24/06/2013
Peter Heller : La Constellation du chien
Peter Heller collabore régulièrement à des magazines et est l’auteur de quatre livres de non-fiction sur la nature, l’environnement, le voyage, l’aventure. Il a été couronné par de nombreux prix. Bien qu’il soit new-yorkais, qu’il ait étudié dans le Vermont et le New Hampshire et qu’il vive aujourd’hui à Denver au Colorado, il a exercé de nombreux métiers tels que plongeur, maçon, bûcheron, pêcheur en mer, moniteur de kayak, guide de rivière et livreur de pizzas. La Constellation du Chien qui vient de paraître est son premier roman.
Neuf ans après qu’une catastrophe sanitaire mal définie, mutation d’un super virus combiné à une grippe aviaire, se soit abattue sur le monde, des poches de survivants tentent de vivre dans un univers devenu hostile, où le pire ennemi pour l’homme est l’homme !
Quelque part dans le Colorado, deux humains associés par nécessité, se sont créé un monde à eux dans un ancien aérodrome. Deux caractères diamétralement opposés. High, le narrateur, déteste la violence, apprécie la poésie chinoise et les étoiles, cultive un peu la terre et fait la cuisine, se souvient avec amour de Mélissa sa femme décédée et de leur enfant mort-né. Son rôle, sécuriser le périmètre grâce à son petit avion, un Cessna qu’il nomme « La Bête » avec lequel il effectue des vols de surveillance. Toute sa tendresse et son amour se sont reversés sur son chien Jasper. Bangley, son compère, c’est tout le contraire. Il ne parle presque pas, ne vit que dans la suspicion d’une attaque, « l’été dernier, il a tué une fillette qui me courait après », toujours armé ou aménageant la défense de leur camp retranché. Son passé reste tu mais on l’imagine lié aux militaires car son expérience stratégique et ses capacités dans l’utilisation des armes, parlent pour lui. « J’ai l’avion, je suis ses yeux, il a les fusils, il est les muscles. »
Opposition de caractères, amitiés viriles et bougonnes, le chien, les autres humains vivants, les bons comme les mauvais, les combats pour sauver sa peau, tous ces épisodes nous valent de belles pages de lectures avec en fil rouge un sentiment ineffable de mélancolie lié au monde perdu et aux êtres aimés disparus. Mais la nature humaine est ainsi faite, même après les plus grands malheurs, elle cherche toujours à aller de l’avant et ce n’est pas Hig qui dérogera à la règle.
Je ne m’étends pas plus sur le résumé du livre pour vous laisser un plaisir intact à le découvrir, car s’il ne s’agit pas d’un roman d’action, il ne manque pas de péripéties tragiques voire épouvantables et d’un certain suspense parfois. Certains vont croire, par cette présentation sommaire, être en terrain connu car des romans post-apocalyptiques il en existe des rayonnages complets chez les libraires, du très bon comme La Route de Cormac McCarthy aux très mauvais dont je tairai les noms. Détrompez-vous, ici nous sommes en présence d’un bouquin complètement différent de ce que vous avez déjà lu.
Car il y a le style et le travail sur l’écriture qui surprennent. Des paragraphes courts ou carrément limités à une seule ligne. Parfois des phrases déstructurées mais pas trop, juste ce qu’il faut pour déstabiliser la lecture mais sans faire perdre l’équilibre, faites de deux ou trois mots sans verbe, ou d’un mot unique. Un peu comme si l’écrivain, tel un musicien, insérait dans sa mélodie toute personnelle, des samples de free-jazz. Pas de panique néanmoins, tout cela se lit très bien et reste parfaitement compréhensible, nous ne sommes pas non plus dans la littérature expérimentale ou le cut-up genre William Burroughs. On devine que Peter Heller, par le style adopté, veut traduire le langage et la pensée de son héros Hig, tels qu’ils ont pu évoluer après neuf ans de quasi solitude, en tout cas sans aucunes discussions profondes. Rien que pour cette forme, ce bouquin mérite d’être lu et n’oublions pas qu’il s’agit néanmoins d’un premier roman ! Je suis très impatient de voir comment l’écrivain va négocier son second ouvrage.
« C’est ce que je fais, ce que j’ai fait : je découpe les cuisses les bras la poitrine les fesses et les mollets. En tranches fines que je trempe dans la saumure et que je fais sécher pour que Jasper ait de la viande entre deux. Vous vous rappelez l’histoire de l’équipe de rugby dans les Andes. Les cadavres étaient des cadavres, déjà morts. Ils l’ont fait pour survivre. Je ne suis pas différent. Je le fais pour lui. Je mange du gibier, des poissons de fond, du lapin, des gardons. Je conserve la viande séchée dans des seaux fermés hermétiquement. De tout ce qu’il mange c’est ce qu’il préfère, sûrement à cause du sel. Le lendemain je recommencerais mais pas le gamin, lui je l’enterrerais sans tendresse ni regret mais en un seul morceau et avec sa plume de faucon. »
Peter Heller La Constellation du chien Actes Sud
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy
10:15 Publié dans Etrangers, NATURE WRITING | Tags : peter heller | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |