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15/12/2025

Bénédicte Dupré la Tour : Terres promises

Bénédicte Dupré La Tour, Bénédicte Dupré la Tour, née en 1978 à Buenos Aires, est co-autrice avec sa sœur jumelle Florence de la série de bandes dessinées Borgnol. Rédactrice de presse et scénariste, elle participe notamment à l'écriture de la série animée OVNI, de Fabrice Parme et Lewis Trondheim. Terres promises, paru en 2024, vient d’être réédité en poche.

L’époque et les décors ce sont la ruée vers l’or au XIXème siècle et ses images de westerns, les colons et les Autochtones, voilà pour le visuel et l’ambiance générale. Cet arrière-plan sert à l’écrivaine pour nous offrir un formidable roman, fait des portraits des divers acteurs au cœur de ces évènements, prostituée, colons, orpailleurs, Indiens, soldats etc. Cette structure chorale nous propose ainsi une vision polyphonique et nuancée de la conquête de l’Ouest.

Pour la forme, le livre ressemble à un recueil de nouvelles chacune présentant un personnage, mais toutes restent néanmoins liées les unes aux autres, un personnage ou un évènement pouvant réapparaître ici ou là ; entre chaque chapitre (7), une lettre (6) adressée par un jeune condamné à mort pour désertion à sa mère, son père, ses frères, sa sœur…

Vous allez donc croiser le destin d’Eleanor la fille de joie et sa tragique vengeance, un brave homme devenu orpailleur pour gagner l’affection de son épouse mais qui deviendra fou (« Celui qui succombait à l’appel était pris d’une fièvre fixe, définitive »), une infirmière qui assiste un chirurgien sur les champs de bataille (« La guerre n’est pas la place d’une femme de qualité aimait à répéter Matt Hempton. La guerre n’est une place pour personne, lui répondait Mary »), des femmes blanches offertes aux Indiens en échange de leurs terres (« Ces femmes venaient des prisons et des asiles, elles n’avaient rien à perdre, car leur réputation était morte à jamais »), un Autochtone qui voudrait prendre pour femme une Blanche, un pasteur qui perd la foi…

Si le roman est mince, le talent de l’écrivaine est grand. Tout est excellent dans ce bouquin et je mets au défi quiconque de me prouver le contraire, l’écriture, la construction des récits qui n’en font qu’un finalement, un vrai régal.

Le livre est d’une beauté sans égal qui trouve sa source dans le drame car ne le cachons pas, les récits sont très durs, voire épouvantables (viols, cannibalisme…) ce qui nous donne aussi des pages sublimes, par exemple, les lettres du condamné à mort à sa mère et son père qu’il crucifie littéralement alors qu’il ne lui reste que quelques heures à vivre.

Ce roman met en lumière la brutalité de la colonisation et l’exploitation des corps, notamment des femmes, en les plaçant au centre d’un roman qu’on pouvait imaginer de prime abord comme très masculin, (« Lui, un autre, cela n’avait aucune sorte d’importance, puisqu’ils se valaient tous. Ils se valaient tous puisqu’ils ne valaient rien ») et des Autochtones, soulignant l’importance de se souvenir des sacrifices et des souffrances des anonymes.

Un (Le ?) grand roman de l’année.

 

« Alors il fit de même et coupa les longues mèches qui luisaient sur ses épaules, les rassembla d’un lien de cuir et les offrit en retour à Rebecca, qui les plaça dans son corsage, au plus près de sa peau. Au contact des cheveux sauvages, elle frissonna entièrement. L’homme repartit avec son présent caché dans son vêtement, comme on emporte avec soi le secret d’un être cher, il repartit avec ces tresses qui le liaient à Rebecca par-delà les corps, les langues, les étrangetés, et ce don était plus grand que celui de la chair. Le sauvage s’arrêta à la lisière, puis disparut, avalé par les bois noirs. Elle ne le revit jamais. » 

 

Bénédicte Dupré La Tour, Bénédicte Dupré la Tour   Terres promises   Pocket  - 251 pages -  

 

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