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Rechercher : les marches de l'amérique

Jim Harrison : Nageur de rivière

jim harrisonJim Harrison, de son vrai nom James Harrison, est un écrivain américain, né en 1937 dans le Michigan aux États-Unis. La mère de Jim Harrison est d'origine suédoise et son père était agent agricole. A l'âge de huit ans, son œil gauche est accidentellement crevé au cours d'un jeu. A 16 ans, il décide de devenir écrivain et quitte le Michigan pour vivre la grande aventure à Boston et New York. En 1960, à l'âge de 23 ans, il épouse Linda King. Ils ont eu deux filles, Jamie et Anna. Il obtient cette même année une licence de lettres mais renonce rapidement à une carrière universitaire. Pour élever ses filles, il rédige des articles de journaux, des scénarios, en même temps que sont publiés ses premiers romans et ses recueils de poèmes. En 1967, la famille retourne dans le Michigan pour s'installer dans une ferme et depuis il partage son temps entre le Michigan, le Nouveau-Mexique et le Montana. Son dernier opus, Nageur de rivière, vient tout juste de paraître.

Les anglo-saxons ont un joli mot pour désigner ces textes, plus courts qu’un roman mais plus longs qu’une nouvelle, ils les nomment des novellas, un terme emprunté à l’italien. C’est de cela qu’il s’agit ici, deux novellas, la première s’intitule Au pays du sans-pareil, la seconde donne son titre à l’ouvrage.

Le bouquin s’ouvre avec Clive, la soixantaine, célibataire depuis deux ans et habitant New York, de peintre il est devenu au fil des années, professeur d’histoire de l’art et conférencier. Rappelé dans la ferme familiale du Michigan, il va devoir s’occuper de sa mère devenant aveugle, durant l’absence de sa sœur Margaret. Ce retour à la source est l’occasion pour Clive de retrouver Laurette, son amour de jeunesse et de faire le bilan de sa vie. Jadis, son père lui avait déclaré « ne deviens surtout pas paysan, bon Dieu ! Accroche-toi à ton art. » Ne l’a-t-il pas trahi ? Dans la seconde nouvelle, Thad est un jeune homme vivant dans une ferme isolée sur les bords du lac Michigan, détaché des contingences matérielle mais vouant une passion à l’eau et ne pouvant vivre sans nager. Après diverses aventures, il aura le choix entre une vie pouvant s’avérer aisée ou rester sur la trajectoire tracée par sa naissance.

Deux hommes donc, à l’opposé de leur vie l’un, l’autre, mais qui doivent faire des choix de même nature. Une vie offrant des avantages matériels mais des abandons moraux ou une vie accordant la priorité à leur vocation profonde ? Un thème absolument passionnant quand on le met à plat ainsi mais qui m’a moins fait vibrer à la lecture. Par contre, Jim Harrison écrit toujours avec maestria, d’un style limpide et épuré mais onctueux en même temps, principal atout de ce livre.

Les autres ingrédients du texte sont ceux qu’utilise habituellement le Grand Jim, la bonne bouffe, le sexe (heureusement en moins libidineux que dans Une Odyssée américaine), la Nature et l’Art. Ajoutons-y une critique de l’argent et du monde matérialiste assez convenue, une dose de poésie avec les « bébés-aquatiques », et on relèvera dans la seconde novella, un long passage se déroulant en France. Quant au titre de la première nouvelle, j’avoue qu’il reste encore mystérieux pour moi…

Ce nouvel ouvrage de Jim Harrison s’avère extrêmement agréable à lire grâce à sa belle écriture mais un peu décevant globalement. J’ai beaucoup aimé Au pays du sans-pareil, mais moins Nageur de rivière.

 

« Clive se réveilla avant l’aube dans un motel d’Ypsilanti dans le Michigan, convaincu que presque toutes les femmes de la planète avaient épousé un homme qui ne leur convenait pas. A soixante ans, il vivait en célibataire depuis vingt ans, mais son divorce était toujours la rupture la plus douloureuse de son existence. Il avait ensuite perdu le feu sacré, du moins le crut-il alors, et il renonça à peindre pour devenir professeur d’histoire de l’art, courtier, expert, homme à tout faire du monde de la culture. En fait, il avait laissé le temps brouiller les cartes et la rupture était loin d’être aussi claire. »

 

 

jim harrisonJim Harrison  Nageur de rivière  Flammarion – 257 pages

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent

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12/03/2014 | Lien permanent

Sebastian Barry : Du côté de Canaan

Sebastian BarrySebastian Barry né en 1955 à Dublin, est un écrivain irlandais. Il est l'auteur de pièces de théâtre, de romans et de poèmes, publiés depuis le début des années 1980. La consécration est venue en 2008 avec Le Testament caché. Le roman Du côté de Canaan est sorti en 2012.

Lilly Bere a quatre-vingt-neuf ans, à l’heure de sa fin proche, elle rédige ses mémoires ou plutôt sa confession. Début du XXe siècle, obligée de fuir son Irlande natale avec son fiancé Tadg Bere, condamné par l’IRA, Lilly arrive en Amérique où le jeune couple tente de se construire une vie à Chicago. Mais la menace armée va anéantir leur rêve et Lilly, désormais seule va s’enfuir vers Cleveland où elle trouve une place d’employée de maison. Quand Joe Kinderman, un inspecteur de police entre dans sa vie, la jeune femme espère prendre un nouveau départ.

Je n’en dis pas plus, le bouquin recèle de multiples évènements et Lilly aura une vie bien remplie comme vous le découvrirez vous-mêmes en lisant ce roman. Car vous allez le lire !

Je ne sais par quoi commencer pour chanter les louanges de ce livre. D’emblée ce qui m’a séduit, c’est le style de l’écriture, son élégance et ce ton calme et apaisé adopté pour la narration alors que cette femme va traverser le siècle, payant son tribut à chacune des guerres et elles ne manqueront pas, les deux premières guerres mondiales avec la mort de son frère, la guerre civile en Irlande, la guerre du Vietnam dont son fils reviendra cassé moralement, celle du Golfe qui verra son petit-fils s’en sortir « terrifié au point qu’il ne comprenait plus le sens du mot « victoire ». Et comme si cela n’était pas suffisant, ses hommes décéderont tragiquement ou disparaitront mystérieusement. 

Sebastian Barry a écrit une véritable saga, une fresque du XXe siècle entre Irlande et Amérique, peinte à petites touches faites de pudeur et de tact, à travers un récit sans pics d’intensité dans le dit – même si elle est plus que présente tout au long des pages. Cette vieille femme qui revient sur sa vie, ayant appris avec le temps à faire la part des choses, déroule son existence d’une voix uniforme et douce, imperméable en apparence à la haine et la rancœur. Une partie du roman relève quasiment du thriller, avec menace pesant comme une épée de Damoclès, suspicions troublantes puis disparition inquiétante. L’écrivain utilise aussi les révélations à postériori, entretenant un léger mystère ou créant de mini coups de théâtre. Il y a de tout dans ce bouquin – quand je pense à tout ce que je ne peux pas vous dire… - mais surtout de l’émotion, dans le sens noble du terme, pas du larmoyant ou du mièvre.   

Si l’écrivain fait très fort sur la forme, il est excellent sur le fond. Outre les points historiques déjà cités, il évoque aussi la situation des Noirs en Amérique et les conditions de vie dans cette Amérique, terre de Canaan pour les immigrés européens, mais là encore, par une écriture tout en ellipses et retenue ou quelques mots glissés incidemment dans une phrase. Et tout cela, mesdames et messieurs, en trois-cent-trente petites pages d’une édition de poche.

 

« J’écris sur tout cela, et tandis que je le fais assise ici dans mes habits américains, revêtue de ma personne américaine, tout cela depuis longtemps perdu, depuis longtemps terminé, tous ces gens balayés, à la manière habituelle du monde, ces hommes courbés, Maud, mon père, les fichus poules, poney et cochon, tout le fichu tremblement, d’une façon à laquelle nous n’ajoutons jamais foi tant que nous respirons comme de jeunes femmes, tandis que je suis assise ici, une vieille femme, une relique, une relique reconnaissante même, pour ce qui m’a été donné, sinon pour ce qui m’a été ôté, mon cœur flétri se souvient. »

 

Sebastian BarrySebastian Barry  Du côté de Canaan  Folio  – 331 pages -

Traduit de l’anglais (Irlande) par Florence Lévy-Paoloni

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William Trevor : Les Enfants de Dynmouth

william trevorSir William Trevor de son vrai nom William Trevor Cox est né en 1928 dans le comté de Cork en Irlande. Romancier, nouvelliste, dramaturge et scénariste, lauréat de nombreux prix littéraires aussi bien en Irlande qu'en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, membre de l'Académie irlandaise, il a été anobli par la reine Élisabeth II d'Angleterre. Les Enfants de Dynmouth, date de 1976, il vient tout juste d’être traduit en français.

Dynmouth est une charmante petite ville du Dorset, en bord de mer, « avec ses salons de thé et ses dentelles », typique de cette Angleterre où évolueraient bien volontiers les personnages d’Agatha Christie ou bien l’inspecteur Barnaby (série diffusée sur France3), paisible pour les uns, un peu ennuyeuse pour d’autres. Alors que la kermesse de Pâques approche, le train-train quotidien de certains de ses habitants va être troublé par un jeune garçon de quinze ans, Timothy Gedge. Le père est parti depuis bien longtemps, sa mère et sa grande-sœur absorbées par leurs vies assez libres le laissent pousser tout seul. Le gamin s’étant mis en tête de présenter un sketch pendant la kermesse, s’adresse aux uns et aux autres afin d’obtenir les accessoires qui lui sont nécessaires pour son spectacle, un costume d’homme, une robe de mariée, une vieille baignoire et un rideau de scène. Timothy sait très bien à qui il doit présenter ses requêtes car il a depuis longtemps l’habitude d’épier les gens par leurs fenêtres et d’entrer chez eux sous prétexte de menus travaux contre de l’argent de poche. Si ses demandes sont prises à la légère dans un premier temps, elles rencontrent un autre écho quand Timothy Gedge commencent à divulguer ce qui ressemble à des secrets bien gardés, le capitaine Abigail serait attiré par les jeunes garçons, Mr Plant se paye du bon temps avec des femmes du village, le père de Stephen aurait tué son épouse pour se remarier.

Tout le charme du roman réside dans l’écriture de William Trevor, ce qui n’est plus une surprise pour moi depuis que j’ai lu Cet été là, une pure merveille. Délicatesse, finesse et retenue, l’écrivain tisse des décors de sérénité, puis petit à petit, par petites touches, les propos de Timothy sont autant de graines du doute, poison mortel qui va lever dans les esprits des personnages comme du lecteur. Le gamin est un peu « spécial », ses propos tombent comme cheveux sur la soupe souvent, son aplomb pour s’incruster chez les gens exaspère, puis le harcèlement envers ses « victimes » devient franchement crispant. Le lecteur se prend à s’agacer de ces adultes manquant de clairvoyance et d’autorité.

William Trevor enfonce le coin profondément, Timothy est un catalyseur au sein de ce microcosme, allégations mensongères, interprétation erronée de faits avérés ou turpitudes réelles ? Le manque de communication entre les acteurs, les silences coupables, profitent à la gangrène du mal et si tous cèderont aux exigences du gamin, ce sera pour de mauvaises raisons.

Excellent roman. Très belle analyse psychologique de caractères, toute en finesse, et d’un gamin ni dieu, ni diable, mais terriblement seul et livré à lui-même au sein d’une société banale, présentant tous les signes de la respectabilité tranquille.    

 

« Timothy Gedge avait une quinzaine d’années, il était en plein dans cet âge dit ingrat, le visage carré, anguleux, les épaules maigres, les cheveux courts presque blancs, un regard vorace qui lui donnait l’air prédateur, les joues creuses. Il portait toujours les mêmes vêtements : un jean jaune pâle, un blouson jaune à fermeture éclair et, la plupart du temps, un tee-shirt jaune lui aussi. Il vivait avec sa mère et sa sœur, Rose-Ann, dans un lotissement social appelé « Cornerway ». Inscrit au lycée de Dynmouth, ce n’était pas un élève particulièrement brillant. Il adorait jouer des tours, une habitude qui le faisait parfois paraître excentrique. Il riait souvent, d’un grand sourire jusqu’aux oreilles. »

 

 

william trevorWilliam Trevor  Les Enfants de Dynmouth  Phébus – 237 pages –

Traduit de l’anglais (Irlande) par Marie-Odile Fortier-Masek

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23/06/2014 | Lien permanent

Haruki Murakami : Le Passage de la nuit

Haruki Murakami,Haruki Murakami  né à Kyōto en 1949, est un écrivain japonais. Fils d'un enseignant de littérature japonaise en collège, il opte pour les arts théâtraux et souhaite devenir scénariste de cinéma. Après ses études à l'université il est pendant huit ans, responsable d'un bar de jazz à Tōkyō, l’une de ses passions avec les chats. Cette expérience le nourrit un peu à son insu et lui permet d'écrire son premier roman Écoute le chant du vent, publié au Japon en 1979. Une fois sa renommée établie après plusieurs romans à succès, il part vivre à l'étranger, en Europe (Italie et Grèce), puis aux États-Unis. Il revient vivre au Japon en 1995, marqué par le tremblement de terre de Kōbe et l'attentat au gaz sarin de la secte Aum dans le métro de Tokyo. Haruki Murakami est également traducteur en japonais de plusieurs écrivains anglo-saxons parmi lesquels Scott Fitzgerald, John Irving ou encore Raymond Carver. Le roman, Le Passager de la nuit, est paru en 2007.

Tokyo, le temps d’une nuit entre minuit et sept heures du matin. Dans un bar, une jeune fille, Mari, est plongée dans la lecture d’un livre, elle sembla attablée ici pour la durée de la nuit avec du thé et des cigarettes. Entre un jeune homme, Takahashi, musicien partant en répétition, il pense reconnaître la jeune fille et s’assoit à sa table. Ailleurs, une autre jeune fille, Eri, dort dans une chambre, c’est la sœur de Mari ; depuis près de trois mois, elle ne fait que dormir pour ainsi dire. Quelqu’un l’observe.

Roman étrange où le banal et l’incompréhensible se mêlent. Le banal, c’est ce musicien qui drague mollement Mari mais d’ailleurs la drague-t-il réellement ? Ni l’un ni l’autre n’ont vraiment l’air de comprendre ce qui leur arrive, restant sur la réserve. L’incompréhensible, touchant au fantastique, c’est Eri plongée dans le sommeil sous l’œil d’un observateur dont on ne saura jamais rien ni pourquoi et ce poste de télé qui s’allume tout seul. Autour de ces personnages graviteront, une prostituée chinoise agressée par son client dans un love-hotel par un informaticien travaillant la nuit, la gérante de l’établissement qui cherchera à venger la victime et une employée de l’hôtel fuyant un passé qui nous restera inconnu.

Roman de sensations, de non-dits. Sans être dans l’extravagant, nous ne sommes jamais dans la « normalité » complète, de légers mystères s’éclairent à posteriori, d’autres jamais. Tous les personnages du roman ont un rapport quelconque les uns avec les autres, même s’il peut être ténu. C’est l’effet papillon ou les dominos qui s’écroulent les uns à la suite des autres. On pense immanquablement au film de Sophia Coppola, Lost In Translation sorti en 2003, ce genre d’ambiance légère et pesante tout à la fois, ou bien à ces tableaux d’Edward Hopper, décor de bar et éclairages au néon, solitude froide, personnages en attente. D’autres références cinématographiques, mais elles citées par l’auteur (Alphaville  de Godard par exemple) ou musicales (jazz, pop, classique) ponctuent le roman.

Haruki Murakami utilise le lecteur comme s’il était une caméra, nos yeux suivent les directives du metteur en scène, nous ne sommes « qu’un point de vue », nous n’avons ni à anticiper ou à réfléchir sur ce qui se passe, notre rôle n’est que de VOIR. 

L’écriture est froide, distancée et faite de phrases courtes, parfois dans le style d’un rapport administratif. Pas de gras, de descriptions gratuites ou de digressions, du coup la lecture est rapide. Le lecteur ne comprend pas très bien tout ce qui se passe sous ses yeux mais il est irrésistiblement entraîné jusqu’à la fin du roman. Sans déplaisir, mais sans bien savoir ce qui lui est arrivé non plus !

 

« Pas de signe particulier sur son visage, mais, à des détails de son expression, on perçoit une forte détermination. Sans doute la quarantaine. La chair n’est pas du tout relâchée, au moins sur le visage. L’apparence de l’homme : celle d’une chambre bien ordonnée. Il ne ressemble pas à un homme qui paye les services d’une prostituée chinoise dans un love-hotel. Encore moins à quelqu’un qui la brutalise sans raison et qui s’en va en lui confisquant ses vêtements. Dans la réalité, pourtant, il l’a vraiment fait. Il ne pouvait pas faire autrement que de le faire. »

 

 

Haruki Murakami,Haruki Murakami  Le Passage de la nuit  Belfond

Traduit du japonais par Hélène Morita avec la collaboration de Théodore Morita

 

 

 

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10/01/2014 | Lien permanent

Katarina Mazetti : Le Caveau de famille

katarina mazettiKatarina Mazetti, née en 1944, est une journaliste et écrivaine suédoise. Après des études de journalisme, elle débute dans des journaux locaux puis reprend ses études et obtient une maîtrise de littérature et d’anglais à l’Université de Lund. Elle travaille alors comme professeur puis comme producteur et journaliste à la Radio suédoise. Elle a écrit des livres pour tous les âges, ainsi que des critiques littéraires, des chansons, des comédies et des chroniques pour des journaux et la radio. Son premier roman pour adultes paru en 1999 (en France en 2006), Le Mec de la tombe d'à côté, se base sur son expérience de femme de paysan et sera un énorme succès international. Le Caveau de famille paru en 2011 en est la suite.

Nous retrouvons donc Benny le fermier et Désirée la bibliothécaire, le rat des champs et la rate des villes. Nous les avions quittés alors que leur couple ne tenait plus et qu’ils s’étaient séparés mais c’est aussi le moment où Désirée recontacta Benny pour lui demander de lui faire un enfant ! Trois tentatives, pas une de plus, pour concrétiser et après quelque soit le résultat, bye ! bye ! Chacun reprend sa vie. Bien entendu ce rapprochement contractuel renouera le fil rompu et nos deux héros se retrouvent en couple pour la grande aventure. Il y aura trois enfants, un mariage, un avortement, des larmes, des accidents corporels…

Si Katarina Mazetti a conservé en surface, le même ton que celui adopté pour le premier opus, un humour mélancolique, et la forme faite de chapitres alternant la vision des situations par l’une ou l’autre, le fond est beaucoup plus dur et noir. Elle réussit ainsi à nous fourguer un roman très sombre et grinçant en le parant de couleurs « seulement » grises.

Le lecteur est aux premières loges pour assister à cette métamorphose hasardeuse, le moment où un couple de célibataires amoureux se transforme en une famille avec enfants. Et là, ça ne rigole plus du tout. Benny s’occupe de ses vaches du matin au soir, sept jours sur sept, une vie rude et exigeante qu’il a toujours connue auprès de ses parents. Désirée torche les mômes, prépare la soupe, fait la lessive et bosse à la bibliothèque en ville pour mettre du beurre dans les épinards. Epuisés de fatigue tous les deux, chacun demandant à l’autre de faire des efforts pour le seconder dans ses tâches, leur vie devient un enfer. Surtout quand on ne peut plus communiquer. L’enfer c’est l’autre. Mais d’ailleurs, ont-ils jamais réussi à se parler réellement ?

Il est certain que Benny ne mesure pas bien l’ampleur des tâches accomplies par sa femme, mauvais point pour lui, mais Désirée n’a sûrement jamais été faite pour vivre à la ferme, mauvais point pour elle. L’amour et les bonnes intentions n’y font rien, le temps fait son œuvre et ronge littéralement les fondations du couple. Constat cruel.

Katarina Mazetti sous ses airs de ne pas y toucher, dézingue à tout vat, la vie de famille, l’image du mari traditionnel suédois égalitaire, la vie au bureau, l’avenir compromis des fermiers. De quoi donner des suées d’angoisse aux jeunes lecteurs sur le point de convoler et faire grincer des dents ceux qui sont déjà dans ce pétrin.

 

« Anita leur avait soigneusement construit un foyer et elle y avait vécu en paix jusqu’à ce que je débarque avec ma lubie d’avoir un enfant avec son homme. Et était arrivé ce qui était arrivé. J’avais pulvérisé toute son existence et j’ai senti qu’un jour j’aurais à en payer le prix. »

 

 

 

katarina mazettiKatarina Mazetti  Le Caveau de famille  Gaïa Editions

Traduit du suédois par Lena Grumbach

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25/07/2013 | Lien permanent

Jim Tenuto : La Rivière de sang

jim tenuto, Jim Tenuto a grandi à Chicago où son père était policier, il vit aujourd’hui à San Diego (Californie). Après avoir servi dans le corps des Marines et exercé divers métiers, il a commencé à publier des nouvelles dans des magazines sportifs. Paru en France en 2006, La Rivière de sang, est son premier roman.

Ex-star de football universitaire et vétéran dela Guerre du Golfe, Dahlgren Wallace n’aspire qu’à poser ses valises. Aussi, lorsque le magnat des médias Fred Lather lui propose de devenir guide de pêche dans sa propriété du Montana, l’occasion est trop belle. Jusqu’au jour où l’un des invités se fait assassiner à quelques pas de lui durant une partie de pêche. D’abord accusé du meurtre, Wallace est contraint de mener sa propre enquête. La liste des suspects ne manque pas d’envergure, milices néo-nazis, éco-terroristes défenseurs des droits des animaux, ranchers véreux, tous sont prêts à tout pour mettre la main sur le ranch de Lather mais dans l’immédiat c’est Dahlgren qui va dérouiller.

Un hasard amusant m’a amené à lire, presque consécutivement, deux polars dont les héros sont guide de pêche et j’avoue que c’est un contexte plutôt plaisant. Par ailleurs, comme ici, j’aime bien les bouquins où les chapitres ont des titres et non des numéros, je ne sais pas pourquoi, mais ça m’inspire favorablement. J’étais donc réellement bien disposé pour apprécier ce roman de Jim Tenuto. Ca c’était avant, parce qu’à l’arrivée je l’ai trouvé plutôt décevant.

Les aspects positifs, car il y en a quand même. On apprend beaucoup sur la technique de la pêche à la mouche et on découvre un peu le monde des Mormons. Les aspects négatifs maintenant, l’intrigue n’est pas vraiment passionnante, voire simplette ou lourdingue sous de fausses pistes se voulant complexes, la construction est un peu faiblarde et laborieuse. De plus, mettre dans un seul roman des néo-nazis (les mêmes que ceux du film Les Blues Brothers ? vous voyez le genre) et des militants écologiques extrémistes, ça fait beaucoup. J’imagine que l’auteur a voulu pointer les travers d’une société américaine en pleine débandade mais ça ne le fait pas !

Une fois encore, un roman qui plus est un polar, c’est comme une recette de cuisine, il ne suffit pas d’y mettre tous les ingrédients pour que ce soit réussi. Le roman n’est pas franchement mauvais, il se lit agréablement mais pour un polar il ne casse pas trois pattes à un canard. La rivière sans retour ?

 

« Il m’est arrivé de pêcher avec des hommes qui considèrent le moindre succès de leur femme ou de leur petite amie sur la rivière comme une atteinte à leur virilité. Pas Elden. Il se réjouissait des victoires de Susi autant que des siennes. A la fin de la journée, Elden refusa de me lâcher la main, qu’il me serra pendant un laps de temps digne de figurer dans le Guinness des records. – J’ai passé un excellent après-midi, dit-il. J’ai hâte de remettre ça demain. Aussi tôt que possible. A quelle heure pouvons-nous partir ? »   

 

 

jim tenuto, Jim Tenuto La Rivière de sang  Gallmeister

Traduit de l’américain par Jacques Mailhos

 

 

 

 

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Emile Zola : La Joie de vivre

Depuis plus d’un an maintenant je me suis lancé dans la lecture ou relecture, de tous les romans de la série des Rougon-Macquart. Je ne les chronique pas tous, seulement ceux qui me semblent moins connus ou qui m’inspirent un commentaire.

 

emile zolaÉmile François Zola (1840-1902) écrivain et journaliste, est considéré comme le chef de file du naturalisme. C’est l'un des romanciers français les plus populaires, l'un des plus publiés, traduits et commentés au monde. Sur le plan littéraire, il est principalement connu pour Les Rougon-Macquart, fresque romanesque en vingt volumes dépeignant la société française sous le Second Empire et qui met en scène la trajectoire de la famille Rougon-Macquart à travers ses différentes générations. Les dernières années de sa vie sont marquées par son engagement dans l'affaire Dreyfus avec la publication en janvier 1898, dans le quotidien L'Aurore, de l'article intitulé « J’Accuse…! » qui lui a valu un procès pour diffamation et un exil à Londres. Le roman La Joie de vivre publié en 1884 est le douzième de la série Les Rougon-Macquart.

Le décor, une petite ville Normande du bord de mer, des personnages peu nombreux, La Joie de vivre est un roman intimiste de l’écrivain. Chanteau vit retiré à Bonneville, perclus de rhumatismes goutteux entouré de sa femme et son fils Lazare, un jeune homme névrosé, sceptique, qui se lance dans de nombreux projets qu’il abandonne rapidement. Pauline Quenu, orpheline à dix ans, est recueillie par les Chanteau, des cousins de son père, qui l’élèvent et gèrent son héritage conséquent. Les années passent, Lazare promet le mariage à Pauline qui l’aime depuis toujours, pourtant ce sera Louise Thibaudier qu’il épousera et dont il dilapidera la dot comme il le fit avec l’argent de Pauline, dans ses ambitions entrepreneuriales aventureuses. 

Toute la beauté du roman tient dans le personnage de Pauline qui sacrifiera tout à Lazare par amour. Non seulement son héritage, pour l’épauler dans ses ambitions, mais allant même jusqu’à renier ses sentiments pour lui, le poussant à épouser Louise sa propre amie quand elle imaginera que c’est ainsi qu’il pourrait être heureux. Enfin comble du dévouement amoureux, quand le roman s’achève Pauline élève le petit Paul, gamin de Louise et Lazare tout en soignant le vieux père Chanteau devenu impotent.

A travers Pauline, Emile Zola tente de prouver qu’on peut être heureux malgré une vie faite de malheurs et que l’optimisme ou du moins une vision positive des choses est la seule arme qui vaille pour se sortir plus ou moins indemne de ce monde foncièrement mauvais. Et de l’optimisme il en faudra à Pauline - C’est ainsi qu’in fine, se comprend l’origine du titre de ce roman - car ses tuteurs la spolient de son héritage, le grand amour de sa vie se détourne d’elle après lui avoir fait subir tous les tracas de son caractère morbide et faible, les pauvres à qui elle fait des aumônes la volent et le père Chanteau, s’il n’est pas vraiment méchant, par sa maladie invalidante en fait sa garde-malade dévouée !

On peut noter aussi que dans ce roman, Emile Zola se dévoile indirectement en attribuant à certaines de ses personnages des traits de son caractère ou de ses hantises quand on sait qu’il était très émotif avec des angoisses morbides, le sang l’effrayait, les orages l’épouvantaient, l’idée de la maladie lui donnaient des suées.

 

« Depuis qu’ils habitaient Bonneville, Lazare et Louise vivaient dans de continuelles tracasseries. Ce n’étaient point des querelles franches, mais des mauvaises humeurs sans cesse renaissantes, la vie misérablement gâtée de deux être qui ne s’entendaient pas. Elle, après des suites de couches longues et pénibles traînait une existence vide, ayant l’horreur des soins du ménage, tuant les jours à lire, à faire durer sa toilette jusqu’au dîner. Lui, repris d’un ennui immense, n’ouvrait même pas un livre, passait les heures hébété en face de la mer, ne tentait que de loin en loin une fuite à Caen, d’où il revenait plus las encore. Et Pauline, qui avait dû garder la conduite de la maison, leur était devenue indispensable, car elle les réconciliait trois fois par jour. »

 

 

emile zolaEmile Zola  La Joie de vivre  Le Livre de Poche

 

 

 

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27/06/2013 | Lien permanent

Jim Harrison : Les Jeux de la nuit

Jeux de la nuit 34664463_6955476.jpgPar des moyens légaux mais que je ne peux dévoiler ici, j’ai en ma possession le nouveau bouquin de Jim Harrison, Les Jeux de la nuit, qui ne sera en vente que le 1er septembre.

Chaque nouveauté de l’écrivain américain est attendue avec impatience par de nombreux lecteurs dont je fais partie. Ce nouveau livre est un recueil de trois nouvelles d’une centaine de pages chacune où à chaque fois, un personnage solitaire cherche à calmer une souffrance qui le ronge et trouver la rédemption.

La fille du fermier nous narre le désir de vengeance de Sarah, une très jeune adolescente violée par un fils d’éleveur après une fête bien arrosée. Sarah n’a pas d’amis, ou si peu, une copine Marcia beaucoup plus délurée qu’elle et un jeune gars affligé d’un pied-bot. « Son piano était littéralement sa parole, la seule conversation qu’elle entretenait avec le monde. Son père parlait peu, et sa mère, tout occupée à trouver ce qu’elle allait répondre, n’écoutait pas. »

Chien Brun, le retour, comme son nom l’indique nous retrouvons ici Chien Brun, l’ami Indien de l’auteur qui va et vient au gré de l’inspiration de Jim Harrison à travers son œuvre forte aujourd’hui de près de vingt-cinq livres. Aujourd’hui Chien Brun, célibataire endurci, est sorti illégalement des Etats-Unis vers le Canada avec sa nièce que les autorités veulent placer dans un foyer pour jeunes handicapés. Une épopée paillarde où l’Indien nous livre quelques secrets sur sa vie passée tout en étant à l’affût de la moindre occasion pour satisfaire sa libido débordante alors que son amie Gretchen abonnée aux plaisirs saphiques exclusivement, a jeté son dévolu sur lui pour une insémination artificielle !

La dernière nouvelle qui donne son titre à l’ouvrage, Les jeux de la nuit est une variante du mythe du loup-garou. En voulant sauver un louveteau orphelin, un jeune garçon est mordu accidentellement par l’animal et chaque mois quand survient la pleine lune, une puissante force intérieure le ronge et le pousse dans des excès de gloutonnerie et de sexe. La solitude semble inexorable, l’obligeant à ces époques à fuir vers les grands espaces déserts des forêts et montagnes.

Sans entrer dans les détails pour ne pas vous gâcher la lecture, disons que Jim Harrison ménage une porte de sortie plutôt optimiste à ses personnages même si l’avenir de certains ne s’annonce pas vraiment rose. Les trois textes ne sont pas du même niveau d’écriture qui va du très bon (Les Jeux de la nuit) au moyen (Chien Brun, le retour), on trouve des répétitions étranges entre les textes où par exemple tout le monde écoute la même chanson de Patsy Cline, mais on se régale toujours des paysages de cette Amérique chère à l’écrivain et à notre cœur, du Montana au Texas, la nature toute puissante, la faune et la flore, les parties de pêche, les bivouacs au bords des rivières. Les préoccupations basiques de Jim Harrison sont toujours les mêmes, boire de bons coups, bien bouffer mais, et c’est là le bémol que je mettrai à ce livre, ses délires sexuels égrillards d’autrefois semblent prendre une part plus importante et frôler la pornographie, une facilité moins intéressante trahissant les fantasmes d’un vieil homme (73 ans) en difficulté de ce côté-là ? A cette heure le luron est toujours vivant et il nous offre un très bon bouquin, c’est tout ce qui compte pour nous au pays des lecteurs. 

 

« Ce premier automne, nous faisions de longues virées parmi les collines des environs, cachant nos vélos avant de poursuivre à pied dans les canyons, tuant des serpents à sonnette avec la Remington de calibre .22 à un coup de Lawrence. Il achetait des cartouches bourrées de chevrotine et dégommait des cailles qu’Emelia cuisait ensuite avec habileté sur une pierre plate entourée de braises. Petit Dicky avait toujours du sel sur lui, dans une bourse fixée à sa ceinture. »

 

HARRISON 66b8ca72-b68e-11df-a563-ef3372fd67d0.jpgJim Harrison  Les jeux de la nuit  Flammarion

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09/10/2012 | Lien permanent

Françoise Chandernagor : Les Dames de Rome

Chandernagor Livre 51WrfifTWSL._BO2,204,203,200_PIsitb-sticker-arrow-click,TopRight,35,-76_AA300_SH20_OU08_.jpgFrançoise Chandernagor, née en 1945, est une écrivaine française Membre de l'Académie Goncourt, elle est la fille d'André Chandernagor, ancien député de la Creuse et ministre du gouvernement Pierre Mauroy. Son roman Les Dames de Rome, qui vient de paraître, est le second volet d’une trilogie nommée La Reine oubliée.

Le roman s'ouvre sur l'arrivée à Rome des trois enfants de Cléopâtre et de Marc Antoine exhibés lors du triomphe d'Octave, avant d'être confiés à Octavie, soeur aînée d'Octave et première dame de Rome, qui vit entourée d'enfants : ceux qu'elle a eu avec Antoine et ceux qu'il avait eus avec sa première épouse. Après la disparition brutale de ses frères qu’on suppose assassinés, Séléné va grandir au milieu de cette tribu impériale, faisant lentement sienne la culture romaine. Si on marie à peine pubères les autres filles selon des jeux d'alliances complexes, Séléné reste une paria. Octavie qui s'est attachée à la petite prisonnière va pourtant manigancer pour lui faire épouser Juba, roi de Maurétanie, de l'autre côté de la Méditerranée, bouleversant le destin de la dernière des Ptolémée.

Je dois avouer que le bouquin m’a été offert, ce qui signifie que je ne l’aurais pas lu de ma propre autorité. Vous devinez où je veux en venir. Je me suis ennuyé à mourir comme rarement, à la lecture de ce roman ! Ces histoires de familles avec des mômes venus de partout par filiation ou carrément adoptés, très peu pour moi. Ca a beau être de l’Histoire, c’est d’un ennui mortel. D’ailleurs l’écrivaine s’en doute, puisqu’elle écrit (page 63) « On s’y perd, hein ? On s’embrouille ? Pas étonnant ! ». Je sais que je ne serai pas compris et même décrié, mais passez-moi l’expression qui résume parfaitement ma pensée en peu de mots, c’est un roman pour bonnes femmes !

L’idée de romancer l’Histoire pour la rendre compréhensible au plus grand nombre est très bonne et louable, le problème c’est que l’écriture est quelconque et qu’on se noie dans cette foule de personnages présentés un peu mièvrement. Du coup on obtient l’effet inverse à celui recherché, ces petites histoires nous fatiguent ou ennuient et on regrettela grande Histoirelue dans les bouquins scolaires, un comble !

Cette sensation est confortée parla longue Notede l’auteur, en fin d’ouvrage, où Françoise Chandernagor reprend son roman en trente pages, mais sous l’angle historique pur, références et état des connaissances actuelles sur le sujet, et là c’est réellement passionnant.

Un roman complètement raté, ou à peu près, pour un cours d’Histoire réussi in extremis.  

« Julie, tendre et libertine, généreuse et fantasque, sera la plus belle des « cent fleurs » poussées sur le terreau de la dictature paternelle, la plus belle et la plus aimée du peuple romain. Pour l’heure, n’écoutant que son bon cœur, elle se désole pour sa cousine Marcella. Elle n’a pas voulu, dit-elle, lui prendre son vieux mari. Et si on lui avait demandé son avis, elle aurait autant aimé, quant à elle, épouser Iullus, qui a vingt ans et qui n’est pas laid. »

 

 

chandernargor_portrait.jpgFrançoise Chandernagor  Les Dames de Rome  Albin Michel

 

 

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10/10/2012 | Lien permanent

Jean Lorrain : Monsieur de Phocas

Lorrain Livre 793580_2898060.jpgJean Lorrain est né à Fécamp le 9 août 1855 (Martin Paul Alexandre Duval de son vrai nom) et décède à Paris le 30 juin 1906. Il fait partie de ces écrivains décadents à cette époque charnière entre deux siècles, comme Villiers de l’Isle-Adam, Verlaine « Je suis l’Empire à la fin de la décadence » et surtout Huysmans dont le héros d’un de ses romans Des Esseintes dans A rebours symbolise cette école littéraire.

Monsieur de Phocas, alias le comte de Fréneuse, avant de s’exiler en Orient confie son Journal à un quasi inconnu qu’il pense susceptible de le comprendre. Ce Journal est un testament, une confession intime plus précisément. Le comte de Fréneuse est connu du tout Paris, des légendes circulent à son propos, des mystères émaillent sa vie, des scandales éclatent dans son sillage. Qu’en est-il réellement, quelles sont les raisons qui ont motivé ses actes ? Le manuscrit va nous le révéler.

Dans le roman, Jean Lorrain mélange habilement des aspects de sa propre vie, c’est un journaliste mondain et dandy, amateur de plaisirs de toutes sortes, femmes et hommes, drogues et rencontres scabreuses dans les bas-fonds des grandes villes, avec des ambiances et des idées qu’on retrouve dans des livres écrits antérieurement par d’autres écrivains, le personnage de Des Esseintes de Huysmans, celui de Dorian Gray d’Oscar Wilde etc.  

On y croise des célébrités de cette époque, Liane de Pougy (auteur de Idylle Saphique), Rachilde qui a écrit Monsieur Vénus, le comte Robert de Montesquiou etc. L’esthétisme et les arts sont au centre des préoccupations du comte de Fréneuse devenu obsédé par les yeux verts. Des yeux d’un certain vert bien particulier qu’il va rechercher partout, que ce soit chez les prostituées des quartiers glauques des villes ou dans les œuvres d’art des musées. C’est là qu’intervient Claudius Ethal, un personnage étrange, peut-être diabolique, qui se propose de l’aider dans sa quête, le poussant à franchir des limites qui doivent le guérir de son obsession au risque d’y laisser son âme.

J’apprécie beaucoup les livres de J.K. Huysmans, c’est donc avec plaisir que je découvre – enfin – Jean Lorrain qui écrit dans la même veine. Le style, les références culturelles évoquées, les clins d’yeux (certains parlent de plagiat) à des œuvres d’autres écrivains de qualité font de ce livre une petite merveille d’où se dégage une capiteuse odeur stupre.

 

« Ethal ne m’avait pas trompé. C’étaient bien les yeux de mon rêve, les yeux de mon obsession, les yeux d’angoisse et d’épouvante dont il m’avait prédit la rencontre, regards plus beaux que tous les regards d’amour, parce que, devenus décisifs, surnaturels et, enfin, eux-mêmes dans l’affre de la dernière minute à vivre. Et sa théorie m’apparaissait enfin justifiée par le talent et le génie du peintre. Je comprenais enfin la beauté du meurtre, le fard suprême de l’épouvante, l’ineffable empire des yeux qui vont mourir. »

 

Lorrain images.jpgJean Lorrain  Monsieur de Phocas  GF Flammarion       

 

 

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15/10/2012 | Lien permanent

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