29/07/2019
T.C. Boyle : D’amour et d’eau fraiche
T.C. Boyle (Tom Coraghessan Boyle) est un écrivain et romancier américain né en 1948 à Peekskill dans l’Etat de New York. Depuis 1978, il anime des ateliers d’écriture à l’Université de Californie du Sud et vit près de Santa Barbara, dans une maison dessinée par l’architecte Frank Lloyd Wright. Il est l’auteur de plusieurs recueils de nouvelles ainsi que de nombreux romans. D’amour et d’eau fraiche date de 2003.
Californie en 1970. Star et Pan qui fuient la société de consommation, intègrent Marginocity, une communauté hippie dirigée par Norm, gourou prônant retour à la terre et amour libre (Peace & Love). S’étant attiré l’inimitié des autorités locales par leur mode de vie, la tribu doit déménager et profite d’une opportunité, le gourou vient d’hériter d’un terrain en Alaska. Embarquant tout leur barda (dope, chèvres etc.) dans un vieux bus scolaire, tout ce petit monde se met en route vers cet Eldorado… Là-bas ils feront connaissance avec Sess le trappeur et Pamela sa récente épouse.
Un bouquin très agréable à lire, mêlant les genres, roman d’aventures, Nature Writing, voire roman d’amour, dans le style très caractéristique de T.C. Boyle, volubilité, humour caustique, détails pointus et imagination sans bornes.
Car il s’en passe des choses durant ces cinq cents pages ! Le plan du roman fait converger deux histoires, la vie dans une communauté hippie californienne (avec Star et Pan) et celle du couple Sess et Pamela en Alaska, jusqu’à leur réunion dans cet Etat sauvage du nord de l’Amérique. Rien que l’idée comique de base du livre devrait vous inciter à l’ouvrir : une bande de hippies, habitués à vivre à poil sous le soleil de Californie, un joint dans une main et une bière dans l’autre, déménageant pour aller en Alaska, terre sauvage s’il en est (ours, loups etc.), particulièrement rude climatiquement parlant… Moi, j’étais déjà mort de rire à cette évocation.
Et certes vous allez sourire souvent, Boyle manie parfaitement la dérision et la causticité, (« Le retour à la terre, la vie rustique, vaguer : ils n’avaient que ça à la bouche alors que, s’il n’y avait pas eu un supermarché à moins de dix bornes, ils auraient déjà tous crevé de faim, jusqu’au dernier ! »). Mais si l’humour donne le ton général à l’ouvrage, l’écrivain sait aussi alterner les sentiments : l’émotion (avec Sess et Pamela lors de leur histoire d’amour naissante), l’énervement (Pan est un type vraiment trop nul quand il pourrit la vie des autres), la rage (Joe Bosky, voisin et ennemi juré de Sess, un gros méchant)… Il y a même un peu de violence et des morts, vous voyez que le menu est copieux.
Entre les portraits hauts en couleurs des membres de la tribu hippie, les scènes très cinématographiques autant dans la communauté au soleil que dans les forêts glacées de l’Alaska, les séquences drôles ou dramatiques, T.C. Boyle vous entrainera dans un périple chaud et froid très réussi, s’achevant sur une note positive : la vie comme un tamis, fait le tri entre les uns et les autres, et les plus forts unis enfin par les liens de l’amour, peuvent regarder l’avenir avec espoir.
« Norm tourna sur son siège pour lui faire face : « Les gens me disaient : « Norm, tu ne peux pas laisser venir n’importe qui parce que ça va tout gâcher pour le reste d’entre nous. » Mais qu’est-ce qu’on fait alors ? Tout le monde veut se tirer de cette foutue société complètement accro à la consommation, et je ne vais pas me mettre en travers de leur chemin, je veux dire… personne m’a élu dieu, non ? » Il remonta ses lunettes sur l’arête du nez : elles glissèrent instantanément. Il commençait à faire très chaud dans l’habitacle. « D’ailleurs, et j’ai pas à te dire ça, mec, si on se met à fixer des limites à une communauté, alors elle se fige, comme les shakers ou les amish. Ces gens-là meurent d’eux-mêmes. Comme ça. Une communauté, ça doit être ouvert et, dans l’acception du terme qu’en donne Gurdjieff, il faut laisser Dieu reconnaître les siens, tu vois ce que je veux dire ? »
T.C. Boyle D’amour et d’eau fraiche Grasset – 554 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bernard Turle
07:26 Publié dans Etrangers | Tags : t.c. boyle | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook |