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Rechercher : les marches de l'amérique

Donald Ray Pollock : Knockemstiff

Pollock Livre.jpgDonald Ray Pollock, né en 1954 à Knockemstiff (Ohio) est un écrivain américain. Après avoir travaillé dans une usine de pâte à papier pendant 32 ans en tant qu'ouvrier et conducteur de camions, à 50 ans, il s'inscrit à des cours d'écriture créative à l'Université d'État de l'Ohio.

 Après avoir lu Le Diable, tout le temps j’ai poursuivi ma découverte de l’univers de l’écrivain avec ce Knockemstiff, son premier ouvrage, paru chez nous en 2010 et qui vient tout juste de ressortir chez Libretto.

Recueil de dix-huit nouvelles, qui toutes ont pour cadre Knockemstiff, un bled de l’Ohio. Vu qu’il s’agit de la ville natale de l’auteur, on peut être quasi certain que les lieux tels qu’ils sont peints correspondent à la réalité ou s’en approchent fortement et que les personnages au cœur de ces textes, ressemblent à des gens que Pollock a connus. Et tout cela n’est pas bien beau, c’est le moins que l’on puisse en dire. Le bled ressemble au trou-du-cul du monde, dans tous les sens où cette comparaison puisse être prise et ses habitants, les héros des nouvelles de Pollock, une brochette de demeurés salement amochés par la vie.

Jeune déserteur qui viole une petite fille, mère d’un gamin qui fantasme sur les serial-killers et demande à son fils d’en jouer le rôle, la nièce qui aide sa tante à draguer des minables dans des lieux sordides, des culturistes dopés à mort. Certains personnages reviennent d’une nouvelle à une autre, comme Geraldine qui se balade avec des bâtonnets de poisson pané dans son sac ou bien Jimmy qui se came avec un antiseptique ; des lieux emblématiques de Knockemstiff nous deviennent familiers, l’épicerie de Maud Speakman ou le Hap’s Bar.

Souvent, pour ne pas dire toujours, les fils ont des relations conflictuelles avec leurs pères, « « T’en as fait une mauviette », qu’il a dit à ma mère une fois rentré chez nous » ou bien « Avec mon père, tout avait toujours été une affaire de combat ». Et quand le père se fait un devoir d’éduquer le fiston, c’est pour lui enseigner la violence, « Mon père m’a montré comment faire mal à quelqu’un », crédo déjà repéré dans Le Diable tout le temps. Les maris tabassent leur femme et les gosses trinquent pendant que les parents picolent.

Les plus ambitieux, une minorité, voudraient quitter la ville pour recommencer leur vie à zéro ailleurs mais à peine partis, ils y reviennent dare-dare, condamnés comme Sisyphe à remonter (ou descendre, ici) la pente pour l’éternité, « Juste encore une fois, juste une fois avant de partir pour de bon ».

Drogues, alcool, sexe sordide, misère, ennui… l’Amérique profonde fait peur - une face de l’Amérique épouvantable et effrayante où bêtise et violence règnent en maître - et Donald Ray Pollock nous en met plein la tronche avec son écriture coup de poing que le format court de la nouvelle exacerbe, les phrases claquent comme des gifles au visage du lecteur installé confortablement dans son fauteuil douillet.

A ceux qui se risqueront dans ce marigot, faites une pause entre chaque nouvelle et ouvrez souvent la fenêtre pour aérer, le bouquin pue la mauvaise haleine, le cul sale, la pisse et le tabac froid. Et pourtant, vous tenez-là un putain de sacré bouquin. « Sous le jupon de la pauvre Hélène, sous son jupon mité, moi j’ai trouvé des jambes de reine » chantait Brassens…

 

« Pendant une seconde, le soulagement m’a paru meilleur que toutes les drogues, mais tout de suite après j’ai entendu des pneus crisser sur le gravier derrière moi. En me retournant, j’ai vu une voiture de police qui approchait lentement. J’étais piégé, en train de montrer mon cul à deux officiers de police. Et pas moyen de m’arrêter – ça sortait de moi comme de la pâte à crêpes. Je leur ai fait un petit signe de la main, les maudissant tout bas. Quand les deux flics sont descendus de leur voiture de patrouille j’ai essayé de me redresser, mais une autre crise m’a forcé à me remettre à croupetons. Je voyais des éclaboussures de chiasse partout sur mon jean, dehors comme dedans. »

 

 

Pollock.jpgDonald Ray Pollock  Knockemstiff  Libretto – Traduit par Philippe Garnier

 

 

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23/02/2013 | Lien permanent

Jim Harrison : Une odyssée américaine

Odyssee américaine 18580500_1413090.jpgOù nous retrouvons notre bon gros Jim dans ses nouvelles aventures. J’ai déjà dit et redit que j’aimais beaucoup les bouquins de Jim Harrison, pour ce qu’ils disent et pour les images qu’ils évoquent dans mon esprit, l’Amérique telle que je la fantasme et la rêve, les grands espaces et la nature avec sa faune et sa flore. J’ai lu un bon tiers de ses trente romans aussi n’avais-je aucune raison de rater ce dernier, Une odyssée américaine.

Cliff, la soixantaine, ancien professeur devenu fermier, voit sa femme le quitter après plus de trente années de mariage. Il décide alors de tout larguer et se lance dans une traversée des Etats-Unis dans le but de rebaptiser chacun des Etats. Son périple qui se voulait solitaire est bien vite remplacé par une virée à deux, avec une ancienne de ses étudiantes particulièrement portée sur le sexe et les téléphones portables. Nous croiserons aussi son fils gay qui vit aisément à San Francisco ainsi qu’une jeune serveuse Sylvia qui l’émoustillera. Il y aura des parties de pêches à la truite, une obsession pour la bouffe de qualité, son envie de finir sa vie dans une cabane isolée qu’il faudra retaper.

Jim Harrison reprend ses thèmes favoris, son amour de la nature et de la liberté, sa critique de la société moderne trop futile et cupide, ainsi que ce sentiment qui anime tout Américain, à tout âge on peut refaire sa vie et se reconstruire. Le livre se lit très aisément, on sourit de ses aventures et de ses exagérations ( ?) sur ses prouesses sexuelles, un peu trop envahissantes dans ce roman. Ce n’est pas le meilleur Harrison, c’est le moins qu’on puisse dire, nous sommes loin de l’émotion ressentie à la lecture de Dalva ou Retour en terre. Mais un faible livre de Jim Harrison qui maintenant a 72 ans, reste néanmoins un bouquin très agréable à lire.

 

« Soudain, je me suis senti mieux : par cette chaleur extrême, la vie sur la route proposait des pensées inédites, et la première m’a poussé à rejoindre les toilettes et mon motel, à lâcher le téléphone portable dans la cuvette et à tirerla châsse. J’ai savouré ce que Robert appelle « un visuel génial » : le tourbillon concentrique de l’eau, un léger frémissement lumineux, et tout au fond la mort inéluctable d’une créature électronique qui a à peine poussé un petit cri. Sayonara, fils de pute, comme on disait dans le temps. »

 

HARRISON 66b8ca72-b68e-11df-a563-ef3372fd67d0.jpgJim Harrison Une odyssée américaine chez Flammarion     

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09/10/2012 | Lien permanent

Stefan Zweig : Le Monde d’hier

Zweig Livre.jpgStefan Zweig, né en 1881 à Vienne, en Autriche-Hongrie, et mort par suicide le 22 février 1942 à Petrópolis au Brésil, est un écrivain, dramaturge, journaliste et biographe autrichien. Stefan Zweig fit partie de la fine fleur de l'intelligentsia juive viennoise, avant de quitter son pays natal en 1934 en raison de la montée du nazisme. Réfugié à Londres, il y poursuit une œuvre de biographe (Joseph Fouché, Marie Antoinette, Marie Stuart) et surtout d'auteur de romans et nouvelles qui ont conservé leur attrait près d'un siècle plus tard (Amok, La Pitié dangereuse, La Confusion des sentiments).

Le Monde d'hier sous-titré Souvenirs d'un Européen est une autobiographie commencée en 1934 dont il posta à l’éditeur le manuscrit, tapé par sa seconde femme, un jour avant leur suicide et qui parut en 1944.

Seulement cinq cents pages pour survoler cinquante ans de l’Histoire de l’Europe, et quelle période, de 1895 à 1941 ! Stefan Zweig a eu une vie pleine c’est le moins que l’on puisse dire car il était partout, dans la Vienne artistique du début du XXème siècle et il a fréquenté beaucoup de monde, aux premières loges de cet extraordinaire changement d’époque qui mêla le pire, les deux Grandes Guerres mondiales, et le meilleur avec les progrès techniques et les évolutions de la société, « Mais paradoxalement, dans ce même temps, alors que notre monde régressait brutalement d’un millénaire dans le domaine de la moralité, j’ai vu cette même humanité s’élever dans les domaines de l’intelligence et de la techniques à des prodiges inouïs… » 

L’écrivain autrichien parcourt l’Europe mais aussi l’Amérique, l’Inde, l’Afrique comme la Russie de 1928 dont il revient plus circonspect que d’autres, déménage souvent au gré des évènements. Il croise le chemin des personnalités les plus diverses, dresse de magnifiques portraits très émouvants de ses amis Rilke, Rodin, Romain Rolland, Gorki ou Freud pour n’en citer que quelques uns. Avec lui nous assistons à l’embrasement de l’Europe après l’attentat de Sarajevo et plus tard à l’entrée en scène d’Hitler.

Tous ces évènements, même les plus tragiques, sont narrés d’une plume pudique et réservée, prenant toujours garde à être objective et précise, relatant plutôt que critiquant, ne se plaignant jamais pour lui-même. On devine pourtant combien il devait lui en coûter moralement, puisque Juif et pacifiste forcené, « honnête homme » comme on disait jadis, rédigeant là un véritable plaidoyer pour l’Europe, il se verra de surcroit obligé de s’exiler vers l’Amérique du sud.

On retiendra aussi de cet ouvrage fascinant, des réflexions ou des jugements écrits vers 1940 mais qui pourraient avoir toute leur légitimité aujourd’hui, « Au fond, en 1939, il n’y avait pas un seul homme d’Etat qu’on respectât, et personne ne remettait avec foi sa destinée entre leurs mains » ou des considérations sur les modes vestimentaires ou capillaires du même niveau que celles sur les cheveux longs des années 60 ! Comme quoi, l’Histoire est un cycle qui se répète…

Seul point curieux, tout du long de l’ouvrage il n’est quasi jamais fait référence à sa femme (il a été marié deux fois), on a toujours l’impression qu’il est seul et voyage sans elle, certainement la pudeur qui me semble le mot qui le résume le mieux. 

 

« Si j’embrasse d’un regard toute ma vie, je me rappelle peu de moments aussi heureux que les premiers de ce temps d’université sans université. J’étais jeune et, de ce fait, je n’avais pas encore le sentiment que la responsabilité m’incomberait de produire une œuvre parfaite. J’étais assez indépendant, le jour avait vingt-quatre heures et toutes m’appartenaient. Je pouvais lire et travailler à ce qui me plaisait sans avoir de comptes à rendre à personne, le nuage des examens ne se montrait pas encore à l’horizon dégagé, car enfin, comme trois années paraissent longues quand on a dix-neuf ans, comme on peut les faire riches et pleines et abondantes en surprises et en cadeaux de toute sorte ! »

 

 

Zweig.jpgStefan Zweig  Le Monde d’hier - Souvenirs d’un Européen  Le livre de Poche  - 506 pages –

Traduction de Serge Niémetz

 

 

 

 

 

 

 

Amin Maalouf présente, Stefan Zweig, "Le Monde d'hier", Belfond from Filigranes Tv on Vimeo.

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Chimamanda Ngozi Adichie : Americanah

chimamanda ngozi adichieChimamanda Ngozi Adichie est née en 1977 au Nigeria. A l’âge de 19 ans, elle quitte son pays pour les Etats-Unis, d’abord à Philadelphie puis dans le Connecticut afin de vivre plus près de sa sœur. Elle poursuit là ses études en communication et en sciences politiques et en 2001, elle y décroche son diplôme universitaire avec mention avant d’achever ensuite un master en création littéraire à l’université Johns Hopkins de Baltimore en 2003. Paru en 2014, Americanah, vient d’être réédité en poche.

Ifemelu, l’héroïne de ce roman, quitte le Nigeria pour aller faire ses études à Philadelphie. Elle laisse derrière elle son grand amour, Obinze, un admirateur de l’Amérique qui compte bien l’y rejoindre.

Ne pouvant vous résumer tout ce qu’il y a dans ce gros bouquin, je préfère vous la faire extra-courte en n’en dévoilant que le fil rouge. Un fil ténu entre le Nigeria où ils se rencontrent et leurs retrouvailles, une petite vingtaine d’années plus tard en ce même pays, Ifemelu ayant entretemps comme Ulysse fait un beau ( ?) voyage aux Etats-Unis, devenant une Americanah, mot familier des Nigérians pour désigner quelqu’un qui s’est « américanisé ».

Ce roman, c’est donc et surtout le récit de ce séjour en Amérique quand on est une africaine. Femme et africaine, deux valises lourdes à porter mais Ifemelu ne manque pas de caractère, « Elle avait toujours aimé cette image d’elle-même, la fille qui créait des ennuis, qui était différente, et elle pensait parfois que c’était une carapace qui la protégeait. » Elle va découvrir le racisme rampant et sournois, prendre conscience de son africanité et de sa peau noire au contact des américains mais aussi des autres expatriés de sa communauté, ou pas. Ifemelu va connaitre quelques hommes, plusieurs villes, Philadelphie, Baltimore, Brooklyn… chercher de petits boulots pour financer ses études mais aussi vivre la belle vie. Toujours elle gardera un regard critique et observateur qu’elle exploitera en créant un blog analysant la situation sociale, comme avec ce billet « Comprendre l’Amérique pour les Noirs non américains : A quoi aspirent les WASP ? ».  

Là réside tout le sel de ce splendide roman. Chimamanda Ngozi Adichie évoque le racisme sans être moralisatrice ou culpabilisante, amusante même, « En Amérique, les Blancs pensent : « Je ne toucherai pas à une femme noire mais je pourrais peut-être me faire Halle Berry. » Comment conserver son identité quand on s’exile dans un pays de culture si différente ? Et comme si le sujet n’était pas assez vaste, elle rajoute à ce thème celui de la place de la femme dans la société. Refusant ce que nombre de ses amies recherchent, un homme qui leur assurera une vie aisée prioritairement à l’amour. 

Je déteste les gros romans, mais là même s’il est long, il n’y a aucune longueur malgré ses près de sept cents pages ! Chacune est « intéressante » car elle nous dit quelque chose, l’écriture est dense mais rien n’est gratuit et fait sens. Un livre qui fait réfléchir mais loin d’être un pensum, au contraire. Chimamanda Ngozi Adichie écrit comme un torrent et semble intarissable, noyant le lecteur sous la profusion, mais il l’accepte et consent, subjugué par la force puissante émanant des lignes de ce très bon livre d’un très grand écrivain.

 

« Il n’était pas retourné au Nigeria depuis des années et peut-être avait-il besoin du réconfort de ces groupes d’internautes, des petites remarques qui fusaient et explosaient en attaques personnelles, des insultes qui volaient de part et d’autre. Ifemelu en imaginait les auteurs, des Nigérians habitant de sinistres maisons en Amérique, leurs vies écrasées par le travail, économisant toute l’année afin de pouvoir passer une semaine au pays, en décembre, arriver avec des valises pleines de chaussures, de vêtements et de montres bon marché, et voir, dans le regard de leurs familles, une image exaltée d’eux-mêmes. Ensuite ils retourneraient en Amérique pour défendre sur Internet les mythologies de leur pays, car leur pays était maintenant un endroit indistinct entre ici et là-bas et, sur le Net au moins, ils pouvaient ignorer à quel point ils étaient devenus insignifiants. »

 

chimamanda ngozi adichieChimamanda Ngozi Adichie   Americanah  Folio  - 685 pages –

Traduit de l’anglais (Nigeria) par Anne Damour

 

 

 

 

 

« Il avait pris le volant. Il mit le contact et la musique retentit aussitôt. Le « Yori Yori » de Bracket. « Oh, j’adore cette chanson » dit-elle. Il monta le volume et ils chantèrent en chœur : il y avait une telle exubérance dans cette musique, dans son tempo joyeux, si dénué d’artifice, qui emplissait l’air de légèreté. » (p. 634)

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T.C. Boyle : Les Vrais durs

tc boyleT.C. Boyle (Tom Coraghessan Boyle) est un écrivain et romancier américain né en 1948 à Peekskill dans l’Etat de New York. Depuis 1978, il anime des ateliers d’écriture à l’Université de Californie du Sud et vit près de Santa Barbara, dans une maison dessinée par l’architecte Frank Lloyd Wright. Il est l’auteur de plusieurs recueils de nouvelles ainsi que de nombreux romans. Dernier livre traduit chez nous, Les Vrais durs est paru en 2016.

Alors qu’il est en croisière en Amérique centrale avec son épouse Carolee, Sten Stensen, tue un petit malfrat qui tentait de détrousser leur groupe de touristes descendu à terre. De retour au pays, notre héros malgré lui n’aspire qu’à retrouver sa vie de paisible retraité sous le soleil californien. Pour son malheur, Sten a un fils, Adam, qui souffre depuis l’enfance d’une forme aiguë de psychose paranoïaque et délirante aggravée par les drogues, il se prend pour John Colter le célèbre trappeur (membre de l'expédition Lewis et Clark, qui avait pour but d'explorer les Montagnes Rocheuses) et ses ennemis sont les flics et les Chinois ! Pour envenimer les choses, le jeune homme s’est entiché de Sara - à moins qu’il ne soit tombé dans ses filets - de quinze ans son aînée. Sara vit seule avec son chien, et le reste du monde est son ennemi, ne reconnaissant pas les lois et les représentants de l’autorité fédérale. Adam et Sara contre le reste du monde, tout cela ne peut que mal se passer et sombrer dans la violence…

Un bon roman, mais… sur la forme on peut le voir de deux manières différentes. Contrairement à ses dernières productions, si le texte reste dense et le rythme rapide, la narration n’y est pas du tout éclatée, les faits s’enchainent logiquement et chronologiquement, le ton général y est moins virulent, bref on n’y trouve pas la démesure d’autres des romans de Boyle. Certains s’en réjouiront, d’autres le déploreront. C’est vous qui voyez, selon votre degré d’exigence.

Ce bémol évacué, TC Boyle nous plonge dans cette Amérique qui nous fascine autant qu’elle nous effraye (Comme dirait Jean-Paul Dubois, L’Amérique m’inquiète). Fascination devant ces gens qui au nom de la liberté individuelle vivent en marge de la société en s’exemptant de ses lois, inquiétude devant ces mêmes qui sont armés, seuls ou organisés en milices, prêts à survivre dans des bunkers en cas de fin du monde. Sara qui pourrit sa propre vie par son attitude devant les règlements de la société, Adam un cran au-dessus vit dans son monde intérieur, une folie qui l’aveugle et le rend d’autant plus dangereux qu’il est armé.

L’Amérique est devenue folle nous dit (et répète sans cesse) TC Boyle avec ce cocktail mêlant chez ses personnages, un doigt d’écologie, une dose de xénophobie, un soupçon de drogues et une large rasade de violence meurtrière.  

 

« Mais pourquoi Adam aurait-il eu envie de tirer sur un train ou de s’en approcher ? Sten ne connaissait pas la réponse, sauf qu’Adam avait la rage en lui et que cette rage devait trouver une cible, pour s’y frotter, la sentir, faire savoir au monde ce que c’était que d’avoir en soi une telle chose qui ne cherchait qu’à sortir. (…) La plupart d’entre eux réprimaient cette rage et affrontaient le monde, devenaient flics, prédateurs boursiers, militaires de carrière ou simples travailleurs manuels, alors que d’autres ne s’en défaisaient jamais et finissaient en prison, estropiés à la suite d’un accident de moto ou réduits en bouillie sur le bitume. Ou assassinés. Ils se faisaient tirer dessus. »

 

tc boyleT.C. Boyle   Les Vrais durs   Grasset – 442 pages –

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bernard Turle 

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07/04/2017 | Lien permanent

Chimamanda Ngozi Adichie : Les Arrangements

chimamanda ngozi adichieChimamanda Ngozi Adichie est née en 1977 au Nigeria. A l’âge de 19 ans, elle quitte son pays pour les Etats-Unis, d’abord à Philadelphie puis dans le Connecticut afin de vivre plus près de sa sœur. Elle poursuit là ses études en communication et en sciences politiques et en 2001, elle y décroche son diplôme universitaire avec mention avant d’achever ensuite un master en création littéraire à l’université Johns Hopkins de Baltimore en 2003. L’Hibiscus pourpre (2003) et Americanah (2013) l’ont rendu célèbre dans le monde entier et en 2017, elle est élue à l'Académie américaine des arts et des sciences, l'un des plus grands honneurs intellectuels aux Etats-Unis.

Les Arrangements et autres histoires, un recueil de cinq textes - sans inédits – (Les arrangements – Imitation – Autour de ton cou – l’ambassade américaine – Les marieuses), vient de paraitre dans une collection de poche.

Le premier texte est le plus étonnant/amusant et atypique puisqu’il met en scène Donald Trump, Melania et Ivanka ! Le second est assez convenu, voire banal, un Nigérian fortuné vit entre les Etats-Unis et Lagos avec une femme et une maitresse, chacune dans un pays. Autour de ton cou a deux atouts : stylistique avec cet emploi de l’imparfait produisant un effet bizarre à le lire, et le récit est touchant, une jeune Nigériane gagne un visa pour l’Amérique, y trime pour gagner trois sous, rencontre un étudiant Américain sympathique mais malgré ses bons sentiments, l’incompréhension culturelle entre eux deux sera la plus forte. L’ambassade américaine est la plus poignante de ces nouvelles ; Au Nigeria, la violence politique à l’encontre des rares journalistes libres déborde sur le meurtre d’un enfant et la mère, par courage et fierté, refusera de se servir de ce drame pour obtenir un visa d’émigration vers la sécurité et la liberté. Magnifique. Le dernier récit dénonce cette tradition consistant à arranger des mariages, par leurs parents, entre deux êtres qui ne se connaissent pas. Ici une Nigériane doit épouser un docteur Nigérian vivant à New York mais ce n’est qu’après la cérémonie qu’elle réalise qu’il n’est encore qu’étudiant en médecine, et transplantée brutalement de son pays vers l’Amérique, elle doit en apprendre les codes à vitesse accélérée, poussée par son époux qui tient à se fondre, voire disparaitre, dans le moule de sa vie au pays des Blancs.

Tous ces textes sont très courts mais ils synthétisent, ou ramassent en peu de pages, ce qu’on trouve dans les romans de Chimamanda Ngozi Adichie : la vie au Nigéria et aux Etats-Unis, les différences culturelles ou sociales entre ces deux continents et toujours, des femmes tenant les premiers rôles, fortes ou faibles mais pugnaces pour suivre leur idée quelque en soit le prix à payer.

 

« Il te montra comment postuler à un emploi de caissière à la station-service de Main Street et t’inscrivit à une fac où les filles avaient de grosses cuisses, portaient du vernis à ongles rouge vif et mettaient de l’autobronzant qui les rendait orange. Elles te demandaient où tu avais appris à parler anglais et si vous aviez de vraies maisons, là-bas en Afrique, si tu avais déjà vu une voiture avant de venir en Amérique. Tes cheveux les laissaient pantoises. Est-ce qu’ils tiennent tout droit ou ils retombent, si tu défais tes tresses ? Elles voulaient le savoir. Ils tiennent tous tout droit ? » [Autour de ton cou]

 

 

chimamanda ngozi adichieChimamanda Ngozi Adichie   Les Arrangements et autres histoires   Folio bilingue – 243 pages –

Traduit de l’anglais (Nigeria) par Marguerite Capelle et Mona de Pracontal

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Tom Wolfe : Moi, Charlotte Simmons

Wolfe Livre Charlotte mages.jpgCharlotte, jeune fille d’origine modeste vivant dans un petit bled de Caroline du Nord obtient grâce à ses résultats scolaires remarquables une place à Dupont, université très cotée. Intelligente, jolie mais d’éducation très prude sa plongée dans le milieu universitaire américain va ressembler à un séjour dans Sodome et Gomorrhe. Elle pensait côtoyer des étudiants avides de connaissances perpétuellement accaparés par leurs études et les cours, en fait ici, tout le monde ne pense qu’au sexe et aux soirées alcoolisées et l’Université elle-même voue un culte grotesque aux basketteurs qui en sont les vedettes hyper-protégées, quasi débiles ne devant leur présence dans l’établissement que par leurs gros muscles et leur taille impressionnante. Etrangère à ce monde Charlotte va tenter de résister mais ses principes moraux et sa virginité ne tiendront pas longtemps face aux assauts de la débauche et de sa propre sensualité.

Un gros bouquin de 1008 pages en format poche mais qui se lit très facilement. Tom Wolfe nous livre un portrait au vitriol de l’Amérique estudiantine et de ses fils et filles à papa qui ne voient dans l’Université qu’un moyen facile de se faire des connaissances ( !) ou de passer leur temps en fêtes alcoolisées. Si le sport universitaire en prend aussi pour son grade, c’est en fait toute l’institution qui trinque sous la plume acérée de l’auteur. Le livre des illusions perdues. Excellent.

 

« Bon, admettons que ça soit totalement ça, les études : quatre ans pendant lesquels tu peux tout faire, tout essayer, sans qu’il y ait de … conséquences ? Pas de trace, pas de dossier, pas de blâme. Des trucs que si tu avais risqué ça avant, tes parents se seraient arraché les cheveux et t’auraient traitée comme une fille perdue ? »           

 

Wolfe images.jpgTom Wolfe  Moi, Charlotte Simmons  chez Pocket n° 12807

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17/10/2012 | Lien permanent

Philip K. Dick : Radio libre Albemuth

philip k. dickPhilip Kindred Dick, né en 1928 à Chicago et décédé en 1982 à Santa Ana en Californie, est un auteur américain de romans, de nouvelles et d'essais de science-fiction, l’un des meilleurs du genre, mon préféré entre tous. On lui doit Le Maître du Haut Château ou encore Ubik par exemple et le cinéma a adapté certains de ses textes pour nous offrir Blad Runner avec Harrison Ford, Total Recall avec Arnold Schwarzenegger, Minority Report avec Tom Cruise etc.

Pour commémorer la disparition de l’écrivain il y a quarante ans, plusieurs éditeurs vont ressortir des bouquins de Philip K. Dick comme ce Radio libre Albemuth, roman écrit en 1976 mais publié à titre posthume en 1985, dans une nouvelle traduction. Ce roman est le prélude à La Trilogie divine, livres écrits entre 1976 et 1982, à savoir : SIVA, L'Invasion divine et La Transmigration de Timothy Archer.

Une dystopie dans laquelle l’écrivain se met en scène : L’Amérique est désormais dirigée par Ferris F. Fremont, « avec son visage renfrogné et ses grosses bajoues » qui ne « s’est pas contenté de s’emparer du pays, il s’est aussi emparé des esprits. Et les a avilis » (mais, on dirait… ? Oui mais non, car ici c’est Nixon qui est visé). Ses milices surveillent tout à travers tout le pays. A Berkeley, Philip K. Dick commence à avoir du succès avec ses livres tandis que son ami Nicholas Brady bosse dans le secteur du disque. Lorsque celui-ci commence à faire des rêves étranges ou à recevoir des messages durant son sommeil, la situation prend une tournure singulière…

Au début les rêves de son ami ne sont pour Phil que signes de fatigue mais quand ils deviennent prémonitoires, proches d’expériences paranormales, comme instillés par une autorité supérieure et que ce même esprit amical sauve de la mort le fils de Nicholas, l’écrivain doit en convenir, son ami est en liaison avec Dieu ? des Extraterrestres ? Connection qui s’avère avoir pour but, amener Nicholas à entrer dans la résistance pour combattre Fremont !

Dans l’univers de Dick il y a le Monde libre, l’Amérique (le Bien), et le communisme, l’URSS, (le Mal), or cette dualité est mise à mal avec Ferris F. Frémont (FFF=666=le signe de la Bête) dirigeant du monde libre. A moins que celui-ci ne cache un terrible secret ? Secret qui aurait été percé par cette entité venue à notre aide… ?

Le combat entre le Bien et le Mal est fait de mouchards, d’intimidations, de morts soudaines et de rétablissements de santé inexplicables, de satellites émettant vers la Terre, de messages subliminaux, message mystico-religieux, toute la panoplie des armes qui effraient l’esprit cartésien.  

Un bon roman pour me remettre en appétit de Philip K. Dick, car j’en ai d’autres sous le coude pour plus tard.

 

 

« - Il ne fait pas partie d’Aramchek, répondit Vivian avant de se tourner vers moi. Nous allons te laisser la vie sauve, Phil, nous publierons sous ton nom des livres rédigés par nos services. Nous y travaillons depuis des années, certains sont déjà prêts. Ton style est facile à imiter. On ne t’autorisera à t’exprimer en public que pour confirmer que ce sont bien tes livres. A moins que tu ne préfères qu’on t’abatte ? – Abattez-moi, dis-je. Espèces d’enfoirés. - Les livres seront publiés, poursuivit Vivian. (…) Tes premières œuvres contiendront encore quelques-unes de tes opinions subversives, mais tu commences à te faire vieux, personne ne s’étonnera de te voir te ramollir. »

 

 

philip k. dickPhilip K. Dick   Radio libre Albemuth   Folio  - 377 pages -   

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) et préfacé par Emmanuel Jouanne

Edition définitive établie par Gilles Goullet

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Philippe Garnier : L’Oreille d’un sourd

Garnier Livre 42174445_9433395.jpgPhilippe Garnier est journaliste, écrivain et traducteur né en 1949. Disquaire au Havre dans sa petite boutique Crazy Little Thing, il fait la navette avec Londres où il fait ses emplettes pour achalander sa boutique, puis en 1975 il part s'installer définitivement aux États-Unis, tout d'abord à San Francisco puis à Los Angeles où il vit toujours.

Que les choses soient claires d’emblée, j’adore ce mec ! J’ai commencé à le lire dans Rock & Folk dans les années 70, puis dans Libération  et je l’ai aussi vu à la télévision quand il faisait des interviews pour le magazine Cinéma, cinémas qui passait sur Antenne2 à l’époque.

Je l’adore car il fait partie de ceux qui m’ont ouvert des portes intellectuelles, montré des pistes, fait faire des découvertes, grâce à ses articles consacrés au rock bien sûr, mais surtout à des écrivains peu connus alors ou des acteurs de second plan. Ce sont surtout ces deux derniers points que je retiens. Grâce à lui j’ai découvert Charles Bukowski et John Fante, qu’il a traduits et fait connaître aux Français. Il m’a tout appris de Dashiell Hammet, David Goodis et tous les grands du polar américain. 

Ses articles dans la presse, même s’ils n’étaient pas signés, seraient immédiatement reconnaissables. D’abord le sujet, souvent il évoque des gens (écrivains, acteurs, musiciens) peu connus du grand public, ensuite ses papiers sont bourrés de détails et de références pointus qui vous aiguillent vers d’autres personnes. Comme un collectionneur fou, il semble qu’il pourrait parler du sujet abordé avec un savoir encyclopédique, durant des pages et des pages si un rédacteur en chef ne l’arrêtait pas. Pour le paraphraser, je dirais « qu’il sait faire chanter les détails superflus avec un talent fou ». C’est le genre de type qui sillonne les USA au volant de sa bagnole pour vérifier si le bar d’un bled du Montana, existe bien tel qu’il est décrit par un auteur de roman ! Vous voyez le topo ? Philippe Garnier est un passeur magistral, dans le sens où il m’a montré l’existence d’écrivains et de musiciens que je ne connaissais pas et qui s’avérèrent mériter qu’on les découvre. 

Son bouquin, L’Oreille d’un sourd  qui vient de sortir et tire son nom de celui de la rubrique qu’il tenait dans Libé dans les années 80, est une compilation d’articles paru dans Rock & Folk, Libération et Les Inrockuptibles entre 1981 et 2009. Plus de soixante-dix papiers, dont deux inédits, que j’ai relus avec autant de plaisir qu’au premier jour.

Le livre, sous-titré L’Amérique dans le rétro : trente ans de journalisme, dit bien l’énorme travail abattu par Philippe Garnier durant toutes ces années, c’est le portrait d’un continent vu à travers le prisme d’artistes et de faits divers, ce petit bout de la lorgnette qui néanmoins en dit beaucoup sur ce pays.

Vous lirez ici ses articles sur Sam Cooke, Paul Simon, Tom Waits, Lux Interior, Joey Ramone, Solomon Burke si vous aimez la musique, ou bien Walter Tevis, Quiroga, Fitzgerald, Bukowski, Wilfred Thesiger si vous êtes plutôt littéraire, Louise Brooks, Humphrey Bogart, Jack Nicholson pour les cinéphiles, mais Garnier sait aussi s’attaquer à des sujets complètement improbables comme ces papiers sur les bas nylon ou l’historique des fameuses godasses Doc Martens ! Ce ne sont que des exemples.

Textes fouillés, rédigés par un maniaque du détail, sans langue de bois pour dessouder des icônes, balançant quelques vacheries de temps à autre, bref je me suis régalé tout au long de ces plus de cinq cent pages, longue virée au cœur de l’Amérique.

 

 

Garnier 0.jpgPhilippe Garnier  L’Oreille d’un sourd  Grasset

 

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13/10/2012 | Lien permanent

Rituels de lecteur

Dans son dernier roman, Opération Sweet Tooth, Ian McEwan écrit : « J’ai dit qu’après la mort de Tony je ne possédais aucune preuve de notre amour. Or il me restait ce marque-page. Je le nettoyai, le défroissai, me mis à le chérir et à m’en servir. Les écrivains ont leurs superstitions et leurs petits rituels, parait-il. Les lecteurs aussi. Le mien était d’enrouler ce marque-page autour de mes doigts et de le caresser du pouce en lisant. En fin de soirée, quand venait l’heure d’abandonner mon roman, je portais machinalement la bande de cuir à mes lèvres, puis la glissais entre les pages avant de refermer le livre… »

Je me suis alors demandé, si moi aussi en tant que lecteur j’avais des rituels. J’ai cherché mais je n’ai rien trouvé qui puisse pencher en ce sens. Chez moi, je n’ai pas de place particulièrement attitrée, même si j’ai besoin d’un confort certain. J’aime le calme ou une musique douce (mais pas toujours) en fond mais ça n’a rien d’un rituel. Quand je lis un polar – par exemple – je commence par le début et termine par la fin, et non l’inverse comme certains impatients. Je n’ai donc pas de rituels physiques, pourrais-je dire.

Les seuls points sur lesquels je suis intransigeant, mais ça n’entre pas vraiment dans le registre du rituel, je ne corne jamais les pages d’un livre. J’ai horreur de cette pratique ; j’utilise un marque-page sans préférence particulière, si ce n’est que j’en choisis un dans ma collection d’objets publicitaires qui soit adapté au format du livre, petit et mince pour un poche, long et épais pour un grand format. Ou bien encore, je n’interromps jamais une lecture en cours de chapitre ou de paragraphe ; je ne m’arrête que lorsque le texte propose une pause dans la narration. D’où un agacement mal dissimulé quand on m’interrompt dans ma lecture. En creusant un peu plus, si je suis du genre à souligner des passages ou des mots dans un livre, au crayon à papier exclusivement, mais je me l’interdis pour les Pléiade…

Il se dégage de mes réflexions que si je n’ai pas de rituels actifs, je suis plutôt du genre à avoir deux ou trois manies refusant certaines actions.

Et vous, quels sont vos tics ou vos manies ? Venez confesser au Bouquineur vos habitudes.

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