la laisse point enfermée dans la maison mais seulement qu’on lui fasse son lit dehors afin qu’elle soit aux premières loges quand l’inondation arriverait, qu’elle en juge de ses propres yeux. (…) Elle n’eut pas une larme mais, avec la dernière énergie d’un ultime sourire, elle exhorta mari et gosses à ficher le camp : « Partez vite ! Vous faites pas de souci pour moi… » [Cataclysme]

 

 

Liu QingbangLiu Qingbang  Cataclysme   Gallimard Bleu de Chine  - 105 pages –

Traduit du chinois par Françoise Naour

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Bruce Holbert : L’Heure de plomb

bruce holbertL’écrivain américain Bruce Holbert, né en 1959 dans l'Etat de Washington est diplômé de l'Université de l’Iowa où il enseigne aujourd'hui. Après un premier roman remarqué en 2013, Animaux solitaires, son second ouvrage, L’Heure de plomb, vient de paraître.

« Durant l’hiver 1918, l’Etat de Washington connaît l’un des pires blizzards de l’histoire du pays. Perdus dans la neige, des jumeaux de quatorze ans, Luke et Matt Lawson, sont recueillis in extremis par une femme qui tente de les ranimer à la chaleur de son corps. Seul Matt reprend vie. Le lendemain, le voilà devenu un homme, trop tôt et malgré lui. Car le désastre l’a également privé de son père, le laissant à la tête du ranch familial. »

J’attendais ce second roman de Bruce Holbert avec impatience tant le premier, Animaux solitaires, m’avait impressionné. Dès les premières pages, la qualité de l’écriture est évidente et je me préparais à un sacré moment de lecture qui hélas, tournera court.

Le roman est une sorte de saga couvrant toute la vie de Matt autour duquel vont graviter de nombreux acteurs, Linda l’institutrice, Lucky son fils, Wendy l’amour de Matt, Garrett et Jarms, ou d’autres encore que les années séparent et/ou réunissent. Jamais je n’ai réussi à m’intéresser à ces gens car sans cesse j’étais dans l’attente de « quelque chose » qui n’est jamais venu. Globalement il ne se passe rien dans ce roman ; certes il y a des scènes dures mais courtes, assez évocatrices pour qu’on n’en réclame pas plus (un accouchement assez spécial, la mort d’un cheval…) mais il y en a aussi d’incongrues et même de parfaitement ridicules (« Lucky baissa la fermeture à glissière de sa braguette et déposa sa quéquette dans le verre. ») qui m’ont gêné pour l’écrivain. Comment peut-on écrire de telles âneries et surtout que viennent-elles apporter au récit ? Toutes ces situations semblent un peu forcées, plaquées sur le texte pour ne pas faire fuir les lecteurs n’aimant pas les romans psychologiques – car il s’agit d’un roman psychologique ; le hic, c’est que justement, la psychologie des personnages, m’a paru dans l’ensemble peu crédible ou bien tarabiscotée.

Un roman bien écrit techniquement parlant, mais une histoire – qu’à la limite je n’ai pas bien comprise car vraiment trop alambiquée – et dont je n’ai pas saisi le sens profond. A un moment, Wendy déclare à propos de Matt, « Il y a des choses qu’il n’a pas envie de dire et il semblerait qu’elles soient plus nombreuses que celles qu’il veut bien dire. » Un peu le résumé de ce livre, plein de trucs sans intérêt qui cachent ce qui en aurait.

Très grosse déception.

   

« Dans le soleil couchant, des larmes se mirent à briller sur le visage du garçon, suivies de profonds sanglots qui effrayèrent Wendy car elle se demanda s’il allait pouvoir reprendre sa respiration. La poitrine de Matt était secouée de spasmes et il ne pouvait pas parler. Elle reposa les mains sur celles du garçon, peut-être parce qu’elle avait vu ou senti sa mère faire ce geste un jour, peut-être sans autre raison que la beauté de l’instinct que même les animaux les plus féroces sont susceptibles de s’accorder les uns aux autres, ou peut-être parce que quelque chose en lui éveillait la même chose en elle. Elle prit la tête de Matt entre ses mains et la garda, puis elle s’approcha de lui, si près qu’il ne pouvait plus rien voir d’autre que son visage. – Je suis fatigué de chercher. »

 

 

bruce holbertBruce Holbert  L’Heure de plomb  Gallmeister – 373 pages –

Traduit de l’américain par François Happe

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19/09/2016 | Lien permanent

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